III. L'EHPAD DE DEMAIN : SORTIR DE LA STRICTE ÉPURE SANITAIRE

A. QUESTIONNER L'EHPADISATION DE L'OFFRE ACTUELLE

1. Une offre planifiée et médicalisée
a) Un élément de la politique sanitaire de la nation

La création de places d'établissements d'accueil pour personnes âgées dépendantes fait avant tout l'objet d'une stratégie nationale , définie dans un cadre pluriannuel . L'offre d'hébergement a connu une dynamique particulière depuis le lancement en 2007 du plan de solidarité grand âge (PSGA), qui couvrira la période 2007-2021, et de deux plans spécifiquement axés sur les structures dédiées aux personnes atteintes de maladies neurodégénératives : le plan Alzheimer (2008-2012) et le plan maladies neurodégénératives (2014-2019).

Bilan des créations de places des plans pluriannuels nationaux

31/12/2013

31/12/2014

31/12/2015

31/12/2016

PSGA

Ehpad

30 251

34 900

35 015

38 540

49,83 %

51,75 %

50,70 %

52,37 %

Accueil de jour

5 285

6 056

6 653

7 071

8,71 %

8,98 %

9,63 %

9,61 %

Hébergement temporaire

3 111

3 677

4 027

4 439

5,12 %

5,45 %

5,83 %

6,03 %

Ssiad

22 059

22 801

23 373

23 635

36,34 %

33,81 %

33,84 %

32,11 %

Plan Alzheimer

PMD

UHR

1 135

1 250

1 544

1 789

Esa

4 154

4 304

4 854

5 054

Pasa

12 432

16 112

19 127

ND

Source : Rapports PLFSS 2015, 2016, 2017, CNSA

Il n'est pas question de remettre en cause le caractère national de la planification de l'offre d'hébergement pour personnes âgées : elle découle du pilotage d'un financement du grand âge en majeure partie fondé sur des ressources nationales (assurance-maladie, taxes affectées) et répond à la nécessité d'assurer une couverture territoriale homogène. Elle présente néanmoins le risque d'une approche excessivement « descendante » de la réponse apportée aux besoins . Alors qu'en termes de prise en charge de la personne âgée, l'offre devrait être essentiellement guidée par la demande, la planification nationale est parfois critiquée pour contraindre la demande à s'adapter à une offre définie ex ante .

Le phénomène de médicalisation des Ehpad est le résultat d'une double causalité démographique et gestionnaire. L'amélioration substantielle des conditions de vie de la personne âgée au domicile et la promotion d'une autonomie au domicile la plus longue possible ont entraîné une mutation de la population dirigée vers les établissements d'accueil : l'établissement a cessé de proposer un simple relais au domicile pour devenir le lieu de vie permanent de personnes âgées dépendantes aux besoins médicaux plus importants .

En cela, le développement d'une offre d'hébergement médicalisé à destination des personnes âgées, bien que nécessaire, a souffert d'un important défaut dans son déploiement : les Ehpad médicalisés se sont progressivement proposés - et imposés - comme le principal instrument de la politique publique du grand âge alors qu'ils ne sont, dans les faits, qu'un élément de la politique sanitaire de la nation .

b) L'incitation financière à la médicalisation

De fait, la médicalisation des Ehpad est une inflexion entièrement assumée par les gouvernements successifs depuis la redéfinition de la dotation globale de soins et l'introduction du PMP dans son calcul : 100 millions d'euros y ont été consacrés en 2017 64 ( * ) , alors qu'aucun chiffrage des autres formes d'hébergement n'est précisé dans les circulaires budgétaires.

Il est à ce stade important de souligner que les modalités de financement des Ehpad d'une part, et des formes intermédiaires d'hébergement de type accueil de jour ou hébergement temporaire d'autre part, ne font pas du tout l'objet des mêmes circuits. Une place d'Ehpad est financée par l'ARS au titre de la dotation globale de soins, que son équation permet au gestionnaire d'établissement de chiffrer avec précision. Une place d'accueil de jour ou d'hébergement temporaire est financée au titre des financements complémentaires dévolus par l'ARS, non inclus dans la dotation globale et entièrement définis par négociation avec l'autorité tarificatrice, dont le cadre a été considérablement assoupli par la LFSS pour 2017 65 ( * ) .

