D. LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES CONJUGALES ET INTRAFAMILIALES : UN ENJEU DE COHÉRENCE ENTRE LE DROIT CIVIL ET LE DROIT PÉNAL

Certaines avancées ont été accomplies depuis quelques années en ce qui concerne la lutte contre les violences conjugales et la protection des femmes - ou hommes - victimes de ces violences, notamment à travers un effort très significatif de formation des professionnels de la justice et de la sécurité.

Pour autant, la délégation a identifié au cours de ses auditions plusieurs marges de progrès pour consolider et parfaire l'efficacité de cette politique publique.

Il s'agit de faire en sorte de :

- mieux réprimer le viol conjugal ;

- garantir une meilleure cohérence de la loi pénale et de la loi civile, notamment s'agissant de la protection des enfants victimes de violences ;

- poursuivre la montée en puissance des dispositifs de protection et de mise à l'abri des victimes de violences conjugales (téléphone grave danger, ordonnance de protection et hébergement d'urgence).

1. Le viol conjugal, un crime toujours très peu condamné

Comme cela a été précédemment évoqué, le viol conjugal est « presque systématiquement requalifié » en agression sexuelle, pour reprendre les termes de Josette Gonzales, avocate à la Fédération Nationale Solidarité Femmes, le 18 janvier 2018.

Il n'est donc pas condamné à la hauteur de la gravité des faits. Les condamnations dans ce type d'affaires sont généralement très inférieures au quantum des peines qui devrait être appliqué au regard de la nature criminelle de cet acte.

Maître Carine Durrieu-Diebolt, entendue par la délégation le 14 décembre 2017, a cité un cas éloquent à cet égard : « Récemment, après huit ans d'instruction, j'ai défendu une victime devant le tribunal correctionnel de Bobigny pour un viol conjugal . C'est éprouvant : la victime doit bénéficier d'un double accompagnement, à la fois psychologique pour se confronter à ses traumatismes, et de la part de l'avocat pour la préparer au procès (...) Dans cette affaire de viol conjugal avec violences - ce qui est une circonstance aggravante -, le tribunal a condamné le conjoint à trois ans de prison dont un an avec sursis, et sans mandat de dépôt ! L'auteur des faits a donc pu bénéficier d'un aménagement de peine et porter un bracelet électronique, alors que la peine encourue aux assises pour les faits commis est de vingt ans de réclusion ».

Lors de son audition, le procureur de la République de Paris a confirmé cette réalité en la nuançant. En effet, il a indiqué que beaucoup de viols conjugaux sont souvent correctionnalisés à l'issue de l'instruction , tout en précisant les motifs qui peuvent guider le choix de la correctionnalisation dans ce contexte : « Dans le cadre des violences sexuelles au sein du couple, ce phénomène de correctionnalisation se produit souvent à l'issue de la procédure d'instruction , car de très nombreuses victimes préfèrent éviter la cour d'assises pour des raisons multiples, que nous pouvons entendre, notamment pour préserver les enfants, mais aussi pour des raisons de pudeur , autant pour la victime que pour l'accusé, qui ne souhaitent pas évoquer, dans un débat public parfois très long, des relations de couple qu'ils ont envie de garder pour eux. Ainsi, de nombreux dossiers sont correctionnalisés, avec l'accord des parties civiles , à l'issue des procédures diligentées par les juges d'instruction ».

Si la délégation peut entendre ces arguments, elle souhaite néanmoins rappeler que la notion de viol conjugal reste encore mal comprise par les victimes, les professionnels et la société en général , parce qu'elle est encore concurrencée par celle de « devoir conjugal ».

Ainsi, le Docteur Ghada Hatem, gynécologue et fondatrice de La Maison des femmes de Saint-Denis, auditionnée par la délégation le 14 décembre 2017, a relevé que le viol conjugal est mal identifié par les médecins : « Nous nous adressons aussi à celles qui sont victimes de violences conjugales, intrafamiliales ou sexuelles, ce qui inclut le viol conjugal. Cette notion reste mal appréhendée par les médecins . On a encore tendance à considérer que les femmes ont un "devoir conjugal". Heureusement, la loi a changé pour réprimer les relations sexuelles non consenties entre époux » 283 ( * ) .

De même, le Docteur Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol, entendue le 18 janvier 2018, a cité des exemples assez édifiants relatifs à l'accueil reçu par des femmes venant porter plainte pour viol conjugal dans un commissariat : « Sur le viol conjugal, nous avons encore des témoignages selon lesquels la police a dit : "c'est votre mari, vous n'allez pas faire d'histoires !". Nous entendons encore ce genre de propos tenus par la police, en France ! On nous assène encore le devoir conjugal ! » .

Au cours de leur audition, le 18 janvier 2018, les représentantes de la FNSF ont également attiré l'attention de la délégation sur le fait que certains commissariats ou services de gendarmerie opposeraient aux victimes la notion de « devoir conjugal » . De même, l'enquête de la FNSF précédemment citée sur les refus d'enregistrer les plaintes pour violences conjugales rapporte des propos particulièrement graves. Ainsi, selon une association, « il aurait été (...) affirmé que le viol entre époux n'existe pas et qu'il s'agit d'un ?devoir conjugal?. Il lui aurait été de plus expliqué que s'il n'y avait pas de violences physiques, ce n'était pas un viol, et que si elle avait fini par accepter le rapport sexuel, ?c'est qu'elle était consentante ? » 284 ( * ) .

Bien évidemment, de tels propos sont extrêmement dissuasifs pour les victimes ( cf supra ).

Par ailleurs, le Docteur Piet a établi un lien très clair entre violences conjugales et viols conjugaux , en se fondant sur son expérience de médecin : « Dans les violences conjugales, je pense qu'il y a 100 % de viols ».

