II. PRÉVENIR LA SURTRANSPOSITION : INTERVENIR EN AMONT DANS LES NÉGOCIATIONS EUROPÉENNES POUR FAIRE PRÉVALOIR LES EXIGENCES FRANÇAISES DANS LES TEXTES EUROPÉENS

S'interroger sur la transposition des actes législatifs européens dans le droit national induit une réflexion sur la participation des représentants français auprès de l'Union européenne aux négociations préalables au Conseil voire au Parlement européen, et l'association du monde économique à ce travail. Il s'agit, en effet, pour la France de pouvoir y défendre ses intérêts et ses exigences, et de faire qu'ils soient inclus dans les normes européennes qu'il lui faudra ensuite transposer. Une telle stratégie d'influence doit permettre d'éviter d'éventuelles distorsions de concurrence, résultant du maintien de dispositions nationales parfois plus contraigantes que celles issues du compromis de négociation au niveau européen. Elle doit également prendre en compte la spécificité des PME et ne pas défendre des contraintes susceptibles de constituer des barrières à l'entrée de nature à les faire disparaître.

A. RENFORCER LA PARTICIPATION FRANÇAISE AUX TRAVAUX PRÉPARATOIRES EUROPÉENS

L'anticipation de la transposition au stade des négociations a été appelée de ses voeux par le Conseil d'État dans une étude publiée le 26 mars 2015 16 ( * ) . Force est de constater que le Gouvernement s'est efforcé de développer depuis 2004 une approche raisonnée en la matière, comme en témoigne la circulaire du Premier ministre du 27 septembre 2004 relative à la procédure de transposition en droit interne des directives et des décisions-cadres négociées dans le cadre des institutions européennes. Au-delà de cette vision administrative, une approche plus politique exige un engagement accru de la France dans le travail d'influence au Conseil et au Parlement européen, une plus forte implication dans les comités prévus par la procédure dite de « comitologie », mais aussi une valorisation du rôle du Parlement français.

1. Mener un travail d'influence plus intense lors des négociations en associant les entreprises

La circulaire du 27 septembre 2004, complétée par un guide de bonnes pratiques pouvait laisser augurer une meilleure implication du Gouvernement en amont de la transposition. Elle permet d'envisager les travaux de transposition dès le stade des négociations du texte et doit se traduire par la rédaction de fiches d'impact qui permettent d'apprécier l'incidence du texte européen sur le droit interne, tout en informant le Parlement.

Une première fiche d'impact dite fiche d'impact simplifiée (FIS 1) est ainsi publiée dans les semaines suivant la présentation de la proposition européenne. Cette fiche contient une description succincte du texte et de son insertion dans l'environnement juridique national, ainsi qu'un avis sur le principe du texte. Une fiche d'impact stratégique (FIS 2) est, quant à elle, publiée dans les trois mois. Adressée aux parlementaires, elle précise la position française, l'état de la négociation au sein du Conseil, ainsi que le travail d'influence des autorités françaises au sein du Parlement européen.

La circulaire ne saurait masquer le défaut de travail en commun entre équipes ministérielles chargées des négociations et celles devant traiter de la transposition. Dans un rapport récent, l'Assemblée nationale demande d'ailleurs au Secrétariat général aux affaires européennes de désigner les équipes responsables de la transposition dès le début des négociations sur le projet de directive 17 ( * ) . Cette dimension ne doit pas être occultée au profit des réflexions sur le fond et doit être au coeur de la stratégie d'influence des autorités françaises, afin de bien anticiper les enjeux de transposition lors de la négociation pour ajuster, le cas échéant, la position de négociation.

Les équipes de négociation et de transposition doivent également mieux associer à leurs réflexions les représentants du monde économique. Le travail mené dans le cadre du Conseil national de l'industrie (CNI) mériterait ainsi d'être valorisé au moment de la phase de négociation. La section thématique Réglementation et simplification du CNI réalise, depuis 2013, un examen des normes existantes filière par filière. Elle réunit à cet effet des représentants des principales filières industrielles (fédérations professionnelles et comités stratégiques de filière - CSF) et des représentants des administrations en charge de l'élaboration des réglementations.

