II. L'UNION EUROPÉENNE ET LA FRANCE DOTÉES D'UNE POLITIQUE POUR L'ARCTIQUE

A. UN MANQUE DE CONSENSUS ENTRE LES INSTITUTIONS EUROPÉENNES SUR LA POLITIQUE DE L'UNION POUR L'ARCTIQUE

Dans la foulée de la résolution du Parlement européen du 10 mars 2014 prônant une stratégie européenne pour l'Arctique, le Conseil de l'Union européenne appelait la Commission et la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité à présenter, avant la fin de 2015, « des propositions sur la poursuite du développement d'une politique intégrée et cohérente pour la région arctique » .

Le 27 avril 2016, la Commission européenne et la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ont donc présenté une communication conjointe au Parlement européen et au Conseil intitulée « Une politique arctique intégrée de l'Union européenne ».

Dès le 20 juin 2016, le Conseil adoptait des conclusions sur cette politique intégrée. Enfin, le Parlement européen a, à son tour, donné sa vision de ce que devait être la politique européenne pour l'Arctique dans une résolution du 17 mars 2017.

1. La proposition de la Commission européenne : un cadre pour l'action de l'Union européenne dans l'Arctique

Articulée autour de trois parties, la communication se fonde sur les postulats suivants :

- l'impact du changement climatique plus fort en Arctique que dans les régions tempérées : en raison de la fonte accélérée de la glace, l'Arctique, qui n'était jusqu'alors qu'une victime du réchauffement climatique, en est devenu un acteur ; étant donné le rôle que jouent les pôles dans la régulation du climat, l'accord de Paris implique non seulement une action forte pour limiter le réchauffement au pôle, mais également de mettre en place des stratégies d'adaptation au changement climatique pour les populations y résidant ;

- la nécessité de protéger l'environnement fragile de l'Arctique de pollutions venues parfois d'assez loin et de promouvoir le développement durable de la région ;

- le rappel de la dépendance de l'Union européenne aux importations en provenance de l'Arctique : 24 % (soit 1,5 million de tonnes pour une valeur d'environ 4,8 milliards d'euros) des importations de produits de la pêche proviennent de Norvège ; un tiers du pétrole et deux tiers du gaz importés en Europe sont originaires de Norvège et de Russie.

- l'Arctique doit demeurer une zone « de paix, de prospérité et de coopération internationale constructive » .

a) La lutte contre le changement climatique et la sauvegarde de l'environnement arctique

La communication rappelle que le volume des glaces marines présentes durant l'été a diminué de 40 % en Arctique depuis 1979. S'appuyant sur les travaux du GIEC, elle rappelle que la fonte du pergélisol pourrait entraîner d'importantes émissions de dioxyde de carbone et de méthane. En outre, l'Arctique abrite des écosystèmes sensibles et de nombreuses espèces endémiques, que ce soit sur terre ou dans l'océan, qu'il convient de protéger. Trois types d'action permettraient à l'Union européenne de répondre à ces dangers.

En premier lieu, la communication met en avant la recherche sur l'Arctique, rappelant que « la compréhension du fonctionnement des systèmes arctiques et leurs possibles réactions à des forces de natures différentes reste encore très limitée » . Elle propose de maintenir le niveau actuel d'engagement financier pour la recherche dans la région jusqu'à 2020 et de favoriser un accès transnational aux infrastructures de recherche et aux ressources de données ouvertes. Elle met en avant l'initiative PolarNet-UE, qui permettra à 22 instituts de recherche européens de mettre en place un programme de recherche polaire intégré. Enfin, le programme spatial de connaissance de la Terre, Copernicus, favorisera une meilleure connaissance de l'Arctique.

En second lieu, la communication propose l'adoption de stratégies pour atténuer le changement climatique et s'adapter à celui-ci. Inscrivant son action dans le cadre de l'accord de Paris sur le climat et au maintien du réchauffement climatique sous le seuil de 2°C, elle cible la limitation des émissions de polluants comme le carbone noir et le méthane aux effets dévastateurs dans l'Arctique.

Enfin, la protection de l'environnement de l'Arctique est mise en avant et passe par l'action de l'Union au niveau international dans la lutte contre les polluants et métaux lourds, les espèces exotiques envahissantes et la prévention d'accidents majeurs concernant les activités pétrolières et gazières. Plus précisément, la promotion d'un niveau élevé de protection de la biodiversité est prônée et pourrait se traduire par la création d'aires marines protégées et l'inclusion de l'océan Arctique dans le cadre de la négociation aux Nations unies pour la protection de la biodiversité marine dans les eaux internationales.

b) Le développement durable de l'Arctique européen

Dans cette partie, la communication envisage comment participer au développement économique du nord de l'Europe. Elle rappelle la richesse de ces régions et leurs handicaps par rapport aux autres régions de l'Union : faible densité de population sur une vaste superficie, manque de liaisons de transport et de moyens de communications terrestres, nécessité d'infrastructures adaptées au climat rigoureux.