Ce lien entre violences conjugales et viol conjugal semble corroboré par l'enquête Virage . En effet, au cours de son audition devant la délégation, le 22 février 2018, Christelle Hamel, chercheure à l'INED sur les statistiques de violences faites aux femmes, a indiqué que 73 % des femmes victimes de violences dans le couple déclarent au moins un viol ou une tentative, et qu'il s'agit d'actes répétés .

Lors de son audition, le 16 novembre 2017, Ernestine Ronai, co-présidente de la commission Violences de genre du Haut Conseil à l'Égalité, s'est toutefois montrée plutôt optimiste concernant la répression du viol conjugal. Elle a souligné que le nombre de plaintes et de condamnations augmentait, tout en insistant sur l'importance de communiquer sur le viol conjugal et sa gravité pour favoriser une prise de conscience de la société sur ce sujet : « Sur la question du viol conjugal, le nombre de plaintes est en augmentation, de même que celui des condamnations, si les plaintes sont correctement traitées. La notion de "devoir conjugal" commence à s'estomper ! Grâce aux médias, les Français prennent conscience qu'un viol conjugal, ça existe . Sans doute avons-nous encore besoin d'une campagne de grande ampleur, après celle de mars 2016 sur les agressions sexuelles et les viols. La société est prête, agissons en accord avec elle : télévisions, affiches, flyers... ».

La délégation souhaite le lancement d'une campagne d'information et de sensibilisation sur le viol conjugal , pour faire prendre conscience du fait que les relations sexuelles non consenties entre conjoints sont un crime .

2. Un impératif : mieux protéger les enfants victimes de violences conjugales

Les auditions menées par la délégation lui ont permis de prendre conscience de la nécessité de mieux garantir la cohérence de notre législation entre le champ pénal et le champ civil .

Au cours de l'audition de François Molins, procureur de la République de Paris, le 22 février 2018, notre collègue Laurence Rossignol, ancienne ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes, a souligné cet enjeu : « L'articulation entre la justice pénale et la justice civile en matière de violences conjugales me pose problème. Autant je crois qu'il existe une bonne compréhension des faits en matière pénale, autant la justice civile continue de ne pas prendre en compte la parole de la femme ».

a) Un droit de la famille qui ne prend pas toujours suffisamment en compte les situations de violences intrafamiliales

De même, au cours de son audition du 16 novembre 2017, le magistrat Édouard Durand, co-président de la commission Violences de genre du Haut conseil à l'égalité (HCE), a exprimé la conviction qu'il n'est pa cohérent de protéger les victimes de violences conjugales si la législation du droit de la famille n'est pas en adéquation avec cet objectif fondamental .

Il estime donc qu'il est impératif de mieux prendre en compte les situations de violences conjugales en cas de séparation des parents . Il a déploré à cet égard le fait que le modèle unique du droit de la famille soit aujourd'hui celui de la co-parentalité, c'est-à-dire le principe selon lequel le parent est reconnu dans son statut de parent , quelles que soient les circonstances . Or une telle logique, selon lui, met en danger les femmes et les enfants en cas de violences intrafamiliales : « La coparentalité est, de façon étonnante, quasiment le seul paradigme avec lequel nous pensons les rapports entre les hommes et les femmes , les pères, les mères et les enfants dans la famille aujourd'hui, dans un contexte où les séparations conjugales sont extrêmement nombreuses (...). Nous pensons la parentalité comme l'affirmation de la nécessité de préserver la place des pères , qui serait perçue comme fragile (...). Il n'est pas excessif de penser que le souci quasiment exclusif actuellement semble être de préserver la place du père » 285 ( * ) .

b) Une avancée : l'articulation du 5ème plan de lutte contre les violences faites aux femmes et du premier plan de lutte contre les violences faites aux enfants

La délégation note que l'articulation entre la protection des femmes victimes de violences et celle des enfants victimes de violences est l'une des spécificités du 5 ème plan violences . Elle se félicite de cette avancée et tient à rendre hommage à l'action de notre collègue Laurence Rossignol, co-rapporteure, qui est également à l'origine du premier plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants, pour la période 2017-2019. Ces deux plans formalisent l'analyse selon laquelle les enfants sont des co-victimes des violences faites aux femmes, selon la formule d'Édouard Durand : « Un enfant témoin est un enfant victime » 286 ( * ) .

Le 5 ème plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes souligne la nécessité d'assurer la protection des mères et des enfants pendant la séparation , et intègre les violences économiques aux violences faites aux femmes, au nombre desquelles le non-paiement des pensions alimentaires.

LE 5 ÈME PLAN DE MOBILISATION ET DE LUTTE
CONTRE TOUTES LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES 2017-2019

Le 5 ème plan violences part du constat des avancées importantes qui ont été réalisées pour faire reculer les violences faites aux femmes et mieux protéger les victimes, notamment dans le cadre du 4 ème plan, dont le HCE a dressé un bilan plutôt positif.

Il s'articule autour de trois axes principaux qui déclinent 38 objectifs et couvrent le champ de toutes les violences (violences conjugales, sexuelles, psychologiques...) : l'accès des victimes à leurs droits ; le renforcement de la protection vers des publics spécifiques (enfants, jeunes femmes et femmes vivant en milieu rural) et la lutte contre le sexisme.

Axe 1 : Consolider le parcours de sortie des violences des femmes victimes ( 8 objectifs )

Il s'agit d'assurer l'accès aux droits et de sécuriser les dispositifs qui ont fait leurs preuves pour améliorer le parcours des victimes.

