ANNEXE 2 : EXAMEN DU RAPPORT EN DÉLÉGATION

Le jeudi 1 er décembre 2016, sous la présidence de M. Jean-Marie Bockel, président, la délégation examine le rapport sur l'évolution des missions assurées par les services déconcentrés de l'État au profit des collectivités territoriales.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Ce rapport, confié à Marie-Françoise Perol-Dumont et Éric Doligé, comble une lacune sensible dans le domaine de la réforme des administrations déconcentrées de l'État, qui est pourtant suivie de près par l'ensemble des inspections générales. Il donne le point de vue des collectivités territoriales, qui n'a pas fait l'objet d'une analyse systématique depuis la publication, en juin 2011, du rapport d'information de Dominique de Legge, rapporteur de la Mission commune d'information sur la révision générale des politiques publiques (RGPP). Ce rapport avait mis en évidence le fait que les collectivités territoriales sont directement confrontées aux conséquences de la réorganisation permanente des administrations de l'État. Il avait aussi souligné les effets sur les territoires de la réorganisation des services publics induite par la RGPP. Depuis lors, les réformes se sont succédé. Le rapport de la délégation porte remède à cette lacune en présentant une analyse très documentée des réactions de terrain. Il complètera les travaux de la Mission de contrôle et de suivi de la mise en oeuvre des dernières lois de réforme territoriale, mise en place par la commission des Lois et dont René Vandierendonck est l'un des deux rapporteurs. La commission des Lois étudie en effet certains éléments de la réforme des services territoriaux de l'État, en particulier dans la foulée de la réforme de la carte régionale, mais sous un angle à la fois plus étroit et plus technique que le point de vue adopté par les deux rapporteurs de la délégation en fonction de la vocation propre de la délégation, qui est de relayer auprès du Sénat et de l'ensemble des pouvoirs publics les préoccupations des territoires. Les approches sont donc parfaitement complémentaires.

M. Éric Doligé, rapporteur . - La délégation nous a confié l'élaboration d'un rapport d'information sur « l'évolution des missions assurées par les services déconcentrés de l'État au profit des collectivités territoriales ». La tâche a été ardue, car la matière est vaste et mouvante, elle est fréquemment au coeur de l'actualité et fait l'objet d'une intense activité législative. Elle était inédite, les précédents travaux d'évaluation portant sur les services déconcentrés ayant été réalisés, d'abord et avant tout, à l'aune des objectifs de l'État, faisant ainsi peu cas du point de vue des collectivités territoriales.

Nous avons réalisé vingt auditions, dont deux sous la forme de tables rondes. C'est ainsi que nous avons rencontré plus de 70 personnes : élus locaux, organisations syndicales, administrations centrales et déconcentrées, membres des inspections générales de l'État ayant travaillé sur notre sujet. Nous nous sommes aussi appuyés sur les témoignages des acteurs de terrain, que nous avons recueillis au cours de deux déplacements, l'un à Orléans, le 7 novembre, et l'autre à Limoges, le 14 novembre.

Enfin, nous avons consulté les élus locaux par Internet. Le succès a été franc, signe que le sujet est sensible : en un mois, 4 500 contributions nous sont parvenues, dont 57 % provenant de maires. Ces contributions nous ont donné une connaissance fine de l'incidence des réformes des services déconcentrés sur les collectivités territoriales, des difficultés que ces dernières observent ou anticipent, et de leurs attentes à l'égard de l'État et de ses services.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure . - Le contexte de notre rapport est celui d'une certaine désorganisation des services déconcentrés. L'ensemble des témoignages se recoupent sur ce point. Ces dernières années en effet, l'administration territoriale de l'État n'a cessé d'être l'objet de réformes, qui ont profondément redéfini - pour ne pas dire déstabilisé - son organisation, ses priorités d'action, ainsi que ses moyens matériels et humains.

Ces réformes sont continues dans le temps. La réorganisation des services déconcentrés a été amorcée en 2008 avec la Réforme de l'administration territoriale de l'État (Réate), lancée dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (RGGP) qui, en répondant uniquement à une logique comptable, a décapité les moyens humains des territoires. Elle s'est poursuivie en 2012 avec la Modernisation de l'action publique (MAP), qui comprend notamment une Revue des missions de l'administration territoriale de l'État. Quelles que soient les équipes politiques, on observe une certaine continuité.

Ces réformes sont par ailleurs généralisées dans l'espace, aucune circonscription territoriale - de la région à l'arrondissement, en passant par le département - n'y échappant. En témoignent l'annonce de la réforme des services régionaux en 2014, celle du Plan préfectures nouvelle génération en 2015, et celle de la révision de la carte des arrondissements en 2016.

Ces réformes sont plutôt mal articulées les unes aux autres, les collectivités territoriales ayant été touchées non seulement par les réorganisations des services déconcentrés, mais aussi par les rationalisations des autres services publics : gendarmeries, écoles, hôpitaux, tribunaux, trésoreries, sites de défense. Cette accumulation de réformes au cours des dix dernières années, conduites pour la plupart isolément par les ministères concernés, selon une logique de silos, a durement éprouvé certains territoires.

Les réponses apportées par les élus à notre consultation témoignent du sentiment d'incertitude, souvent mâtiné d'exaspération, que ces évolutions de grande ampleur ont fait naître dans nos territoires.

Deux tiers des répondants indiquent ainsi avoir été touchés par au moins une réforme, les réorganisations des gendarmeries, des services régionaux, des hôpitaux et des sous-préfectures arrivant en tête.

Sur le fond, la Réate et la réforme des services régionaux sont jugées non pertinentes par deux tiers des participants, et inefficaces par 70% d'entre eux environ. Deux tiers des élus consultés relèvent également ce qu'ils considèrent comme un manque de pertinence du Plan préfectures nouvelle génération.