En effet, alors que la loi ASV définissait les modalités de fixation des financements complémentaires en prévoyant le maintien pour l'année N du niveau accordé pour l'année N-1 avec revalorisation par un taux fixé par arrêté, l'article 89 de la LFSS pour 2017 a complètement réécrit cette disposition en supprimant l'obligation de maintien au niveau de l'année antérieure et en chargeant désormais le directeur général de l'ARS du chiffrage des financements complémentaires.

Sans revenir sur la nécessité de l'accompagnement médical des personnes âgées dépendantes, votre rapporteur souhaite alerter sur la prépondérance croissante prise par les Ehpad dans l'offre d'hébergement : l'examen du tableau ci-dessus montre que leur proportion dans les créations de places est passée entre 2013 et 2016 de 49,83 % à 52,37 % . L'ehpadisation de l'hébergement du grand âge se fait ainsi au détriment des formes alternatives de l'accueil de jour ou de l'hébergement temporaire.

Proposition n° 17 : réintroduire l'effet de cliquet dont bénéficiaient les financements complémentaires afin de redynamiser l'offre d'accueil de jour et d'hébergement temporaire.

c) L'incitation administrative à la médicalisation

La médicalisation de l'offre d'hébergement s'explique également par le caractère essentiellement quantitatif du développement de l'offre, qui privilégie l'installation de « places ». Les établissements ne sont nullement incités à diversifier l'offre qu'ils proposent en raison de deux facteurs :

- l'installation d'une place médicalisée leur assure un surcroît de dotation globale de soins, alors que la diversification vers d'autres types d'hébergement les fait relever d'un autre type de financement, moins sécurisé ;

- les formalités administratives qui régissent l'installation de places incitent davantage à l'extension des structures et des modèles existants qu'à l'invention de nouveaux modes d'accueil. En effet, toute création et extension de places en établissement médico-social financé par la puissance publique est soumise à la procédure administrative de l'appel à projet 66 ( * ) . Or l'article D. 313-2 du CASF limite l'exonération de cette procédure aux projets d'extension d'un établissement de moins de 30 % de sa capacité et non aux projets de créations. Le droit en vigueur incite donc les établissements à la croissance strictement horizontale de leur capacité, et non à la diversification des modes d'accueil .

2. Pour une médicalisation pertinente des Ehpad : moins de tarif global, plus de pharmacie à usage intérieur

Les données exhaustives les plus récentes relatives à la médicalisation des Ehpad portent sur l'exercice 2014. D'après la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), l'ensemble de la dépense publique consacrée au financement de la dépendance s'élève à 23,7 milliards d'euros , dont 12,2 milliards d'euros pour les dépenses de soins, soit 51,5 % de la dépense publique totale 67 ( * ) . La Drees répartit la dépense de soins entre le montant versé aux établissements au titre de l'OGD pour 9,4 milliards d'euros et le montant remboursé aux résidents au titre des soins de ville et des soins de longue durée pour 2,8 milliards d'euros .

Une étude précédente de la Drees portant sur l'exercice 2011 soulignant que les dépenses de soins, d'un montant total de 11 milliards d'euros, se partageaient alors entre un OGD de 8,3 milliards d'euros et des soins de ville et de longue durée de 2,7 milliards d'euros 68 ( * ) . Rapportés à l'évolution du nombre des résidents, ces chiffres peuvent être présentés de la façon suivante :

2011

2014

Évolution (%)

Nombre de résidents en Ehpad

693 000 69 ( * )

720 000 70 ( * )

3,9

OGD personnes âgées (en millions d'euros)

8 300

9 400

13,3

Soins de ville (en millions d'euros)

1 700

1 800

5,9

Soins de longue durée (en millions d'euros)

1 000

1 000

0,0

Dépense par résident en équipement médicalisé de l'Ehpad (en euros)

11 977

13 056

9,0

Dépense par résident en soins de ville et de longue durée (en euros)

3 896

3 889

- 0,1

Ainsi, entre 2011 et 2014, malgré un investissement de 9 % en équipement médicalisé des Ehpad par résident, on constate une quasi-stabilité des dépenses de soins de ville et de longue durée auxquels ces derniers continuent de recourir. Autrement dit, l'effort entrepris par les pouvoirs publics d' internalisation du soin en Ehpad ne s'est nullement traduit par une rationalisation des coûts induits pour l'assurance-maladie (comprenant dotation globale de soins et remboursement des soins de ville) , bien au contraire. L'assurance-maladie étant le premier financeur public de la prise en charge en établissement, votre rapporteur estime naturel que la nature et le montant de sa contribution soient interrogés, notamment au regard de potentielles déséconomies d'échelle .

