II. LES AMBIGUÏTÉS DU CONCEPT SONT NÉANMOINS PROGRESSIVEMENT LEVÉES, POUR PASSER À L'ACTION

Vos rapporteurs ont tenu à faire le point sur la notion de radicalisation dans une optique pragmatique et pratique, et en se posant la question que chaque élu peut se poser : quelle est la nature de la menace à laquelle faire face concrètement ? À cet effet, ils ont analysé les publications sur le sujet qui, depuis 2015, se sont multipliées, et ils ont procédé à l'audition de spécialistes reconnus :

- Serge Blisko, président de la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) ;

- Xavier Crettiez, professeur des universités, et spécialiste de la violence extrême ;

- Serge Hefez, psychiatre et psychanalyste à l'Assistance Publique (APHP) ;

- Philippe d'Iribarne, sociologue, spécialiste des influences culturelles ;

- Sébastian Roché, sociologue, spécialiste de la prévention de la délinquance ;

Vos rapporteurs ont dans ce cadre souhaité clarifier le concept de radicalisation en analysant les liens qu'il entretient, d'une part, avec la radicalisation violente et, d'autre part, avec la radicalisation islamique, et en examinant les différentes explications du phénomène ainsi que des mécanismes en jeu.

A. LES LIENS ENTRE RADICALISATION ET RADICALISATION VIOLENTE

Si la sociologie américaine met l'accent sur la radicalisation comportementale , c'est-à-dire celle qui produit des effets physiques repérables, et en particulier des actes violents, c'est qu'elle reste très imprégnée de la culture anglo-saxonne de la liberté d'expression, comme le souligne Xavier Crettiez. En d'autres termes, dans cette logique, une opinion, fut-elle extrémiste, ne saurait être combattue par les pouvoirs publics tant qu'elle n'occasionne pas de préjudice physique direct à autrui.

La sociologie européenne, et singulièrement française, n'écarte pas cette radicalisation mais la complète en s'intéressant davantage à la radicalisation cognitive , qui se traduit, en deçà des actes, par des modes de pensée, de perception et de relation au monde. De fait, la quasi-totalité des témoignages de terroristes montre un passage par cette radicalisation cognitive 11 ( * ) .

Elle a longtemps été abordée avec circonspection pour deux raisons : la première est que, mal employée, elle pourrait donner lieu à une suspicion généralisée sur l'islam et les communautés musulmanes ou sur toute radicalité jugée « déviante » ; la seconde est que, dans les faits , toute radicalisation cognitive ne se traduit pas nécessairement par une radicalisation comportementale. Cependant, et à l'inverse, rares, voire inexistants, sont les cas de radicalisation comportementale sans radicalisation cognitive préalable.

C'est en définitive cette approche qui prévaut généralement aujourd'hui dans l'action des pouvoirs publics en France et en Europe. La corrélation entre les deux niveaux de radicalisation est trop forte pour que l'on puisse ne s'intéresser qu'à l'une ou l'autre. Cette approche, qui est celle de la France, est aussi celle de ses voisins.

Ainsi, lors de leur déplacement en Belgique, vos rapporteurs ont pu noter que le champ d'action de l'organe belge d'évaluation de la menace, l'Organe de coordination pour l'analyse de la menace (OCAM) 12 ( * ) , concernait non seulement la « menace terroriste », mais aussi « l'extrémisme », entendu assez largement par la loi organique des services de renseignement et de sécurité puisqu'il englobe « Les conceptions ou les visées racistes, xénophobes, anarchistes, nationalistes, autoritaires ou totalitaires, qu'elles soient à caractère politique, idéologique, confessionnel ou philosophique, contraires, en théorie ou en pratique, aux principes de la démocratie ou des droits de l'homme, au bon fonctionnement des institutions démocratiques ou aux autres fondements de l'État de droit. » 13 ( * ) .


* 11 À cet égard, les témoignages recueillis par David Thomson, dans Les Revenants, Ils étaient partis faire le jihad, ils sont de retour en France , 2017, sont éclairants.

* 12 L'OCAM est l'organe fédéral chargé de l'analyse de la menace en matière de terrorisme et d'extrémisme, sur la base des informations fournies par l'ensemble des services belges : Sûreté de l'État (équivalent de la DGSI en France), Service général du renseignement et de la sécurité (renseignement militaire), polices locales et fédérale, douanes, Office des étrangers...

* 13 Loi organique des services de renseignement et de sécurité du 30 novembre 1998, article 8.

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