Dans ce domaine, le plan prévoit notamment :

- la consolidation du 3919 et du dispositif des intervenants sociaux dans les commissariats et brigades de gendarmerie ;

- le renforcement de la formation , qui sera systématisée pour certains professionnels : médecins, policiers, gendarmes, mais aussi sapeurs-pompiers ;

- la mise en place d'actions visant à amplifier les dispositifs d'urgence : création de places d'hébergement d'urgence dédiées aux femmes victimes de violences ; mobilisation des dispositifs de protection dans l'urgence que sont l'éviction du conjoint violent, l'ordonnance de protection et le TGD ;

- le développement d'une offre de soins psycho-traumatiques sur le territoire.

Axe 2 : Répondre à la diversité des situations, des territoires et des formes de violences ( 21 objectifs )

Il s'agit de renforcer l'action publique là où les besoins sont les plus importants.

Le plan a pour ambition :

- de mieux articuler la prise en charge des femmes victimes de violences et celle des enfants : cela passe par la formation des professionnels ; la protection des mères et des enfants pendant la séparation (interdiction de la médiation familiale pour fixer l'exercice de l'autorité parentale dans ce type de situation) et après la séparation, grâce à l'action de l'Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (ARIPA) ; l'expérimentation des « espaces de rencontre protégés » et de la « mesure d'accompagnement protégé » ;

- d' améliorer la protection des jeunes femmes particulièrement exposées aux violences, dans le couple et sur Internet , à travers la création de 100 solutions d'hébergement spécialisées dans la prise en charge des 18-25 ans sans enfants ; la mobilisation des missions locales pour les accompagner dans l'insertion professionnelle ; la publication d'un guide sur les violences en ligne et la diffusion de la liste des commissariats dans lesquels les enquêteurs sont formés à la lutte contre les violences sur Internet ;

- d'offrir davantage de dispositifs d'aide aux femmes vivant en milieu rural : mise en place de permanences d'écoute dans les Maisons de service public et sur la base de conventions avec les centres d'information des droits des femmes et des familles (CIDFF) présents en zones rurales ; travail sur la mobilité, à travers l'expérimentation de « bons-taxis » menée dans 25 départements.

Le plan annonce également des actions concrètes qui renforcent « l'accès aux droits des femmes handicapées victimes de violences, des femmes résidant dans les territoires d'Outre-mer et des femmes étrangères ».

Axe 3 : Prévenir les violences en luttant contre le sexisme et la récidive ( 9 objectifs )

Le 5 ème plan violences s'inscrit à cet égard dans la continuité du Plan d'action et de mobilisation contre le sexisme engagé en septembre 2016 : « des campagnes seront menées pour poursuivre le travail de déconstruction des stéréotypes qui constituent le terreau des violences faites aux femmes ».

Enfin, le document de présentation du plan indique que plus de 125 millions d'euros seront engagés pour financer ces mesures entre 2017 et 2019 .

La délégation approuve l'articulation du 5 ème plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes avec le premier plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants .

Elle souhaite que le Parlement soit régulièrement informé de l'application et de l'évaluation des dispositifs que ces plans prévoient, ainsi que des intentions du Gouvernement en ce qui concerne les plans à venir à l'échéance de 2019 .

Elle regrette à cet égard que le premier Plan d'action national contre la traite des êtres humains (2014-2016) n'ait pas été reconduit et actualisé pour la période 2017-2019.

Pour Édouard Durand, magistrat, co-président de la commission Violences de genre du Haut conseil à l'égalité, le manque de cohérence entre champ pénal et champ civil peut avoir de graves conséquences et il convient de toujours avoir pour objectif l'intérêt de l'enfant, en gardant à l'esprit qu'« un mari violent ne peut pas être un bon père » . Comme il l'a mis en exergue au cours de son audition, « plusieurs études ont montré que l'exposition de l'enfant aux violences conjugales a un impact traumatique plus sévère que l'exposition à la guerre ou au terrorisme ».

Selon lui, « Nous savons aussi qu'un enfant sur deux exposé aux violences conjugales est directement victime de violences physiques exercées contre lui par le violent conjugal . De plus, la fille d'un parent violent court 6,5 fois plus de risques qu'une autre d'être victime d'agressions sexuelles ou de viols par le violent conjugal. L'enjeu, pour le parent violent, c'est le pouvoir, qui passe aussi par le sexuel. Il faut donc prendre en compte la dangerosité des violents conjugaux » 287 ( * ) .

Pour le magistrat, il est impératif de garantir la protection des enfants exposés aux violences conjugales à travers la cohérence de la loi : « Tout l'enjeu pour vous, parlementaires, est de garantir la cohérence de la législation . Car si les mesures de protection de l'enfant, d'assistance éducative prises dans les conseils départementaux ou au sein des services d'aide sociale à l'enfance, visent à garantir son besoin de sécurité, il faut aussi avoir cette priorité en tête quand on détermine les modalités d'organisation de la vie de l'enfant en cas de séparation des parents. Car le besoin de sécurité de l'enfant devrait être identique devant n'importe quel juge ou professionnel de la protection de l'enfance » .

c) Plusieurs exemples de manque de cohérence entre champ pénal et champ civil au détriment des victimes

Édouard Durand a cité plusieurs exemples du manque de cohérence entre champ pénal et champ civil en matière de droit de la famille, au détriment des plus fragiles, appelant à la vigilance du législateur sur ce point.

(1) La question de la résidence alternée

Le premier exemple est celui de la résidence alternée . Plusieurs initiatives législatives récentes, sous forme d'amendements ou de propositions de loi, ont proposé d'adopter le principe d'une résidence alternée qui serait la solution prioritaire à l'égard des enfants 288 ( * ) , au nom de la co-parentalité. L'adoption d'une telle mesure reviendrait à faire de la résidence alternée la norme en cas de séparation des parents, la résidence chez l'un des parents devenant l'exception 289 ( * ) .

