N° 113

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 novembre 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l' évolution des prélèvements obligatoires entre 2012 et 2016 ,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,
Rapporteur général,
Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Éblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

Mesdames, Messieurs,

Le quinquennat qui s'achève appelait la réalisation d'un bilan de la politique fiscale menée par l'actuelle majorité gouvernementale, sous l'impulsion du Président de la République. Aussi le présent rapport s'attache-t-il à proposer un examen de la politique conduite en matière fiscale depuis 2012, cherchant à concilier exhaustivité et concision.

À la suite des élections présidentielle et législatives s'étant tenues entre avril et juin 2012, l'exécutif a affiché un ambitieux programme fiscal pour le quinquennat qui débutait. En particulier, après un été marqué par une « ponction » fiscale d'un montant de plus de sept milliards d'euros, portant aussi bien sur les entreprises que sur les ménages, la programmation pluriannuelle des finances publiques avancée à l'automne 2012 1 ( * ) annonçait un « redressement dans la solidarité et la justice », supposé reposer tout à la fois sur une maîtrise de la dépense publique et des efforts en recettes, « dans le cadre d'une réforme fiscale visant à rétablir l'équité dans les prélèvements et à maintenir notre potentiel de croissance, en faisant contribuer d'abord les plus grandes entreprises et les ménages les plus aisés ».

La trajectoire budgétaire ainsi définie, qui prévoyait un retour du déficit public en deçà de 3 % du produit intérieur brut (PIB) dès 2013 et une réduction du poids de la dette dans la richesse nationale à compter de 2014, se décomposait en deux parties ; après un redressement des comptes publics, fondé sur une forte hausse de la fiscalité en 2012 et 2013 puis, par la suite, principalement sur des mesures d'économies, devait venir le temps de « l'équilibre structurel des comptes publics », redonnant des marges de manoeuvre à l'action publique et permettant une légère baisse des prélèvements obligatoires en 2016-2017.

Toutefois, la réalité s'est révélée très différente des attentes gouvernementales. En dépit de la forte hausse de la fiscalité intervenue en 2012 ainsi qu'en 2013, aucun des objectifs budgétaires initialement arrêtés par le Gouvernement n'a été atteint, le retour du déficit public en-dessous du seuil de 3 % du PIB ayant sans cesse été reporté, tout comme l'amorçage du recul de la dette publique qui s'élevait, à la fin du deuxième trimestre 2016, à 98,4 % du PIB 2 ( * ) . Ainsi, malgré le maintien d'un haut niveau de prélèvements obligatoires, la consolidation budgétaire s'est révélée plus lente qu'anticipé, en raison d'une conjoncture économique moins favorable qu'espéré, mais aussi d'un effort de réduction des dépenses publiques sans commune mesure avec la dégradation de nos finances publiques.

Malgré cela, force est de constater que la baisse de la part des prélèvements obligatoires dans le PIB, même si elle est restée modeste, a été engagée en 2015, conformément à ce que prévoyait la loi de programmation adoptée en décembre 2012 3 ( * ) . Cette évolution a, de toute évidence, résulté d'un double mouvement. En premier lieu, après avoir significativement accru l'imposition des entreprises, le Gouvernement a peu à peu compris la nécessité, pour favoriser la croissance et l'emploi, de réduire les charges supportées par celles-ci ; ainsi, la création du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) a été suivie du déploiement des mesures du Pacte de responsabilité à partir de 2015. En second lieu, l'exécutif a dû faire face à une grogne croissante des contribuables, la montée d'un mécontentement précoce à l'automne 2012, symbolisée par le « mouvement des Pigeons », ayant laissé place à un « ras-le-bol fiscal » généralisé, pour reprendre les termes utilisés par le ministre des finances de l'époque, Pierre Moscovici, en août 2013.

Graphique n° 1 : Effets des mesures relatives à l'imposition sur le revenu et des mesures sociales adoptées au cours du quinquennat sur le niveau de vie

(variation du niveau de vie, en %)

Note de lecture : le niveau de vie agrégé des ménages du 1 er décile de niveau de vie est supérieur de 4,7 % à celui qui aurait été observé en l'absence de toutes les mesures mises en oeuvre depuis 2012. Les mesures sociales ciblées sur les ménages modestes ont augmenté de 5,2 % le niveau de vie des ménages situés dans le 1 er décile de niveau de vie.