On peut regretter, par ailleurs, que l'approche plus politique des négociations puisse conduire à en négliger la dimension juridique. En témoigne ainsi l'absence quasi-systématique de saisine pour avis du Conseil d'État, dès le stade des négociations. Cette saisine, prévue par la circulaire du 30 janvier 2003 18 ( * ) , devrait pourtant permettre de mieux envisager les difficultés que pourrait poser la transposition du projet européen, en mettant notamment en avant les risques d'augmentation de la charge administrative pour les acteurs économiques.

Plus largement, il convient d'insister sur le nécessaire travail d'influence à mener au Conseil pour sensibiliser nos partenaires aux objectifs d'intérêt général que défend la France en matière protection des consommateurs ou de l'environnement par exemple. Nos standards peuvent, en effet, être plus exigeants. Un texte moins allant au niveau européen risque alors de conduire à une surtransposition en droit national donc à des distorsions de concurrence. On relèvera ainsi, qu'avant même la phase de négociations, les préoccupations en matière de transposition devraient être relayées dans les consultations préalables menées par la Commission européenne (livre blanc). Comme l'a relevé le Conseil d'État dans son étude de 2015, il s'agit d'identifier les difficultés que la mise en oeuvre en droit interne des propositions envisagées est susceptible de causer et d'en informer la Commission européenne.

Par ailleurs, comme l'a noté le Conseil d'État en 2015, l'application de la circulaire de 2004 reste sujette à caution. Les FIS 2 ne sont, ainsi, le plus souvent, pas établies.

Recommandation 1 - Demander au Gouvernement de mieux associer le monde économique aux négociations sur les projets d'actes législatifs européens en amont de la transposition.

Recommandation 2 - Inciter le Gouvernement à mieux prendre en compte les enjeux liés à la transposition en utilisant les moyens dont il dispose : réponse aux consultations européennes, saisine du Conseil d'État sur les propositions de textes européens et mise en place précoce d'équipes ministérielles de transposition afin qu'elles dialoguent avec les équipes de négociation.

2. S'impliquer dans les comités et le processus d'élaboration des actes délégués et d'exécution de la Commission européenne

L'implication du Gouvernement ne doit pas se limiter à la seule participation active aux travaux des co-législateurs. Le droit européen est en effet marqué depuis quelques années par un recours accru aux actes délégués et actes d'exécution, chargés de préciser l'application des actes législatifs européens.

La Commission dispose, en effet, en vertu de l'article 17 du traité sur l'Union européenne, d'une compétence d'exécution. Introduits par le traité de Lisbonne, les articles 290 et 291 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoient que cette délégation de compétence se traduit par deux types d'actes, les actes délégués et les actes d'exécution :

- les actes délégués complètent ou modifient certains éléments non essentiels d'un acte législatif. Ils sont adoptés sous le contrôle du législateur qui peut révoquer sa délégation à tout moment ;

- les actes d'exécution fixent, quant à eux, les modalités de mise en oeuvre des actes législatifs.

Préparés par la Commission européenne, les actes délégués et les actes d'exécution sont souvent d'une très grande technicité.

Pour autant, les co-législateurs ne sont pas écartés de la procédure d'adoption puisque le Parlement européen et le Conseil disposent d'un délai d'objection de deux mois, délai qui est prorogeable de deux mois à l'initiative d'une des institutions. Une procédure d'urgence est réservée aux cas exceptionnels, tels que ceux concernant les questions de sécurité et de sûreté, la protection de la santé et de la sécurité, ou les relations extérieures, y compris les crises humanitaires. Le Parlement européen et le Conseil justifient le choix de la procédure d'urgence dans l'acte de base.

Les États sont, par ailleurs, associés à l'élaboration de ces actes. Les modalités de contrôle de l'exercice des compétences d'exécution par la Commission sont détaillées au sein d'un règlement de 2011, dit règlement « comitologie » 19 ( * ) . Aux termes de celui-ci, les représentants de la Commission présentent des projets d'actes d'exécution à un comité composé de représentants des États membres - le comité d'examen - qui émet un avis à l'issue d'un vote. Les votes sont effectués conformément à la règle de la majorité qualifiée : 55 % des États membres représentant 65 % de la population de l'Union européenne 20 ( * ) .

Si une majorité qualifiée se prononce en faveur de la proposition d'acte, la Commission doit l'adopter. À l'inverse, si la majorité qualifiée est défavorable au projet, la Commission ne peut l'adopter. Enfin, si aucune majorité qualifiée n'est dégagée, la Commission peut décider d'adopter l'acte.