Édouard Durand a mis en garde contre les effets d'une telle mesure, qui aboutirait selon lui à affaiblir la protection des victimes de violences conjugales : « Vous devez garantir que la loi protège les besoins fondamentaux de l'enfant et les mères victimes de violences conjugales. Cette proposition de loi viendrait à mon sens fragiliser considérablement tous les efforts qui ont été faits pour la protection des femmes de victimes de violences conjugales . Il n'y a pas de compromis possible ! (...) Quand il y a entente entre les parents, je ne suis pas opposé à la garde alternée à partir de 7 ans. Quand il y a conflit léger, on peut le discuter ; quand il y a conflit sévère, absence ou violence, on ne peut pas protéger les victimes en les laissant sous l'emprise de leur agresseur, même quinze ans après la séparation ».

La délégation a été sensible à ces arguments ; un communiqué de presse, en date du 23 novembre 2017, attire l'attention sur les effets pervers d'une telle évolution et remet en question sa pertinence 290 ( * ) . Ce communiqué de presse juge particulièrement « alarmant que le texte proposé par les députés pour l'article 373-2-9 du code civil ne se réfère plus ni à l'intérêt de l'enfant, ni - ce qui est beaucoup plus grave - aux cas où la présence de l'un des deux parents serait un danger pour l'enfant. Si la loi actuelle s'inscrit dans cette double exigence, celle-ci disparaît dans la proposition de loi ».

Il s'étonne d'ailleurs de l'intérêt de la proposition de loi, puisque l'article 373-2-9 du code civil « autorise d'ores et déjà très largement la résidence alternée, à titre provisoire ou définitif ».

ARTICLE 373-2-9 DU CODE CIVIL

En application des deux articles précédents, la résidence de l'enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l'un d'eux .

À la demande de l'un des parents ou en cas de désaccord entre eux sur le mode de résidence de l'enfant, le juge peut ordonner à titre provisoire une résidence en alternance dont il détermine la durée. Au terme de celle-ci, le juge statue définitivement sur la résidence de l'enfant en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l'un d'eux.

Lorsque la résidence de l'enfant est fixée au domicile de l'un des parents, le juge aux affaires familiales statue sur les modalités du droit de visite de l'autre parent . Ce droit de visite, lorsque l'intérêt de l'enfant le commande, peut, par décision spécialement motivée, être exercé dans un espace de rencontre désigné par le juge.

Lorsque l'intérêt de l'enfant le commande ou lorsque la remise directe de l'enfant à l'autre parent présente un danger pour l'un d'eux , le juge en organise les modalités pour qu'elle présente toutes les garanties nécessaires . Il peut prévoir qu'elle s'effectue dans un espace de rencontre qu'il désigne, ou avec l'assistance d'un tiers de confiance ou du représentant d'une personne morale qualifiée.

« Il ne s'agit pas de nier l'intérêt de la résidence alternée quand l'harmonie des relations familiales et la situation financière des parents font de cette formule une solution épanouissante tant pour les parents que pour les enfants » , relevait ce communiqué de presse.

L'objectif était de rappeler que 25 enfants ont été tués en 2016 dans le cadre des violences conjugales et de souligner que « l'on ne saurait, sur des questions aussi graves que le droit de la famille, légiférer dans la précipitation , sous peine d'altérer une cohérence législative acquise, dans ce domaine particulièrement complexe, au fil du temps ».

De la même manière, Édouard Durand a invité la délégation à se défier des propositions de loi régulièrement déposées sur l'autorité parentale et l'intérêt de l'enfant 291 ( * ) . Ces textes mettent en avant, a-t-il rappelé, le concept de « syndrome d'aliénation parentale » (SAP) 292 ( * ) dont l'assise scientifique reste à démontrer : « Il faut combattre par tous les moyens les tentatives pour imposer le "syndrome d'aliénation parentale", caution du déni de la maltraitance faite aux enfants. Un parent protecteur qui alerte sur les troubles manifestés par l'enfant est effectivement instantanément suspecté d'aliénation parentale ».

Le Docteur Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol , entendue le 18 janvier 2018, a évoqué la dangerosité des « violents conjugaux » pour les enfants et les effets pervers du syndrome d'aliénation parentale qui fait le jeu de l'agresseur au détriment des victimes : « Dans la grande majorité des cas, les viols surviennent dans l'enfance, à des âges parfois très tendres (...). En 1985, lorsque j'ai initié la campagne de prévention contre les agressions sexuelles sur enfants, je me suis heurtée à une ambiance de déni (...). Puis nous avons entendu que les mères ne jouaient pas leur rôle de protection. Mais aujourd'hui, alors que les mères tentent de mener à bien cette protection, elles se heurtent aux accusations de manipulation de leurs enfants. Par conséquent, nous ne parvenons pas à protéger les enfants ».

La délégation met en garde contre les effets de la résidence alternée systématique en cas de séparation des parents, qui remettrait en cause, dans les situations de violences intrafamiliales, la nécessaire protection des enfants et du conjoint. Elle appelle donc à la plus grande vigilance à l'égard d'initiatives législatives qui éluderaient toute référence à une situation potentiellement dangereuse, en raison notamment de violences intrafamiliales, dans la définition des conditions de recours à la résidence alternée prévues par le code civil.

(2) Médiation civile et médiation pénale

Le second exemple d'articulation à revoir entre le droit pénal et le droit civil selon Édouard Durand, magistrat, co-président de la commission Violences de genre du HCE est celui de la médiation pénale et de la médiation civile . En effet, le législateur a exclu le recours à la médiation pénale en cas de violences conjugales. S'agissant de la médiation familiale, l'article 373-2-10 du code civil prévoit que le juge peut enjoindre aux parents de rencontrer un médiateur familial « sauf si des violences ont été commises par l'un des parents sur l'autre parent ou sur l'enfant ».

