LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE

La Commission européenne prévoit parallèlement, pour les États membres, une liste d'exigences administratives et de mesures de contrôle fermée visant les sociétés de transport installées sur leur sol. Celle-ci comporte une déclaration de détachement comportant l'identité de l'opérateur de transport routier, les coordonnées du gestionnaire de transport, le nombre prévu de conducteurs détachés et leur identité, la durée prévue du détachement, la plaque minéralogique des véhicules utilisés, le type de service de transport (marchandises, personnes, international ou cabotage). Le conducteur est par ailleurs tenu de conserver et de fournir, sur support papier ou en format électronique, une copie de la déclaration de détachement et la preuve de l'opération de transport ayant lieu dans l'État membre d'accueil, à l'image du bordereau d'expédition électronique (e-CMR). Les chauffeurs devront conserver une copie du contrat de travail traduit en anglais ou dans la langue de l'État membre d'accueil, ainsi qu'une copie des fiches de paie des deux derniers mois. Les enregistrements du tachygraphe ainsi que les codes des États membres dans lesquels ont eu lieu les opérations de transport international et les opérations de cabotage sont également concernés.

La plupart de ces dispositions vont dans le bon sens, même si le principe d'une liste fermée peut apparaître en décalage avec l'évolution récente de la législation européenne en matière de détachement. À la demande de plusieurs États membres (France, Allemagne, Belgique, Espagne, Finlande et Pays-Bas), la directive d'exécution de 2014 intègre en effet le principe d'une liste ouverte de contrôles. Cette disposition permet d'être le plus réactif possible face à des mécanismes de fraude de plus en plus complexes.

La Commission souhaite, dans le même temps, renforcer la lutte contre les sociétés dites « boîte aux lettres ». Celles-ci, installées dans les pays à bas coûts, réalisent l'essentiel de leur activité dans les pays à coûts plus élevés. Il est ainsi envisagé un allongement de la liste des pièces à conserver dans les locaux de l'entreprise en cas de contrôle, à l'instar des contrats de travail et des contrats commerciaux. L'entreprise devra également disposer d'actifs et d'employés dans l'État où elle est établie. La Commission espère, de la sorte, réduire le risque de création d'entreprises « boîte aux lettres » à 10 %. Elle renforce parallèlement ses exigences pour permettre à une entreprise de transport d'être « honorable » ou de « bonne réputation », et ainsi être autorisée à entrer sur le marché. Les sociétés devront ainsi respecter les règles fiscales du pays, la législation en matière de détachement et les obligations contractuelles. Des actes délégués pourraient permettre à la Commission de modifier cette liste des infractions graves.

La coopération entre États membres fait également l'objet de précisions. Les registres nationaux devront comprendre les numéros d'enregistrement des véhicules dont dispose l'entreprise, le nombre d'employés, tous les actifs et passifs ainsi que les capitaux et les chiffres d'affaires des deux derniers exercices. Les demandes d'informations d'un État à un autre doivent être raisonnées. Si la demande est justifiée, l'État qui la reçoit disposera de 25 jours pour effectuer les contrôles nécessaires et y répondre. Les autorités françaises sont, de leur côté, favorables à un renforcement des contrôles et à une amélioration de la coopération entre les États membres. Des instruments existent déjà à l'image d'« Euro contrôle route ». La France appuie ainsi tout encadrement des délais de réponses effectuées entre les États membres dès lors que le délai est soutenable.


La coopération entre États membres : le cas d'« euro contrôle route »

La Belgique, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas ont été les pionniers de la coopération administrative européenne avec la signature d'un accord en octobre 1999 visant :

- la systématisation des échanges d'informations sur les entreprises ne respectant pas la législation européenne ;

- l'organisation de contrôles communs et coordonnés ;

- le développement de programmes communs de formation des agents des services de contrôle ;

- la promotion d'échanges transfrontaliers d'expériences ;

- des échanges d'informations sur les nouveaux développements technologiques ;

- une concertation renforcée entre les pays participants, avec prise d'initiatives communes et, dans la mesure du possible, prises de positions communes.

L'Allemagne et l'Irlande sont devenues parties de cet accord en 2001, le Royaume-Uni et l'Espagne le signant en 2002. Il a ensuite été étendu à la Pologne et l'Autriche en 2004, à la Bulgarie, à la Hongrie et à la Roumanie en 2007, donnant ainsi naissance en 2010 à « Euro contrôle route ». La Croatie a rejoint l'organisation en 2015. La Slovénie et la République tchèque sont par ailleurs observateurs au sein de cette organisation. L'Espagne et la Lituanie ont, entretemps, quitté cette organisation.

La présidence de cette instance est assurée par chaque pays membre pour une période de six mois.

Le paquet de la Commission cible également les véhicules utilitaires légers, de moins de 3,5 tonnes. Afin de pouvoir être établie dans un État membre, une société exploitant des VUL devra justifier, dans ses comptes annuels certifiés, d'un capital minimum de 1 800 euros pour un seul véhicule utilisé, majoré de 900 euros par véhicule supplémentaire. L'obligation de capacité financière s'élève à 9 000 euros pour les sociétés utilisant des véhicules de plus de 3,5 tonnes, auxquels s'ajoutent 5 000 euros par véhicule supplémentaire. En France, les acteurs du secteur relèvent une présence croissante de ces véhicules en provenance d'autres États membres sur certains segments du marché, créant les conditions d'une concurrence déloyale à la fois avec les VUL français mais aussi avec les poids lourds. La Commission souhaite que les États membres adressent un rapport annuel sur l'activité économique des VUL, préalable à un éventuel renforcement de la législation d'ici au 31 décembre 2024. La mise en conformité des VUL devrait, en tout état de cause, générer une hausse de leurs coûts de 4 à 10 %, d'après la Commission.