Un certain nombre d'actes d'exécution ne peuvent cependant pas être adoptés dès lors que le comité d'examen n'a pas émis d'avis. Il s'agit :

- des actes portant sur la fiscalité, les services financiers, la protection de la santé, la sécurité des personnes, des animaux et des plantes ou les mesures de sauvegarde multilatérales définitives ;

- d'actes pour lesquels l'acte de base prévoyait expressément qu'ils ne pouvaient être adoptés faute d'avis du comité d'examen (clause d'absence d'avis) ;

- d'actes qui ont suscité une opposition d'une majorité simple des membres du comité d'examen.

L'acte d'exécution est alors soumis au comité d'appel, qui est également composé de représentants des États membres, mais à un niveau plus élevé. Il émet un avis, conformément à la règle de la majorité qualifiée détaillée plus haut. Si le comité d'appel se conclut par l'absence d'avis, la Commission est libre d'adopter le projet d'acte d'exécution. Il convient de rappeler à ce stade que le Tribunal de l'Union européenne a estimé en 2013 que la Commission s'était trouvée en situation de carence lorsqu'elle s'est abstenue de poursuivre une procédure d'autorisation, faute d'avis du comité d'appel 21 ( * ) .

L'absence d'avis ou les avis défavorables du comité d'appel sont rares. En 2015, ils représentaient 2 % des 1 726 avis émis par les comités d'examen et d'appel. Sur la période 2011-2015, le comité d'appel a cependant confirmé l'absence d'avis sur 36 des 40 cas qui lui ont été soumis. Le comité d'appel n'a donc pas permis de clarifier la position des États membres. La Commission relève ainsi qu'entre 2015 et 2016, elle a été contrainte d'adopter 17 actes visant l'autorisation de produits et de substances sensibles, à l'instar du glyphosate ou des organismes génétiquement modifiés, alors que les États membres n'étaient pas parvenus à adopter une position. Ce constat illustre bien la faiblesse de la stratégie d'influence française en vue de faire adopter des normes européennes répondant aux exigences et objectifs nationaux, au risque de générer, par la suite, des distorsions de concurrence.

S'agissant des actes délégués , l'accord interinstitutionnel « Mieux légiférer », adopté en avril 2016, contient une convention d'entente qui répond à la préoccupation du Conseil sur la consultation des experts des États membres 22 ( * ) . Cette convention prévoit en effet un engagement clair en faveur d'une consultation systématique des experts des États membres au cours de la préparation des actes délégués, y compris sur le projet de texte. Aux termes de l'accord interinstitutionnel, les projets d'actes délégués peuvent donner lieu à des consultations publiques. Ils sont alors accessibles durant quatre semaines via le site internet de la Commission européenne.

Les experts des États membres sont consultés sur les projets d'actes délégués et d'actes d'exécution, la nomination de ceux-ci restant à la discrétion des gouvernements. Des consultations avec les parties intéressées peuvent également être organisées. La modification substantielle d'un projet d'acte délégué après consultation donne lieu à un nouvel avis des experts. Afin de garantir l'égalité d'accès à l'ensemble des informations, le Parlement européen et le Conseil reçoivent tous les documents au même moment que les experts des États membres. Les experts du Parlement européen et du Conseil ont systématiquement accès aux réunions des groupes d'experts de la Commission auxquelles les experts des États membres sont invités lorsqu'elles concernent la préparation d'actes délégués. Des analyses d'impact peuvent, le cas échéant, être produites sur les actes d'exécution ou les actes délégués susceptibles d'avoir des conséquences importantes.

Reste que la procédure semble souffrir d'un manque d'implication des États. Dans ce contexte et comme indiqué par son président dans le discours sur l'état de l'Union de septembre 2016, la Commission européenne a souhaité aller plus loin et améliorer la procédure, en présentant une proposition de règlement le 14 février 2017 23 ( * ) . Il s'agit pour elle de responsabiliser les États membres et d'éviter que la décision finale incombe à la Commission européenne, faute de soutien politique clair des États membres. Elle a également souhaité rendre la procédure plus transparente. Le texte, qui a suscité des réserves au Sénat 24 ( * ) , est toujours en débat. Il présente l'avantage de responsabiliser un peu plus les États membres et de clarifier leur rôle dans l'adoption des actes d'exécution. Il va donc dans le sens d'une meilleure implication des États dans les négociations européennes. Cette implication renforcée doit être conjuguée à une meilleure association des acteurs du monde économique aux négociations des actes qui y sont adoptés.

