N° 457

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 avril 2018

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la convergence sociale dans l' Union européenne ,

Par Mmes Pascale GRUNY et Laurence HARRIBEY,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Mmes Véronique Guillotin, Fabienne Keller, M. Didier Marie, Mme Colette Mélot, MM. Pierre Ouzoulias, Cyril Pellevat, André Reichardt, Simon Sutour, vice-présidents ; M. Benoît Huré, Mme Gisèle Jourda, MM. Pierre Médevielle, Jean-François Rapin, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jacques Bigot, Yannick Botrel, Pierre Cuypers, René Danesi, Mme Nicole Duranton, MM. Thierry Foucaud, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Claude Haut, Olivier Henno, Mmes Sophie Joissains, Claudine Kauffmann, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Leleux, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Menonville, Georges Patient, Michel Raison, Claude Raynal, Mme Sylvie Robert.

AVANT-PROPOS

Le socle européen des droits sociaux a été proclamé par le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne à l'occasion du sommet social de Göteborg qui réunissait, le 17 novembre 2017, les chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne. Annoncé dans le discours de l'Union prononcé par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, le 19 septembre 2015, le socle doit participer d'une action en faveur d'un marché du travail équitable et véritablement paneuropéen. Ce nouveau dispositif doit permettre de combiner développement économique et renforcement des progrès sociaux et de la cohésion sociale.

Détaillant vingt principes, le socle s'apparente néanmoins plus à une grille de lecture qu'à un texte contraignant, conduisant à une véritable convergence sociale européenne. Il s'agit cependant d'un premier pas qu'il convient de saluer tout en envisageant les moyens de le rendre plus concret. Une telle ambition passe nécessairement par une réflexion sur le volet budgétaire, à la veille du lancement des négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel. Elle n'élude pas, en outre, une interrogation sur les moyens législatifs et institutionnels mis en oeuvre. La convergence sociale européenne ne peut être le synonyme d'une harmonisation motivée par la seule fluidification du marché intérieur. Toute action dans ce domaine doit respecter le principe de subsidiarité et l'équilibre trouvé dans les traités en matière de répartition des compétences. La question sociale est par trop sensible au sein des opinions publiques pour susciter le moindre sentiment de dépossession chez nos concitoyens.

La Commission européenne a, de son côté, choisi de traduire dans le droit de l'Union les inflexions proposées par le socle en proposant plusieurs textes visant le temps de travail, les contrats de travail, l'accès à la protection sociale ou le congé parental. Ces dispositions font l'objet d'un examen détaillé dans le présent rapport. L'objectif affiché d'un renforcement de la convergence sociale, tout aussi louable qu'il soit, ne doit pas obérer une étude lucide des conséquences pour nos régimes sociaux.

La proclamation du socle s'est inscrite dans un agenda social déjà dense au niveau européen. La Commission européenne avait en effet lancé deux chantiers d'importance : la révision des règlements de coordination des régimes de sécurité sociale et celle de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs. Cette dernière fera l'objet d'un rapport spécifique de nos collègues Fabienne Keller et Didier Marie, au nom de la commission des affaires européennes, qui abordera également la création de l'Autorité européenne du travail, annoncée le 13 mars dernier par la Commission européenne. La révision des règlements de coordination est, quant à elle, détaillée dans le présent rapport tant elle doit contribuer par son ampleur à favoriser une forme de convergence sociale tout en luttant contre les dérives. Parmi elles, le tourisme social - au coeur des débats britanniques au moment du référendum sur le maintien du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne - mérite une analyse précise afin de mieux évaluer le phénomène.

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I. LE SOCLE EUROPÉEN DES DROITS SOCIAUX

La Commission européenne a lancé, le 8 mars 2016, une consultation publique sur un socle européen des droits sociaux 1 ( * ) . Celle-ci s'inscrit dans le cadre de la réflexion de la Commission européenne en vue d'approfondir l'Union économique et monétaire, amorcée le 21 octobre 2015. Cette consultation s'est terminée le 31 décembre dernier. Elle a réuni les autres institutions de l'Union européenne, les autorités et les parlements nationaux, les syndicats, les associations professionnelles, les organisations non gouvernementales, les prestataires de services sociaux, les universitaires et le grand public.

Annoncé dans le discours de l'Union prononcé par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, le 19 septembre 2015, le socle doit participer d'une action en faveur d'un marché du travail équitable et véritablement paneuropéen. Il s'agit, de la sorte, de rappeler l'ambition de l'Union européenne, qui entend corréler développement économique et renforcement des progrès sociaux et de la cohésion sociale. La politique sociale, et en particulier les systèmes de protection sociale, sont envisagés comme un facteur de production permettant une réduction des inégalités, la création d'emplois et le développement du capital humain.