Sur ce dernier point, elle rappelle les nombreux programmes relevant de la politique de cohésion, les difficultés rencontrées à les mettre en oeuvre et la nécessité de trouver et de tester des technologies et des services innovants. Toutefois, comme réponse, la communication s'appuie sur les programmes généraux existants (Horizon 2020 et InnovFin, notamment), l'accès effectif au marché unique et le croisement des différentes formes de financement. Le plan d'investissement pourrait être utilisé pour un certain nombre de projets et l'accent est mis sur les liaisons de transports transfrontalières.

La principale innovation porte sur la création d'un forum des parties prenantes de l'Arctique européen. Forum provisoire, il rassemblerait les institutions européennes, les États membres et les autorités régionales et locales pour définir les principales priorités en matière d'investissement et de recherche que les fonds européens pourraient soutenir dans la région. Lui succèderait une conférence annuelle des parties prenantes de l'Arctique pour mesurer et améliorer les résultats obtenus.

En outre, les programmes spatiaux européens pourraient trouver une utilité particulière en Arctique : Copernicus permettrait d'observer et de surveiller la région, et le système de navigation par satellite Galileo faciliterait la circulation terrestre, marine et aérienne. Des solutions devraient cependant être trouvées pour les télécommunications.

Enfin, estimant que le trafic maritime est en plein essor dans l'Arctique et qu'il va augmenter avec l'ouverture de la route du nord-est, la communication estime nécessaire d'améliorer la sécurité de la navigation dans cet environnement particulier. Elle fait référence au code de navigation polaire adopté par l'Organisation maritime internationale et entré en vigueur le 1 er janvier 2017.

c) La coopération internationale sur les questions intéressant l'Arctique

La communication de la Commission européenne envisage la coopération internationale à travers cinq vecteurs.

Dans un premier temps, elle vise les organisations et enceintes internationales, réparties en trois niveaux. Au niveau mondial, c'est la convention des Nations unies sur le droit de la mer qui pourrait fournir un cadre pour l'organisation des activités dans l'océan Arctique. Au niveau régional, la communication prône l'obtention par l'Union européenne du statut d'observateur permanent au Conseil de l'Arctique, forum regroupant les États présents dans la région. Enfin, est évoquée la participation aux différents fora de coopération régionale et sub-régionale, comme le Conseil euro-arctique de la mer de Barents ou le Conseil nordique.

Parallèlement, la coopération bilatérale est évoquée. Elle concerne les États de l'Arctique comme les États-Unis, le Canada et la Russie, et ceux qui sont aussi membres de l'Espace économique européen, l'Islande et la Norvège. Enfin, une place particulière est accordée au Groenland en raison de l'accord de partenariat qui lie ce territoire autonome au Danemark et à l'Union européenne.

L'accent est également mis sur la gestion des activités de pêche en raison de l'importance de cette activité dans l'économie de la région et du fait qu'elle est encore peu réglementée, ou encore que l'état des pêcheries est à ce jour encore mal connu. En outre, la Commission souhaite promouvoir la coopération scientifique et évoque deux axes : la participation à l'alliance transatlantique pour la recherche océanique avec le Canada et les États-Unis, et un projet de carte multirésolution de l'ensemble des fonds marins, dont ceux de la mer de Barents.

2. Les conclusions du Conseil : pour une plus grande coordination de l'action de l'Union européenne en Arctique

Suite à la communication conjointe, le Conseil s'est prononcé assez rapidement puisque des conclusions ont été adoptées dès le 20 juin 2016. S'il salue la communication de la Commission, il met en avant certains aspects.

En premier lieu, il souligne l'importance que l'Arctique soit une région « sûre, durable et prospère » . Et en raison de l'intérêt croissant qu'il suscite, l'action de l'Union européenne doit s'inscrire dans une politique « ambitieuse, transversale et étroitement coordonnée » . Il se félicite, à ce titre, de l'action menée par la Commission pour renforcer les synergies entre les différentes actions menées et les divers outils de financement, et l'appelle à agir plus encore en ce sens.

Ensuite, le Conseil reconnaît que l'action de l'Union européenne ne peut être que subsidiaire de l'action des États arctiques et il prône la coopération régionale à travers les différentes instances et le dialogue avec les populations autochtones. Plusieurs États membres ont adopté, à l'image de la France, une véritable stratégie pour l'Arctique et l'Union se doit d'en tenir compte dans son action.

