B. ÉTENDRE CES MESURES AUX MÉDECINS, LA PANACÉE ?


Vos rapporteurs se sont fait l'écho, au cours de leurs auditions, de plusieurs propositions visant à généraliser aux médecins libéraux le dispositif de conventionnement sélectif dans les zones sur-dotées prévu pour les infirmiers.

Dans un rapport d'information sur l'aménagement du territoire présenté par son président Hervé Maurey et notre collègue Louis-Jean de Nicolaÿ 54 ( * ) , la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a récemment réitéré cette proposition , déjà formulée en 2013 par son groupe de travail relatif à la présence médicale sur l'ensemble du territoire 55 ( * ) .

Lors de leur audition par vos rapporteurs, le représentant de l'association des maires ruraux de France de même que les représentants des associations d'usagers du système de santé, ont également suggéré d'aller dans cette voie. Il faut noter que l'UFC-Que Choisir suggère de ne rendre le conventionnement possible dans les zones sur-dotées qu'en secteur 1, pour concilier les enjeux d'accès géographique et financier aux soins.

Vos rapporteurs sont attentifs aux arguments mis en avant par les promoteurs de cette mesure, lesquels considèrent :

- qu'une disposition plus coercitive s'impose, du fait du trop faible impact des dispositifs incitatifs jusqu'alors « testés » ;

- que le fait de circonscrire le conventionnement sélectif à certaines professions de santé, à l'exception d'autres et notamment des médecins, ne serait pas justifié ;

- que l'intérêt général de la population, en termes d'accès aux soins, doit primer sur les intérêts particuliers des professionnels libéraux et donc sur le principe de liberté d'installation ;

- enfin, que la sur-densité de professionnels de santé dans certaines zones du territoire serait à l'origine d'une sur-consommation de soins pesant sur la dépense collective de santé.

Ce dernier argument a été confirmé par la Cour des comptes dans une étude précitée portant sur les dépenses de soins infirmiers et de masso-kinésithérapie en exercice libéral de septembre 2015.

La Cour note en effet « une forte corrélation entre densité de professionnels et consommation de soins » : « dans les régions les mieux dotées, le nombre moyen de patients suivis par auxiliaire médical est très inférieur à la moyenne nationale, ce qui s'explique par l'abondance de l'offre. En revanche, le nombre d'actes pratiqués et les honoraires perçus par patient sont généralement très supérieurs à la moyenne nationale et inversement proportionnels au nombre de patients suivis. Pour les infirmiers, ils approchent ou dépassent 800 € par patient et par an en Corse et en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), contre 159 € en Pays-de-la-Loire ou 166 € dans le Centre. »


Le Sénat a eu à débattre à de nombreuses reprises de propositions visant à limiter le conventionnement des médecins dans les zones sur-denses tout en préservant le principe de libre installation.

Votre commission des affaires sociales a toujours rappelé sa position défavorable à l'égard d'une mesure introduite par la voie législative et son souhait d'une négociation conventionnelle sur ce sujet.

À l'issue de leurs travaux, vos rapporteurs demeurent sceptiques quant à l'opportunité et à l'efficacité d'une telle mesure de régulation pour répondre au défi des zones médicalement sous-dotées .

D'une part, contrairement aux autres professions qui y étaient favorables, comme c'était le cas des infirmiers, le corps médical y est majoritairement hostile , y compris et surtout les jeunes et les internes qui seraient les principaux concernés. Le représentant du conseil national de l'ordre des médecins entendu par vos rapporteurs a estimé que cette mesure serait, dans ce contexte, inefficace.

Elle pourrait détourner des jeunes médecins de l'exercice en libéral, ce qui serait un effet contre-productif. C'est d'ailleurs en ce sens que la ministre des solidarités et de la santé a récemment exprimé son opposition à cette contrainte imposée aux jeunes médecins , qui pourrait les conduire à changer de métier ou à se diriger vers l'industrie pharmaceutique 56 ( * ) . En outre, comme l'avait d'ailleurs relevé Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, lors des débats engagés sur ce sujet au cours de l'examen du PLFSS pour 2017, l'absence de conventionnement pourrait conduire certains patients à ne plus être remboursés par la sécurité sociale, favorisant l'instauration d'une « médecine à deux vitesses ».