Il ressort de nos travaux un bilan globalement mitigé de ces années de réformes, dont les acteurs de terrain nous ont constamment rappelé les deux invariants : un objectif prépondérant de modération budgétaire, et une méthode associant insuffisamment les élus locaux et les personnels déconcentrés.

En fin de compte, ces réorganisations ont contribué à renforcer l'autorité du préfet de région, quoique des progrès soient sans doute encore à obtenir de ce côté, à resserrer les directions départementales et régionales et à renforcer leur capacité d'opérer des synthèses entre domaines d'intervention auparavant clivés, et commencer à clarifier les priorités d'action de l'État. Pour autant, on a observé un dépérissement relatif des échelons départementaux et infra-départementaux et une fragilisation globale des effectifs. Il est impératif de changer cela en confortant l'État au niveau départemental. Dans le même temps, une préférence a été donnée par l'État à sa mission de contrôle.

M. Éric Doligé, rapporteur . - La situation instable et confuse qui s'est installée et a perduré au fil de l'empilement des réformes n'a pas été sans incidence sur les collectivités territoriales, qui nous ont fait part de leurs interrogations et de leurs attentes.

C'est d'abord l'absence d'interlocuteur unique qui leur pose problème.

Les élus locaux, confrontés aux complexités de l'organisation administrative, déplorent en particulier que les intermittences de l'autorité hiérarchique des préfets sur les services de l'État et sur ses opérateurs empêchent de corriger efficacement cet état de fait.

Concurrencés par les directions ministérielles et soumis à une forte rotation des postes, les préfets n'exercent pas toujours dans des conditions satisfaisantes leur mission de représentant unique de l'État dans les territoires.

Outre l'absence d'unicité de la parole de l'État qui en découle, l'abandon par ce dernier de missions de conseil, pourtant utiles aux collectivités territoriales les plus petites, constitue un autre point de crispation.

Si le contrôle de légalité fait l'objet de retours positifs de la part des élus interrogés, qui le jugent protecteur dans 76,2 % des cas, et peu contraignant pour 56,2 % d'entre eux, la baisse des effectifs et des taux de contrôle témoigne d'une fragilisation de cette mission, dont les élus attendent une orientation davantage marquée vers le conseil.

Les prestations d'ingénierie territoriale des services déconcentrés ne sont plus que résiduelles, moins de 10 % des élus consultés recourant encore à l'État dans ce domaine, qui arrive loin derrière les départements, les prestataires privés et les intercommunalités. Ces prestations restent cependant essentielles pour les collectivités qui y ont encore recours.

À cet égard, la suppression des prestations d'ingénierie concurrentielles à partir de 2008, puis la réforme de l'application du droit des sols, et enfin la suppression définitive de l'assistance technique fournie par l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT), intervenue en 2014 au terme de plusieurs années d'affaiblissement, illustrent la tendance au retrait de l'État. Ce mouvement a pour corollaire pour les collectivités locales une perte d'expertise et un transfert de charges. Ainsi, les répondants à notre questionnaire ont-ils été 49,9 % à juger négative la réforme de l'ADS et 72,4 % à juger négative celle de l'ATESAT.

Ce désengagement de l'État se double d'une immixtion permanente dans les matières décentralisées.

L'État n'ayant pas les moyens d'offrir des prestations de conseil et d'expertise aux collectivités territoriales, il se recentre sur ce qui risque d'apparaître désormais comme son coeur de métier : le contrôle !

Il résulte de cette évolution deux travers bien connus des élus locaux : l'État développe des procédures tatillonnes, restreignant d'autant l'exercice concret du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales; ce faisant, mais aussi par d'autres canaux, il fait perdurer des doublons, dont l'extinction serait pourtant bienvenue en période de restrictions budgétaires.

Au total, l'État, déstabilisé dans son organisation et désengagé de ses missions, semble dériver vers un horizon de plus en plus éloigné des besoins des collectivités territoriales.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure . - Pour autant, on ne peut pas dire que l'État soit totalement hermétique aux critiques et aux attentes des collectivités territoriales. Plusieurs orientations, plus ou moins fructueuses, ont été adoptées pour replacer l'administration territoriale de l'État au service des territoires. En premier lieu, des aménagements ont été récemment consentis pour maintenir une organisation de proximité.

Afin d'éviter un éloignement de l'État, suite à la réforme des services régionaux, un objectif d'équilibre territorial a été fixé : le tiers des directions régionales a été implanté hors des nouveaux chefs-lieux, et les deux tiers des réductions d'effectifs ont été concentrés sur le niveau régional, au bénéfice des services départementaux.

Dans les territoires les moins bien dotés, des formules de maintien des services, telles que les maisons de l'État ou les maisons de services au public, ont été développées.

Enfin, dans le cadre des opérations de rationalisation des services publics, les pouvoirs du préfet ont été affirmés, avec l'attribution d'un droit d'alerte auprès de l'administration centrale et d'un droit de regard vis-à-vis des opérateurs de l'État, afin d'éviter la concentration de fermetures non coordonnées sur un territoire.

En second lieu, des annonces ont également été faites pour renforcer des missions identifiées comme prioritaires. C'est l'ambition du Plan préfectures nouvelle génération, qui vise à centraliser la gestion des titres dans des centres de ressources et d'expertises des titres (CERT). Les moyens humains ainsi dégagés dans le réseau préfectoral doivent être en partie réaffectés à quatre missions : la gestion locale des crises, la lutte contre la fraude, la coordination des politiques publiques, ainsi que l'expertise et le contrôle de légalité.

Dans ce dernier domaine, des moyens importants doivent être mobilisés, avec le renforcement ou la création de pôles d'appui juridique aux services préfectoraux, très attendus.

Au-delà de ce plan, une directive nationale d'orientation interministérielle a rappelé en 2016 le rôle joué par les services déconcentrés en matière d'ingénierie territoriale, une démarche de nouveau conseil aux territoires devant être développée localement sur cette base.

Enfin, l'État a pris quelques mesures destinées à simplifier les relations entre les collectivités territoriales et les services déconcentrés.

