IV. LE CONTRÔLE DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ : DES AMÉLIORATIONS QUI RESTENT À PÉRENNISER

Il est utile de rappeler le contexte nouveau dans lequel le respect du principe de subsidiarité doit être apprécié. En effet, la Commission européenne, présidée par Jean-Claude Juncker, a affiché une volonté claire de réduire le nombre de ses propositions législatives pour recentrer son activité autour de quelques grandes priorités politiques. Cette volonté s'accompagne de l'objectif de mieux respecter le principe de subsidiarité.

1. Rappel sur le contrôle de subsidiarité : les avis motivés

Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1 er décembre 2009, le Sénat dispose de nouvelles compétences en matière de contrôle de la subsidiarité , visées à l' article 88-6 de la Constitution .

Il doit vérifier que l'Union européenne, en adoptant un projet d'acte législatif, resterait bien dans son rôle, qu'elle interviendrait à bon escient et éviterait l'excès de réglementation. À cette fin, le Sénat est désormais directement destinataire des projets d'acte législatif européens.

Le Sénat peut adopter un avis motivé prenant la forme d'une résolution s'il estime qu'une proposition législative ne respecte pas le principe de subsidiarité, dans lequel il indique les raisons pour lesquelles la proposition ne lui paraît pas conforme. Le délai pour adopter un avis motivé est fixé par les traités à huit semaines à compter de la date à laquelle le Sénat a été saisi du texte.

UN GROUPE DE VEILLE SUR LA SUBSIDIARITÉ

Un groupe pilote a été constitué au sein de la commission des affaires européennes afin d'effectuer un examen systématique des projets d'actes législatifs au regard du principe de subsidiarité. Le Règlement du Sénat permet, en effet, à la commission des affaires européennes d'adopter un projet d'avis motivé de sa propre initiative.

Ce groupe pilote est présidé par le président de la commission des affaires européennes et comporte un représentant de chaque groupe politique.

La commission issue du renouvellement sénatorial de septembre 2017 a reconstitué ce groupe de travail au cours de sa réunion du 12 octobre dernier.

Le Règlement du Sénat prévoit que tout sénateur peut déposer une proposition de résolution portant avis motivé. Celle-ci doit d'abord être adoptée par la commission des affaires européennes . Elle est ensuite soumise à l'approbation de la commission compétente au fond. Si celle-ci ne statue pas dans les délais, le texte élaboré par la commission des affaires européennes est considéré comme adopté. À tout moment de la procédure, le président d'un groupe peut demander un examen en séance publique. Une fois adopté, l'avis motivé est aussitôt transmis aux institutions européennes, la Commission, le Conseil et le Parlement européen.

Conformément au protocole n° 2 annexé aux traités sur l'Union européenne et sur le fonctionnement de l'Union européenne, si un tiers des parlements nationaux émet un avis motivé sur une même proposition législative, celle-ci doit être réexaminée par l'institution européenne concernée, qui peut décider de la maintenir, de la modifier ou de la retirer. C'est ce que l'on appelle le « carton jaune » . Ce seuil est abaissé à un quart des parlements nationaux pour les projets d'acte législatif intervenant dans le domaine de la coopération judiciaire et policière en matière pénale .

TROIS PRÉCÉDENTS EN MATIÈRE DE « CARTON JAUNE »

Les parlements nationaux ont adressé trois « cartons jaunes » à la Commission européenne :

- le premier concernait le paquet « Monti II », un ensemble de textes relatifs au droit de grève. Des assemblées parlementaires de douze États membres 6 ( * ) , représentant 19 voix, ont estimé que ces textes étaient contraires au principe de subsidiarité. La Commission a retiré ce paquet le 26 septembre 2012 ;

- le deuxième « carton jaune » visait la proposition de règlement créant un parquet européen. Des assemblées de dix États membres 7 ( * ) , représentant 18 voix, se sont exprimées dans le même sens. En revanche, la Commission a informé du maintien de son texte, par lettre du 13 mars 2013 ;

- le troisième « carton jaune », plus récent, porte sur la proposition de directive visant à réviser la directive de 1996 relative au détachement des travailleurs. Des assemblées de onze États membres 8 ( * ) , représentant 22 voix, ont considéré que ce texte, en particulier la question de la fixation des salaires, était contraire au principe de subsidiarité. Le 20 juillet 2016, la Commission a cependant maintenu son texte, en rappelant que la directive qu'elle propose de réviser date de plus de vingt ans.

