B. ACCOMPAGNER L'ÉMERGENCE DE NOUVELLES FORMES D'ACCUEIL DES PERSONNES ÂGÉES

1. Intégrer le parcours de la personne âgée au projet d'établissement : permettre la fongibilité des financements
a) Le contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens instrument de la pluriactivité

Un des préalables à la réforme ambitieuse lancée par le Gouvernement précédent de la prise en charge de la personne handicapée repose sur un changement de paradigme 77 ( * ) : au projet de l'établissement, qui régit l'admission ou le refus de la personne accueillie, doit se substituer le projet personnalisé de la personne, qui doit seul désormais guider le redéploiement de l'offre. Votre rapporteur plaide pour que ce changement de paradigme s'applique également dans le champ du grand âge .

Les évolutions y sont sans doute plus lentes en raison de la dichotomie que l'on continue volontiers d'entretenir entre le maintien à domicile, lorsque l'autonomie n'est pas atteinte, et l'accueil en Ehpad, seule réponse que les pouvoirs publics pourraient apporter lorsque surgit la dépendance. C'est ignorer les autres formes d'accueil intermédiaires - soutien infirmier à domicile, accueil de jour (AJ) et hébergement temporaire (HT) - qui peuvent être offertes aux personnes, dont elles peuvent être par ailleurs demandeuses et qui peuvent leur permettre de mieux vivre un départ du domicile, réservant l'Ehpad pour les cas les plus extrêmes.

Tout l'enjeu est d'inciter un même gestionnaire d'établissement à développer plusieurs activités correspondant à plusieurs degrés de prise en charge. Un même gestionnaire peut ainsi assumer la charge d'un Ehpad, de plusieurs formes d'hébergement intermédiaire, d'un Ssiad et/ou d'un Saad. La construction d'un modèle de prise en charge intégré assure autant la diversification de l'offre que l'homogénéité de la couverture territoriale. La substitution progressive des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom) aux conventions tripartites s'inscrit dans cette logique : l'article L. 313-12 du CASF prévoit expressément que le Cpom signé par un Ehpad « peut inclure d'autres catégories d'établissements ou de services [médico-sociaux], lorsque ces établissements ou services sont gérés par un même organisme gestionnaire et relèvent du même ressort territorial ».

L'intérêt de la diversification de l'activité du gestionnaire d'établissement ne se limite pas à la personne accueillie. Il est aussi susceptible de retombées positives sur le personnel . Les associations représentatives du personnel, de même que le personnel de l'Ehpad Jean-Villard de Pollionnay, ont fait part à votre rapporteur du profit que pourrait apporter au personnel médical l'opportunité de varier leurs tâches entre soins en établissement, soins en structure intermédiaire et accompagnement à domicile . Votre rapporteur y voit même une des voies de lutte contre le défaut d'attractivité que subissent les métiers de la prise en charge du grand âge, en raison d'un cantonnement excessif à l'Ehpad.

b) La persistance de certains freins : un état prévisionnel de recettes et de dépenses unique mais plusieurs comptes de résultat

Les retouches successives apportées au droit de la contractualisation des établissements médico-sociaux tendent à davantage de souplesse dans la gestion financière des ensembles régis par un même Cpom. La LFSS pour 2018 78 ( * ) a notamment introduit la possibilité d'une modulation des dotations versées par les autorités tarifaires aux différents signataires du Cpom en fonction des objectifs qui y sont mentionnés. Dit autrement, cette disposition législative entame un mouvement ambitieux de décloisonnement des budgets des structures signataires d'un même contrat .

