B. UN PROJET EMBLÉMATIQUE, PARFOIS POLÉMIQUE, MAIS MAL CONNU

Comme le note le chercheur Alexandre Kazerouni, « le Louvre Abou Dhabi n'a pas le même sens selon qu'il est vu depuis la France ou les Émirats arabes unis » 9 ( * ) : en France, le projet a été marquée d'emblée par une vive polémique sur la marchandisation du patrimoine tandis qu'aux Émirats arabes unis, il s'intègre dans une stratégie plus large de rayonnement sur la scène internationale par la constitution d'un district culturel dont il paraît probable qu'il s'adresse, au moins dans un premier temps, davantage aux expatriés et aux touristes internationaux qu'à la population locale - bien que le futur musée semble également viser les publics scolaires émiriens, comme en témoigne la création d'un musée des enfants.

1. Un projet emblématique pour les Émirats arabes unis

La volonté des Émirats arabes unis d'ouvrir un « Louvre » à Abou Dhabi s'inscrivait à l'origine dans le projet de la constitution d'un « district culturel », sur l'île de Saadiyat , qui était, semble-t-il, destiné à renforcer le rayonnement d'Abou Dhabi.

Les Émirats arabes unis : une fédération comptant environ 10 millions d'habitants

Seule fédération du monde arabe , l'État des Émirats arabes unis regroupe sept émirats : Abou Dhabi, Dubaï, Ajman, Charjah, Fujaïrah, Ras Al Khaïmah et Oumm al Qaïwaïn.

Créée en 1971 au départ des Britanniques et peuplée d'environ 10 millions d'habitants, dont 12 % de nationaux , la fédération a pour capitale Abou Dhabi . D'une superficie de 82 880 km² (soit une taille comparable à environ 13 % du territoire français), les Émirats arabes unis ont pour voisins Oman et l'Arabie saoudite.

L'État des Émirats arabes unis est un des six membres du Conseil de coopération des États arabes du Golfe (CCEAG, avec l'Arabie saoudite, le Qatar, le Koweït, Oman et Bahreïn), de la ligue des États arabes et de l'Organisation de la Coopération Islamique.

Le fondateur de la fédération décédé en 2004, Cheikh Zayed ben Sultan Al Nahyan, est à l'origine des grandes orientations stratégiques et économiques du pays.

Les Émirats sont l'un des premiers pays producteurs d'hydrocarbures dans le monde , avec des réserves prouvées de 98 milliards de barils principalement situées dans l'émirat d'Abou Dhabi. En quatre décennies, une gestion maîtrisée de la manne pétrolière accompagnée d'une diversification de l'économie ont permis un rapide développement économique.

En matière de coopération militaire, la France est le deuxième partenaire des Émirats arabes unis par la nature et le nombre des actions (plus d'une centaine annuellement).

Source : ministère des affaires étrangères

L'ensemble imaginé par les Émiriens comprenait au départ plusieurs autres musées qui réunissaient des institutions culturelles jouissant d'une renommée mondiale et des « grands noms » de l'architecture : étaient ainsi prévus, outre le Louvre Abou Dhabi - pour la construction duquel l'architecte Jean Nouvel avait déjà été sélectionné - une annexe du Guggenheim abritée dans un bâtiment de l'architecte canadien Frank Gehry, un musée maritime conçu par l'architecte japonais Tadao Ando, un musée national portant le nom du Cheikh Zayed (fondateur de la fédération des Émirats arabes unis) créé par l'architecte britannique Norman Foster et une salle de spectacle et de concert ( Performing Arts Center ) conçue par l'architecte irakienne Zaha Hadid.

Si tous ces projets n'ont pas été officiellement abandonnés 10 ( * ) , ils semblent aujourd'hui au point mort et le Louvre Abou Dhabi est très nettement le plus avancé , ce qui confirme la priorité donnée à ce projet du côté émirien et témoigne de la protection juridique et diplomatique que constitue l'accord intergouvernemental de 2007.

2. Une vive polémique en France lors du lancement du projet

L'accord de 2007 était sans précédent tant par son objet - la création ex nihilo d'un musée étranger portant le nom d'un grand musée national français - que par sa durée de trente ans et demi.

Le caractère inédit de cette coopération culturelle explique peut-être pour partie les polémiques qui ont émaillé la mise en oeuvre de l'accord, accusé par certains de constituer une forme de commercialisation du patrimoine et des musées français.

Le lancement du projet a été particulièrement houleux : dès décembre 2006, une tribune publiée dans le journal Le Monde sous le titre « Les musées ne sont pas à vendre » et signée par trois historiens de l'art, anciens conservateurs de musées (Françoise Cachin, Jean Clair et Roland Recht) condamnait le projet dans son principe avant même que les modalités de sa mise en oeuvre ne soient rendues publiques.

Des interrogations ont depuis ressurgi de façon épisodique , concernant en particulier les conditions de travail sur le chantier de construction du musée et le processus d'acquisition des oeuvres par la partie émirienne.

3. Des conditions concrètes de mise en oeuvre de l'accord qui demeurent mal connues

Aucun rapport n'a été rendu public sur le fonctionnement de l'Agence France-Muséums et la mise en oeuvre de l'accord de 2007 . Ainsi, la plupart des informations aisément disponibles relatives au projet du Louvre Abou Dhabi relève d'articles de presse.

Le caractère réduit des informations disponibles s'explique principalement par trois facteurs : tout d'abord la sensibilité du dossier, tant pour la partie française que pour les Émirats arabes unis, mais aussi sa complexité et enfin le statut privé de l'agence française chargée de le mettre oeuvre. En effet, dans la mesure où l'Agence France-Muséums est une société privée qui n'est pas financée par le budget de l'État, elle ne figure pas au sein des opérateurs du ministère de la culture et son activité n'est pas retracée dans les documents budgétaires.

C'est pourquoi il a paru utile, dix ans après la signature de l'accord du 6 mars 2007 entre la France et les Émirats arabes unis, de faire le bilan des actions menées par la France et des perspectives pour les années à venir .


* 9 A. Kazrouni, Le Miroir des cheikhs : musée et politique dans les principautés du golfe Persique , PUF, 2017, p. 164.

* 10 La page internet émirienne officielle dédiée à l'île de Saadiyat les mentionne toujours.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page