En outre, dans le cadre de la procédure législative ordinaire (codécision entre le Parlement européen et le Conseil), si la moitié des parlements nationaux émet un avis motivé sur une même proposition législative, la Commission doit réexaminer sa proposition et décider soit de la maintenir, soit de la modifier, soit de la retirer. Si, malgré le nombre important d'avis négatifs, elle choisit de la maintenir, elle doit justifier cette décision en publiant elle-même un avis motivé indiquant les raisons pour lesquelles elle estime que cette proposition est conforme au principe de subsidiarité. De leur côté, le Parlement européen et le Conseil devront vérifier, avant d'achever la première lecture, la conformité du texte au principe de subsidiarité. Si le Parlement européen, à la majorité des suffrages exprimés, ou une majorité de 55 % des membres du Conseil estime qu'il n'est pas conforme, la proposition législative est rejetée et son examen n'est pas poursuivi. C'est ce que l'on appelle le « carton orange » .

Le contrôle de subsidiarité par le Sénat peut également s'effectuer a posteriori . C'est ce que l'on appelle le « carton rouge » . Le Sénat peut ainsi, en application de l'article 88-6 de la Constitution, former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne contre un acte législatif européen déjà adopté , dans les deux mois suivant cette adoption, afin de faire constater qu'il ne respecte pas le principe de subsidiarité.

La procédure de décision est la même que pour les avis motivés. Toutefois, la Cour de justice peut également être saisie, sans qu'une décision du Sénat soit nécessaire, dès lors qu'au moins soixante sénateurs en font la demande.

2. Les avis motivés adoptés par le Sénat

Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le Sénat a adopté 26 avis motivés au titre du contrôle de subsidiarité, soit :

- 1 en 2011 , sur les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement ;

- 10 en 2012 , sur l'accès aux ressources génétiques, la gestion collective des droits d'auteur et licences multiterritoriales de droits portant sur des oeuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne, le contrôle technique périodique des véhicules à moteur, le paquet « Monti II » (qui a atteint le seuil du « carton jaune ») , l'information du public sur les médicaments soumis à prescription médicale, la reconnaissance des qualifications professionnelles, le règlement général sur la protection des données, l'introduction de restrictions d'exploitation liées au bruit dans les aéroports, le développement du réseau transeuropéen de transport et le suivi et l'évaluation des projets de plans budgétaires dans les États membres de la zone euro ;

- 4 en 2013 , sur la déclaration de TVA normalisée, les commissions d'interchange pour les opérations de paiement liées à une carte, la création du parquet européen (qui a atteint le seuil du « carton jaune ») et le 4 e paquet ferroviaire ;

- 2 en 2014 , sur des mesures structurelles améliorant la résilience des établissements de crédit de l'Union européenne et le règlement sur les nouveaux aliments ;

- 4 en 2016 9 ( * ) , sur le paquet « déchets », les contrats de fourniture numérique et contrats de vente en ligne et de toute autre vente à distance de biens, le mécanisme d'échange d'informations en ce qui concerne les accords intergouvernementaux et les instruments non contraignants conclus entre des États membres et des pays tiers dans le domaine de l'énergie et l'organe des régulateurs européens des communications électroniques ;

- 5 en 2017 , sur les sujets suivants :

Texte européen

Proposition de résolution portant avis motivé de la commission des affaires européennes

Résolution

Réponse de la Commission européenne

Coordination des systèmes de sécurité sociale

N° 392 de M. Alain Vasselle déposée le 09/02/2017

N° 102 adoptée le 08/03/2017

Transmise le 08/06/2017

Procédure de notification des régimes d'autorisation et des exigences en matière de services

N° 430 de MM. Didier Marie et Jean-Paul Émorine déposée le 16/02/2017

N° 104 adoptée le 13/03/2017

Transmise le 08/06/2017

Contrôle de proportionnalité avant l'adoption d'une nouvelle réglementation de professions