Édouard Durand a donc plaidé pour que la loi permette au juge d'exclure cette médiation dès lors qu'il y aurait suspicion de violences, sans attendre la preuve de leur commission : « Avec les lois de 2010 et 2014, le législateur a exclu le recours à la médiation pénale dans le cas de violences conjugales (...). Mais le législateur a, parallèlement, ouvert la possibilité de la médiation familiale, donc civile, ordonnée par le juge aux affaires familiales et non par le procureur de la République, dans le cadre de la loi de modernisation de la justice du XX e siècle (...). Il faut, j'en suis convaincu, que la loi prévoie une exception très claire à la médiation familiale, notamment en cas de violences conjugales , en l'excluant dès lors que les violences sont alléguées , et pas seulement attendre qu'elles soient commises . Pour éviter la médiation, il suffirait alors de dire qu'on a été victime de violences pour que le juge se saisisse ensuite du fond du dossier ».

(3) Le problème du « divorce sans juge »

Le troisième exemple développé par Édouard Durand concerne le divorce par consentement mutuel , qui peut désormais être acté devant un notaire. Or , les affaires de divorce peuvent être très complexes en cas de violences conjugales et, dans ces situations, le recours au juge peut être plus protecteur pour la victime : « Souvent, les mères victimes savent que la convention par consentement mutuel est totalement inégalitaire, mais elles défendent le père violent. Cette attitude est compréhensible et la position des juges, ainsi que celle des notaires, est difficile dans ces affaires. Le juge doit-il laisser faire s'il n'est pas d'accord avec la convention ? La société doit, par la voix du procureur, prendre une autre décision pour protéger la mère et l'enfant ».

Le magistrat a évoqué une piste d'évolution devant la délégation, sans méconnaître sa complexité : « Puisque nous sommes à la charnière entre les libertés fondamentales, les libertés privées et l'ordre public, il faudrait renforcer la place du procureur de la République dans le procès familial . Le procureur est déjà très présent au civil, en matière d'assistance éducative. C'est lui qui, le plus souvent, saisit le juge des enfants. Mais il est présent de façon rarissime dans la séparation des parents. Pourtant, l'article 373-2-8 du code civil 293 ( * ) prévoit déjà que le procureur de la République peut saisir le juge aux affaires familiales. C'est assez rare dans les faits. Peut-être le législateur pourrait-il ajouter que le procureur puisse intervenir comme partie dans le procès civil aux affaires familiales ».

Dans le souci de mieux protéger les victimes de violences intrafamiliales dans les situations de séparation , la délégation :

- plaide pour une évolution législative visant à exclure sans ambiguïté le recours à la médiation familiale quand l'un des conjoints fait état de violences de la part de l'autre conjoint ;

- suggère la mise à l'étude d'une intervention du procureur de la République comme partie au procès civil aux affaires familiales (divorce...) en cas de violences intrafamiliales.

(4) L'autorité parentale du parent violent : une évolution nécessaire

Enfin, les auditions menées par la délégation ont permis de rappeler les difficultés posées par l'autorité parentale d'un parent violent, qui laisse la possibilité à celui-ci de continuer à exercer son emprise sur les membres de sa famille . Laurence Rossignol a cité à cet égard le meurtre de la petite Marina par son père, lequel a gardé, malgré sa condamnation aux assises, l'autorité parentale sur ses autres enfants, placés à l'Aide sociale à l'enfance (ASE). Ce précédent conduit à s'interroger sur le maintien de l'autorité parentale dans un contexte de violences intrafamiliales . La délégation estime que la question doit se poser, que la victime du parent violent soit un enfant ou son conjoint.

Comme l'a souligné Édouard Durand, « Très peu de décisions de justice retirent l'autorité parentale à un parent agresseur et trop peu accordent à un parent protecteur l'exercice exclusif de l'autorité parentale : nous avons encore une conception de l'autorité parentale servant principalement à reconnaître le parent dans son statut de parent (...). Or l'autorité parentale peut être un moyen d'exercer une emprise sur les membres de la famille . De la même façon, en voulant coûte que coûte maintenir un droit de visite et d'hébergement, voire une résidence alternée, au profit du parent agresseur, nous laissons celui-ci continuer à exercer sa domination sur l'enfant ».

À cet égard, Laurence Rossignol a rappelé que le gouvernement auquel elle appartenait avait en 2016 « fait en sorte que le juge ait à justifier les raisons pour lesquelles il maintient l'autorité parentale d'une personne condamnée ».

Sur ce point, la délégation rappelle la recommandation n° 8 qu'elle avait formulée dans son rapport d'information 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales 294 ( * ) : « La délégation suggère au garde des Sceaux de diligenter une mission d'information sur le retrait total de l'autorité parentale par décision expresse du jugement pénal, à l'encontre des père ou mère qui auraient été condamnés comme auteurs, co-auteurs ou complices d'un crime sur la personne de l'autre parent ».

La délégation estime que cette réflexion sur le retrait de l'autorité parental d'un parent ou d'un conjoint reconnu coupable de meurtre est plus que jamais d'actualité.

Doutant qu'un conjoint violent puisse être un bon parent, la délégation suggère la mise à l'étude d'une privation de l'autorité parentale qui viserait le parent condamné - père ou mère - pour violences intrafamiliales.