Source : rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances pour 2017

Mais il ne faut pas s'y tromper. L'inflexion du taux de prélèvements obligatoires observée en 2015 n'a bénéficié aux ménages que de manière limitée et inégale. À cet égard, la direction générale du Trésor a réalisé une étude, figurant dans le rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances pour 2017, qui s'attache à mesurer les effets redistributifs de la politique menée par le Gouvernement en direction des ménages depuis 2012.

Ainsi, comme le montre le graphique reproduit supra , à en croire l'étude précitée, les mesures fiscales ciblées sur les bas revenus ont permis une amélioration du niveau de vie des ménages appartenant aux troisième à cinquième déciles. Pour les ménages les plus modestes, compris dans les premier et deuxième déciles, la hausse du niveau de vie n'aurait été permise que par les mesures de nature sociale, à l'instar de la revalorisation du revenu de solidarité active (RSA) ou la création de la prime d'activité ; pour cette catégorie de contribuables, en effet, les mesures relatives aux prélèvements obligatoires considérées isolément ont eu une incidence globalement négative du fait, pour l'essentiel, de l'augmentation des cotisations de retraite et de la réduction des avantages fiscaux non ciblés, comme la « refiscalisation » des heures supplémentaires. Au-delà du sixième décile, les ménages ont, quant à eux, vu leur niveau de vie se dégrader. En somme, selon le Gouvernement, « les mesures évaluées ont accru la redistribution du système fiscalo-social français, via la hausse des transferts à destination des ménages modestes et la plus grande contribution des ménages aisés » 4 ( * ) . Cependant, il convient de relever qu'en 2014, le niveau de vie moyen d'un individu compris entre les sixième et septième déciles s'élevait à 23 840 euros, ce qui tend à mettre en évidence la conception très extensive des « ménages aisés » retenue par la majorité gouvernementale.

En tout état de cause, l'étude publiée par le Gouvernement comporte une lacune de taille, dès lors qu'elle ne tient pas compte de la fiscalité indirecte. Or, l'actuelle législature a été marquée par un accroissement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), de la fiscalité environnementale ou encore de certains droits de consommation. Aussi le présent rapport s'applique-t-il à proposer une analyse, inédite, des effets des évolutions de la fiscalité indirecte intervenues au cours de la législature sur la situation des ménages. Cette analyse vient, ainsi, relativiser le caractère redistributif de la politique fiscale menée par le Gouvernement : les hausses d'impositions indirectes ont concerné l'ensemble des ménages, mais ont davantage pesé sur les plus modestes d'entre eux. Par suite, contrairement à ce qu'avance l'exécutif, le « choc » fiscal survenu durant le quinquennat en cours continue de faire sentir ses effets, et ce sur la totalité des ménages.

La baisse du taux de prélèvements obligatoires de 44,8 % à 44,7 % du PIB survenue entre 2014 et 2015 a donc, pour l'essentiel, résulté des mesures d'allègement de la fiscalité des entreprises. Celles-ci semblent également être à l'origine de la réduction du poids des prélèvements qui devrait, selon les estimations gouvernementales, intervenir en 2016, même s'il y a lieu de relever qu'un coup d'arrêt de cette dynamique baissière est attendu en 2017. Si de telles mesures étaient plus que souhaitables, bien qu'elles aient été plus tardives et d'une ampleur moindre que la réduction de charges initialement décidée pour 2013 par la précédente majorité gouvernementale, celles-ci sont néanmoins intervenues au prix d'un transfert de la charge fiscale sur les ménages - comme s'applique à le montrer ce rapport - et, surtout, font ressortir l'incapacité du Gouvernement à engager les nécessaires économies en dépenses qui lui permettraient de cesser de faire reposer l'assainissement budgétaire sur les prélèvements obligatoires et, notamment, sur ceux acquittés par les ménages.