N° 431 de MM. Didier Marie et Jean-Paul Émorine déposée le 16/02/2017

N° 105 adoptée le 17/03/2017

Transmise le 22/06/2017

Agence de l'Union européenne pour la coopération des régulateurs de l'énergie

N° 476 de MM. Jean Bizet et Michel Delebarre déposée le 23/03/2017

N° 108 adoptée le 05/04/2017

Transmise le 19/06/2017

Marché intérieur de l'électricité

N° 548 de MM. Jean Bizet et Michel Delebarre déposée le 09/05/2017

N° 109 adoptée le 16/05/2017

Transmise le 14/07/2017

Sur chacun de ces avis motivés, la Commission apporte une réponse, adressée au président de la commission des affaires européennes, avec copie à M. le Président du Sénat, ou l'inverse, ou au seul Président du Sénat, signée, comme les réponses aux avis politiques, par M. Frans Timmermans et le commissaire compétent.

Dans chacun de ses deux précédents rapports, votre commission des affaires européennes indiquait que, « à la différence de ses réponses sur les avis politiques, celles qui portent sur les avis motivés ne sont dans l'ensemble guère satisfaisantes. En effet, la Commission présente les grandes lignes du dispositif qu'elle propose, mais campe sur ses positions quant à l'appréciation portée sur le respect du principe de subsidiarité et ne répond pas vraiment aux objections du Sénat ».

Cette année, votre commission note une amélioration des réponses de la Commission aux avis motivés du Sénat. Non seulement, ces réponses sont plus argumentées, mais surtout elles portent davantage sur les points critiqués par le Sénat, ce qui permet d'entretenir un véritable dialogue, et paraissent soucieuses de donner plus de précisions utiles. Comme le note d'ailleurs la Commission dans l'une de ses réponses, « l'avis du Sénat a été transmis aux services compétents de la Commission et fera partie des notes d'information qui seront utilisées au moment de l'examen de la proposition avec les colégislateurs ». De ce point de vue, votre commission des affaires européennes constate que l'adoption d'avis motivés relatifs au respect du principe de subsidiarité conduit la Commission à mieux s'expliquer sur sa démarche.

Sur le fond, en revanche , si ces réponses traduisent indiscutablement une meilleure prise en compte que par le passé des positions du Sénat, elles ne marquent pas d'inflexion par rapport aux intentions initiales de la Commission qui continue de chercher à les justifier, alors même que le déroulement des négociations au Conseil peut, dans certains cas, conforter rétrospectivement les analyses du Sénat . Votre commission des affaires européennes ne peut donc qu'appeler la Commission à poursuivre ses efforts de manière à répondre au mieux aux observations du Sénat et... à mieux respecter le principe de subsidiarité. En effet, dans plusieurs de ses réponses, la Commission n'échappe parfois que difficilement au raisonnement tautologique : affirmer que l'uniformisation permet nécessairement d'atteindre l'objectif poursuivi par un texte de la Commission, n'est-ce pas vider de sa substance, voire de son utilité même, le contrôle de subsidiarité ? Si toute marge d'appréciation nationale devient inutile au regard de l'impératif d'atteindre des objectifs définis par la Commission, il n'y a plus de place pour le principe de subsidiarité. Dès lors, celui-ci ne peut être toujours respecté...

Sur la proposition de règlement visant à transformer l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE) en une agence européenne à part entière, le Sénat avait considéré que, dans sa forme actuelle, l'ORECE, qui rassemble des régulateurs nationaux des communications indépendants, avait démontré sa capacité à remplir ses missions et permis de renforcer la coopération entre ces régulateurs nationaux et les institutions européennes. Dès lors, le texte de la Commission lui était apparu comme risquant de remettre en cause un système de coopération à la fois souple et efficace qui avait aussi permis de préserver l'indépendance des régulateurs nationaux voulue par le législateur européen. En outre, le Sénat avait considéré que les modalités de nomination du directeur exécutif de la nouvelle agence, dont le rôle en son sein serait fondamental, ainsi que la désignation au sein du conseil d'administration de deux représentants de la Commission étaient de nature à porter atteinte à l'indépendance de l'ORECE vis-à-vis de la Commission.