Le socle a été présenté par la Commission européenne, le 26 avril 2017, sous deux formes juridiques au contenu identique : une recommandation, prenant effet dès à présent, et une proposition de proclamation commune du Parlement européen, du Conseil et de la Commission. Cette dernière a été adoptée officiellement lors du sommet social de Göteborg qui réunissait, le 17 novembre 2017, les chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne. Le Conseil européen du 14 décembre 2017 a approuvé les conclusions du sommet social et souligné que le socle devait désormais être mis en oeuvre tant au niveau de l'Union qu'à celui des États membres.

Le socle a été présenté en même temps qu'un document de réflexion sur la dimension sociale de l'Europe 2 ( * ) . Celui-ci est censé tracer des perspectives dans le cadre d'une Union européenne post-Brexit. La Commission propose 3 pistes pour l'avenir :

- cantonner la dimension sociale à la libre circulation. Ne seraient alors maintenues que les règles visant à favoriser les mouvements transfrontières de personnes (coordination des régimes de sécurité sociale, détachement de travailleurs, soins de santé transfrontières et reconnaissance des diplômes). Une telle option suppose l'abrogation des normes européennes en matière de protection des travailleurs, de conditions de santé et de sécurité au travail, de temps de travail et de repos, de congé de maternité et de paternité, de nombre minimal de jours de congés payés et d'égalité hommes/femmes. L'action sociale de l'Union européenne se limiterait à un échange de bonnes pratiques dans les domaines de l'aide sociale, de l'éducation, de la santé, de la culture et des sports. Les programmes sociaux cofinancés par l'Union dans les États seraient interrompus ;

- développer des coopérations renforcées. Les États qui le souhaitent peuvent continuer à approfondir leur coopération dans le domaine social, voire l'harmonisation de leurs droits sociaux ;

- continuer l'approfondissement.

La publication du socle européen des droits sociaux indique que cette dernière option semble aujourd'hui privilégiée par la Commission européenne.

A. LES PRINCIPES GÉNÉRAUX

Agissant en complément des États membres, l'Union européenne a pu développer un véritable acquis juridique en matière sociale en même temps qu'était approfondi le marché intérieur 3 ( * ) . Les questions sociales et d'emploi ont, parallèlement, été intégrées au semestre européen. La Commission européenne entend désormais prolonger cette évolution en assignant une double mission au socle européen des droits sociaux : surmonter la crise et évoluer vers une Union économique et monétaire plus approfondie et plus équitable.

La Commission européenne rappelle que la crise s'est traduite par une augmentation du chômage. 22 millions d'Européens sont ainsi sans emploi (17 millions au sein de la zone euro), 10 millions l'étant depuis plus d'un an. La crise ne saurait cependant masquer l'évolution intrinsèque du monde du travail : diversification de la main-d'oeuvre, prolongement de la vie active, diffusion de nouvelles formes de travail... Le rapport des cinq présidents « Compléter l'Union économique et monétaire », publié en juin 2015, insistait de son côté sur la nécessité pour l'Europe d'obtenir un « triple A social », tout en rappelant qu'il n'existe pas de modèle à taille unique en la matière. La réussite de la zone euro passe, en outre, aux yeux de la Commission européenne, par la capacité, pour les économies nationales d'absorber les chocs et de s'y ajuster.

Dans ces conditions, les marchés du travail doivent combiner flexibilité et sécurité - la flexisécurité -, permettant de concilier vie personnelle et vie professionnelle, adaptation tout au long de la carrière et formation continue. Il s'agit aussi de rendre les systèmes de protection sociale plus performants dans un contexte marqué par une réduction des dépenses publiques. L'objectif du socle européen des droits sociaux est donc de garantir le bon fonctionnement et l'équité des marchés du travail et des systèmes sociaux. Il doit permettre d'évaluer les performances des États en la matière, d'accomplir les réformes structurelles à l'échelon national et de faciliter la convergence.

Le socle n'est pas envisagé comme une simple reproduction de l'acquis de l'Union européenne en la matière. La réflexion sur le socle doit, au contraire, permettre de vérifier la pertinence de l'acquis et de déterminer d'éventuels domaines d'action. Le socle ne modifie pas, pour autant, les droits existants, qui restent intacts. Le socle respecte, par ailleurs, les limites juridiques imposées par les traités ; l'article 153 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit ainsi qu'elle ne peut légiférer sur les questions relatives aux rémunérations, au droit d'association ou au droit de grève.