C'est notamment le cas du chantier au long court de la dématérialisation, et de mesures plus ponctuelles de simplification des normes.

Il conviendra d'être très attentifs à la mise en oeuvre concrète de ce foisonnement d'initiatives, qui n'en sont, pour certaines, qu'au stade de l'annonce de principes. Faute d'un investissement réel et durable en ressources humaines, il est à craindre qu'elles ne demeurent lettre morte. C'est pourquoi certaines de nos recommandations manifestent l'importance de tenir ces différents engagements.

M. Éric Doligé, rapporteur . - Nous faisons cinq recommandations. Sur l'arrière-plan très évolutif, plutôt confus et surtout mitigé, que nous vous avons décrit, nous nous sommes principalement fondés sur les attentes que les élus locaux ont exprimées à l'égard des services déconcentrés.

La consultation sur Internet indique - et les auditions l'ont confirmé - que les élus souhaitent essentiellement, d'une part, un État facilitateur et, d'autre part, un État conseil. La consultation nous donne une indication intéressante en ce qui concerne les modalités de mise en oeuvre de la fonction de conseil : pour 62,2% des répondants, le sous-préfet joue d'ores et déjà le rôle d'interlocuteur privilégié des communes ou de leurs groupements. Il faut en tenir compte. Plus généralement, les élus attendent des services déconcentrés qu'ils soient plus proches, plus disponibles et mieux identifiés.

La conclusion est qu'il faut donner une impulsion vigoureuse à la dimension relationnelle et facilitatrice du fonctionnement des services déconcentrées de l'État. C'est une nécessité d'autant plus cruciale que les politiques publiques mises en oeuvre localement sont de plus en plus généralement construites en partenariat ; soit que l'État s'appuie sur les collectivités pour mettre en oeuvre ses politiques, telles que la politique de la ville, celle de l'emploi ou celle de la ruralité - on peut aussi mentionner des actions plus ciblées tels le plan pauvreté ou le plan parentalité -, soit que les collectivités aient besoin de l'État à un moment ou un autre de la construction de leurs propres projets.

Les besoins des collectivités sont différents selon que l'on se place dans l'une ou l'autre optique.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure . - Dans la mise en oeuvre locale des politiques de l'État, c'est la question des doublons qui prime. De façon révélatrice, les services de l'État ne parviennent pas à identifier de doublons quand on leur pose la question, alors que les élus locaux et leurs services le font sans difficulté, et citent en particulier la culture, le sport ou la partie du social transférée aux départements... Le fait est qu'une conception largement obsolète du rôle de l'État semble encore très vivante au sein des services déconcentrés. Alors que la décentralisation s'est installée depuis longtemps dans notre paysage institutionnel, alors les moyens financiers de l'État ont régressé, que ses services sont parfois exsangues, que les compétences de pointe dont il dispose dans les territoires se raréfient, combien de fois avons-nous entendu que l'État avait vocation à intervenir dans l'ensemble des domaines ! Il faut combattre cet interventionnisme, c'est pourquoi nous proposons de faire la chasse aux doublons.

En ce qui concerne, ensuite, le rôle des services de l'État dans la mise en oeuvre des projets des collectivités, qui constitue la difficulté majeure à traiter dans la perspective de notre rapport, la question centrale reste celle de la complexité. Celle-ci revêt des aspects divers : foisonnement et éloignement des services déconcentrés ; insuffisance des repères disponibles pour s'orienter dans le maquis des normes, des procédures et des interlocuteurs ; faiblesse latente - en dépit des circulaires - de l'autorité préfectorale, qui devrait résumer l'État déconcentré pour les élus locaux - ce qui nous conduit à préconiser une réaffirmation du rôle du préfet sur ses administrations.

Bien entendu, cette complexité atteint des niveaux très inégaux selon qu'elle touche une commune démunie ou une métropole, ce qui appelle des solutions modulées en fonction des territoires. C'est la direction dans laquelle l'État s'engage ; là encore les résultats sont nettement insuffisants pour le moment : il faut donc accentuer l'effort, renforcer les méthodes, et ne pas attendre d'éventuels prochains plans de réforme pour s'y atteler. Il y a urgence à lancer la chasse à la complexité.

M. Éric Doligé, rapporteur . - Chasse aux doublons, chasse à la complexité, construction d'un État déconcentré facilitateur, proche et partenaire des collectivités, voilà donc l'objectif ! Nos propositions le déclinent sur cinq axes.

Le premier regroupe les propositions pour assurer l'unicité de l'administration déconcentrée. La Constitution proclame que la République est indivisible, l'administration l'est aussi en principe : dans les territoires, son unité est assurée par le préfet. D'après les préfets que nous avons entendus, c'est la réalité ; d'après les élus locaux, nous en sommes assez loin... Nous avons donc cherché quelques pistes pour faire en sorte que la réalité corresponde mieux aux principes.

Pour commencer, il est certainement utile de réaffirmer la nécessité de consolider la chaîne, départementale et régionale, du commandement en veillant au respect de l'autorité du préfet sur l'ensemble des directions. Pour ce qui est du niveau régional, nous pensons en particulier à la DREAL, dont la puissance et la capacité d'autonomie nous ont souvent été mentionnées. Il faut aussi penser aux services non placés sous la dépendance hiérarchique du préfet de région, comme les rectorats ou la DRFIP, ainsi qu'aux entités régionales des agences de l'État : ADEME, AFITF, ANAH, agences de l'eau, ARS, ANRU... Ces services doivent s'inscrire plus complètement dans la logique de coordination par le préfet de l'ensemble des moyens de l'État dans la région.

Comment renforcer l'autorité du préfet ? Nous proposons d'instaurer une durée minimum d'affectation de trois ans avec, comme corollaire, l'octroi d'une lettre de mission signée du Premier ministre fixant les priorités et les conditions d'exercice de son affectation.