La Commission se limite à apporter une réponse à la fois longue et vague, qui consiste à exposer l'économie générale de sa proposition, comme si elle en reprenait l'exposé des motifs, et à arguer du bien-fondé de sa position. Après avoir vanté la contribution de l'ORECE à la mise en place du marché unique des télécommunications - que l'avis motivé du Sénat n'a pas contesté, au contraire -, elle présente les grandes lignes de son texte en matière d'objectifs, de missions, de gouvernance, etc. Son argumentation paraît parfois contestable. Ainsi, par exemple, justifier en partie la proposition par une résolution du Parlement européen de 2016 sur le marché unique numérique ou par les principes communs retenus pour les agences décentralisées de l'Union européenne, quand on connaît la tentation uniformisatrice du premier et les nombreuses critiques dont ont pu faire l'objet les secondes, y compris de part de la Cour des comptes européenne, semble peu pertinent.

Surtout, sur l'indépendance de la future agence, la Commission se veut rassurante. Elle indique d'ailleurs que sa réponse se fonde « sur la proposition initiale présentée [par elle] , qui est actuellement soumise à la procédure législative associant le Parlement européen et le Conseil ». Or, le déroulement des négociations au Conseil confirme les analyses du Sénat, puisque plusieurs États membres refusent l'évolution envisagée de l'ORECE en une agence européenne aux pouvoirs accrus.

Le Sénat avait estimé que la proposition de règlement modifiant les règlements portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale porte atteinte au principe de subsidiarité car elle prévoit un recours à des actes d'exécution - qui, en outre, ne sont pas transmis aux parlements nationaux au titre du contrôle de subsidiarité - portant sur un élément essentiel de cette proposition de règlement, à savoir le renforcement de la lutte contre la fraude à laquelle donne trop souvent lieu le travail détaché. En effet, les actes d'exécution prévus auraient pour objet de mettre en place une procédure type assortie de délai pour la délivrance, le format et le contenu du document attestant la législation applicable en matière de sécurité sociale. Ce document, le formulaire A1, fait aujourd'hui l'objet de falsifications de plus en plus nombreuses. Le Sénat avait relevé que l'uniformisation de la procédure recherchée par la Commission était contraire à la position de la Cour de justice de l'Union européenne qui avait jugé légitime l'existence d'une marge d'appréciation laissée aux États membres pour utiliser des formulaires de détachement aux fins de contrôle par les États membres d'accueil, dès lors que la libre prestation de services pouvait connaître des restrictions dans des cas déterminés.

Dans sa réponse, la Commission, après avoir rappelé les objectifs poursuivis par sa proposition de règlement, en particulier la lutte contre la fraude au travail détaché - objectif que partage naturellement le Sénat -, présente de nouveau les grandes lignes de son texte. En l'espèce, elle indique que celui-lui lui donnerait compétence pour adopter des actes d'exécution « afin d'assurer des conditions uniformes pour l'application des règles spéciales aux travailleurs et travailleurs indépendants détachés et aux personnes exerçant une activité dans au moins deux États membres » : mise en place d'une procédure type pour le formulaire A1, détermination des situations dans lesquelles le document est délivré et éléments à vérifier avant la délivrance de ce document.

Toutefois, la Commission ne répond pas précisément à l'objection soulevée par le Sénat dans sa résolution, c'est-à-dire l'existence d'une marge d'appréciation nationale. Au contraire, elle insiste sur les avantages du recours aux actes délégués, « juridiquement contraignants, assurant l'uniformité et la pleine coopération dans un domaine où cela est vital pour assurer la protection des travailleurs et la confiance du public dans les règles ». Ainsi sa proposition viserait-elle « à renforcer la lutte contre la fraude » et « serait [-elle] pleinement conforme au principe de subsidiarité ».