L'Union européenne et les droits sociaux

Article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

L'Union et les États membres, conscients des droits sociaux fondamentaux, tels que ceux énoncés dans la Charte sociale européenne signée à Turin le 18 octobre 1961 et dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989, ont pour objectifs la promotion de l'emploi, l'amélioration des conditions de vie et de travail permettant leur égalisation dans le progrès, une protection sociale adéquate, le dialogue social, le développement des ressources humaines permettant un niveau d'emploi élevé et durable, et la lutte contre les exclusions.

À cette fin, l'Union et les États membres mettent en oeuvre des mesures qui tiennent compte de la diversité des pratiques nationales, en particulier dans le domaine des relations conventionnelles, ainsi que de la nécessité de maintenir la compétitivité de l'économie de l'Union.

Ils estiment qu'une telle évolution résultera tant du fonctionnement du marché intérieur, qui favorisera l'harmonisation des systèmes sociaux, que des procédures prévues par les traités et du rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives.

Article 153 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne

1. En vue de réaliser les objectifs visés à l'article 151, l'Union soutient et complète l'action des États membres dans les domaines suivants :

a) l'amélioration, en particulier, du milieu de travail pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs ;

b) les conditions de travail ;

c) la sécurité sociale et la protection sociale des travailleurs ;

d) la protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail;

e) l'information et la consultation des travailleurs ;

f) la représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs, y compris la cogestion, sous réserve du paragraphe 5 ;

g) les conditions d'emploi des ressortissants des pays tiers se trouvant en séjour régulier sur le territoire de l'Union ;

h) l'intégration des personnes exclues du marché du travail, sans préjudice de l'article 166 ;

i) l'égalité entre hommes et femmes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail et le traitement dans le travail ;

j) la lutte contre l'exclusion sociale ;

k) la modernisation des systèmes de protection sociale, sans préjudice du point c).

2. À cette fin, le Parlement européen et le Conseil :

a) peuvent adopter des mesures destinées à encourager la coopération entre États membres par le biais d'initiatives visant à améliorer les connaissances, à développer les échanges d'informations et de meilleures pratiques, à promouvoir des approches novatrices et à évaluer les expériences, à l'exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres ;

b) peuvent arrêter, dans les domaines visés au paragraphe 1, points a) à i), par voie de directives, des prescriptions minimales applicables progressivement, compte tenu des conditions et des réglementations techniques existant dans chacun des États membres. Ces directives évitent d'imposer des contraintes administratives, financières et juridiques telles qu'elles contrarieraient la création et le développement de petites et moyennes entreprises.

Le Parlement européen et le Conseil statuent conformément à la procédure législative ordinaire après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions.

Dans les domaines visés au paragraphe 1, points c), d), f) et g), le Conseil statue, conformément à une procédure législative spéciale, à l'unanimité, après consultation du Parlement européen et desdits Comités.

Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission après consultation du Parlement européen, peut décider de rendre la procédure législative ordinaire applicable au paragraphe 1, points d), f) et g).

3. Un État membre peut confier aux partenaires sociaux, à leur demande conjointe, la mise en oeuvre des directives prises en application du paragraphe 2 ou, le cas échéant, la mise en oeuvre d'une décision du Conseil adoptée conformément à l'article 155.

Dans ce cas, il s'assure que, au plus tard à la date à laquelle une directive ou une décision doit être transposée ou mise en oeuvre, les partenaires sociaux ont mis en place les dispositions nécessaires par voie d'accord, l'État membre concerné devant prendre toute disposition nécessaire lui permettant d'être à tout moment en mesure de garantir les résultats imposés par ladite directive ou ladite décision.

4. Les dispositions arrêtées en vertu du présent article :

-- ne portent pas atteinte à la faculté reconnue aux États membres de définir les principes fondamentaux de leur système de sécurité sociale et ne doivent pas en affecter sensiblement l'équilibre financier ;

-- ne peuvent empêcher un État membre de maintenir ou d'établir des mesures de protection plus strictes compatibles avec les traités.

5. Les dispositions du présent article ne s'appliquent ni aux rémunérations, ni au droit d'association, ni au droit de grève, ni au droit de lock-out .


* 1 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions. Lancement d'une consultation sur un socle européen des droits sociaux (COM(2016) 127 final).

* 2 Document de réflexion sur la dimension sociale de l'Europe (COM(2017) 206 final).

* 3 La Commission européenne rappelle ainsi, dans un document de travail joint à la communication, les normes adoptées en matière d'égalité de traitement sur le même lieu de travail, les directives sur les femmes enceintes ou sur la durée du temps de travail (48 heures hebdomadaires), la protection de la santé et de la sécurité au travail, les règles entourant le détachement des travailleurs et les migrations des ressortissants des pays tiers, ou la coordination des régimes de sécurité sociale. Document de travail des services de la Commission, Acquis social de l'UE, SWD(2016) 50 final.

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