B. UN RÉGIME PROTECTEUR DE L'ÉCONOMIE DU PARTAGE, SANS EFFET DE SEUIL NI DISTORSION DE CONCURRENCE

Telle qu'elle est conçue, la mesure proposée par le groupe de travail permet d'exonérer totalement ou partiellement les modestes compléments de revenu, sans pour autant créer d'effet de seuil à la « sortie » du dispositif, ni d'inégalité de traitement entre les contribuables, dès lors que ceux-ci tirent de leurs activités « en ligne » ou « hors ligne » un revenu significatif.

1. Pas d'effet de seuil au-delà de 3 000 euros

L'abattement forfaitaire ne créé aucun effet de seuil : à partir de 3 000 euros de revenu brut annuel, le revenu net imposable et l'impôt dû s'alignent progressivement sur le droit commun, jusqu'à y être identiques à partir du seuil de sortie. Grâce à ce lissage, les utilisateurs qui dépasseraient lors d'une année le seuil de 3 000 euros au titre de leurs activités sur des plateformes collaboratives ne se verraient pas brutalement imposés sur l'ensemble de leur revenu.

Le seuil de 3 000 euros revient donc à inscrire dans la loi, pour la première fois, un critère simple et unique permettant de qualifier un revenu occasionnel ou accessoire - et de l'exonérer de ce fait . Ce critère, pour imparfait qu'il soit du fait de son caractère général, est une nécessité pour tenir compte de la nouvelle réalité créée l'économie des plateformes en ligne : les millions de personnes qui y mènent des activités multiples, récurrentes, standardisées et traçables en temps réel, ne peuvent pas être soumises à des règles complexes, souvent méconnues, et imparfaitement encadrées par une doctrine et une jurisprudence dont les critères sont, de surcroît, variables selon les activités, les administrations et les juridictions.

Il faut noter que ce seuil n'aurait pas pour autant pour conséquence rendre automatiquement imposables les revenus supérieurs : il s'agit pour ainsi dire d'un « seuil d'alerte », en-deçà duquel « la question ne se pose pas », mais au-delà duquel certains revenus demeurent, le cas échéant, exonérés (cf. infra ).

2. Pas de distorsion de concurrence entre les professionnels

L'abattement forfaitaire alternatif ne créé aucune distorsion de concurrence entre les professionnels utilisant des plateformes en ligne et les autres : dès lors que le revenu devient significatif, c'est le droit commun, tout le droit commun et rien que le droit commun qui s'applique - c'est-à-dire, l'application d'un abattement proportionnel dans le cadre du régime micro-fiscal, ou la déduction des charges dans le cadre du régime réel.

Le « seuil de sortie » revient donc à introduire implicitement une notion de « revenu significatif », variable selon la catégorie à laquelle le revenu se rattache, mais simple, lisible et objectif .

Dès lors, les personnes dont le revenu annuel est significatif sont effectivement imposées sur l'ensemble de leur revenu, au premier euro, et dans les conditions de droit commun. Les revenus inférieurs au seuil de sortie ne « conservent » pas le bénéfice de l'avantage . Le fonctionnement d'un abattement fiscal, qu'il soit forfaitaire ou proportionnel, est à cet égard différent du barème progressif de l'impôt sur le revenu , où chaque « tranche » se voit appliquer le taux d'imposition qui lui correspond, même en cas de revenus situés dans une tranche supérieure.

En d'autres termes, aucun chauffeur de VTC, aucun loueur de meublé de tourisme, aucun créateur de logos indépendant, coiffeur ou professeur à domicile ne tirerait un avantage financier de la mesure proposée dès lors que son activité lui procure un revenu significatif - le seuil étant fixé à un niveau largement inférieur à celui d'un revenu dont on pourrait « vivre » (cf. infra ).

La mesure proposée exclut donc automatiquement les revenus susceptibles de constituer une concurrence déloyale à l'égard des autres professionnels , qu'ils soient travailleurs indépendants (libéraux, artisans, commerçants, etc.) ou salariés, qu'ils aient recours à une plateforme en ligne ou non. Ce risque est d'autant moins élevé que la transmission automatique des revenus par les plateformes garantit la fiabilité des déclarations fiscales.