Recommandation 3 - Demander au Gouvernement une meilleure implication dans la procédure dite de « comitologie » et associer plus étroitement les acteurs du monde économique aux négociations sur les actes qui sont adoptés dans ce cadre.

3. S'investir dans les travaux des comités européens de normalisation

Les normes techniques sont, au sein de l'Union européenne, élaborées au sein de deux comités : le Comité européen de normalisation (CEN) et le Comité européen de normalisation électrotechnique (Cenelec). La décision prise en 1985 par le Conseil relative aux directives « nouvelle approche » confère à des normes adoptées par le CEN ou le Cenelec une valeur quasi obligatoire dans le droit européen. Une directive de 1998 renforce ce lien 25 ( * ) . Cette approche permet, d'une part, d'éviter la multiplication de textes européens trop précis ou difficiles à faire évoluer au gré des innovations et, d'autre part, d'assurer le respect de normes communes en matière de sécurité ou de santé des consommateurs. Ainsi, dans de nombreux secteurs économiques, la norme européenne apparaît comme une coproduction des institutions politiques et du secteur privé. Un rapport de la commission des affaires européennes a ainsi rappelé qu'à la mi-2016, plus de 4 400 normes issues du CEN et du Cenelec venaient en appui de plus de 40 textes européens 26 ( * ) .

Comme l'a rappelé un récent rapport de la commission des affaires économiques, présenté par Mme Elisabeth Lamure, présidente de la délégation aux entreprises, si la présence de la France est forte au sein du CEN, puisqu'elle détient 21 % des secrétariats des comités et sous-comités ainsi que 19 % des responsabilités des groupes de travail, elle demeure inférieure à celle de l'Allemagne, pour laquelle les chiffres atteignent respectivement 30 % et 35 % 27 ( * ) . Au Cenelec, la France se place en troisième position, derrière l'Allemagne et le Royaume-Uni, avec 18 % des secrétariats des comités et task forces .

L'une des contributions reçues en réponse à la consultation dont rend compte ce rapport illustre l'importance d'une participation nationale active aux instances de normalisation européenne, notamment dans le secteur des industries mécaniques : l'organisme d'assurance sociale allemand (DGUV), par l'intermédiaire de ses branches sectorielles (BG), est très impliqué dans la normalisation européenne, à la fois pour l'animation des travaux et la réalisation d'essais (certains BG étant aussi laboratoires d'essais), et entretient une grande proximité avec les industriels allemands, considérant souvent que leur état de l'art est l'état de l'art en Europe.

Il s'agit donc d'améliorer l'influence française dans les organisations européennes de normalisation et de développer une vision stratégique en la matière. Comme l'indique le rapport pré-cité de la commission des affaires économiques, il convient ainsi :

- d'amener de nouveaux sujets et domaines d'activité ;

- de reprendre des comités et des sous-comités dont le secrétariat est vacant ;

- de ne pas renoncer à des responsabilités occupées dans les comités ou sous-comités.

Recommandation 4 - Développer une véritable stratégie d'influence au sein des comités de normalisation européens en vue d'y faire valoir les procédés de fabrication industrielle français.

4. Valoriser le rôle du Parlement national

L'intervention du Parlement au cours de la procédure législative européenne peut être de deux ordres. Cette intervention est d'autant plus importante qu'elle permet au législateur de faire prévaloir les spécificités du droit français avant l'édiction de la norme européenne. Elle permet également d'anticiper les questions à venir au moment de la transposition en droit national de l'acte législatif européen.

a) Le contrôle de subsidiarité

Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1 er décembre 2009, les parlements nationaux disposent de nouvelles compétences en matière de contrôle de la subsidiarité. Reprises à l'article 88-6 de la Constitution, elles lui donnent compétence pour vérifier que l'Union européenne, en adoptant un projet d'acte législatif, reste bien dans son rôle, qu'elle intervient à bon escient et évite l'excès de réglementation. À cette fin, chacune des chambres est directement destinataire des projets d'actes législatifs européens.