La manifestation comptable de ce décloisonnement se retrouve dans la présentation, au niveau de chaque Cpom pluriactivités, d'un état prévisionnel de recettes et de dépenses (EPRD) unique . Malgré l'accueil favorable que votre rapporteur réserve à ce nouvel outil, force est de constater que l'unique EPRD n'est pas venu à bout de certaines rigidités. L'article R. 314-212 du CASF dispose bien que l'EPRD « regroupe l'ensemble des établissements et services inclus dans le Cpom », mais l'article R. 314-213 continue de faire mention d'un « compte de résultat prévisionnel principal , dans lequel sont prévus et autorisés les charges et les produits de l'activité principale » et un ou plusieurs « comptes de résultat prévisionnels annexes dans lesquels sont prévus et autorisés les charges et les produits de chacune des activités annexes ». L'article R. 314-217 dispose quant à lui que « lorsqu'un même établissement ou service poursuit plusieurs activités qui font l'objet de modalités de tarification ou de sources de financements distinctes, l'exploitation de chacune d'entre elles est retracée séparément dans un compte de résultat prévisionnel ».

Cet obstacle de la porosité des comptes de résultat se dresse contre l'intégration du parcours de la personne âgée au sein d'un même projet d'établissement. Les quatre grands types d'intervention soignante auprès des personnes âgées relèvent certes d'un financeur identique, mais de circuits financiers distincts non fongibles .

Établissement

Accueil intermédiaire

Soins infirmiers
à domicile

Services d'aide
à domicile

Financeur

ARS

ARS

ARS

CD

Forme du financement

Dotation de soins calculée par l'équation tarifaire

Financements complémentaires

Dotation globale de financement

Tarif journalier

Payeur

Caisse primaire d'assurance maladie

Caisse primaire d'assurance maladie

Caisse primaire d'assurance maladie

CD

Versement

Mensuel

Mensuel

Mensuel

Mensuel

Le tableau ci-dessus illustre la difficulté qu'un même gestionnaire d'établissement désireux d'intégrer plusieurs activités de prise en charge peut rencontrer. Outre les différences dans la forme de financement, il lui est spécifiquement proscrit de procéder à une fongibilité de ces budgets : l'article R. 134-138 du CASF prévoit en effet que les dépenses susceptibles d'être couvertes par le Ssiad ne peuvent couvrir les charges d'un Ehpad ( un infirmier travaillant dans un Ehpad ne pourra pas intervenir au titre d'un Ssiad, même si les deux relèvent du même gestionnaire ), ou prendre en charge des prestations servies par le Saad ( un aide-soignant travaillant dans un Ssiad ne pourra pas intervenir au titre du Saad, même si les deux relèvent du même gestionnaire ).

L'article R. 314-228 confirme cette absence de fongibilité en précisant qu'« aucun virement ne peut être opéré par ponction sur des sommes destinées à couvrir des charges certaines de l'exercice, notamment la rémunération du personnel effectivement en activité dans l'établissement ou le service ».

Enfin, au moment de la clôture de l'exercice budgétaire de chaque Ehpad, il est procédé à la présentation d'un état réalisé des recettes et des dépenses (ERRD). L'article R. 314-233 spécifie que l'ERRD des Ehpad « regroupe, le cas échéant, le compte de résultat principal et le ou les comptes de résultat annexes ». L'article R. 314-234 apporte une précision déterminante, qui renforce le peu de fongibilité entre activités, en disposant que « les résultats du compte de résultat principal et des comptes de résultat annexes sont affectés aux comptes de résultat dont ils sont issus ».

Votre rapporteur trouve cette absence de fongibilité d'autant plus regrettable que le rapprochement d'activités par un même gestionnaire d'établissement devrait être théoriquement facilité par la signature d'un même Cpom. Du moment que la dépense sert un même objectif (soins ou aide à l'accomplissement d'un acte de la vie quotidienne), il ne paraît pas souhaitable qu'elle subisse un cloisonnement à seule raison de de la structure intégrée au Cpom qu'elle finance.

Proposition n° 20 : réécrire la partie réglementaire du CASF régissant l'EPRD des Ehpad afin de permettre, au sein d'un même Cpom, une fongibilité par nature des budgets abondés par les différentes structures signataires.