Toujours dans la même intention, il serait intéressant d'établir dans le chef-lieu de région, au moins pour les régions fusionnées, un état-major régional, composé des directeurs régionaux, des recteurs, des directeurs généraux de l'agence régionale de santé, pour assister le préfet de région dans sa mission de pilotage et de mise en cohérence de l'action de l'État. C'est actuellement le rôle des comités de l'administration régionale (CAR), qui se réunissent trop rarement. L'interaction doit être constante au sein de l'état-major régional et seule la proximité physique peut assurer cette constance.

Enfin, nous appelons à conforter l'échelon départemental comme périmètre effectif de mise en oeuvre des politiques publiques en renforçant l'autorité effective des préfets sur les directions départementales interministérielles (DDI) et en consolidant la mission de coordination qu'ils exercent à l'égard des agences de l'État.

Le deuxième axe de nos propositions est la proximité de l'administration déconcentrée avec les collectivités territoriales, ce qui pose des problèmes nouveaux dans le contexte de concentration des intercommunalités et des régions. C'est la raison pour laquelle nous avons accordé une attention particulière à la situation des départements, lesquels constituent un centre de ressources et une garantie de proximité irremplaçables.

Dans cette optique, nous souhaitons tout d'abord que soit acquis le principe d'une attention spéciale accordée aux besoins des départements les moins bien munis - non seulement ceux dont la population est en-deçà des 500 000 habitants, mais aussi ceux dont les besoins sont spécifiques, indépendamment de leur démographie, et ceux à forte fréquentation touristique comme, par exemple, les départements de montagne.

Il est bon de fixer des organisations cibles pour l'ensemble des préfectures et de socler les effectifs de ces dernières ; il est mieux de le faire en fonction des réalités du terrain. Il me semble important de le rappeler, même si les projets en cours n'ignorent pas cette dimension.

Dans le même esprit, il faut prévenir l'éloignement du terrain résultant de la nouvelle carte régionale en pérennisant l'organisation multi-sites des services déconcentrés mise en oeuvre à l'occasion de la réforme récente des services des grandes régions, tout en veillant à prévenir le surcroît de complexité administrative résultant potentiellement de la dispersion des services.

Plus généralement, il est important de promouvoir une réflexion territorialisée sur les projets de rationalisation d'implantation des services de l'État afin d'éviter les fermetures simultanées de plusieurs services dans une même collectivité. Il faut poursuivre l'effort déjà réalisé en ce sens. Nous savons l'étendue du problème en zone rurale, et nous savons aussi quel a été l'impact des fermetures de services déconcentrés sur l'activité des villes petites et moyennes.

Enfin, nous proposons de veiller à ce que la dématérialisation des actes et des procédures ne comporte pas un coût net pour les petites collectivités et tienne compte de l'inégale couverture du territoire par le haut débit. Une évaluation sera nécessaire.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure . - Notre troisième axe vise à simplifier radicalement la complexité de la machine administrative à l'égard des collectivités territoriales.

Pour ce faire, nous n'avons pas essayé de baliser des chemins dans la machine administrative, ni de nous attaquer aux procédures. Il nous semble plus opérant de faire reposer sur l'administration elle-même le poids de la complexité qu'elle crée : les collectivités doivent donc disposer, dans les circuits administratifs, d'un point d'entrée unique et efficace pour la prise en charge de l'ensemble d'un dossier.

Nous proposons ainsi de développer, sous le pilotage du préfet de département ou de son représentant désigné, projet par projet, un mode d'organisation du travail transversal et intégré pour lancer et mettre en oeuvre les projets des collectivités territoriales.

En vue de faciliter la mise en oeuvre des initiatives des collectivités n'entrant pas dans le champ de ce mode d'organisation du travail, nous proposons de désigner un référent généraliste - ce pourrait être le sous-préfet - chargé de piloter le montage du dossier ou, en front office , de jouer le rôle de courroie de transmission en orientant la ou les collectivités intéressées vers les ressources en ingénierie appropriées au départ du projet.

Nous souhaitons aussi que se développe la méthode des procédures uniques d'autorisation, sur le modèle du « permis environnemental unique ».

Il faut enfin progresser dans la voie - déjà assez largement explorée - de l'encadrement des réponses administratives aux demandes des collectivités dans des délais préfixés. Concrètement, il conviendrait que toutes les préfectures soient couvertes par des engagements qualitatifs.

Pour lutter contre les doublons, il faut s'efforcer de recentrer l'action de l'administration déconcentrée sur les politiques publiques strictement étatiques.

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À cette fin, nous demandons une vraie concertation nationale préalable, et non une simple information, avec les associations d'élus locaux avant tout lancement de politique ministérielle se chevauchant avec des compétences décentralisées. À cet égard, les exemples du plan pauvreté et du plan parentalité, évoqués précédemment, sont tout à fait pertinents.

Au-delà de cette orientation de bon sens, il faut recentrer l'État sur ses missions régaliennes et engager l'extinction des doublons en permettant la reprise, par les collectivités territoriales, des services déconcentrés en charge de politiques essentiellement décentralisées. Je songe, par exemple, à la partie du social transférée aux départements, à la culture, au sport...

Il ne s'agit pas de dénier à l'État la possibilité de lancer des actions dans ces domaines. En revanche, quand la matière a été transférée, le pilotage d'une opération doit appartenir à la collectivité qui possède la compétence.

La décentralisation a eu lieu, faut-il le rappeler ? Il serait bon de la parfaire en opérant certains transferts de personnel ; je pense singulièrement aux gestionnaires des lycées et collèges. Lors du transfert des agents administratifs, techniques, ouvriers, de service et de santé en 2004, nous sommes restés au milieu du gué. Nous ne pouvons plus continuer ainsi.

J ' ajoute qu ' il faut compenser véritablement le coût des politiques d'État dont la mise en oeuvre est confiée aux collectivités. La dérive du revenu de solidarité active, dès sa première année de mise en oeuvre, en est l'illustration.