De façon symétrique, la mesure proposée ne créé aucun effet d'aubaine pour les professionnels : aucun travailleur indépendant exerçant dans un secteur « traditionnel » ne tirerait un avantage fiscal à passer par une plateforme en ligne plutôt que par des moyens « physiques », dès lors que son revenu total excède les seuils de sortie.

En résumé, l'avantage exonère effectivement les particuliers occasionnels, mais ne change rien pour les « vrais » professionnels.

Le tableau ci-après présente la liste des bénéficiaires potentiels de la mesure proposée, et de ceux qui n'en bénéficieraient pas.

Champ d'application de l'abattement forfaitaire général en matière d'impôt sur le revenu

Bénéficiaires

• Les utilisateurs dont le revenu brut annuel perçu via des plateformes est inférieur à 3 000 € ( entièrement exonérés ).

• Les utilisateurs dont le revenu brut annuel perçu via des plateformes est supérieur à 3 000 € mais n'excède pas le seuil de sortie du dispositif, compris entre 4 225 € et 8 824 € selon les activités ( partiellement exonérés ).

Non bénéficiaires

• Les utilisateurs qui n'acceptent pas la déclaration automatique de leurs revenus.

• Les utilisateurs de plateformes qui ne mettent pas en oeuvre la déclaration automatique des revenus.

• Les utilisateurs dont le revenu brut annuel perçu via des plateformes est supérieur au seuil de sortie du dispositif, compris entre 4 225 € et 8 824 € selon les activités.

• Les micro-entrepreneurs , s'ils optent pour le prélèvement libératoire de l'impôt sur le revenu.

• Les sociétés et autres personnes morales non soumises à l'impôt sur le revenu.

Source : commission des finances du Sénat

Ce tableau appelle trois remarques.

Premièrement, le dispositif proposé ne distingue pas, dans son volet fiscal, entre « particuliers » et « professionnels » , mais vise l'ensemble des redevables de l'impôt sur le revenu au titre des revenus non salariaux (revenus locatifs ou fonciers, revenus d'activités libérales, commerciales, artisanales, etc.). Cette distinction n'est pas nécessaire , dans la mesure où l'avantage « s'annule » de lui-même dès lors que le revenu annuel atteint un montant significatif. Outre que cela serait superfétatoire, réserver l'avantage aux seuls particuliers non-professionnels poserait de surcroît un problème au regard du principe d'égalité devant l'impôt, en ce que cela conduirait à traiter différemment des revenus d'une même catégorie (BIC, BNC, etc.).

Deuxièmement, par définition, les personnes dont le revenu annuel net, toutes sources confondues, n'excède pas 9 710 euros par part de quotient familial, soit la limite de la première tranche du barème de l'impôt sur les revenus de 2016, ne sont pas imposables 59 ( * ) .

Troisièmement, les micro-entrepreneurs ne peuvent pas bénéficier du dispositif , s'ils optent pour le prélèvement libératoire de l'impôt sur le revenu en même temps que le paiement des cotisations sociales (cf. supra ). En effet, le prélèvement libératoire exclut par définition l'application des abattements proportionnels du régime micro-fiscal, ou la déduction des charges du régime réel, et par conséquent la prise en compte d'un montant minimal de 3 000 euros. Cette exclusion n'est en aucun cas problématique, pour deux raisons :

- sur le principe , l'affiliation au régime du micro-entrepreneur suppose que le contribuable se considère, par une démarche volontaire, comme exerçant une activité à caractère professionnel : il n'y a donc pas de raison de considérer que les revenus qu'il tire des plateformes constituent des compléments des revenus accessoires ou occasionnels ;

- en pratique, le prélèvement libératoire de l'impôt sur le revenu , au taux fixe de 1 % pour les ventes de biens en BIC, 1,7 % pour les services en BIC, et 2,2 % pour les services en BNC (cf. supra ), est la plupart du temps bien plus favorable que l'imposition au barème, avec ou sans l'avantage proposé . Il est vrai que dans certains cas, notamment pour les contribuables qui ne seraient pas imposables à l'impôt sur le revenu parce que leur revenu global annuel serait inférieur à 9 710 euros, le choix du régime de la micro-entreprise avec prélèvement libératoire de l'impôt sur le revenu est moins avantageux - mais il s'agit là d'un arbitrage sans rapport avec la mesure proposée par le groupe de travail.