Sur la procédure de notification des régimes d'autorisation et des exigences en matière de services , l'argumentation de la Commission est plus précise et mieux calibrée, bien qu'elle n'apparaisse pas toujours pertinente. Le Sénat avait considéré que la réforme de cette procédure de notification proposée par la Commission est contraire au principe de subsidiarité en ce qu'elle consiste, pour un État membre, à notifier des textes trois mois avant même qu'ils ne soient adoptés et à ouvrir une phase de consultation au cours de laquelle la Commission ainsi que les autres États membres peuvent formuler des observations et émettre une alerte venant interrompre l'adoption des mesures concernées. Il avait ainsi dénoncé une immixtion dans la procédure législative nationale.

La Commission rappelle longuement les objectifs du paquet « services » qu'elle a présenté le 10 janvier 2017, qui est lui-même une déclinaison des mesures annoncées en octobre 2015 au titre de la stratégie du marché unique. Il s'agit « de s'assurer de la bonne mise en oeuvre de la directive services [de 2006] sur l'ensemble du marché intérieur ». La réforme de la procédure de notification fait partie des mesures devant permettre d'atteindre cet objectif. Il convient de noter que le Sénat est bien au fait des difficultés d'application de la directive services. Sa commission des affaires européennes avait en effet établi deux rapports d'information 10 ( * ) sur la transposition de cette directive particulièrement importante. De même, dans un récent rapport sur la simplification du droit européen 11 ( * ) , elle avait appuyé la volonté de la Commission d'approfondir le marché unique des services, mais avait aussi appelé l'attention sur les insuffisances de l'application de la directive services dans de nombreux États membres.

La réponse de la Commission est, cette fois, directement ciblée sur les objections soulevées par le Sénat, même si votre commission des affaires européennes considère son argumentation peu pertinente. En effet, la Commission relève que la procédure de notification qu'elle propose de réformer serait conforme au principe de subsidiarité dans la mesure où elle étendrait aux services une disposition existante dans le domaine des biens. Justifier une atteinte au principe de subsidiarité au motif que, de toute façon, une telle atteinte existe - peut-être - déjà par ailleurs paraît peu convaincant.

Son argument selon lequel l'introduction d'une période de consultation de trois mois maximum avant l'adoption d'une mesure « ouvre les possibilités d'un réel dialogue » entre l'État membre notifiant, la Commission et les autres États membres semble plus solide. La Commission précise d'ailleurs, répondant ainsi directement au Sénat, que, « durant cette période, le débat parlementaire ne sera aucunement suspendu, mais au contraire aura la possibilité d'être poursuivi dans le respect des procédures nationales. L'alerte, qui interrompra pendant trois mois maximum l'adoption de la mesure visée, ne sera émise que dans le cas où la Commission aura des raisons sérieuses de considérer que la mesure est incompatible avec les règles européennes et devra être en mesure de le justifier ». Toutefois, cette réponse est excessivement théorique et ne tient pas compte, précisément, des contraintes constitutionnelles et procédurales diverses qui, sur le plan tant législatif que réglementaire, pèsent sur l'adoption des normes nationales. D'ailleurs, comme le note la Commission dans sa réponse, « 87 % des notifications reçues par la Commission entre 2010 et 2015 concernent des textes déjà adoptés ». Ce qui, pour la Commission, constitue une démonstration du dysfonctionnement de la procédure de notification actuelle se révèle bien plutôt comme l'illustration des difficultés à venir de la mise en oeuvre de sa proposition. De fait, et comme l'avait relevé le rapport précité de votre commission des affaires européennes sur la simplification du droit européen, les insuffisances constatées sur le marché unique des services tiennent avant tout aux défauts de transposition de la directive services dans de nombreux États membres. Or, la Commission aurait renoncé à inciter ces derniers dans cette voie, le cas échéant de façon contentieuse, et finalement opté pour la voie de l'uniformisation réglementaire. Elle l'admet d'ailleurs à mi-mot dans sa réponse : « Les obligations pour les États membres de sous-tendre la notification d'un argumentaire justifiant la proportionnalité de la mesure notifiée sont peu claires, rendant complexe son évaluation par la Commission au regard des dispositions de la directive services ».

