B. LA CARTE DES RADARS DOIT ÊTRE MIEUX CORRÉLÉE À CELLE DES ACCIDENTS

1. Un renforcement des réseaux départementaux et communaux au détriment des réseaux autoroutiers et nationaux

L'équipement des réseaux départementaux et communaux, où se produisent la majorité des accidents, doit être renforcé, au détriment des réseaux autoroutiers et nationaux, au risque de réduire significativement les recettes du contrôle sanction automatisé.

(1) Une répartition inégale et contrastée selon le type de réseau routier

Un suréquipement des réseaux autoroutiers et nationaux par rapport aux réseaux départementaux et communaux est constaté.

Certes la répartition des équipements fixes privilégie le réseau autoroutier (11 560 km), qui représentent environ 30 % du trafic , mais concentre moins de 7 % des accidents (2010-2014) et 15 % des équipements fixes 51 ( * ) .

Cependant le décalage observé est encore plus flagrant sur les nationales - 4 % du trafic - qui concentrent 26,5 % des équipements fixes mais 8,4 % des accidents.

A l'inverse, 83 % des accidents se produisent sur les routes départementales et communales mais ces réseaux ne rassemblent 55 % des équipements fixes.

(2) Une priorité donnée aux nationales et aux autoroutes fondée sur la plus grande concentration des accidents sur le réseau autoroutier, alors que le risque s'avère plus « dilué » sur le réseau départemental

En 2014, on constate un décès pour 45 km de route nationale , un pour 52 km d'autoroute , et un pour 179 km de route départementale . Selon la délégation à la sécurité routière (DSR), dans la mesure où le risque est plus « dilué » sur les routes départementales et communales, il est « donc logique que les zones de concentration des accidents, celles qui ont permis de déterminer les emplacements adaptés pour les radars, se soient plus souvent retrouvées sur autoroute ou route nationale en regard de la taille du réseau concerné ».

Malgré un nombre de morts plus élevé sur les départementales que sur les nationales ou les autoroutes, les zones d'accidents, selon la DSR « n'ont connu pour la plupart qu'un seul accident mortel ».

Même si le nombre de morts sur route départementale (2 107 en 2014) est environ cinq fois plus élevé que sur route nationale et autoroute (434 au total pour les deux en 2014), il correspond à un réseau tellement étendu que les zones d'accidents mortels n'ont connu pour la plupart qu'un seul accident qui de plus n'était pas toujours lié à la vitesse. Pour cette raison, et toujours selon la DSR « ce réseau n'était pas adapté à la stratégie des radars fixes qui prévalait jusqu'au Comité interministériel de la sécurité routière du 2 octobre 2015 ».

En outre, il est à noter que les autoroutes constituent le réseau routier où le trafic progresse le plus sur la période 2005-2014 (+ 24 %), alors qu'il augmente beaucoup plus modestement sur les autres réseaux (+ 5,5 %).

Le déploiement massif, à partir de 2016, des « leurres par panneaux » complété par celui des « cabines leurre », devrait permettre, d'après la DSR, de réduire les accidents sur des réseaux où les accidents sont plus diffus sur un tronçon donné que sur une autoroute ou une route nationale.

(a) La surreprésentation des radars discriminants sur les autoroutes - qui en concentrent 36,5 % en 2014 - tient à la nature de l'infraction détectée grâce à ces équipements

Concernant les radars discriminants , leur implantation est pertinente uniquement sur des routes où il y a une différence de vitesse maximale autorisée entre véhicules légers et poids lourds , et dans les cas où le trafic de poids lourds est problématique au niveau de la vitesse et de l'accidentalité. Les emplacements pertinents se situent donc essentiellement sur autoroutes, voies express et nationales, mais beaucoup moins sur le réseau départemental, moins fréquenté par les poids lourds.

S'agissant des radars double sens, il a été décidé de concentrer leur déploiement dans les départements connaissant le plus grand nombre d'accidents sur routes bidirectionnelles afin d'obtenir le plus rapidement possible une baisse de l'accidentalité, ce que n'aurait pas permis un éparpillement des équipements sur l'ensemble du territoire.

Sur la base de ce principe, la Vendée et l'Oise accueillent plus de radars « double sens » que les autres départements, parce qu'elles comptent un nombre plus important de sites éligibles (routes bidirectionnelle avec limitation de vitesse identique dans les deux sens de circulation, absence de terre-plein central ou de zébra, et ligne droite suffisante pour répondre aux exigences métrologiques).

