N° 1792

N° 399

ASSEMBLÉE NATIONALE

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

SESSION ORDINAIRE 2018 - 2019

Enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale

Enregistré à la présidence du Sénat

le 21 mars 2019

le 21 mars 2019

RAPPORT

au nom de

L'OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

LA PRÉVENTION ET L'ALERTE DU RISQUE DE TSUNAMI SUR LES CÔTES FRANÇAISES

Compte rendu de l'audition publique du 7 février 2019

et de la présentation des conclusions du 21 mars 2019

PAR

M. Roland COURTEAU, sénateur

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale

par M. Cédric VILLANI,

Premier vice-président de l'Office

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Gérard LONGUET,

Président de l'Office

CONCLUSIONS DE L'OFFICE SUR LA PRÉVENTION ET L'ALERTE DU RISQUE DE TSUNAMI
SUR LES CÔTES FRANÇAISES

L'Office a organisé une audition publique le 7 février 2019 en vue de dresser le bilan des recommandations d'un rapport présenté en 2007 sur la prévention et l'alerte du risque de tsunami sur les côtes françaises 1 ( * ) , c'est-à-dire l'ensemble des bassins, où la France, y compris à travers ses départements et territoires d'Outre-Mer, est présente. Ce premier rapport a été suivi d'un rapport consacré aux seuls dispositifs d'alerte en 2009 2 ( * ) .

L'attention portée à ce risque majeur pour les populations du littoral reflète la conviction, constamment réaffirmée à travers ces rapports, que la diminution de la vulnérabilité de nos sociétés face au risque de tsunami dépend d'une meilleure connaissance de l'aléa et de l'instauration de systèmes d'alerte efficaces et fiables . L'opinion publique accepte de moins en moins de voir des populations ne pas être protégées alors que des dispositifs d'alerte peuvent être instaurés et sauver des vies humaines.

À la suite de cette audition publique, l'Office est en mesure d'émettre plusieurs conclusions. Il se félicite tout d'abord de la création, en 2012, d'un centre national d'alerte aux tsunamis 3 ( * ) (CENALT), conformément aux recommandations de son rapport de 2007. Il s'agit d'une avancée majeure même si le dispositif ne couvre que la Méditerranée et l'Atlantique Nord-Est . Cette zone, moins touchée que d'autres, comme celle du Pacifique, a connu néanmoins un nombre notable de tsunamis, dont témoigne la carte suivante.

Carte des tsunamis depuis l'an 79

Source : CENALT

Les trois principaux types d'événement susceptibles d'engendrer un tsunami 4 ( * ) - séismes sous-marins ou côtiers, glissements de terrain ou explosions volcaniques - ont frappé la Méditerranée dans la période récente :

- les évènements en Grèce et en Turquie, en 2017 , nous ont ainsi rappelé que des tsunamis de faible ampleur en conséquence de séismes sous-marins frappent notre région régulièrement . Mais des catastrophes plus graves ont également eu lieu en Méditerranée si l'on remonte un peu plus loin dans le temps. Ainsi après le séisme de Boumerdès , en Algérie, le 21 janvier 2003 , alors que les médias avaient communiqué sur l'absence d'impact de ce tsunami sur les côtes françaises, plusieurs bateaux ont été endommagés dans des ports de la côte d'Azur, témoignant de la vulnérabilité particulière des ports face au risque de tsunami. Dans le port de Théoule-sur-Mer par exemple, il a été observé une montée rapide et importante du niveau de l'eau, suivie d'un retrait provoquant par « effet de pompe » un assèchement partiel du port. Dans le port de la Figueirette, le niveau de l'eau est descendu d'environ 1,5 mètre dans l'ensemble des bassins, avec de très forts courants entrants et sortants. En 1908 , le séisme de Messine a provoqué un tsunami qui a fait plus de 10 000 victimes . En 1887, en Mer Ligure, un tsunami a déferlé sur la côte d'Azur. Il a fait quelques centaines de victimes, mais à cette époque-là, il y avait peu de touristes ou de plaisanciers. La même catastrophe emporterait, aujourd'hui, des milliers de personnes. Précédemment, en 1755 , le séisme de Lisbonne est à l'origine d'un tsunami meurtrier, qui a impacté les Antilles et même l'Irlande ;