Nous avons rattaché à notre dernier axe des propositions diverses visant à renforcer la cohérence et l'efficacité de l'action de l'administration déconcentrée en direction des collectivités territoriales.

Tout d'abord, il faut bien entendu associer les élus locaux à l'élaboration des réformes de l'administration déconcentrée. Là aussi, la simple information ne suffit pas.

Certaines évolutions de la technique de création du droit seraient également utiles, en s'inspirant du pouvoir dérogatoire prévu en matière d'accessibilité des handicapés. Il faudrait, par exemple, accorder au préfet de département le pouvoir d'adapter certains éléments non cruciaux du droit en vigueur afin de faciliter la réalisation de projets d'utilité générale. Il s'agit là d'un chantier juridique éminemment complexe, mais auquel il faut s'attaquer.

Inscrite dans les textes, l'orientation du contrôle de légalité vers l'offre d'avis et de conseils sur les procédures et sur le droit applicable, en amont de la prise de décision des collectivités, est beaucoup moins ancrée dans la réalité, à en croire les témoignages des élus. Dans cet esprit, il serait bon de créer des indicateurs propres à rendre compte de la montée en puissance de l'activité de conseil dispensée notamment dans le cadre du contrôle de légalité.

Aux mêmes fins, nous souhaitons renforcer l'efficacité des ressources humaines affectées au contrôle de légalité, et surtout au conseil en amont, grâce au soclage des effectifs et à une repyramidation. Cette dernière ne sera pas facile à réaliser, mais elle nous semble incontournable.

Dernière orientation, mais non la moindre ni la plus simple à mettre en oeuvre : pérenniser la capacité d'expertise, la matière grise des administrations. Le Gouvernement en est conscient. Certains outils - comme la cartographie des compétences, la mutualisation des compétences rares ou l'interdépartementalité de certains services - existent déjà. Nous souhaitons encourager ce mouvement.

Telles sont, Monsieur le président, mes chers collègues, les principales orientations à même, selon nous, de favoriser une meilleure articulation des collectivités territoriales et de l'État déconcentré.

Peut-être formons-nous des voeux pieux, peut-être versons-nous dans la redite, mais n'oublions jamais que la répétition est la base d'une bonne pédagogie.

M. Jean-Marie Bockel, président. - L'expérience incontestable de nos deux collègues a non seulement permis de beaucoup enrichir ce rapport, mais a aussi contribué à le rendre plus concret.

Certaines mauvaises langues pourraient relever une approche départementaliste - nos rapporteurs sont tous deux d'anciens présidents de conseils généraux -, mais je tiens à m'inscrire en faux contre une telle remarque. Les départements sont aujourd'hui parties prenantes des mutations en cours.

M. Philippe Mouiller. - Je tiens tout d'abord à remercier nos rapporteurs et dire combien je suis impressionné par la liste de leurs préconisations. Elles sont toutes pertinentes, même si certaines d'entre elles semblent difficiles à mettre en oeuvre. Toutefois, comme l'a très bien exprimé Mme Pérol-Dumont, la pédagogie suppose la répétition.

Notre expérience du terrain fait que nous nous rejoignons tous sur ces problématiques.

Je voudrais amplifier encore vos propos sur l'émergence de ces grandes régions. En Nouvelle-Aquitaine - région énorme, de la taille de l'Autriche -, les habitants de la périphérie - j'en fais partie, dans le nord des Deux-Sèvres - sont si éloignés de la préfecture de région et des services régionaux qu'ils se sentent complètement abandonnés. Nous avons perdu à la fois la proximité de la région et celle des services régionaux de l'État. La fusion des agences régionales de santé en une seule, située à Bordeaux, se fait cruellement sentir pour tous les établissements, qui souffrent de cette perte de proximité.

Le caractère gigantesque de cette réforme ne fait qu'amplifier vos remarques. Il s'agit d'une situation dangereuse pour le bon fonctionnement des services de l'État dans les grandes régions concernées.

Je voudrais enfin dire un mot à propos des jeunes fonctionnaires. Les termes « conseil » et « accompagnement » semblent avoir disparu de leur vocabulaire. Je ne leur en veux pas, c'est leur formation - basée sur la culture du contrôle et des missions régaliennes de l'État - qui est en cause. L'état d'esprit, le rôle de l'homme, sont pourtant des questions fondamentales pour la réussite de ces réformes.

M. Rémy Pointereau. - Je voudrais également féliciter nos deux rapporteurs pour leur excellent travail, notamment sur la question de la simplification.

Il semble qu'aujourd'hui tout le monde ait envie de jouer un rôle en matière d'ingénierie. Depuis la disparition des dispositifs d'assistance technique fournie par l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT), les syndicats d'énergie veulent faire de l'ingénierie publique, tout comme les syndicats ou les pôles d'équilibre territorial et rural - ou PETR - en matière d'urbanisme avec la dévolution des SCOT.

De même, chaque département a aujourd'hui une association ou un syndicat d'ingénierie impliquant toutes les communes.

Vous avez évoqué les problèmes de doublons. Ne pensez-vous pas qu'il serait nécessaire de simplifier, de rationaliser les questions d'ingénierie publique afin d'éviter tout surcoût aux collectivités ? Que pensez-vous de la création d'une agence départementale dédiée ?

Mme Françoise Gatel. - À mon tour, je voudrais féliciter nos collègues pour ce rapport et leurs préconisations.

Mme Pérol-Dumont a raison : la pédagogie est l'art de la répétition. On dit aussi que là où il y a une volonté, il y a un chemin ; je ne doute pas que notre détermination nous aide à trouver le bout du chemin.

L'État et les collectivités territoriales participent ensemble à la mise en oeuvre de l'action publique et à son efficience. Nous devons nous inscrire dans une relation de partenariat intelligent et non dans une relation de « sous-traitance », voire de défiance.