Graphique n° 2 : Évolution du taux de prélèvements obligatoires (2006-2017)

(en % du PIB)

* Prévisions

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Insee et du rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2017)

Par ailleurs, la réforme globale du système fiscal qui devait « rétablir l'équité dans les prélèvements » est restée lettre morte. En effet, la « remise à plat » de la fiscalité promise en novembre 2013 par Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, a fait long feu. Le projet n'a pas prospéré au-delà des Assises de la fiscalité, organisées au début de l'année suivante.

En bref, loin d'afficher la cohérence souhaitée à l'origine, la politique fiscale conduite au cours du quinquennat qui s'achève a été marquée par une hausse substantielle de la fiscalité, en particulier pour les ménages. Faute d'engager des réformes d'ampleur, le Gouvernement a fait le choix d'un « pointillisme fiscal », caractérisé par une indécision certaine et des renoncements nombreux.

À ce titre, l'annonce par François Hollande, en juin 2015, de la mise en place du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu à compter de 2018, ne laisse pas d'interroger ; compte tenu de son caractère tardif, de son haut degré d'impréparation et de ses multiples imperfections, une telle réforme semble davantage avoir été pensée comme le moyen de respecter un engagement non tenu que dans un souci de modernisation du système fiscal 5 ( * ) .

Dans ces conditions, il n'est nullement étonnant que la politique fiscale menée depuis 2012 ait pu être à l'origine, tout d'abord, d'un recul du consentement à l'impôt, mis en évidence par différents sondages, ensuite, de prises de positions critiques au sein même de la majorité gouvernementale, qu'il s'agisse de Pierre Moscovici dénonçant, à l'été 2013, le « ras-le-bol fiscal » ou encore de Jean-Marc Ayrault réclamant, aux côté du député Pierre-Alain Muet, en août 2015, une réforme du système fiscal 6 ( * ) , voire, enfin, de regrets, à l'instar de ceux exprimés par le Président de la République en juillet de la même année, lorsqu'il a reconnu qu'il aurait dû « gard[er] l'augmentation de TVA » 7 ( * ) décidée à la fin du précédent quinquennat afin de compenser des baisses de charges sociales, elles aussi abrogées en 2012.

I. UN CHOC FISCAL AUX EFFETS PERSISTANTS POUR LES MÉNAGES

Indéniablement, les débuts du quinquennat qui s'achève ont été marqués par un véritable « choc » fiscal . À l'été 2012, au lendemain des élections présidentielle et législatives, la nouvelle majorité gouvernementale a fait le choix de faire reposer le redressement budgétaire essentiellement sur l'augmentation des prélèvements obligatoires. Ainsi, la loi de finances rectificative adoptée en août 2012 8 ( * ) prévoyait des hausses d'impôts de plus de sept milliards d'euros en 2012 et d'environ six milliards d'euros en 2013 , soit un effort cumulé demandé aux ménages et aux entreprises dépassant 13 milliards d'euros. Loin de s'arrêter à cette première « ponction » fiscale, le Gouvernement a fait le choix de poursuivre l'accroissement de la charge fiscale ; en effet, les mesures nouvelles en prélèvements obligatoires portées par les textes financiers de l'automne 2012 - soit les lois de finances 9 ( * ) et de financement de la sécurité sociale 10 ( * ) pour 2013 de même que le collectif de fin d'exercice 11 ( * ) - représentaient près de 18 milliards d'euros au titre de l'année 2013 .

Le prélèvement opéré sur les contribuables en 2012 et 2013 à l'initiative de la nouvelle majorité gouvernementale , s'inscrivait dans une stratégie en deux étapes, consistant à appuyer l'ajustement des comptes publics sur une augmentation de la fiscalité, dans un premier temps, puis sur la réalisation d'économies en dépenses, dans un second temps. La justification de cette stratégie tenait au fait qu'à court terme les hausses d'impôts auraient des effets moins récessifs que les réductions de dépenses.

