II. CLARIFIER LA GOUVERNANCE DE LA SANTÉ AU TRAVAIL

A. DES PROPOSITIONS AUDACIEUSES, DIVERSEMENT ACCUEILLIES

1. Une proposition tendant à créer un guichet unique régional

La pluralité des acteurs intervenant dans le champ de la santé au travail nuit à la lisibilité de cette politique publique et il existe un consensus pour considérer qu'une simplification serait la bienvenue.

Au terme de la mission que lui a confiée le Premier ministre en janvier 2018, notre collègue députée Charlotte Lecocq préconise dans son rapport, remis en août de la même année, la création d'un acteur régional unique qui aurait vocation à exercer les compétences aujourd'hui réparties entre les services de santé au travail, l'Aract, les Carsat et les agences régionales de l'OPBTP en matière de prévention. Cette structure de droit privé chargée d'une mission d'intérêt général serait accréditée sur la base d'un cahier des charges élaboré au niveau national et aurait vocation à constituer pour les entreprises un guichet unique en matière de prévention.

Les compétences de ce préventeur régional seraient donc nettement séparées de celles d'assureur, qui resteraient dévolues aux Carsat et de celles de contrôle, relevant de la responsabilité de l'État et exercées à la fois par l'inspection du travail et par les médecins inspecteurs du travail.

2. Un scenario qui n'apparait pas souhaitable

S'ils partagent largement les constats dressés par la mission Lecocq, vos rapporteurs considèrent que le scénario proposé en matière d'organisation de la santé au travail n'est pas le plus pertinent.

a) La complémentarité entre prévention et contrôle

Le rôle de l'assureur et celui du préventeur sont intrinsèquement liés. Dès leur création, les caisses chargées de la réparation des accidents du travail et maladies professionnelles ont eu pour mission complémentaire de d'oeuvrer à leur prévention. Dans ses réponses à vos rapporteurs, la CNAM fait au demeurant valoir que tous les systèmes d'assurance contre les risques professionnels existant en Europe associent à la mission de réparation un rôle de prévention de ces risques.

Ainsi, la connaissance fine de la sinistralité des entreprises par les Carsat leur permet par ailleurs de cibler leur action. Les préventeurs des Carsat voient ainsi 3 % des entreprises qui représentent 28 % des sinistres et 33 % des dépenses de la branche 45 ( * ) .

Il ne paraît pas davantage pertinent de séparer les activités de contrôle et de conseil. Comme le fait valoir la CNAM, le fait que ces activités soient assurées par les mêmes agents, selon un logique de gradation de l'intervention, est un gage de l'efficacité de la branche.

b) Des difficultés juridiques difficilement surmontables

Dans le scenario proposé par le rapport Lecocq, les SSTI seraient amenés à disparaître au profit des nouvelles agences régionales.

La protection de la santé et de la sécurité au travail relève de la responsabilité des employeurs. Le financement et l'administration des SSTI par les employeurs constituent une traduction de cette responsabilité. Le fait que la sensibilisation des employeurs à la nécessité d'agir pour protéger la santé de leurs salariés soit insuffisante ne doit pas conduire à remettre en cause cette gouvernance.

Confier le rôle qu'exercent actuellement les SSTI à des agences régionales sans lien direct avec les employeurs pourrait selon vos rapporteurs conduire à une baisse de leur implication qui serait incompatible avec la responsabilisation des entreprises pourtant préconisée par le même rapport dans sa recommandation n° 4.

En outre, de telles agences régionales ne pourraient assurer leurs missions qu'à la condition d'absorber les moyens dont disposent aujourd'hui les SSTI. Or, compte tenu de leur statut associatif, la dissolution contrainte des SSTI par le législateur et, surtout, le transfert de leur patrimoine foncier et de leurs installations poseraient des difficultés juridiques importantes.

Vos rapporteurs partagent donc la forte opposition que suscite parmi les SSTI comme parmi les organisations patronales cet aspect du rapport Lecocq.

c) La nécessaire prise en compte des spécificités territoriales

Si la région peut être l'échelon pertinent pour un certain nombre de politiques publiques, les enjeux en matière de santé au travail sont bien souvent propres à un bassin d'emploi, et chaque région peut abriter des zones très différentes, a fortiori depuis la réforme de la carte régionale prévue par la loi dite « NOTRe » de 2015 46 ( * ) .

Or, on peut douter de la capacité d'une agence régionale de santé au travail à développer une gamme d'intervention adaptée à la diversité des situations locales ou à mettre en place des expérimentations territoriales.


* 45 Réponses de la CNAM au questionnaire adressé par vos rapporteurs.

* 46 Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

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