Une étude de la Drees de 2013 71 ( * ) donne une typologie des principales dépenses de soins de ville des résidents d'Ehpad (donc non couvertes par la dotation de soins des établissements).

Les dépenses de soins de ville en Ehpad

Le premier poste de ces dépenses de soins recouvre, de loin, des dépenses de médicaments (principalement du système nerveux), qui ne peuvent être prescrits que sur ordonnance du médecin traitant seul prescripteur . Viennent ensuite les dépenses relatives aux transports sanitaires (qui surviennent principalement lorsque l'Ehpad n'est pas adossé à un établissement public de santé) et aux masseurs-kinésithérapeutes.

Deux importants leviers susceptibles de modérer ces deux postes de dépenses ont déjà été identifiés par votre rapporteur :

- l'attribution d'un rôle prescripteur au médecin coordonnateur de l'établissement permettra mécaniquement de diminuer le recours à des prescriptions excessives, susceptibles de développer des iatrogénies médicamenteuses ;

- le développement de l'astreinte infirmière de nuit permettra quant à lui de limiter les hospitalisations d'urgence et le recours excessif à des transports sanitaires.

Il s'agit dès lors de questionner l'opportunité d'inciter financièrement depuis 2014 les Ehpad à adopter le tarif global. Aux termes de l'article R. 314-164 du CASF, l'option tarifaire de chaque établissement (tarif global ou tarif partiel) est susceptible de renégociation à chaque renouvellement de Cpom. Votre rapporteur rappelle à cet égard que, contrairement aux établissements sous tarif partiel, les établissements sous tarif global peuvent couvrir à l'aide de leur dotation globale de soins les « rémunérations ou honoraires versés aux médecins spécialistes en médecine générale et aux auxiliaires médicaux libéraux exerçant dans l'établissement, ainsi que les examens de biologie et de radiologie ». L'objectif affiché du Gouvernement est donc de diminuer le recours par les résidents aux soins de ville en intégrant le plus possible ces dépenses à la dotation globale de soins.

Depuis 2014, 10 millions d'euros sont annuellement consacrés par chaque circulaire budgétaire au passage des Ehpad du tarif partiel au tarif global (40 millions d'euros en tout) . Cette mesure repose sur les préconisations d'une mission Igas conduite en 2011 sur l'appréciation médico-économique de l'option tarifaire globale 72 ( * ) . Il est difficile, quatre ans plus tard, de dresser un premier bilan de cette inflexion, d'autant que les données dont la Drees dispose ne vont précisément pas au-delà de 2014.

À titre exploratoire, votre rapporteur juge nécessaire d'émettre d' importantes réserves . En premier lieu, le lien entre tarif global et diminution des hospitalisations des résidents (donc des dépenses de transports sanitaires) n'a pas été mis en évidence par la mission Igas 73 ( * ) : ce poste de dépenses de soins de ville ne semble pas directement impacté par l'option tarifaire. En second lieu, et surtout, les textes réglementaires ne prévoient que la faculté pour les directeurs d'établissements de recourir à la dotation globale de soins pour couvrir les rémunérations des libéraux extérieurs, et non les dépenses médicamenteuses engendrées par leurs prescriptions. Le tarif global ne présentera donc qu'un très faible effet à la baisse de dépenses de médicaments remboursées au titre des soins de ville.

Proposition n° 18 : interrompre l'incitation financière au passage au tarif global, qui n'engendre aucune économie d'échelle en matière de dépenses de soins de ville.

Considérant que le poste principal de dépenses de soins de ville pour les résidents d'Ehpad concerne la prescription de médicaments, les pouvoirs publics ne devraient pas tant favoriser le passage d'une option tarifaire à une autre, mais s'interroger sur l'opportunité de l'implantation d'une pharmacie à usage intérieur (PUI). En effet, les Ehpad munis d'une PUI peuvent intégrer les dépenses de médicaments (prescrits par les médecins traitants) dans la couverture de leur dotation globale de soins.