Toutefois, ainsi que l'a relevé l'OFCE, l'impact négatif de ce « choc » fiscal « avait été sous-estimé par le gouvernement » 12 ( * ) ; à titre d'illustration, selon les récentes estimations de l'Insee 13 ( * ) , au cours de la période 2012-2014, les mesures fiscales concernant aussi bien les entreprises que les ménages auraient eu une incidence négative sur la croissance de 0,9 point par an en moyenne . De même, si « les hausses d'impôts ont un effet moins récessif à court terme, car les ménages comme les entreprises lissent les fluctuations de leur revenu sur leurs dépenses, [...] cet effet se diffuse dans le temps » 14 ( * ) ; aussi l'institut de statistiques estime-t-il qu'en 2015, « les hausses passées des prélèvements sur les entreprises et les ménages ont encore pesé, et auraient grevé la croissance de 0,7 point » 15 ( * ) . Si l'on en croit les analyses de l'Insee, le choix de faire reposer la consolidation budgétaire sur une augmentation des impôts au début du quinquennat expliquerait pourquoi celle-ci continue de freiner la croissance économique, alors que cette consolidation a été moins forte en France, en 2012 et 2013, que dans des pays comme l'Espagne ou l'Italie.

Ceci n'est probablement pas sans lien avec le fait que, contrairement aux intentions initialement affichées par le Gouvernement, le « choc » fiscal du début du quinquennat, ainsi que les hausses d'imposition qui ont suivi ont, pour l'essentiel, pesé sur le pouvoir d'achat des ménages . Comme le montre le tableau ci-après, l'impact sur la croissance a résulté, à titre principal, des mesures portant sur la fiscalité directe et indirecte acquittée par les ménages.

Tableau n° 3 : Impact sur la croissance des mesures
portant sur la fiscalité des ménages et des entreprises

(en points de pourcentage)

2011

2012

2013

2014

2015

2016 (p)

Ménages

0,1

- 0,4

- 0,7

- 0,6

- 0,3

- 0,1

Entreprises

- 0,1

- 0,2

- 0,4

- 0,3

0,0

0,0

(p) : prévisions

Source : Insee (juin 2016)

En effet, les ménages ont supporté l'essentiel de l'effort fiscal demandé au cours du quinquennat . Le choix gouvernemental de ne faire reposer la consolidation budgétaire sur les dépenses qu'au cours de la seconde partie du quinquennat s'est traduit par un net transfert de la charge fiscale sur les ménages ; ces derniers ont pâti du fait que le Gouvernement a, pour des raisons évidentes, dû concilier redressement des comptes publics et nécessaire allègement des charges payées par les entreprises, et ce sans réaliser d'économies à proprement parler .

Aussi la présente partie s'applique-t-elle, après avoir rappelé les principales mesures portant sur la fiscalité directe des ménages au cours de la présente législature, à examiner l'ampleur du transfert de la charge fiscale sur les ménages . Par ailleurs, elle fait apparaître que la politique fiscale menée par le Gouvernement au cours des dernières années a conduit à une concentration accrue de l'impôt sur le revenu sur les classes moyennes et aisées , ainsi qu'à une dégradation de l'équité fiscale horizontale en défaveur des actifs et des familles , dès lors que les mesures fiscalo-sociales adoptées ont eu des incidences inégales sur des ménages ayant pourtant des revenus comparables. En dépit des baisses d'impôts « ciblées » opérées par le Gouvernement, il est aussi montré que les hausses d'impositions indirectes ont concerné l'ensemble des ménages, tout en pesant davantage sur les plus modestes d'entre eux , laissant à penser que le « choc » fiscal survenu durant le quinquennat qui s'achève continue bel et bien de faire ressentir ses effets sur la totalité des ménages.

A. LA « PONCTION » FISCALE DE L'ÉTÉ 2012

Dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2012, le Gouvernement déclarait que le redressement des comptes publics devait « reposer d'abord sur les ménages les plus favorisés » 16 ( * ) . À ce titre, si le collectif budgétaire d'août 2012 17 ( * ) comportait plusieurs dispositifs à forte teneur symbolique concernant, à titre principal, les ménages aisés, de nombreuses mesures présentaient un champ d'application bien plus vaste. Aussi la « ponction » fiscale de l'été 2012 a-t-elle touché très largement les ménages, y compris les plus modestes , contrairement à ce qu'avait annoncé le Gouvernement.