Sur le terrain, l'État affirme de plus en plus sa volonté d'exercer sa mission de contrôle. En Ille-et-Vilaine, lors de la présentation du transfert du droit de l'urbanisme par le préfet, les services de la direction départementale des territoires et de la mer, la DDTM, nous ont indiqué qu'ils allaient ainsi pouvoir se recentrer sur le contrôle. Voilà qui est très vendeur !

M. René Vandierendonck. - Cela fait peur !

Mme Françoise Gatel . - Vous avez évoqué la nécessité d'un État facilitateur, inventeur de solutions. Il s'agit là d'un aspect essentiel. Nous avons tous entendu au moins une fois le préfet nous dire que notre idée était excellente, fabuleuse, mais qu'il allait être très difficile, sinon impossible, de la mettre en application.

Vous avez également évoqué la création d'un guichet unique, idée retenue et défendue par les auteurs de la proposition de loi portant accélération des procédures et stabilisation du droit de l'urbanisme, de la construction et de l'aménagement. Pouvoir rassembler les services de l'État dans un même guichet pour obtenir une seule réponse me semble extrêmement important.

Reste enfin la question de l'autorité du préfet. Comment le représentant de l'État peut-il maîtriser ses services face à la direction régionale de l'environnement et du logement, (DREAL), service indirect que je considère comme un pollueur de la facilitation ! De même, que peut-il faire quand la direction générale des finances publiques (DGFIP) du département décide seule de supprimer une trésorerie, malgré le bouclier de la ruralité qu'il a lui-même mis en place ?

Je veux enfin évoquer la contractualisation, déjà préconisée par le Sénat lors de l'examen du volet logement du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté. Il est temps de prendre conscience du fait que les élus sont des gens responsables. La contractualisation constitue la meilleure façon de faire avancer notre pays, dans l'intérêt de l'action publique et dans celui de nos concitoyens, tout en tenant compte de la diversité des territoires.

M. Dominique de Legge. - À mon tour, je remercie et félicite nos deux rapporteurs.

Vous avez eu la gentillesse, Monsieur le président, d'évoquer mon rapport de 2011. J'espérais découvrir aujourd'hui des choses très nouvelles. Si j'ai la satisfaction de voir que je ne m'étais pas trop trompé en 2011, je constate avec inquiétude qu'il est bien difficile de faire bouger les choses.

Nous souhaitons tous que l'État s'attache moins au contrôle et davantage au conseil et à l'anticipation. Toutefois, au risque de ne pas être politiquement correct, je veux rappeler que nous récoltons en partie les conséquences de la loi de décentralisation de 1982. Quand le contrôle de l'État s'exerce a priori , une logique de facilitation s'engage plus spontanément ; dans le cadre d'un contrôle a posteriori , la logique - que l'État pousse sans doute un peu trop loin - est nécessairement différente.

Nous réclamons davantage d'autonomie, mais nous demandons aussi du contrôle et de la sécurité. Nous devons, nous aussi, regarder nos contradictions en face.

Comment ne pas constater que le préfet, nommé par le ministre de l'Intérieur et représentant de l'État, perd de plus en plus le contrôle des services déconcentrés de l'État ? Je rejoins les propos de Françoise Gatel sur le rôle de la DREAL et de la DGFIP. Il en va de même avec l'Éducation nationale ou la Santé... L'État ne cesse d'externaliser ses propres services, dont il confie la gestion à des agences qui échappent, par définition, au contrôle du préfet. Comment peut-il asseoir son autorité et assurer la parole unique de l'État face à ces autorités démultipliées qui sont autant d'électrons libres ?

Que peut-on attendre d'un préfet en matière de gestion au quotidien quand il n'a pas la main sur ses personnels ? S'il considère, par exemple, qu'un agent relevant du ministère de l'Agriculture devrait être transféré dans un autre service, il ne peut en décider seul. Nous devons nous pencher sur ce problème. Quels moyens accorder au représentant de l'État pour lui permettre d'organiser ses services et de contrôler la gestion des personnels ?

Un mot, enfin, des sous-préfets, symboles de proximité. Lorsque je les interroge, ils me répondent qu'ils vont s'adresser aux services, mais je ne vois rien venir... Mieux vaut donc s'adresser directement au secrétaire général de la préfecture et aux services concernés. Quelle est donc l'utilité des arrondissements dans le cadre de grandes régions ?

M. Jean-Pierre Vial. - Je m'associe aux remerciements et aux félicitations. Ce travail de qualité arrive au bon moment.

Il est décevant de constater combien ces réformes successives ont été peu traduites dans les faits. Dans le cadre du projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, je demandais hier aux services de l'État le maintien d'un service des risques en montagne. On m'a répondu que ces missions relevaient d'un appel d'offres et que l'État n'avait rien à y voir... Les fonctionnaires régionaux qui m'accompagnaient ont pu constater que, même à Paris, on ignore le rôle des services des risques en montagne...

Il me semble donc important de pouvoir disposer d'une cartographie, de chiffres, de documents à l'appui desquels évaluer la portée concrète des réformes successives.

J'ai été très sensible au rôle de facilitateur que vous souhaitez confier au préfet. Il s'agit d'un chantier énorme. M. de Legge a raison de s'interroger sur le rôle des sous-préfectures : l'apparition des nouvelles grandes régions a complètement changé la donne et remis sur le devant de la scène les départements, pourtant promis à une mort certaine.

Tout a déjà été dit du désarroi des préfets, représentants de l'État, dont les services sont entre les mains des régions - le rôle de la DREAL a déjà été souligné, je n'y reviens pas. Que dire, dès lors, de la situation des sous-préfets, en bout de chaîne ?

Nous devons ouvrir ce chantier. Alors que les grandes régions se mettent en place et qu'elles sont confrontées à leurs premières difficultés - la région Auvergne-Rhône-Alpes vient, par exemple, de lancer une expérimentation en matière de transports, y compris les transports scolaires, en raison des difficultés de gestion qu'elle rencontre - cette idée d'un nouveau rôle du préfet me semble extrêmement puissante et moderne.