3. Poursuivre la montée en puissance des dispositifs de protection des victimes de violences

La délégation souhaite attirer l'attention sur les améliorations envisageables en ce qui concerne plusieurs dispositifs de protection et de mise à l'abri des victimes de violences, notamment dans les Outre-mer : l'ordonnance de protection, le téléphone grave danger (TGD) et les solutions d'hébergement - notamment dans les situations d'urgence - pour les victimes.

a) L'ordonnance de protection

Tout d'abord, en ce qui concerne l'ordonnance de protection, les auditions de la délégation ont mis à jour une application de la loi qui s'est éloignée de la volonté initiale du législateur .

Pour mémoire, la loi du 9 juillet 2010 295 ( * ) a élargi les prérogatives du juge civil (en l'occurrence, le juge aux affaires familiales) en introduisant dans le système juridique français l'ordonnance de protection (OP) 296 ( * ) . L'objectif était de renforcer la protection de la victime de violences (physiques et psychologiques), « dans les meilleurs délais » (72 heures, dans l'esprit du législateur), indépendamment d'une procédure pénale en cours ou d'une procédure de divorce .

Au cours des auditions de la délégation, notre collègue Roland Courteau a regretté à plusieurs reprises que, sauf en Seine-Saint-Denis 297 ( * ) , l'ordonnance de protection rencontre des difficultés d'application , étant délivrée « avec parcimonie et tardivement », alors même qu'elle avait été conçue pour répondre aux risques de représailles menaçant les femmes qui portent plainte contre des violences.

Au cours de l'audition du 15 février 2018, Ernestine Ronai, co-présidente de la commission Violences de genre du Haut conseil à l'égalité, a estimé que le mécanisme des ordonnances de protection monte en puissance , mais que sa bonne application dépend des moyens de la justice et de la formation des magistrats . Elle a indiqué intervenir sur ce thème lors de la formation initiale de tous les magistrats et lors des formations continues.

En outre, a-t-elle rappelé, faisant écho aux préoccupations exprimées par notre collègue Roland Courteau, si la loi prévoit la délivrance de l'ordonnance de protection avant le dépôt de plainte, la réalité est tout autre : « Elle est délivrée dans les faits au moment du dépôt de plainte. Vous devez rappeler la volonté du législateur d'organiser la protection avant le dépôt de plainte » 298 ( * ) .

Également interrogé par Roland Courteau sur l'ordonnance de protection 299 ( * ) , le procureur de la République de Paris a fait valoir l'importance de la formation , notamment celle des avocats : « En procédure pénale, le temps peut être extrêmement rapide : 24 à 48 heures pour la flagrance. Dans une procédure civile, un délai de quinze jours peut apparaître rapide. Cela renvoie aussi au travail de formation et de spécialisation des avocats. Lorsque la victime se présente devant un avocat, celui-ci doit être en mesure de lui indiquer qu'elle peut solliciter une ordonnance de protection, en précisant bien qu'elle ne l'obtiendra que dans quinze jours . L'avocat doit aussi lui conseiller de porter plainte, si elle est battue, pour qu'une procédure en flagrance soit engagée. À Paris et dans les grandes villes, les barreaux ont mis en place des antennes spécialisées, avec des avocats dédiés aux affaires de violences faites aux femmes ou de mineurs, qui interviennent régulièrement devant les juges aux affaires familiales . Ces avocats devraient donc pouvoir bien orienter les victimes. Je reconnais qu'un délai de quinze jours peut être extrêmement long pour la victime ».

La délégation rappelle l' utilité de l'ordonnance de protection (OP) pour la mise à l'abri des victimes de violences, notamment intrafamiliales. Elle souhaite que la volonté du législateur sur la rapidité de sa délivrance soit respectée, ce qui passe par des moyens budgétaires adaptés .

Comme elle l'a déjà fait dans le cadre d'un précédent rapport d'information 300 ( * ) , elle préconise la généralisation de la convocation de l'ex-partenaire violent, qui conditionne la délivrance de l'ordonnance, par voie d'huissier plutôt que par lettre recommandée avec accusé de réception ; elle invite donc les parquets à privilégier cette modalité de convocation pour sécuriser et accélérer la procédure .

b) Le téléphone grave danger

La délégation considère que le téléphone grave danger (TGD) est un outil très utile et efficace de protection des victimes de violences conjugales. Il est important d'en doter tout le territoire .

Le dispositif de téléprotection grave danger a, dans un premier temps, été mis en place à titre expérimental en 2009 dans le département de la Seine-Saint-Denis . Il a ensuite été généralisé par la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes 301 ( * ) .

Dans ce cadre, en cas de grave danger menaçant une personne victimes de violences de la part de son conjoint, de son concubin ou de son partenaire lié par un PACS, le procureur de la République peut attribuer à la victime, pour une durée renouvelable de six mois, et si elle y consent expressément, un dispositif de téléprotection lui permettant d'alerter les autorités publiques . Avec l'accord de la victime, ce dispositif peut, le cas échéant, permettre sa géolocalisation au moment où elle déclenche l'alerte.

Le procureur de la République de Paris a indiqué que son parquet dispose de vingt-cinq téléphones , quinze étant effectivement utilisés et cinq pouvant être mobilisés en cas de besoin. Par ailleurs, cinq téléphones supplémentaires ont été demandés pour porter la dotation parisienne à un total de trente TGD. En outre, ces téléphones seront renouvelés dans le cadre du nouveau marché national mis en oeuvre au niveau du ministère.

Selon François Molins, « Ce dispositif fonctionne très bien et constitue un pan important de la politique pénale du parquet , mais aussi de l'ensemble du réseau. Nous travaillons sur le sujet en bonne entente avec le CIDFF, l'association qui effectue les évaluations à notre demande ».