Le Sénat, comme l'Assemblée nationale, peut adopter un avis motivé prenant la forme d'une résolution s'il estime qu'une proposition législative ne respecte pas le principe de subsidiarité. Il y indique les raisons pour lesquelles la proposition ne lui paraît pas conforme à ce principe. Le délai pour adopter un avis motivé est fixé par les traités à huit semaines, à compter de la date à laquelle les parlements nationaux ont été saisis du texte par la Commission européenne. Depuis 2009, le Sénat a ainsi adopté 30 avis motivés au titre du contrôle de subsidiarité.

Modalités de prise en compte des avis motivés

Lorsque des avis motivés émanent d'au moins un tiers des voix attribuées aux parlements nationaux (une voix par chambre pour les parlements bicaméraux, deux voix pour les parlements monocaméraux), le projet doit être réexaminé («carton jaune»). L'institution dont émane le projet d'acte législatif peut décider, soit de maintenir le projet, soit de le modifier, soit de le retirer, en motivant cette décision. En ce qui concerne les textes relatifs à l'espace de liberté, de sécurité et de justice, ce seuil est abaissé à un quart.

Lorsque, dans le cadre de la procédure législative ordinaire, au moins une majorité simple des voix attribuées aux parlements nationaux conteste la conformité d'une proposition législative au principe de subsidiarité et que la Commission décide de maintenir sa proposition, la question est renvoyée au législateur (le Parlement européen et le Conseil), qui se prononce en première lecture. Si le législateur estime que la proposition législative n'est pas compatible avec le principe de subsidiarité, il peut la rejeter à la majorité de 55 % des membres du Conseil ou de la majorité des voix exprimées au Parlement européen (« carton orange »).

Chaque assemblée peut également former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne contre un acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité. À la demande de soixante députés ou de soixante sénateurs, le recours est de droit.

Ce contrôle, même s'il ne se traduit pas automatiquement par le retrait d'un texte contesté, est l'occasion, en tout état de cause, de mesurer indirectement la compatibilité entre le projet européen et le texte en vigueur français. Il constitue en l'espèce un véritable mécanisme d'alerte en vue de la future transposition.

b) La participation aux négociations au fond
(1) Les propositions de résolution européenne

L'article 88-4 de la Constitution permet au Sénat, comme à l'Assemblée nationale, de voter des résolutions sur les propositions de textes européens avant qu'ils ne soient adoptés par les institutions européennes et deviennent des directives, des règlements ou des décisions de l'Union. À cet effet, le Gouvernement doit soumettre au Parlement tous les projets d'acte de l'Union européenne, dès leur transmission au Conseil. Les commissions des affaires européennes des deux chambres sont chargées d'examiner systématiquement les projets d'acte de l'Union soumis par le Gouvernement, afin de déterminer ceux d'entre eux qui présentent un enjeu important et soulèvent des difficultés. Elles peuvent prendre l'initiative d'une résolution européenne, qui est alors soumise à l'approbation de la commission compétente au fond, ou de la séance plénière. À l'issue d'un délai d'un mois, la proposition de la commission des affaires européennes devient résolution du Sénat. La résolution européenne indique au Gouvernement des objectifs à poursuivre pour la négociation du projet d'acte européen au sein du Conseil.

Afin de garantir la possibilité de prendre en compte les résolutions des assemblées, une « réserve d'examen parlementaire » a été mise en place. Ce mécanisme assure à chacune des deux chambres, un délai de 8 semaines pour manifester sa volonté de se prononcer sur un projet d'acte législatif européen. Lorsqu'une telle volonté s'est clairement manifestée, le Gouvernement doit éviter de prendre une position définitive au Conseil et, si nécessaire, proposer un report du vote du Conseil pour que la résolution parlementaire puisse être prise en compte.

La prise en compte des résolutions européennes par le Gouvernement n'est pas négligeable. Sur les 18 résolutions européennes adoptées par le Sénat entre le 1 er octobre 2016 et le 30 septembre 2017, 10, soit près de 56 %, ont été satisfaites au cours des négociations, voire dans le texte européen définitif. Ce taux de satisfaction avait atteint 68 % entre le 1 er octobre 2015 et le 30 septembre 2016 28 ( * ) . Il existe donc là un véritable biais pour intervenir en amont de la transposition.