3. Le partage de frais et les ventes d'occasion demeurent exonérés, même au-delà du seuil de 3 000 euros

L'avantage fiscal proposé consiste à appliquer un abattement forfaitaire sur les revenus perçus via des plateformes et déclarés par celles-ci, ce qui permet une exonération complète des revenus inférieurs à 3 000 euros, et une exonération partielle des revenus compris entre 3 000 euros et le seuil de sortie. Pour la partie du revenu restant imposable après application de l'avantage fiscal, le droit commun s'applique de plein droit, sans aucune modification.

Cela signifie notamment que les revenus exonérés du fait de leur nature demeurent de toute façon exonérés, même au-delà du seuil . Il s'agit principalement des revenus suivants, qui représentent une part importante de l'économie des plateformes en ligne :

- les revenus relevant du partage de frais, dont le covoiturage , dont le caractère non imposable a été confirmé par l'instruction fiscale du 30 août 2016 (cf. supra ). Comme expliqué ci-dessus, la détermination du montant exact correspondant au partage de frais n'est pas toujours aisée (par exemple dans le cas de la « co-navigation » ou du « co-cooking ») : le mérite de la mesure proposée est sécuriser en tout état de cause les personnes concernées tant que le seuil n'est pas franchi, et de réserver aux revenus plus importants le besoin d'une analyse minutieuse ;

- les revenus tirés de ventes d'occasion , exonérés en application de l'article L. 150 UA du code général des impôts (cf. supra ). Toutefois, au-delà du seuil de 3 000 euros, la distinction entre ventes d'occasion et ventes commerciales reste confuse et difficilement applicable, aucune instruction fiscale n'ayant été publiée en la matière, contrairement aux activités relevant du partage de frais. Le groupe de travail souscrit donc pleinement à la recommandation n° 25 du rapport de l'IGAS précité : « clarifier la doctrine applicable [...] à la vente d'occasion non commerciale et élaborer des lignes directrices en la matière, accessibles en ligne ».

Dans le dispositif proposé, un revenu déclaré automatiquement n'est donc pas nécessairement un revenu imposé .

Le seuil de 3 000 euros doit ainsi être compris davantage comme un « seuil d'alerte », au-delà duquel « la question de l'imposition est posée » , plutôt que comme un seuil déclenchant automatiquement l'imposition. L'objectif premier de la mesure proposée est de ne pas faire peser de contraintes excessives sur les particuliers et de ne pas mobiliser les services de l'administration fiscale pour des enjeux peu significatifs , qui de surcroît pourraient bien souvent s'avérer relever, au terme d'un examen fastidieux, d'un simple partage de frais. Le seuil proposé permet ainsi à l'administration fiscale de concentrer ses moyens sur les véritables enjeux .

D'un point de vue opérationnel, toutefois, le traitement par les plateformes en ligne et l'administration fiscale des revenus exonérés « par nature » implique quelques adaptations , qui n'ont pas pour conséquence de compliquer les démarches déclaratives des utilisateurs. Ces adaptations sont présentées dans la partie relative à la déclaration automatique sécurisée (cf. infra ).


* 59 L'avantage proposé leur est néanmoins applicable, et elles sont susceptibles d'en bénéficier dans le cas où la différence de calcul du revenu net imposable, du fait de l'abattement de 3 000 euros plutôt que de l'abattement proportionnel ou de la déduction des charges réelles, leur permettrait de demeurer dans la tranche non-imposable au lieu de « basculer » dans la tranche imposée à 14 %. Il en va de même pour le passage aux tranches supérieures.