Au cours de son audition du 15 février 2018 sur les violences faites aux femmes dans les Outre-mer, Ernestine Ronai a appelé les membres de la délégation aux droits des femmes et de la délégation sénatoriale aux Outre-mer à rester vigilants sur la disponibilité des TGD dans les territoires ultramarins . La mise en place du dispositif se heurte notamment selon elle à des problèmes de couverture réseau dans certains territoires : « Soyez attentifs aux téléphones grave danger (TGD) : le troisième appel d'offres risque d'être infructueux dans certains territoires, par manque de couverture réseau (...). Installons au moins des TGD dans les endroits couverts par le réseau - par exemple à Nouméa ».

L'une des recommandations du rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) 302 ( * ) porte ainsi sur l'extension du TGD malgré, parfois, la faiblesse du réseau téléphonique. Cela implique là encore des moyens budgétaires en conséquence, mais aussi un certain volontarisme .

La délégation relève à cet égard que le volontarisme a été mis en avant par le procureur de la République de Paris, qui a évoqué sa propre expérience. À notre collègue Roland Courteau qui estimait que la mise en place des TGD n'était pas qu'une question de moyens, mais aussi de volonté politique, François Molins a ainsi répondu : « Je suis d'accord avec vous. Lorsque je suis arrivé à Paris, en novembre 2011, il n'existait pas de TGD. Au mois de juillet, une convention était signée avec la mairie. Pour avoir exercé les fonctions de procureur en Seine-Saint-Denis, j'avais observé l'efficacité de ce dispositif et je souhaitais vivement en obtenir à Paris. Je les ai obtenus en six mois ».

Dans un souci d'égalité territoriale, la délégation préconise un déploiement rapide, dans tous les Outre-mer , du dispositif téléphone grave danger (TGD).

c) La question cruciale de l'hébergement des victimes de violences, notamment dans les Outre-mer

Enfin, si des progrès ont été réalisés récemment pour améliorer l'accueil des victimes, la question de leur hébergement et de leur mise à l'abri demeure un enjeu fort, notamment dans les Outre-mer .

S'agissant des avancées récentes, Laurence Rossignol, entendue par la délégation le 23 novembre 2017 sur les 4 ème et 5 ème plans de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux femmes, a rappelé que « la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové , dite ALUR a renforcé les obligations des acteurs et actrices départementaux afin de favoriser l'accès au logement social pour les femmes victimes de violences , notamment conjugales. Cette loi réduit en particulier le délai de préavis pour la sortie du logement social partagé avec un conjoint violent ; elle contient par ailleurs de nombreuses dispositions qui permettent de lever les obstacles se dressant devant les femmes qui veulent sortir des situations de violences ».

La problématique de l'hébergement des victimes de violences dans les territoires ultramarins a plus particulièrement émergé au cours de l'audition d'Ernestine Ronai et de Dominique Rivière, le 15 février 2018, sur le rapport précité du CESE, Combattre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer .

Interrogée par notre collègue Viviane Malet sur ce sujet, Ernestine Ronai a estimé que « l'hébergement est un problème majeur ». En effet, on compte quatre centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) pour 1 000 habitants en Guadeloupe, quatre en Guyane, huit à La Réunion, quatre en Martinique, mais 855 en métropole. En outre, certains territoires n'ont pas de foyers mère-enfant.

Le cinquième axe des recommandations du rapport d'Ernestine Ronai et Dominique Rivière porte d'ailleurs sur la consolidation des procédures de soutien aux victimes, notamment le renforcement des solutions de mise à l'abri , car il est particulièrement difficile pour une victime de se protéger d'éventuelles représailles sur une île.

Notre collègue Nassimah Dindar avait également évoqué la question de l'hébergement des victimes de violences dans les Outre-mer, au cours de l'audition de Laurence Rossignol, le 23 novembre 2017 : « Je vous rejoins sur la politique du logement : elle doit être définie au niveau interministériel et intégrer les problématiques des violences faites aux femmes et des violences intrafamiliales, afin qu'une convention conclue avec les bailleurs sociaux permette de disposer d'un intervenant dédié dans chaque groupe d'immeubles. Une association a démontré l'efficacité d'un tel référent de proximité au sein d'une barre d'immeubles ».

La délégation approuve les recommandations formulées par le CESE dans son rapport Combattre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer de mars 2017 303 ( * ) sur le renforcement de la mise en sécurité des victimes par l'accueil et l'hébergement, qui vont dans le sens des préoccupations exprimées par nos collègues ultramarines et note qu'elles sont toujours d'actualité 304 ( * ) .

Enfin, en ce qui concerne l'hébergement des victimes de violences, la délégation a été alertée par plusieurs interlocuteurs 305 ( * ) sur la perspective d'une réduction substantielle des crédits dédiés aux centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) à l'horizon 2020 puis 2022. La baisse des moyens envisagée par le Gouvernement dans le cadre des négociations budgétaires aurait nécessairement un impact sur le nombre de places disponibles .

Il s'agit là d'un sujet d'inquiétude pour la délégation, qui estime que la situation des CHRS devra faire l'objet d'une vigilance particulière au moment de l'examen des prochaines lois de finances .

De surcroît, les interlocuteurs de la délégation ont attiré son attention sur la nécessité de conserver des lieux d'accueil spécialisés et non mixtes pour les victimes de violences , et tout particulièrement les migrantes exposées à un long parcours de violences.

La délégation exprime son attachement à la spécialisation et à la non-mixité des dispositifs d'hébergement pour les femmes victimes de violences , qui garantit une prise en charge adaptée de ces personnes extrêmement vulnérables.