Reste que ce biais exige des échanges réguliers avec le Gouvernement. De manière à formaliser le suivi des positions exprimées par les deux chambres, le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) établit une « fiche de suivi de résolution » qu'il adresse à la commission des affaires européennes. Comme l'a relevé dans son rapport le président de la commission des affaires européennes, M. Jean Bizet, en février 2018, la procédure reste largement perfectible. En effet, les fiches de suivi sont encore transmises trop tardivement et, surtout, sans lien avec l'avancée des négociations sur une proposition de texte européen. Afin de suivre au mieux les négociations à Bruxelles, il serait nécessaire que le SGAE transmette ces fiches de façon plus régulière tout au long de l'année, ce qui permettrait là encore d'anticiper le travail de transposition.

Il serait par ailleurs nécessaire que le Gouvernement donne régulièrement des informations aux Assemblées sur l'évolution des négociations en cours. Les ministres en charge du domaine concerné par la proposition d'acte européen en discussion devraient ainsi être tenus de faire régulièrement le point sur l'état d'avancement des discussions et les enjeux économiques qui s'y attachent, la position défendue notamment à cet égard par la France et les réactions des États membres, afin de nourrir un dialogue actif avec le Parlement. Celui-ci serait ainsi en position de rappeler ses préoccupations et de s'assurer de la prise en compte des enjeux de compétitivité.

Recommandation 5 - Renforcer les échanges entre le Gouvernement et le Parlement sur le suivi des résolutions européennes adoptées par celui-ci et anticiper ainsi les enjeux liés à la transposition.

(2) Les avis politiques

Mis en place en 2005 et centré sur les questions de subsidiarité, le dialogue direct entre la Commission européenne et les parlements nationaux s'est recentré, depuis 2009, sur le contenu même des propositions d'actes législatifs, prenant le nom de « dialogue politique ». La commission des affaires européennes adopte des avis politiques, en principe dans un délai de deux mois, en réaction aux documents qui lui sont adressés par la Commission. Celle-ci doit en principe y répondre dans les trois mois. Le respect de ce délai reste inégal. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit là encore d'un biais intéressant pour intervenir en amont de la transposition.


* 16 Directives européennes : anticiper pour mieux transposer.

* 17 Lutter contre la surtransposition des directives européennes dans le droit français , Rapport d'information n° 532 (2017-2018) de Mme Alice Thouriot et M. Jean-Luc Warsmann, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation, et de l'administration générale de la République, déposé le 21 décembre 2017.

* 18 Circulaire n°4-904/SG du 30 janvier 2003 relative à la saisine pour avis du Conseil d'État lors de la négociation d'actes de l'Union européenne.

* 19 Règlement (UE) n°182/2011 du 28 février 2011 établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l'exercice des compétences d'exécution par la Commission.

* 20 Article 16, paragraphe 4, du traité sur l'Union européenne et article 238, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

* 21 Arrêt du Tribunal du 26 septembre 2013, Pioneer Hi-Bred International, inc c. Commission.

* 22 Accord interinstitutionnel entre le Parlement européen, le Conseil de l'Union européenne et la Commission européenne «Mieux légiférer» du 13 avril 2016.

* 23 Proposition de règlement portant modification du règlement (UE) n° 182/2011 établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l'exercice des compétences d'exécution par la Commission (COM(2017) 85 final).

* 24 Résolution européenne n°122 (2017-2018) sur la réforme du règlement « Comitologie » (COM (2017) 85 final).

* 25 Directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 proposant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques.

* 26 La simplification du droit : une exigence pour l'Union européenne , Rapport d'information n° 387 (2016-2017) de MM. Jean Bizet, Pascal Allizard, Philippe Bonnecarrère, Michel Delebarre, Jean-Paul Émorine, Claude Kern, Didier Marie, Daniel Raoul et Simon Sutour, fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 9 février 2017.

* 27 Où va la normalisation ? - En quête d'une stratégie de compétitivité respectueuse de l'intérêt général ,Rapport d'information n° 627 (2016-2017) de Mme Élisabeth Lamure, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 12 juillet 2017.

* 28 Le Sénat influent dans les négociations à Bruxelles , Rapport d'information n° 325 (2017-2018) de M. Jean Bizet, fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 21 février 2018.

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