(3) Le montant des recettes engendrées par les infractions relevées sur autoroutes est presque aussi élevé que le montant cumulé des recettes liées aux autres réseaux routiers

L'analyse des recettes perçues par type de réseau routier fait en revanche apparaître, en 2015, une surreprésentation des autoroutes (31,6 % des avis) au détriment des départementales (14,8 %) et des nationales (14,8 %), sachant qu'une part significative (28,5 %) des avis de contravention n'est rattachée à aucun réseau.

Répartition des recettes enregistrée par type de réseau routier en 2015

Type de voirie

Total général des recettes
(en euros)

Part
des recettes
(en %)

Agglomération

587 013

4,62

Autoroute

4 005 759

31,55

Chemin communal

89 981

0,71

Route départementale

1 874 168

14,76

Route express

578 846

4,56

Route nationale

1 874 300

14,76

Route secondaire

123

0,00

Ouvrage d'art

64 569

0,51

Voie spécialisée

7 448

0,06

Non renseigné 52 ( * )

3 614 876

28,47

Total

12 697 083

100,00

Source : ANTAI - réponse de la délégation à la sécurité et à la circulation routières (DSCR) au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial (projet de loi de finances pour 2017)

2. Des départements aux performances contrastées
a) Des départements voisins, de densité urbaine proche, se distinguent par des baisses de la mortalité plus ou moins prononcées

Le tableau infra retraçant l'évolution du nombre d'accidents corporels au cours d'une décennie (2005-2015) et indiquant le nombre de radars fixes installés dans chaque collectivité, fait apparaître de fortes disparités entre les départements .

Certains départements affichent une baisse du nombre d'accidents corporels supérieur à 60 % tels que les Ardennes (- 61,8 %), l'Eure (- 62,1 %), le Puy-de-Dôme (- 70,3 %), la Côte d'Or (- 71,4 %), la Corse-du-Sud (- 72,2 %).

En revanche, certains départements - principalement situés en Île-de-France - affichent un nombre d'accidents corporels en légère ou significative augmentation pendant la même période.

C'est le cas, notamment, des Côtes d'Armor (+ 0,5 %), de la Seine-Saint-Denis (+ 2 %), de l'Aude (+ 2,7 %), des Hauts-de-Seine (+ 10,8 %), du Val-de-Marne (+ 19,3 %).

Il est intéressant de souligner que des départements voisins, de densité urbaine proche , tels que l'Essonne (- 6,7 %) ou le Val d'Oise (- 21,3 %) se distinguent par des baisses plus ou moins prononcées .

Par ailleurs, les taux d'équipement (nombre de radars fixes/ population) varient fortement : 1,84 0 / 000 en Haute-Marne, contre 0,11 0 / 000 en Seine-Saint-Denis, pour une moyenne de 0,64 0 / 000 .

Les dix départements affichant le taux d'équipement le plus élevé 53 ( * ) enregistrent - à l'exception de l'Aube (- 37,90 %) et du Cantal (- 30,40 %) des baisses du nombre d'accidents corporels supérieures - voire très supérieures à la moyenne des départements (- 38,9 %).

A l'inverse, les 5 départements présentant le taux d'équipement le plus faible 54 ( * ) , affichent des baisses des accidents corporels très inférieures à la moyenne, voire pour le Val-de-Marne, et surtout la Seine-Saint-Denis, une hausse de ces accidents.

Bilan des radars implantés (2016) et de l'accidentalité (2005-2015) dans les départements français

Source : réponse de la délégation à la sécurité et à la circulation routières (DSCR) au questionnaire budgétaire concernant le projet de loi de finances pour 2017

Néanmoins, il apparaît difficile d'établir une corrélation étroite entre le taux d'équipement et l'évolution de l'accidentalité.

Il est d'ailleurs observé que des départements comparables en termes de population, de densité, et de réseaux routiers, affichent des performances plus ou moins remarquables , voire, parfois, une augmentation des accidents corporels :

L'Indre-et-Loire qui compte 600 000 habitants, une densité de 97 habitants/km 2 , est dotée de 42 radars dont 21 classiques/double sens et a été équipée de 15 nouveaux radars sur la période 2011-2015. Ce département enregistre une hausse de 34,5 % d'accidents corporels entre 2005 et 2015.

L'Eure, dont la population (610 000 habitants) et la densité (98 habitants/km 2 ) est très proche de celle de l'Indre-et-Loire, compte un nombre de radars identiques (42 dont 27 classiques ou doubles sens) et a été pourvue de 14 nouveaux radars sur la période 2011-2015, est caractérisée par une baisse de 62,10 % d'accidents corporels pendant la même période.