2. La résidence autonomie : un modèle d'avenir

Les résidences autonomie, anciens foyer-logements, désignent une forme d'hébergement complémentaire de celle proposée par les Ehpad (hébergements permanent et temporaire confondus). Elles ont été conçues pour répondre aux besoins de personnes âgées dont l'autonomie ne leur permet plus de se maintenir à leur domicile, mais ne justifie pas pour autant une entrée en Ehpad. Elles offrent une solution d'hébergement intermédiaire entre ce dernier et les résidences services non médicalisées de type maison d'accueil et de résidence pour l'autonomie (Marpa).

Elles obéissent à des règles d'organisation et de financement extrêmement différentes , dont votre rapporteur estime qu'elles dessinent un cadre intéressant et ouvrent des perspectives très prometteuses pour l'offre d'hébergement en général :

- ouverture sur l'extérieur : l'article L. 313-12 du CASF prévoit que « les résidences autonomie proposent à leurs résidents des prestations minimales, individuelles ou collectives, qui concourent à la prévention de la perte d'autonomie [qui] peuvent également être proposées à des non-résidents » ;

- financeur public unique : l'exercice de leur mission de prévention donne lieu, sous réserve de la conclusion d'un Cpom, à une aide dite « forfait autonomie » financée par la CNSA. En outre, les personnes accueillies, lorsque leurs besoins en soins le requièrent, peuvent rendre la résidence autonomie éligible au forfait global de soins. Le conseil départemental continue d'assurer le financement de l'Apa pour les personnes au Gir supérieur à 4, mais opère un versement individuel et non pas à l'établissement ;

- partenariat établissement/services : aux termes de la loi, les résidences autonomie facilitent l'accès de leurs résidents à des Saad.

Contrairement aux Ehpad, l'offre de résidences autonomie ne fait pas l'objet d'une planification nationale. Leur implantation repose exclusivement sur le volontarisme du conseil départemental, plus à même, à travers l'élaboration des schémas départementaux de l'autonomie, de proposer une offre d'hébergement plus fidèle aux besoins exprimés.

Votre rapporteur souhaite particulièrement insister sur l'intérêt de la résidence autonomie en matière de répartition des missions entre acteurs publics . Leur financement reste majoritairement national, évitant ainsi les risques de disparités territoriales : le forfait autonomie, alloué par le conseil départemental, est issu d'une enveloppe gérée par la CNSA et peut être, selon les besoins en soins requis par les résidents, complété par le forfait global de soins distribué par l'ARS dans les mêmes conditions que les Ehpad. En revanche, leur installation dépend entièrement de l'impulsion des autorités locales (conseils départementaux et, par délégation, centres communaux d'action sociale), formalisée dans le cadre de la conférence des financeurs.

Elles représentent donc, aux yeux de votre rapporteur, une occasion précieuse de dépasser les écueils liés au cofinancement des structures d'hébergement actuelles en proposant la partition suivante : tarification nationale et planification locale .

Le nombre relativement peu élevé de résidences autonomie s'explique en grande partie par l'enveloppe réduite du forfait autonomie ( 25 millions d'euros en 2016 et 2017). C'est pourquoi il paraîtrait opportun d'augmenter le niveau de cette enveloppe à due concurrence de la limitation des crédits de médicalisation des Ehpad préconisée précédemment. En l'état actuel des modalités de tarification, le transfert de ces crédits est impossible en raison de l'origine des financements de la médicalisation (abondés par des crédits de l'assurance-maladie), qui ne peuvent servir à des dépenses couvrant des actes d'aide à l'autonomie.

C'est pourquoi votre rapporteur estime qu'un redéploiement de l'offre vers des structures moins médicalisées et davantage tournées vers la prise en charge de la dépendance ne pourra faire l'économie d'une réforme profonde du modèle de financement, dont il va immédiatement être question.

Proposition n° 21 : élever les crédits alloués au forfait autonomie, en attendant le déploiement d'une réforme plus structurelle du financement de la dépendance.


* 77 Notamment inspiré par le rapport de D. PIVETEAU, « Zéro sans solution » : Le devoir collectif de permettre un parcours de vie sans rupture, pour les personnes en situation de handicap et pour leurs proches , 2014.

* 78 Loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018, article 70.

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