D'autre part, l'instauration du principe « une installation pour un départ » dans les zones sur-dotées n'apporte nullement la garantie d'un rééquilibrage géographique de l'offre de soins au profit des zones sous-dotées .

Cette mesure ne dispense pas, d'ailleurs, pour les professions concernées, d'aides incitatives pour favoriser l'installation dans les zones sous-dotées. Elle ne peut en outre avoir un impact qu'à un horizon très lointain , puisque le conventionnement des médecins en exercice ne serait pas remis en question.

D'autres pays, confrontés à des difficultés en termes de démographie médicale, ont fait le choix de restreindre la liberté d'installation sans pour autant noter des effets significatifs sur la répartition géographique des médecins : c'est le cas de l' Allemagne , avec le « Bedarfsplan » dont le principe est de ne pas autoriser d'installation supplémentaire de médecins dans une zone dès lors que le nombre de médecins par habitant dépasse 110 % de la cible.

Comme le soulignait un récent rapport présenté au nom de la Mecss sur l'organisation et le financement de la médecine de ville en Allemagne 57 ( * ) , les interlocuteurs allemands ont fait le constat que ce dispositif « ne parvient pas à résoudre, d'une part, le manque de spécialistes et de généralistes dans les Länder de l'Est dont la population a baissé, et, d'autre part, l'excédent d'offre dans les Länder plus dynamiques de l'Ouest. En effet, si le conventionnement sélectif permet d'empêcher l'implantation de nouveaux médecins dans les zones sur-denses, il ne parvient pas à l'imposer dans les zones sous-denses . On constate, en fait, une fuite des médecins vers d'autres formes d'exercice, ou une implantation à la frontière des zones sur-denses. »

Comme souligné plus haut, le bilan des mesures existantes pour les infirmiers semble confirmer ces constats.

En outre, le contexte démographique et professionnel des professions concernées par ces mesures est différent de celui des médecins , en particulier de celui des médecins généralistes autour desquels se cristallisent les difficultés d'accès aux soins. Il est fort probable que les zones considérées comme sur-dotées en médecins généralistes soient rares et même de plus en plus rares. La ville de Paris, qui compte parmi les plus fortes densités en médecins généralistes, a vu leurs effectifs diminuer de près de 25 % entre 2007 et 2016, ce qui l'a conduit à engager, en 2015, un programme de soutien à l'installation en secteur 1. A l'inverse, comme l'a notamment reconnu la présidente de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, la démographie très dynamique de certaines professions paramédicales peut créer des tensions sur les revenus d'activité de certains praticiens, voire des problèmes ponctuels de chômage.


• Plus généralement, vos rapporteurs ont été attentifs aux attentes de plusieurs représentants des professions de santé, et notamment du syndicat national des dentistes des centres de santé, de voir préciser une cartographie des besoins pour évaluer ce que pourrait être la bonne densité de professionnels sur un territoire .

Ce travail, qui devrait être engagé de façon concertée entre l'assurance maladie, les ordres et les syndicats, paraît en effet comme un préalable nécessaire à toute forme de contingentement des installations. Les représentants de l'ordre des infirmiers et de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes ont d'ailleurs souligné la nécessité de faire reposer ces dispositifs sur des données qui ne soient pas contestées et notamment d'assurer une actualisation régulière des zonages.


* 54 « Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité », rapport d'information n° 565 (2016-2017) de MM. Hervé Maurey et Louis-Jean de Nicolaÿ, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, Sénat, 31 mai 2017.

* 55 « Déserts médicaux : agir vraiment », rapport d'information précité.

* 56 Interview de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, Le Parisien, 16 juin 2017.

* 57 Rapport d'information n° 867 (2015-2016) de MM. Jean-Marie Vanlerenberghe et Yves Daudigny, fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des affaires sociales, Sénat, 30 septembre 2016.

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