1. Une « ponction » fiscale qui a concerné les contribuables aisés...

Parmi les mesures portant sur les ménages aisés figurait, en premier lieu, la création d'une contribution exceptionnelle sur la fortune , dont le rendement était estimé à 2,3 milliards d'euros en 2012, qui avait vocation à revenir sur les effets de la réforme de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) adoptée en 2011 18 ( * ) . Dans la même logique, la loi de finances rectificative d'août 2012 a procédé à une réduction des allègements des droits de succession prévus par la loi dite « TEPA » 19 ( * ) ; si cette mesure a permis la collecte de 0,1 milliard d'euros en 2012, le rendement de celle-ci a atteint 1,1 milliard d'euros en 2013. En outre, le Gouvernement a fait le choix de maintenir la hausse de deux points du prélèvement social sur les revenus du patrimoine et les produits de placement décidée dans le cadre de la loi de finances rectificative de mars 2012 20 ( * ) , et ce alors même qu'il abrogeait la baisse des cotisations patronales famille que celle-ci devait contribuer à financer ; aussi la nouvelle majorité gouvernementale a-t-elle fait sien un surcroît de prélèvement de 0,8 milliard d'euros en 2012 et de 1,8 milliard d'euros en 2013. Par ailleurs, il a été opéré un doublement de la taxe sur les retraites dites « chapeau » , au rendement de 0,1 milliard d'euros en 2013.

2. ...mais aussi les classes moyennes et les ménages modestes

Viennent ensuite les mesures dont il paraît discutable de considérer qu'elles concernent au premier chef les ménages les plus favorisés. À ce titre, peut être mentionnée l' augmentation de 8 % à 20 % du forfait social sur l'épargne salariale , correspondant à une hausse des prélèvements au profit des administrations de sécurité sociale de 0,5 milliard d'euros en 2012 et de 1,7 milliard d'euros en 2013. Bien que le Gouvernement ait pu justifier une telle hausse par le fait que l'épargne salariale concernait principalement les entreprises de grande taille où les salaires, sont, en moyenne, plus élevés, considérer que cette mesure portait sur les ménages les plus aisés serait, à tout le moins, abusif dans la mesure où l'épargne salariale concerne des catégories très diverses de salariés ; il en va de même avec le relèvement du taux du prélèvement social sur les stock-options et les attributions d'actions gratuites , à l'origine de recettes d'un montant de 0,1 milliard d'euros en 2012 et 0,2 milliard d'euros en 2013. L'assujettissement aux prélèvements sociaux des revenus immobiliers des non-résidents , dont le produit était estimé à 0,2 milliard d'euros en 2013, semblait lui aussi toucher des personnes aux facultés contributives très différentes ; sur ce point, il est intéressant de noter qu'un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 26 février 2015 a déclaré un tel assujettissement contraire au droit communautaire 21 ( * ) .

Enfin, la loi de finances rectificative d'août 2012 comportait des mesures, d'un montant tout à fait significatif, se rapportant aux ménages moins aisés . La fiscalisation des heures supplémentaires , qui a été à l'origine d'une hausse du rendement de l'impôt sur le revenu de 0,6 milliard d'euros en 2013 et de 1 milliard d'euros en 2014, est particulièrement illustrative à cet égard. Ainsi que l'a déjà indiqué votre rapporteur général 22 ( * ) , si près de 30 % du surcroît d'impôt sur le revenu lié à la fiscalisation des heures supplémentaires aurait été acquitté par 10 % des ménages les plus riches, à en croire les estimations de la direction générale du Trésor, 230 000 foyers ont été rendus imposables en 2013 du fait de cette mesure , dont 80 % situés entre le quatrième et le sixième déciles de niveau de vie. Au total, la fin de l'exonération des heures supplémentaires a représenté une augmentation moyenne de 190 euros de l'impôt sur le revenu acquitté par les 8,9 millions de salariés concernés .

Surtout, cette dernière mesure s'est accompagnée de la suppression de l'exonération sociale des heures supplémentaires , qui a représenté un accroissement des recettes des administrations de sécurité sociale de 1 milliard d'euros dès 2012 et de 2 milliards d'euros en 2013. Alors que la fiscalisation des heures supplémentaires au titre de l'impôt sur le revenu n'a concerné que les contribuables imposables, le montant de l'imposition payée étant par ailleurs progressif, la suppression de l'exonération sociale des heures supplémentaires a, elle, touché l'ensemble des salariés - y compris ceux qui ne sont pas imposés à l'impôt sur le revenu -, et ce proportionnellement aux revenus complémentaires perçus .