À l'opposé, deux départements plus peuplés , la Loire-Atlantique (1 379 000 habitants, 195 habitants/km 2 ) et la Haute-Garonne (1 356 000 habitants, 206 habitants/km 2 ) caractérisés par des populations et densités proches, et équipés d'un nombre de radars comparable (47 contre 49), enregistrent des performances presque similaires : - 43,80 % d'accidents corporels entre 2005 et 2015 pour la Loire-Atlantique, - 44,40 % pour la Haute-Garonne.

Le lien entre le nombre de radars implantés et la baisse du taux d'accidents est loin d'être établie, même si l' on ne peut exclure que les effets d'un appareil situé dans un département puissent affecter le département limitrophe .

D'autre part, certains départements moins bien dotés ces dernières années peuvent afficher des taux similaires voire meilleurs à ceux où l'on a installé un nombre plus important de radars .

Ainsi, la Drôme (506 000 habitants) a été équipée de 2 radars entre 2011 et 2015 et voit son nombre d'accidents corporels diminuer de 16,9 % pendant cette période. Le Doubs (537 000 habitants) a été doté de 13 nouveaux radars mais enregistre une baisse plus faible (- 9,2 %).

A l'inverse, le Calvados (695 000 habitants) a été doté de 3 radars pendant la même période et a enregistré une augmentation de 27,5 % du nombre d'accidents corporels.

Les deux départements corses , montagneux et caractérisés par des réseaux accidentés, affichent des performances contrastées . La Corse-du-Sud, équipée de 6 nouveaux radars entre 2011 et 2015, voit son nombre d'accidents corporels diminuer de 43,5 % tandis que la Haute-Corse, pourvue de 4 nouveaux radars, enregistre une baisse 10,3 % au cours de la même période.

Invitée à préciser la corrélation entre l'accidentalité observée dans les départements et la répartition des radars, la délégation à la sécurité routière (DSR) a émis des réserves sur les conclusions qui pouvaient être tirées des disparités observées entre les départements.

Elle souligne notamment qu'un département peut être peu peuplé mais accueillir un nombre important de radars, compte tenu du caractère accidentogène des axes qui le traversent - ce qui serait le cas, par exemple, de la Haute-Marne - et du trafic sur ces axes. Il convient également de noter qu'il n'y a pas forcément de lien direct entre la population d'un département et le nombre de véhicules qui le parcourent .

Par ailleurs, un département fortement peuplé, par exemple les Bouches-du-Rhône, peut englober un nombre important de radars mais qui donne lieu à un ratio par habitant relativement faible.

b) Des explications culturelles et sociales avancées pour expliquer ces disparités

La délégation à la sécurité routière (DSR) indique également que les différences entre des départements « similaires » peuvent être expliquées par des facteurs culturels . Par exemple, une étude du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) et de l'Université d'Angers 55 ( * ) a conclu que les perceptions des « transgressions légitimes » peuvent varier d'une région à l'autre et contribuent à expliquer les évolutions différentes des taux de mortalité entre la Loire-Atlantique et deux départements méditerranéens (le Gard et l'Hérault).

À cet égard, il est à noter que parmi les 20 départements comptant le nombre de morts par million d'habitants sur la route le plus élevé en 2015, 15 appartiennent aux régions situées au Sud de la Loire (Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et Provence-Alpes-Côte d'Azur). A l'inverse, parmi les 20 départements comptant le moins de morts par million d'habitants , 13 sont situés dans des régions du « Nord » de la France (Île-de-France, Normandie, Bretagne, Grand Est) tandis que les régions méditerranéennes (Occitanie et Provence-Alpes-Côte d'Azur) ne comptent aucun représentant. On ne saurait tirer de conclusion hâtive de cette répartition : les classements des 20 départements comptant le plus et le moins d' accidents par million d'habitants, apparaissent en effet très différents des précédents. L'Île-de-France, région la plus peuplée et où le trafic est particulièrement élevé, classe 6 de ses départements parmi les 20 départements comptant le plus d'accidents par million d'habitants tandis que les régions situées au Sud de la Loire ne sont pas surreprésentées. Parmi les 20 départements où l'on dénombre le moins d'accidents, un quart appartient à la région Grand Est tandis que le « Sud », avec 8 départements, n'est pas sous-représenté.