De fait, en dépit des modalités envisagées, les intentions de la Commission européenne peuvent paraître louables et méritent d'être appuyées. L'Alliance du routier peut se retrouver dans la plupart de ces propositions, puisqu'elle avait appelé, lors de sa création, à une dématérialisation des documents de transport, à une convergence des sanctions visant le temps de repos hebdomadaire passé dans le camion, et à une amélioration de la coordination des États membres en matière de contrôle.

Il convient néanmoins de s'interroger sur le souhait de la Commission de maintenir à l'échéance de 2034 l'obligation d'équiper l'ensemble de la flotte de chronotachygraphes dits « intelligents ». Cet appareil, appelé à enregistrer les temps de conduite et de repos des chauffeurs professionnels ainsi que la vitesse et la distance parcourue, est connecté au service de positionnement par satellite. Le nouveau dispositif permettra de faciliter la géolocalisation du véhicule et donc de reconstituer des itinéraires. Le recueil des informations à distance facilite de surcroît les opérations de contrôle. L'appareil devrait donc permettre d'assurer un respect plus rigoureux du droit applicable au fret routier, notamment pour le temps de conduite. La transmission des données par voie électronique permise par le nouvel instrument devrait en outre faciliter les contrôles en les dématérialisant. Le coût du nouvel appareil est estimé entre 1 000 et 2 000 euros.

Le règlement n° 165/2014 du 4 février 2014 relatif aux tachygraphes dans les transports routiers dit « tachygraphe intelligent » prévoit que les poids lourds soient progressivement dotés de ce dispositif à partir de juin 2019. Les nouveaux poids lourds de plus de 3,5 tonnes seront les premiers véhicules concernés. L'ensemble des camions, bus et cars déjà en circulation, devraient être pris en compte dans les quinze années qui suivent. Les États parties de l'Alliance du routier souhaitent aujourd'hui une généralisation d'ici 5 à 6 ans. La France milite ainsi pour 2023. La présidence bulgare du Conseil propose, quant à elle, le 31 janvier 2028. Une étude d'impact de la Commission envisage même un déploiement total en 2026. Rien ne semble donc s'opposer à une accélération de cette généralisation. La numérisation des données de contrôle pourrait permettre la mise en place d'une plateforme européenne de partage des données et la création d'une liste noire des entreprises jugées coupables de fraudes.

*

Les réserves exprimées par un certain nombre de pays - en premier lieu la France et la plupart des membres de l'Alliance du routier - sur les propositions de la Commission mais aussi les amendements de la présidence bulgare de l'Union européenne, appuyée par les pays du groupe de Viegrad, l'Espagne et le Portugal, ne devraient pas permettre une adoption du paquet Mobilité avant la fin du mois de juin 2018. La France et l'Allemagne disposent en effet d'une minorité de blocage qui rend impossible tout vote favorable. Les ministres des transports français et allemand ont déjà indiqué, à la veille du Conseil Transports du 7 juin 2018, que « les textes actuellement sur la table empêchaient à ce stade des négociations d'aller dans le sens de l'application du principe simple : « À travail égal, salaire égal, sur le même territoire » , le principe de la concurrence loyale et la lutte contre le dumping social. Dans ces conditions, de telles propositions ne peuvent être acceptées ni par l'Allemagne ni par la France » 44 ( * ) .

Il convient d'observer que des lignes de fracture se dessinent également au sein du Parlement européen, où les votes sur ces questions relèvent de logiques nationales et ne répondent pas aux arbitrages des groupes politiques. Les oppositions entre commissions sont également patentes, comme en témoignent les divergences d'appréciation entre les commissions Emploi et Transport, toutes deux saisies des textes. Dans ces conditions, l'octroi d'un mandat de négociation pour un trilogue s'avèrera également délicat à court terme.

Il y a lieu d'appuyer la fermeté des autorités françaises sur ces questions tant les propositions de la Commission et les amendements de la Présidence ne remplissent pas les objectifs initiaux de renforcement des droits des conducteurs et de réduction de distorsion de concurrence. Il convient de rappeler, à ce stade, que le compromis trouvé en trilogue, le 28 février 2018, par le Parlement européen et le Conseil sur la révision de la directive de 1996 sur le travail détaché, garantit a minima l'application du régime de détachement aux chauffeurs tel que prévu par le droit européen actuel et à venir, une fois la révision définitivement adoptée. Ce qui permet, en l'espèce, de maintenir les dispositions prévues par le droit français, à savoir l'application du droit du travail français dès l'entrée sur le territoire.

Au-delà de ces textes, il apparaît indispensable de lancer une réflexion sur l'élaboration d'un statut de travailleur hautement mobile , qui permettrait une uniformisation des statuts des chauffeurs routiers de part et d'autre de l'Union européenne, destinée à juguler les distorsions de concurrence, à garantir un niveau élevé de protection sociale et à assurer une mobilité sûre et durable.


* 44 Communiqué de presse conjoint du Ministère allemand des Transports et des Infrastructures numériques et du Ministère français chargé des Transports - Première rencontre franco-allemande des Ministres des Transports, 11 mai 2018.

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