Le Conseil met, par ailleurs, sur un même plan les défis antagonistes de l'Arctique : le développement et l'exploitation durable de la région, d'une part, et la préservation d'un environnement fragile et d'écosystèmes singuliers, d'autre part.

Il met enfin l'accent sur la régulation de l'activité dans l'océan Arctique et le développement durable d'infrastructures capables de résister au changement climatique.

3. La résolution du Parlement européen du 16 mars 2017 : une mobilisation des commissions pour une approche plus globale et plus ambitieuse

Le Parlement européen, suite à un rapport d'initiative du 8 février 2017, a adopté une résolution le 16 mars 2017. Ce travail a associé plusieurs commissions en plus de la commission des affaires étrangères et de la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire, saisies au fond. Ont en effet rendu un avis, la commission du commerce international, la commission du développement régional et la commission de la pêche.

En plus de reprendre les grandes lignes suivies par la Commission européenne et le Conseil, le Parlement européen met l'accent sur trois aspects qui ne lui paraissent pas assez pris en compte.

Le premier de ces aspects, c'est l'importance géopolitique prise par la région. Le réchauffement climatique qui la libère toujours plus de la glace favorise l'accès aux riches ressources naturelles, ainsi que l'essor d'activités maritimes comme la pêche et la navigation. Cette ouverture nouvelle dans l'histoire et l'augmentation de l'activité humaine dans l'Arctique ne sont pas sans poser de questions quant à la sécurité dans la région. Le Parlement reconnaît que la sécurité dans l'Arctique est abordée dans la stratégie globale de l'Union concernant les questions de politique étrangère et de sécurité de juin 2016, mais regrette que la communication conjointe ne l'évoque pas. Il évoque précisément les agissements de la Russie et l'importance du dialogue avec celle-ci comme composante de la politique de l'Union pour l'Arctique.

Le second aspect, c'est la lutte contre le réchauffement climatique dans l'Arctique et la protection d'un environnement fragile. Le Parlement européen met en avant les engagements de l'Union européenne tant en ce qui concerne les objectifs de développement durable des Nations unies que ceux de l'Accord de Paris sur le climat. Il appelle à une action rapide et à la nécessaire évaluation des incidences sur l'environnement arctique de la réalisation de tout projet.

Le troisième aspect concerne les populations autochtones. Le Parlement met l'accent sur le fait qu'ils doivent être les premiers bénéficiaires des politiques pour l'Arctique et bénéficier d'une représentation propre auprès de l'Union européenne.


Les Sami

Parmi les peuples premiers d'Europe, la population Sami (ou Same) est originaire du Nord de la Norvège, de la Suède, de la Finlande et de la Russie. Les Sami seraient entre 70 000 et 100 000 en tout, dont environ 40 à 60 000 en Norvège, 15 à 20 000 en Suède, 9 000 en Finlande et 2 000 en Russie.

Les Sami vivent d'une économie de subsistance fondée sur la pêche côtière artisanale, l'élevage et la transhumance saisonnière de rennes ainsi que l'artisanat. La population Sami est désormais en majorité urbanisée, même si un nombre substantiel vit encore dans les villages de l'Arctique profond. Le principal sujet de préoccupation des Sami réside dans les menaces pesant sur leur environnement et leur mode de vie traditionnel du fait, d'une part, du réchauffement climatique, et d'autre part, des politiques de développement du Grand Nord et des projets d'exploration des ressources naturelles qui y sont liées. Les Sami doivent à présent faire face aux menaces culturelles et environnementales, incluant l'exploration pétrolière, les mines, la construction de barrages, l'exploitation forestière et le changement climatique.

En Norvège, les Sami cherchent aujourd'hui à se réapproprier leur identité et leur héritage culturel après avoir été longtemps confrontés à une forte politique d'assimilation de la part du gouvernement. Après un mouvement de protestation dans les années 1980 et une lutte acharnée pour la promotion de leurs droits, les Sami obtienne dix ans plus tard l'établissement d'une assemblée de représentant élus, le Sámediggi. Le Parlement Sami de Norvège se compose de 39 membres élus pour 4 ans, comprenant 7 circonscriptions venant de tout le pays. Bien que disposant d'une enveloppe de 46 millions d'euros en 2016, le rôle du Parlement reste consultatif.

Le rapprochement opéré entre le gouvernement norvégien et le Parlement des Sami contribue aujourd'hui au désenclavement économique et politique du peuple Same. Néanmoins, il reste beaucoup à faire s'agissant du développement des questions Sami par le Gouvernement, où la tendance à l'examen de ces questions stagne, voire recule. En outre, un pourcentage non négligeable de Sami est encore aujourd'hui discriminé, notamment via les réseaux sociaux.