- en matière de tsunamis consécutifs à des glissements de terrain , il faut mentionner l'accident du 16 octobre 1979, qui a causé plusieurs victimes. Une partie de la plate-forme de remblaiement de l' aéroport de Nice a alors disparu dans la mer et, quelques minutes plus tard, après une baisse relative du niveau de la mer, un tsunami a submergé le littoral et une vague estimée entre 2,5 et 3,5 mètres de haut a déferlé sur la plage de la Salis à Antibes ;

- l'effondrement du Krakatoa en décembre 2018 , rappelle que les éruptions volcaniques risquent aussi d'induire des tsunamis meurtriers . Or nous connaissons des éruptions près de nos côtes : c'est arrivé en Italie, avec le Stromboli à plusieurs reprises dans les années 2000, ainsi qu'en Grèce sur l'archipel de Santorin dans l'antiquité.

Lorsqu'un risque de tsunami est avéré, l'information doit être rapidement transmise aux autorités en charge de la sécurité civile afin qu'elles prennent les dispositions nécessaires. Cette alerte dite « montante » semble bien fonctionner à la suite de la mise en place du CENALT. Ce dernier est en mesure d'émettre des messages d'alerte 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, en indiquant la survenue de séismes susceptibles de générer un tsunami. Cette « alerte montante » constitue une première brique dans l'architecture d'un dispositif d'alerte efficace mais elle est insuffisante sans une « alerte descendante » performante et particulièrement rapide. Le message d'alerte doit en effet vite redescendre vers les services publics et les populations concernés, avec des moyens de communication adaptés et fiables, compte tenu de délais de réaction très courts.

Des marges de progression importantes demeurent s'agissant de cette « alerte descendante » et de l'articulation entre « alerte montante » et « alerte descendante ». La chaîne doit fonctionner de bout en bout, sans maillons faibles.

Or les exercices conduits ont montré des faiblesses du côté du Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises 5 ( * ) (COGIC) du ministère de l'intérieur, qui se situe à la jonction de l'alerte montante et de l'alerte descendante. Les délais de transmission de l'alerte descendante sont trop longs et laissent une trop grande place aux incertitudes. La multiplication des acteurs intermédiaires concernés aggrave la situation.

Schéma des circuits de l'alerte descendante

Préfecture des Bouches-du-Rhône

Une autre fragilité concerne la sensibilisation et l'éducation des populations les plus exposées, à la fois au risque tsunami mais aussi à l'alerte elle-même ainsi qu'à ses modalités. L'installation de sirènes pour prévenir les populations paraît essentielle, d'autant qu'en cas de séisme proche des côtes, les réseaux de communication traditionnels (téléphonie fixe et mobile par exemple) peuvent devenir inutilisables. Au cours de l'audition publique du 7 février 2019, les services du ministère de l'intérieur ont indiqué qu'un objectif minimal de déploiement de 5 000 sirènes serait atteignable.

L'ensemble des acteurs locaux - préfectures et autres services de l'État, élus et collectivités territoriales, autorités portuaires, établissements scolaires, chambres de commerce et d'industrie, offices du tourisme, surveillants de plage, hôtels et autres professionnels du tourisme, presse locale etc. - doivent être mobilisés .

Des campagnes de sensibilisation incitant aux bons réflexes , à ce qu'il faut faire ou ne pas faire, doivent être répétées en recourant au plus grand nombre possible de vecteurs de communication (expositions, colloques, brochures, dépliants, affiches, communiqués de presse, émissions de radio...). Une signalisation spécifique ou encore l'organisation d'exercices d'entraînement 6 ( * ) simulant l'arrivée d'un tsunami et l'évacuation d'une zone sont d'autres actions à mettre en place. Ces exercices sont indispensables pour identifier les dysfonctionnements et améliorer l'efficacité des dispositifs existants. Des cartes en vue des évacuations doivent permettre de repérer les voies utilisables pour l'acheminement des secours et l'évacuation des populations.