De même, l'évolution de la mortalité sur la période 2010-2016 apparaît très contrastée selon les régions, et ne fait pas apparaître « une France coupée en deux ». La région « Hauts-de-France » est l'unique région où la mortalité progresse. La Provence-Alpes Côte d'Azur, l'Occitanie, et la Normandie enregistrent des baisses plus significatives que la Bretagne ou l'Auvergne-Rhône-Alpes.

D'autres études mettent établissent un lien entre la sociologie urbaine ou les inégalités sociales et l' accidentalité .

Selon le chercheur Mathieu Grossetête, « l'embourgeoisement des centres-villes relègue les classes populaires toujours plus loin du bassin d'emploi ; elles sont plus nombreuses à emprunter quotidiennement les routes secondaires , plus dangereuses, tandis que les automobilistes plus aisés circulent surtout en ville ou sur autoroute , qui est l'infrastructure la plus sûre, mais aussi la seule qui exige un péage . » 56 ( * ) . Alors qu'ils ne représentent que 13,8 % de la population française âgée de 15 ans et plus, il constate que les ouvriers comptaient pour 22,1 % des 3 239 personnes décédées sur la route en 2007 et pour 19 % des blessés hospitalisés.

Enfin, Nicolas Renahy 57 ( * ) , dans une étude ayant pour objet un village de Bourgogne, constate que les jeunes qui éprouvent des difficultés à trouver un emploi adopteraient davantage des comportements à risque afin de compenser leur manque de valorisation sociale .

Or, il s'avère que certaines régions qui enregistrent les taux de chômage les plus élevés - tels que les Hauts-de-France ou les régions d'outre-mer - sont également marquées par une accidentalité élevée. À titre d'exemple, la région des Hauts-de-France est la seule région de l'Hexagone à connaître une augmentation du nombre de tués sur les routes entre 2010 et 2016. Même si ces explications ne peuvent à elles seules justifier une accidentalité élevée - les Hauts-de-France par exemple, sont en effet la plaque tournante du transport vers le Bénélux et le Royaume-Uni - elles méritent également d'être prises en compte.

c) Les nouveaux types de radars doivent davantage bénéficier aux départements et territoires d'outre-mer qui ne comptent aucun radar discriminant, radar feux rouges ou vitesse moyenne

En 2016, la délégation à la sécurité et à la circulation routières (DSCR) indique que les marchés publics en vigueur ne permettraient pas d'équiper les DOM-TOM et la Corse , qui, par conséquent, ne pouvaient bénéficier que de radars fixes 58 ( * ) . Cet argument ne peut être considéré comme valable : les marchés en question peuvent faire l'objet d'un avenant ou être renouvelés afin que leur périmètre inclue l'ensemble du territoire national.

Recommandation n° 5 : Mieux corréler l'implantation et les trajets des radars à la carte de l'accidentalité : renforcer l'implantation des radars sur les réseaux départementaux et communaux et remédier aux disparités observées entre les départements.

Recommandation n° 6 : Étendre les nouveaux types de radars à la Corse et aux départements et régions d'outre-mer.


* 51 Hors radars feux rouges, vitesse moyenne, passages à niveau, mobiles.

* 52 28,47 % des amendes forfaitaires apparaissent comme « non renseignées » et ne peuvent donc être attribuées à un type de réseau.

* 53 Par taux d'équipement décroissant : la Haute-Marne, le Tarn-et-Garonne, la Charente, la Lozère, le Tarn-et-Garonne, le Cantal, le Lot-et-Garonne, le Gers, la Haute-Loire, l'Aube et la Creuse.

* 54 Par taux d'équipement décroissant : le Finistère, Paris, la Réunion, le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis.

* 55 « Étude sur les comportements locaux des usagers de la route dans le Gard et l'Hérault. », 2012, CEREMA et Université d'Angers.

* 56 Mathieu Grossetête, « Accidents de la route et inégalités sociales. Les morts, les médias et l'État », Éditions du Croquant, Bellecombe-en-Bauges, 2012.

* 57 Nicolas Renahy, « Gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale, La Découverte », Paris, 2005.

* 58 Cette situation est d'autant plus préoccupante que la Guyane - 109 morts par million d'habitants en 2015 - et la Guadeloupe - 133 morts - enregistrent des taux de mortalité par million d'habitants nettement supérieurs aux résultats les plus élevés des pays de l'Union européenne - la Lettonie et la Roumanie - qui comptaient 95 tués par million d'habitants en 2015.

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