Le déroulement des négociations donne raison au Sénat. La proposition de directive, substantiellement modifiée à la demande, notamment, de la délégation française, a été validée par le Conseil Compétitivité du 29 mai 2017 et répond désormais aux objections du Sénat. Les négociations au Conseil ont principalement porté sur l'effet suspensif de l'alerte et de la décision de la Commission qui interrompt temporairement, voire définitivement le processus d'adoption de dispositions fixant les régimes nationaux d'autorisation et des exigences en matière de services. Plusieurs États membres, dont la France, mais aussi l'Allemagne, ont souhaité que soit davantage limitée « l'entrave » que les différentes étapes de la procédure de notification étaient susceptibles de constituer pour les procédures d'adoption de la mesure, étant relevé que la phase d'alerte impose une suspension du processus législatif national. À cet égard, la délégation française a souligné que cette procédure soulevait des questions politiques majeures, en particulier dans le contexte général actuel. Dans la même logique, les mêmes États membres ont demandé la suppression de la disposition attribuant un pouvoir décisionnel contraignant à la Commission. Une minorité de blocage s'est d'ailleurs dessinée. Un compromis a été obtenu selon lequel la Commission n'aurait plus qu'un pouvoir de recommandation à l'égard de l'État notifiant, lequel a donc le droit d'adopter les mesures notifiées : dès lors, l'intervention de la Commission ne serait plus susceptible d'interférer avec la procédure législative nationale. Au final, les pouvoirs de la Commission seraient revus à la baisse : l'alerte sur la conformité adressée par la Commission à l'État membre notifiant avant la fin de la procédure de consultation est remplacée par un simple avis, qui n'interdit plus à l'État membre d'adopter le projet de mesure notifié, et ce quand bien même la Commission en ferait la demande expresse ; si la Commission a émis un tel avis et nourrit toujours de graves préoccupations à l'égard de la mesure notifiée, elle adresse une recommandation à l'État membre, et non plus une décision : elle ne peut donc pas exiger de l'État membre qu'il s'abstienne d'adopter la mesure ou qu'il l'abroge, mais simplement lui demander de s'abstenir d'adopter la mesure notifiée ou de l'abroger ; enfin, l'urgence est dorénavant prise en compte, la procédure de notification préalable étant alors écartée au bénéfice d'une notification a posteriori . Ce compromis a explicitement été conclu afin que la proposition de directive prenne en compte la nécessité de respecter les principes de proportionnalité et de subsidiarité, « en particulier les prérogatives des parlements nationaux et des autorités administratives », selon les termes du communiqué de presse du Conseil.

Le Sénat avait considéré que la proposition de règlement visant à refondre le texte de 2009 ayant institué une agence de l'Union européenne pour la coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) ne respectait pas le principe de subsidiarité parce que, d'une part, elle étendait le champ d'intervention de cette agence à l'ensemble des sujets ayant une dimension énergétique transfrontalière, sans limite posée a priori , tout en octroyant à l'Union européenne une nouvelle compétence de nature régionale, et, d'autre part, faisait passer la prise de décision à la majorité simple des membres présents au conseil des régulateurs au lieu d'une majorité qualifiée des deux tiers, ce qui paraissait « contraire à toute pondération démographique ». Par ailleurs, l'avis motivé adopté par le Sénat déplorait que « la Commission s'est abstenue de fournir la moindre justification factuelle » à ses propositions.

En réponse, la Commission conteste les arguments du Sénat sur le fondement d'une analyse qui, ici aussi, est plus solide que par le passé. Elle explique d'abord que sa proposition de faire évoluer le règlement relatif à l'ACER vise à « créer un nouveau cadre pour la coopération transfrontalière, ce qui ne peut être réalisé, du point de vue juridique et pratique, qu'au niveau européen. Par ailleurs, les interventions des pouvoirs publics nationaux dans le secteur de l'électricité ont un impact direct sur les États membres voisins encore plus important que par le passé car l'augmentation des échanges transfrontaliers, la progression de la production décentralisée et le renforcement de la participation des consommateurs accroissent l'effet domino. Aucun État membre ne peut agir efficacement de manière isolée et les coûts externes des interventions unilatérales sont de plus en plus élevés ».