Loin de viser une autonomie complète, les Sami recherchent une forme d'intégration dans la société norvégienne qui soit respectueuse de leurs traditions.

En Finlande, l'année 2017 est une année fondatrice pour le peuple Same, le dernier peuple autochtone d'Europe car elle marque le centenaire du premier Congrès lapon, qui s'est tenu à Trondheim en Norvège en mars 1917. Par ailleurs, les cent ans de l'indépendance de la Finlande sont également célébrés cette année. La reconnaissance politique des Sami est récente. Datant des années 1997, elle est liée à des considérations environnementales : protéger les zones pastorales pour l'élevage de rennes menacées par la construction d'ouvrages. Sur le plan culturel, la Constitution finlandaise reconnait un droit à conserver et à développer la culture et la langue Same, sans pour autant lui octroyer le statut de langue officielle contrairement au finnois et au suédois. Un parlement local (Sámediggi) a été créé, composé de 21 membres renouvelés tous les quatre ans.

En Suède, il existe également un parlement Sami depuis 1993, comprenant 31 membres élus. Bien que privés de leurs droits fonciers la même année, une décision de la cour de justice suédoise de février 2016, accorde aux Sami le droit de chasser et pêcher sur leurs propres terres uniquement sur une partie de leur territoire, au terme d'un combat de haute lutte. Malgré le fait que l e droit international ne contraint aucunement la Suède à reconnaître l'existence de droits spéciaux pour le peuple Sami, que ces derniers soient des autochtones ou non , l'État suédois a accordé aux langues Sames e n 2000, le statut de langues minoritaires officielles.

En Russie, le Parlement Sami de Russie fut fondé en 2000 sur le modèle des parlements Sami des pays nordiques. Il fut le fruit de la réflexion émanant du 1 er Congrès des Sami de Russie, en 2008. Au regard du faible nombre estimé de Sami Russe, la langue Same est plus particulièrement menacée de disparaître en Russie.

De manière générale, il existe peu d'informations disponibles sur les Sami de Russie.

La recherche d'une unité de vues parmi les Sami des différents États est devenue essentielle afin de faire face aux nouvelles problématiques contemporaines, telles que le réchauffement climatique et le regain d'intérêt des puissances internationales et du secteur privé pour la région Arctique. Il existe plusieurs instances qui coordonnent les positions des États comme le Conseil Sami, le Conseil Parlementaire Sami, ou le Comité de langue Sami.

Par ailleurs, les mesures prises par la Norvège ont été souvent suivies de près par des initiatives similaires en Finlande et en Suède. La Norvège a notamment été la première à instaurer un Sámediggi, ce qui a entrainé  la création de Parlements Sami en Suède et en Finlande par processus d'émulation. Il convient de souligner que le Sámediggi norvégien est le plus grand des trois, par le nombre de députés et le budget, et aussi le plus puissant.

Est actuellement en projet, une convention nordique Sami concernant la Norvège, la Suède et la Finlande. Elle prévoit notamment la création d'un Conseil de coopération composé de trois ministres responsables des intérêts Sami et des Présidents des parlements Sami.

Enfin, s'agissant de l'Union européenne, les autorités Sami estiment qu'elle semble particulièrement éloignée de leurs préoccupations.

Là où la communication conjointe reste encore évasive, le Parlement prône des mesures fortes et concrètes, parmi lesquelles se distinguent :

- la demande faite à la Commission d'élaborer des mesures concrètes pour mettre en oeuvre sa politique ;

- un appel en faveur d'un plan d'action concret pour lequel « la préservation de l'écosystème vulnérable de l'Arctique devrait être le point de départ » ;

- la demande d'un moratoire sur la pêche industrielle pour les zones qui n'étaient pas concernées jusqu'alors par la pêche ;

- l'interdiction de « l'extraction pétrolière dans les eaux arctiques gelées de l'Union européenne et de l'Espace économique européen » ;

- l'interdiction du chalutage de fond dans les zones de haute mer de l'Arctique ;

- la création d'une unité au sein du SEAE pour les politiques septentrionales ;

- la création d'une représentation des peuples autochtones de l'Arctique à Bruxelles ;

- l'accroissement du financement européen de la recherche en Arctique dans le prochain cadre financier pluriannuel ;

- la coopération parlementaire, notamment avec les parlements nationaux des États membres concernés par les questions relatives à l'Arctique.

Au final, le Parlement dessine ce que devrait être l'action de l'Union, là où la Commission s'est contentée de fixer un cadre. Il élargit aussi le constat sur lequel se fonder. Il évoque l'intérêt économique de la Chine et demande que la relation avec la Russie soit intégrée dans la politique pour l'Arctique, fondée sur un dialogue lucide et sélectif.

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