En outre, s'il est difficile de généraliser le même dispositif d'alerte aux tsunamis sur tout le littoral français, des systèmes d'alerte adaptés à la problématique des tsunamis, doivent être mis en place, dans les zones cumulant à la fois un risque important de tsunami et une vulnérabilité élevée. Dans nos départements et territoires d'Outre-Mer, à l'exception de la Polynésie française déjà dotée d'un dispositif d'alerte spécifique couvrant aussi Wallis et Futuna, beaucoup reste à faire.

Les bassins Caraïbes et Océan Indien apparaissent particulièrement démunis. Le CENALT pourrait donc avantageusement couvrir également les Antilles, Mayotte et la Réunion , zones exposées aux risques de tsunami. Les financements nécessaires à un tel dispositif seraient d'ampleur modérée. Nos 10 millions de km 2 de zone économique exclusive répartis dans tous les océans soulignent notre vulnérabilité face au risque tsunami. La taille de cette zone maritime est un risque en termes de sécurité mais elle est aussi un atout en termes économique, géostratégique ou scientifique. Le risque zéro n'existera jamais mais des systèmes d'alerte performants peuvent réduire considérablement le nombre de pertes de vies humaines en cas de tsunami, à la condition que la chaîne d'information et de décisions fonctionne et arrive jusqu'aux populations.

Au terme de cette audition, votre rapporteur a indiqué qu'il saisirait le ministre de l'intérieur pour que soient engagées des modifications du dispositif actuel afin de réduire les délais de transmission de l'alerte vers les populations.

Il a également demandé à avoir connaissance du calendrier de déploiement, en deux vagues, de 5 000 sirènes, prévues pour les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Languedoc-Roussillon.

Il exercera un contrôle vigilant sur les suites qui seront réservées à sa suggestion visant à ce que le CENALT puisse couvrir, non seulement les côtes de la Méditerranée Occidentale et de l'Atlantique Nord Est, mais aussi celles des Antilles Françaises, de Mayotte et de la Réunion.


* 1 Rapport de Roland Courteau, « L'évaluation et la prévention du risque du tsunami sur les côtes françaises en métropole et outre-mer », qui faisait suite au tsunami de Sumatra du 22 mars 2005 et dans lequel figurent des propositions globales concernant les quatre bassins ainsi que des recommandations spécifiques par bassin. Il est consultable sur les sites du Sénat : n° 117 (2007-2008) https://www.senat.fr/notice-rapport/2007/r07-117-notice.html et de l'Assemblée nationale : n° 488 http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/evaluation_prevention_risque_tsunami_cotes_francaises.asp

* 2 Rapport de Roland Courteau et Jean-Claude Etienne, « Les dispositifs d'alerte aux tsunamis en France et dans le monde », consultable sur les sites du Sénat : n° 546 (2008-2009) https://www.senat.fr/notice-rapport/2008/r08-546-notice.html et de l'Assemblée nationale n° 1808 http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/alert_tsunamis.asp

* 3 Le CENALT s'est doté d'un site, consultable au lien suivant : http://www.info-tsunami.fr

* 4 Les cas de tsunamis à la suite d'impact de météorite sont beaucoup plus rares.

* 5 Cf. https://www.interieur.gouv.fr/Publications/Nos-infographies/Securite-des-biens-et-des-personnes/Mobilisation-de-l-Etat-en-temps-de-crise/Centre-operationnel-de-gestion-interministerielle-des-crises-COGIC

* 6 Les exercices conduits en 2017 et 2018 par la Mairie de Cannes et la Préfecture des Bouches-du-Rhône sont exemplaires de ce point de vue.

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