En matière de mise à l'abri et d'hébergement des victimes de violences, la délégation recommande :

- d'accroître significativement dans les Outre-mer l'offre d'hébergement pour les femmes victimes de violences, notamment dans les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et dans les établissements accueillant des femmes avec enfants ;

- de mettre en oeuvre, en matière d'hébergement d'urgence, des partenariats entre l'État, les bailleurs sociaux, les collectivités territoriales et les associations spécialisées, pour faciliter la connaissance de l'offre de logements disponibles et favoriser le relogement pérenne des femmes victimes de violences et de leurs enfants.

Convaincue de la nécessité de prévoir des hébergements adaptés aux femmes victimes de violences pour une prise en charge efficace et une meilleure protection de ces personnes, notamment des femmes migrantes, la délégation plaide en faveur du maintien d'une spécialisation des CHRS et d'une offre d'hébergement non-mixte sur l'ensemble du territoire.


* 283 La loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 a élargi le champ d'application de la circonstance aggravante à de nouveaux auteurs (pacsés et « ex »), et à de nouvelles infractions, notamment pour les crimes et délits de meurtres, viols et agressions sexuelles, reconnaissant ainsi le « viol conjugal ». Par ailleurs, la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 supprime la référence à la présomption de consentement entre époux, en ajoutant dans la définition que le viol est réalisé lorsqu'un rapport sexuel est imposé, «  y compris lorsqu'ils sont unis par les liens du mariage ».

* 284 Fédération Nationale Solidarité Femmes , enquête sur les refus d'enregistrer les plaintes pour violences conjugales, mars 2018, p.11.

* 285 Voir en annexe le compte rendu de cette audition.

* 286 L'objectif 2 du premier plan de lutte et de mobilisation contre les violences faites aux enfants vise à « renforcer le repérage des enfants victimes de violences au sein du couple ». La mesure 13 a pour objectif de « former les professionnels à l'impact des violences en sein du couple sur les enfants » et la mesure 14 à renforcer les liens entre le 3919 et le 119 (numéro vert à disposition des enfants victimes de violences).

* 287 Selon la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF), les viols et agressions sexuelles sur les enfants sont fréquents dans un contexte de violences conjugales.

* 288 Le dernier texte en date sur ce thème est une proposition de loi déposée par le député Philippe Latombe, enregistrée à la présidence de l'Assemblée nationale le 17 octobre 2017 (proposition de loi relative au principe de garde alternée des enfants).

* 289 Actuellement, la question de la résidence de l'enfant en cas de séparation est régie par l'article 373-2-9 du code civil.

* 290 Voir le communiqué de presse : « Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat, opposée à la proposition de loi relative au principe de garde alternée des enfants », 22 novembre 2017.

* 291 Voir par exemple la proposition de loi relative à l'autorité parentale et à l'intérêt de l'enfant, adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture et transmise au Sénat le 27 juin 2014 (14 ème législature, session 2013-2014, texte adopté n° 371).

* 292 Le syndrome d'aliénation parentale a été créé par le psychiatre Richard Gardner dans les années 1980 pour expliquer l'attachement unilatéral d'un enfant à un parent (le plus souvent la mère) quand il s'accompagne d'une attitude de rejet à l'égard de l'autre parent (le plus souvent le père). Le syndrome d'aliénation parentale n'est pas reconnu en tant que trouble par la communauté médicale et judiciaire.

* 293 « Le juge peut également être saisi par l'un des parents ou le ministère public, qui peut lui-même être saisi par un tiers, parent ou non, à l'effet de statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale et sur la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant ».

* 294 Rapport de Corinne Bouchoux, Laurence Cohen, Roland Courteau, Chantal Jouanno, Chantal Kammermann et Françoise Laborde fait au nom de la délégation aux droits des femmes, n° 425, 2015-2016.

* 295 Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

* 296 Le dispositif est défini aux articles 515-9 à 515-13 du code civil.

* 297 Le dispositif est parfaitement opérationnel dans ce département où il existe un circuit organisé entre les différents partenaires (formation, protocole, comité de pilotage). Le département a également choisi de réaliser la convocation par voie d'huissier pour accélérer les délais, car une convocation par une lettre recommandée avec accusé de réception met plus de temps à parvenir à son destinataire. La loi mentionne à cet égard une « convocation par tout moyen dans les meilleurs délais ».

* 298 Voir le compte rendu de cette audition en annexe du présent rapport.

* 299 « Je suis étonné d'entendre que l'ordonnance de protection est délivrée dans un délai de trois à quatre semaines, alors que la loi précise qu'elle doit être délivrée quand la personne ou ses enfants sont en danger, dans les meilleurs délais » (question de Roland Courteau à François Molins, au cours de l'audition du 22 février 2018).

* 300 2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales , rapport d'information n° 425 (2015-2016) .

* 301 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

* 302 CESE, Combattre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer , Dominique Rivière et Ernestine Ronai, 29 mars 2017.

* 303 CESE, Combattre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer , Dominique Rivière et Ernestine Ronai, 29 mars 2017.

* 304 Deux recommandations visant à « renforcer la mise en sécurité par l'accueil et l'hébergement » sont formulées dans le cinquième axe de recommandations, dédié à la consolidation des parcours de sortie des violences. LE CESE recommande ainsi d'accroître significativement dans les Outre-mer l'offre d'hébergement dans les CHRS et les établissements accueillant des mères avec enfants, et de mettre en oeuvre des partenariats entre l'État, les bailleurs sociaux, les collectivités locales et les associations spécialisées dans les Outre-mer afin de fluidifier l'hébergement d'urgence et de favoriser le relogement pérenne des femmes victimes de violences et de leurs enfants.

* 305 La FNSF, au cours de la visite des membres de la délégation dans ses locaux parisiens, le 17 mai 2018, et Marie Cervetti, directrice de FIT , au cours de la présentation au public du rapport sur les mutilations sexuelles féminines de nos collègues Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac.

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