La suppression de l'exonération des revenus afférents aux heures supplémentaires au titre de l'impôt sur le revenu et des contributions sociales, qui a durablement accru la pression fiscale à hauteur de près de 4,6 milliards d'euros, a donc tout particulièrement concerné les classes moyennes sans pour autant épargner les ménages plus modestes .

Tableau n° 4 : Mesures nouvelles en prélèvements obligatoires concernant les ménages portées par la loi de finances rectificative d'août 2012

(en milliards d'euros)

2012

2013

2014

Cumul

Contribution exceptionnelle sur la fortune

2,3

- 2,3

0,0

Réduction des allègements des droits de succession

0,1

1,1

0,2

1,4

Hausse de deux points du prélèvement social sur les revenus du patrimoine et les produits de placement

0,8

1,8

2,6

Doublement de la taxe sur les retraites chapeau

0,1

0,1

Hausse du forfait social sur l'épargne salariale

0,5

1,7

2,2

Hausse du taux du prélèvement social sur les stock-options et les attributions d'actions gratuites

0,1

0,2

0,3

Assujettissement aux prélèvements sociaux des revenus immobiliers des non-résidents

0,2

0,2

Fiscalisation des heures supplémentaires

0,6

1,0

1,6

Suppression de l'exonération sociale des heures supplémentaires

1,0

2,0

3,0

Total

4,8

5,4

1,2

11,4

Source : commission des finances du Sénat (à partir des rapports économiques, sociaux et financiers annexés aux projets de loi de finances pour 2014, 2015 et 2016)

En somme, le montant cumulé des hausses de prélèvements portant sur les ménages opérées par la loi de finances rectificative d'août 2012 excédait 11 milliards d'euros , dont près de 7 milliards d'euros ont concerné quasi indifféremment les contribuables aisés et ceux moins favorisés. Dès l'été 2012, le respect de l'exigence affichée de préserver les ménages les plus modestes des effets du « choc » fiscal paraît donc tout relatif. Pour autant, aucune « réorientation » de la politique fiscale n'a été constatée dans le cadre des lois financières pour 2013.


* 1 Voir loi n° 2012-1558 du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017.

* 2 Insee, « À la fin du deuxième trimestre 2016, la dette publique s'établit à 98,4 % du PIB », Informations rapide , n° 255, septembre 2016.

* 3 Loi n° 2012-1558 du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017.

* 4 Rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances pour 2017, p. 176.

* 5 Rapport d'information (n° 98, 2016-2017) d'Albéric de Montgolfier sur le projet d'instauration de prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu fait au nom de la commission des finances du Sénat, 2 novembre 2016.

* 6 J.-M. Ayrault et P.-A. Muet, Pour un impôt juste, prélevé à la source , Paris, Fondation Jean Jaurès, 2015.

* 7 Françoise Fressoz, Le stage est fini , Paris, Albin Michel, 2015, p. 55.

* 8 Loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012.

* 9 Loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013.

* 10 Loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013.

* 11 Loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012.

* 12 OFCE, « Le quinquennat de François Hollande : enlisement ou rétablissement ? », OFCE Policy Brief, septembre 2016, p. 1.

* 13 Insee, Note de conjoncture , juin 2016.

* 14 Ibid. , p. 28.

* 15 Ibid. , p. 31.

* 16 Voir exposé des motifs du projet de loi de finances rectificative de juillet 2012, p. 10.

* 17 Loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012.

* 18 Loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011.

* 19 Loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat.

* 20 Loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012.

* 21 Arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 26 février 2015, affaire C-623/13, Ministre de l'Économie et des Finances contre Gérard de Ruyter .

* 22 Rapport général (n° 164, 2015-2016), tome II, d'Albéric de Montgolfier sur le projet de loi de finances pour 2016 fait au nom de la commission des finances du Sénat, 19 novembre 2015, p. 16.

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