La Commission répond ensuite précisément à chacune des objections soulevées par le Sénat :

- sur l'extension des compétences de l'ACER, « la référence aux questions de réglementation de « portée transfrontalière » [...] n'avait pas pour objectif de lui octroyer des compétences illimitées mais plutôt de mettre en évidence le rôle d'arbitre qu'elle joue déjà [...] , lorsque les autorités de régulation nationales ne parviennent pas à un accord sur une question particulière » ;

- sur les compétences de l'Agence sur des questions régionales, « la Commission tient à souligner que la procédure prévue [...] ne s'applique qu'aux décisions concernant les modalités, conditions ou méthodologies à élaborer dans le cadre des codes de réseau et des lignes directrices à adopter [...] . À l'heure actuelle, ces codes de réseau et lignes directrices prévoient que chaque autorité de régulation nationale prend des décisions individuelles et que l'Agence statue lorsque les autorités nationales ne parviennent pas à un accord. La proposition simplifie la procédure car elle confère le pouvoir de décisions directement au conseil des régulateurs où les régulateurs nationaux sont représentés. Dans le cas de questions revêtant un intérêt régional, un sous-groupe régional serait en mesure de présenter une recommandation sur le sujet au conseil des régulateurs » ;

- sur le processus décisionnel au sein du conseil des régulateurs, « la Commission propose d'appliquer la majorité simple afin de faciliter la prise de décision et d'aligner les règles de vote sur celles des autres agences de l'Union européenne. En outre, le seuil [actuel] des deux tiers a engendré des blocages par le passé et a empêché l'Agence de prendre des décisions importantes dans l'intérêt du marché intérieur de l'énergie ».

Sur la proposition de règlement visant à refondre le texte relatif au marché intérieur de l'électricité , l'avis motivé du Sénat relevait que, l'énergie étant une compétence partagée, il convenait de limiter l'intervention de l'Union européenne aux objectifs ne pouvant être atteints de façon suffisante par les États membres. Il pointait en particulier deux difficultés au regard du principe de subsidiarité : d'une part, l'institution de centres de conduite régionaux pouvant adresser aux gestionnaires nationaux des décisions contraignantes dans plusieurs domaines essentiels pour la sécurité d'approvisionnement, qui, certes, pouvaient faire l'objet d'une coopération volontaire, mais non du transfert d'une compétence nationale à une structure régionale, et, d'autre part, la conclusion de contrats de capacité pour une même période de fourniture empêchant les États membres de conduire une politique contractuelle assurant la sécurité de l'approvisionnement électrique en cas d'insuffisance de l'offre par rapport à la demande.

La réponse de la Commission réaffirme le bien-fondé de sa position initiale : sa proposition est nécessaire « pour parvenir à l'objectif d'un marché européen intégré de l'électricité, objectif qui [...] ne saurait être atteint tout aussi efficacement au seul niveau national ». Selon elle, « il existe des interdépendances structurelles et les mesures nationales ont des effets directs sur une zone plus vaste. Aucun État membre ne peut agir efficacement de manière isolée, et les effets externes d'une action unilatérale sont devenus plus importants ». Toutefois, la Commission apporte des précisions complémentaires dans une annexe à sa réponse, sur chacun des deux points que le Sénat avait mis en évidence. Sur les centres de conduite régionaux, « la proposition ne comporte qu'un nombre très limité de questions sur lesquelles les centres de conduite régionaux devraient se prononcer » et « aucune de ces décisions n'empiète sur l'activité principale des gestionnaires de réseau de transport relative à la sécurité du réseau », d'autant plus que ces décisions porteraient sur une simple coordination. Dans ce cas, on ne perçoit pas très bien l'intérêt de la proposition si sa valeur ajoutée est à ce point limitée... Sur la double participation aux mécanismes de capacité, il s'agit d'éviter « des surcapacités considérables [...] créées et maintenues artificiellement à un niveau européen ».

Néanmoins, la Commission indique que ses observations se fondent sur sa proposition initiale qui fait l'objet d'une procédure législative de codécision. Cette prudence est bienvenue car, ici aussi, les négociations conduisent précisément à s'éloigner sensiblement des positions initiales de la Commission. Ainsi, la Présidence estonienne aurait proposé de remplacer les centres de conduite régionaux par des centres de sécurité régionaux aux compétences bien plus limitées. Cette évolution semble convenir à de nombreux États membres qui s'étaient opposés à l'innovation « régionale » souhaitée par la Commission et contestée par le Sénat.