M. René Vandierendonck . - Je tiens à vous adresser mes remerciements, Monsieur le président. C'est en partie à vous que nous devons ce décloisonnement des commissions du Sénat.

Je me trouvais dans l'Hérault, la semaine dernière, avec les autres rapporteurs de la mission de contrôle et de suivi de la mise en oeuvre des lois de réforme territoriale - MM. Darnaud, Collombat et Mercier. Nous y avons rencontré le préfet et les directeurs départementaux. Notre dialogue avec ces derniers fut particulièrement intense. Il est rare d'entendre des directeurs nous demander de faire passer un message aussi fort : demain, nous ont-ils dit, ce sont peut-être les fonctionnaires de nos directions qui descendront dans la rue !

Certes, la situation est contrastée, mais vous avez fort bien identifié l'existence d'un problème au sein des directions départementales. J'étais récemment dans le Cantal - passage obligé pour tout sénateur... Avec la RGPP et les réformes qui ont suivi, toutes directions départementales confondues, les effectifs y sont passés de 164 à 100 personnes. Il existe des sous-préfets à la ville ; pourquoi ne pas créer des sous-préfets à la ruralité ? Nous devons renforcer les départements ruraux.

Très souvent, on a affaire à des appels à projets. L'additionnalité des réglementations européennes impose des ventes flash , comme dans les supermarchés, auxquelles ne peuvent répondre que ceux qui sont outillés. Il faut un travail d'assemblier, qui aide à la recherche des financements et à l'adaptation au moule des appels à projets. Pour ce faire, l'État facilitateur déconcentré est important. Depuis le décret de M. Chaban-Delmas en 1970, ni droite ni gauche ne sont parvenues à faire entrer certaines administrations, telles que l'Éducation nationale, dans le jeu de la déconcentration.

M. François Grosdidier . - Je partage l'analyse des rapporteurs, dont je soutiens les propositions, notamment celle qui consiste à donner aux hauts fonctionnaires de l'État un rôle de facilitateur, d'assemblier, et non d'empêcheur. Nous connaissons tous les réunions où nous arrivons avec trois problèmes à régler, et dont ressortons sans les avoir résolus, et en en ayant récupéré cinq nouveaux. Quant aux représentants des administrations, ils repartent avec la satisfaction du devoir accompli pour avoir fait valoir leur point de vue bloquant.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Cette semaine, j'ai pris rendez-vous avec le préfet de mon territoire pour évoquer l'implantation d'un projet de 200 emplois. J'ai dressé la liste des administrations de l'État avec lesquelles il est nécessaire de discuter, et dit au préfet que je souhaitais qu'il désigne un coordonnateur - j'en ferai de même - pour que tout soit réglé le jour de la réunion avec l'entreprise concernée. Si chacun oeuvre administration par administration, selon une logique de silo, le projet risque d'échouer. Le préfet m'a répondu positivement, nous verrons.

M. François Grosdidier . - On pourrait faire un livre de ce type d'anecdotes, tant la situation s'empire ; moins l'État a de moyens, plus il est jaloux de ses prérogatives. Nous devons nous poser de la question de la trop grande intervention de l'État dans des champs de compétences décentralisées. En matière d'urbanisme, a-t-on besoin de tant d'effectifs dans les directions départementales des territoires (DDT) ou dans les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), qui préparent les schémas de cohérence territoriale à la place des élus ? La moindre opération de logement social d'une agglomération entraîne toute une confrontation avec la DDT. Jean-Louis Borloo avait envisagé d'augmenter la dotation de solidarité urbaine, estimant que c'était l'affaire des communes. On n'a jamais eu aussi peu de moyens et autant de réunions rassemblant autant de fonctionnaires - dont le nombre et la qualité sont inversement proportionnels aux fonds qu'ils injectent. Allons beaucoup plus loin : pour réaliser des économies sans réduire le service public, supprimons des doublons, entre les services de l'État, qui divergent entre eux, et entre l'État et les collectivités territoriales.

Les hauts fonctionnaires doivent être des facilitateurs, au regard des compétences de l'État et non des collectivités territoriales. Ils doivent conseiller les élus locaux dans les domaines juridiques et régaliens mais pas dans le domaine technique, dans lequel les départements et le secteur privé ont des outils. Ne soyons pas schizophrènes : les élus locaux ne peuvent pas demander à l'État de leur tenir la main tout en réclamant la reconnaissance de leur autonomie.

M. Antoine Lefèvre . - Je souhaite insister sur la nécessité de bien communiquer avec le grand public. La préfecture de l'Aisne, qui s'est réorganisée, a décidé de fermer ses services au public l'après-midi. Son manque de communication a un effet dévastateur puisque les usagers s'y rendent lorsqu'elle est fermée, et après parfois une heure de route ils éprouvent un sentiment d'abandon. Dans la réforme à venir des sous-préfectures, il faudra bien communiquer pour que les élus et les usagers ne soient pas perdus, et acceptent la réorganisation territoriale.

M. Marc Daunis . - Merci pour cet excellent rapport, qui reprend des propositions que nous avions formulées avec François Calvet dans notre proposition de loi, notamment sur le référent unique et le rescrit. Néanmoins, je diverge fortement des rapporteurs sur le rôle de l'État en région. Dès lors qu'il existe un bloc de stratégie - Europe, État, région - et un bloc de proximité - département, intercommunalité, commune -, le positionnement de l'État en région créera toujours des hésitations.

Pour éviter la schizophrénie qui consiste à déplorer le poids de l'administration tout en demandant son renforcement à tous les étages, il faut choisir de supprimer l'État en région, mis à part le secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR). Je suis pour la disparition, à l'échelon régional, de toutes les directions déconcentrées. Ceci évitera la contradiction entre opérationnel et stratégique, ainsi que les relations compliquées entre préfets de région et de département. L'échelon étatique, dans les collectivités territoriales, est toujours instable et peu lisible.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Cette question met en cause le modèle français. Les pays européens qui fonctionnent très bien ont peu ou prou basculé dans un modèle fédéral.