L'expérimentation interrompue d'une généralisation des PUI en 2009

L'article 64 de la LFSS pour 2009 74 ( * ) prévoyait que « des expérimentations [...] sont menées dans des [Ehpad] qui ne disposent pas de pharmacie à usage intérieur ». Ces expérimentations visaient à faire prendre en charge par la dotation globale de soins « l'achat, la fourniture, la prise en charge et l'utilisation des médicaments inscrits sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux ».

Une mission d'évaluation conduite par l'Igas en 2010 75 ( * ) concluait à l'abandon de ces expérimentations, pour deux raisons principales :

- l'intégration de la dépense de médicament à la dotation globale de soins permettait certes une économie de 35 % par rapport à la dépense de soins de ville 76 ( * ) , mais s'est avérée trop importante pour être totalement absorbée par la dotation de l'établissement, et faisait ainsi courir le risque de refus d'admission ;

- la création de telles PUI menaçait la viabilité des officines , par ailleurs pourvoyeuses des Ehpad non dotés de pharmacie, ce qui, notamment en milieu rural, présentait un risque important en matière de santé publique.

Des deux risques soulevés par la mission d'évaluation de l'Igas, votre rapporteur estime que le premier serait facilement écarté par l'attribution d'un rôle prescripteur au médecin coordonnateur. En effet, l'inflation des dépenses médicamenteuses constatée en 2010 ne peut être liée qu'à la dynamique prescriptrice des médecins traitants, laquelle serait mécaniquement jugulée par une affirmation du médecin de l'établissement.

Concernant le second risque, bien réel, d'une disparition d'officines de campagne en cas de développement des PUI, votre rapporteur estime qu'il doit faire l'objet de dispositifs de protection ad hoc et qu'il ne peut à lui seul empêcher la « pharmacisation » des Ehpad, dont les effets en termes de maîtrise des dépenses de soins de ville paraissent déterminants.

Ainsi, dans les zones rurales, semi-rurales et en difficulté, où l'approvisionnement des Ehpad représente une part majeure de l'activité des officines, votre rapporteur propose que, sous l'autorité prescriptrice du médecin coordonnateur, l'officine assume, en plus de l'approvisionnement, la préparation des médicaments à dispenser.

Proposition n° 19 : parallèlement au développement du rôle prescripteur du médecin coordonnateur :

1) relancer l'expérimentation du développement des PUI au sein des Ehpad

2) prévoir la dérogation suivante pour les milieux ruraux, semi-ruraux et en difficulté : charger les officines, déjà mobilisées pour l'approvisionnement des Ehpad, de la préparation des médicaments prescrits.


* 64 LFSS pour 2018, rapport n° 77 (2017-2018) de M. Bernard BONNE, tome III, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 8 novembre 2017.

* 65 Loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017.

* 66 Décret n° 2010-870 du 26 juillet 2010 relatif à la procédure d'appel à projet et d'autorisation mentionnée à l'article L. 313-1-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 67 Drees, Études et Résultats n° 1032, octobre 2017.

* 68 Drees, Dossiers solidarité et santé n° 50, février 2014.

* 69 Drees, Études et Résultats n° 899, décembre 2014.

* 70 Drees, Études et Résultats n° 1015, juillet 2017.

* 71 Drees, Dépenses de soins de ville des personnes âgées dépendantes , Dossiers solidarité et santé, n° 42, 2013.

* 72 IGAS, Financement des soins dispensés dans les Ehpad - Évaluation de l'option tarifaire dite globale , 2011.

* 73 « La mission n'a pas été en mesure d'établir de lien entre mode tarifaire et hospitalisations des résidents ».

* 74 Loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009.

* 75 IGAS, Rapport d'évaluation de l'expérimentation de réintégration des médicaments dans les forfaits soins des Ehpad sans pharmacie à usage intérieur , septembre 2010.

* 76 A. CHLEBOWSKI, La dispensation par PDA en officine : une solution adaptée au sujet âgé en Ehpad , thèse pour le diplôme d'État en pharmacie, 2016.

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