La meilleure qualité des réponses apportées par la Commission est visible sur la proposition de directive relative à un contrôle de proportionnalité avant l'adoption d'une nouvelle réglementation de professions . Le Sénat avait estimé que ce texte, qui prévoit que les États membres mettent en place une évaluation préalable à toute nouvelle réglementation visant à encadrer l'exercice d'une profession, ne respectait pas le principe de subsidiarité car il permettait à la Commission et aux États membres d'émettre un avis sur des dispositions nationales de façon indifférenciée et sans prendre en compte les spécificités de certains secteurs, en particulier les transports, la santé et le tourisme.

Dans sa réponse, la Commission justifie son initiative par la nécessité de développer le marché des services. Elle note que « des règles inutilement contraignantes et dépassées peuvent entraver la mobilité des professionnels et compliquer l'accès de candidats qualifiés à ces emplois ». Selon elle, sa proposition n'a pas pour objectif « de réglementer ou de déréglementer des professions : cette prérogative reste nationale. Il s'agit de veiller au respect cohérent et uniforme, par tous les États membres, des obligations existantes issues du droit de l'Union, qui impose que les exigences professionnelles nationales soient justifiées, appropriées et nécessaires. La Commission propose de rationaliser et de clarifier la manière dont les États membres devraient effectuer un contrôle exhaustif et transparent de la proportionnalité avant d'adopter ou de modifier des règles nationales restreignant l'accès à des professions réglementées ou leur exercice ». C'est pourquoi cette proposition « ne préjuge en rien de l'issue du processus législatif national » et « laisse une grande marge de manoeuvre aux États membres pour intégrer le contrôle de proportionnalité dans les structures existantes ».

Sur les secteurs plus spécifiquement mis en évidence par l'avis motivé du Sénat, la Commission rappelle que les traités laissent effectivement des marges de manoeuvre aux États membres, mais que « ces dispositions n'impliquent pas que les États membres peuvent faire fi des grands principes du droit de l'Union, tels que les principes de non-discrimination et de proportionnalité » que les États membres doivent respecter « lorsqu'ils réglementent l'accès à une profession ou son exercice », ce qui est le cas pour les professions relevant des domaines de la santé et du tourisme.

Il n'en demeure pas moins que, là aussi, les discussions au Conseil soulignent la pertinence des observations faites par le Sénat en matière de subsidiarité. Ainsi la dernière version du texte fait-elle mention du rôle des États membres pour garantir la sécurité des transports. Elle précise également que ce texte « n'affecte pas la prérogative des États membres et la marge de manoeuvre dont ils disposent pour décider des professions à réglementer et de la manière de les réglementer, dans les limites des principes de non-discrimination et de proportionnalité ». Enfin, parmi les projets de considérants du texte, on peut lire qu' « il appartient aux États membres de déterminer le niveau de protection qu'ils souhaitent offrir aux objectifs d'intérêt général, ainsi que la manière proportionnée dont ce niveau doit être assuré. Le fait qu'un État membre impose des règles moins strictes qu'un autre État membre ne signifie pas que les règles de ce dernier soient disproportionnées et, de ce fait, incompatibles avec la législation de l'UE ».


* 6 Belgique, Danemark, Finlande, France (Sénat), Lettonie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Royaume-Uni, Suède et République tchèque.

* 7 Chypre, France (Sénat), Hongrie, Irlande, Malte, Pays-Bas, Royaume-Uni, Slovénie, Suède et République tchèque.

* 8 Bulgarie, Croatie, Danemark, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovaquie et République tchèque.

* 9 La faible activité de la nouvelle Commission européenne nommée en 2014 explique l'absence d'avis motivés adoptés en 2015.

* 10 Rapports d'information n° 199 (2007-2008) et n° 473 (2008-2009) de M. Jean Bizet.

* 11 Rapport n° 387 (2016-2017) du 9 février 2017.

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