M. Marc Daunis . - Ma conception n'est pas fédéraliste. Je plaide pour le rôle de la République dans la contractualisation stratégique entre l'État et les régions.

M. Jean-Marc Gabouty . - On constate une perte d'énergie et un manque d'efficacité au sein des services régionaux de l'État. Si des économies doivent être réalisées, ce serait probablement là. Le rapport révèle l'expérience d'élus locaux de ses auteurs. Les réformes successives de l'État, dont la loi NOTRe, ont engendré des désorganisations des territoires. En outre, il est difficile d'aborder une nouvelle organisation avant d'avoir achevé la précédente.

Une simplification est indispensable. Néanmoins, le Gouvernement n'est pas le seul responsable de la complexification : quand un projet de loi du Gouvernement qui compte initialement 47 articles sort de l'Assemblée nationale riche de 240 articles, avant de quitter le Sénat encore alourdi, le législateur doit assumer une part de responsabilité. Il est nécessaire d'introduire de la cohérence dans les missions, sans trop de formalisme, quels que soient les acteurs qui les mènent. Les rapporteurs ont essayé d'y parvenir avec les propositions n os 5 à 10. La cohérence entraîne généralement des économies. L'échelon pertinent me semble être le département.

M. Jean-Marie Bockel, président . - La délégation rendra prochainement hommage à M. Louis Pinton. Nous ne l'oublions pas.

M. François Bonhomme . - J'ai la chance de lui succéder au sein de la délégation.

Je souhaite témoigner de la perplexité ressentie sur les territoires vis-à-vis de la présence de l'État et de son efficacité. Ces trois dernières années, mon intercommunalité du Quercy caussadais a dû embaucher le personnel de l'Assistance technique de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (Atesat), dont le préfet nous avait annoncé la fin de la mission pour juillet 2015. Elle a aussi dû créer son propre service d'instruction du droit des sols.

Je comprends d'autant plus la supplique pour un rôle de facilitateur, et non de contrôleur tatillon, de l'État que, comme beaucoup d'entre vous, je connais le cas de maires de petites communes qui ont dû faire appel à des cabinets privés pour rédiger leur agenda d'accessibilité programmée.

J'en viens aux schémas départementaux dus à la loi NOTRe. Inquiets des projets de fusion de communautés de communes, nous sommes allés rencontrer notre préfet. Il nous a dit de ne pas nous inquiéter, qu'on nous accompagnerait. Finalement, sans que nous n'ayons rien vu venir, les préfets ont publié des arrêtés de périmètre. Aujourd'hui, on constate des discordes, des difficultés - beaucoup d'entre elles sont encore à venir.

L'État n'est soit pas à sa place, soit pas efficient.

M. Georges Labazée . - J'observe que le positionnement de la DREAL se complique. Elle est devenue le bras séculier de l'État en région, mais aussi un lieu de recours pour tous les conflits d'intérêts de proximité, ce qui crée des crispations.

Je suggère que le rapport aborde la notion, de plus en plus courante, de politique d'appel à projets. L'État, ayant moins d'argent, procède ainsi. À la faveur du lobbying, certains dossiers sont privilégiés sans être meilleurs que d'autres.

M. Christian Manable . - J'apprécie particulièrement la proposition n° 25 du rapport : « Achever la décentralisation de certaines compétences en opérant les transferts de personnel correspondant », qui concerne notamment les gestionnaires des collèges et lycées. Lorsque j'étais président du conseil départemental de la Somme, je l'appelais déjà de tous mes voeux. La double hiérarchie de l'Éducation nationale et du département ou de la région est bâtarde, d'autant plus que les personnels techniciens, ouvriers et de service (TOS) ont été transférés.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure . - Merci d'avoir enrichi ce rapport. Je retiens tout particulièrement les formules de Françoise Gatel : « un État inventeur de solutions », et de René Vandierendonck : « un besoin de travail d'assemblier sur les projets ».

Notre préconisation de réorganisation de l'État à l'échelon départemental, à Éric Doligé et moi-même, n'est pas celle de départementalistes convaincus par un tropisme antérieur (lié à nos mandats passés), mais naît du constat d'un besoin. Je note que chacun d'entre vous l'a repris. Nous sommes aussi dans la ligne de la loi NOTRe, qui dispose que la restructuration de l'État doit avoir lieu à l'échelon départemental.

Le fait que les reprises de postes se fassent à l'échelon régional plutôt que départemental est un signe positif. Dans notre rapport, nous devrons insister davantage sur la nécessité de conforter un État bien doté en ingénierie départementale.

M. Éric Doligé, rapporteur . - Chers collègues, vos interventions sont plus intéressantes que le rapport. Merci.

En nous rendant dans les régions Centre-Val de Loire et Nouvelle-Aquitaine, nous avons constaté des situations très différentes, puisque le périmètre de l'une n'a pas changé contrairement à celui de l'autre. Les problèmes sont plus importants en Nouvelle-Aquitaine. Le sentiment global recueilli est qu'il faut redonner du pouvoir aux préfets et cesser l'agenciarisation permanente, qui multiplie les interlocuteurs et brouille la visibilité.

La réflexion de Marc Daunis est intéressante. L'État cherche actuellement à supprimer davantage de personnel à l'échelon régional qu'à l'échelon départemental. Peut-être, à terme, la région ne sera-t-elle qu'un coordonnateur ? Il n'est nul besoin de retrouver tous les services de l'État tant à l'échelon régional que départemental. On a l'impression d'un manque de coordination.

M. Jean-Marie Bockel, président . - Merci à tous. Je solliciterai le président du Sénat pour l'organisation d'un débat en séance publique sur notre travail.

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