B. INTERROGER LES RÈGLES DE LA MICRO-ENTREPRISE

1. Les effets pervers d'un régime très favorable

Le régime de l'auto-entrepreneur 98 ( * ) , devenu en 2016 celui de la micro-entreprise, a été créé pour faciliter la création d'activités économiques.

Le succès de ce régime a été spectaculaire dès sa création, les micro-entreprises constituant une partie importante des créations d'entreprises observées.

Source : Insee

Fin juin 2019, l'Acoss dénombrait ainsi 1,57 million de comptes de micro-entrepreneurs, dont 896 000 économiquement actifs 99 ( * ) .

Cette dynamique touche de nombreux secteurs et ne peut donc pas être liée uniquement à l'essor des plateformes numériques. Elle est néanmoins particulièrement marquée dans le secteur des transports, dans lequel le nombre de micro-entrepreneurs administrativement actifs 100 ( * ) a progressé de 80,6 % en 2018, après une progression annuelle moyenne de 44 % entre 2011 et 2017, ou encore dans le secteur des activités de nettoyage (+ 18 % en 2018) et des autres services personnels (+ 20 %).

Source : Acoss

Le régime de la micro-entreprise est ouvert aux entrepreneurs individuels dont le chiffre d'affaires annuel ne dépasse pas un certain seuil (170 000 euros pour les activités de commerce et de fourniture de logement et 70 000 euros pour les prestations de service) 101 ( * ) .

Les micro-entrepreneurs s'acquittent de cotisations assises non pas sur leurs revenus mais sur leur chiffre d'affaires. Ces cotisations sont calculées selon un taux global qui varie selon le secteur d'activité (22 % pour les prestations de services) et sont nulles en l'absence de chiffre d'affaires.

Les micro-entrepreneurs dont le chiffre d'affaires annuel ne dépasse pas un certain seuil (33 200 euros pour les activités de service) bénéficient en outre d'une franchise en base de TVA.

Enfin, les micro-entrepreneurs peuvent opter, sous condition de revenu fiscal du foyer, pour un versement libératoire de l'impôt sur le revenu, qui est alors versé en même temps que les cotisations sociales et calculé selon un taux forfaitaire (1,7 % pour les prestations de service).

Ces règles dispensent les travailleurs de tenir une comptabilité complexe de leur activité.

La comparaison entre le taux de cotisation applicable aux micro-entrepreneurs et celui qui est applicable aux autres travailleurs indépendants est rendue difficile par la différence de bases.

En outre, pour un même taux de cotisations sur le chiffre d'affaires, la situation d'un micro-entrepreneur dépend du montant de ses charges. Celles-ci peuvent être négligeables pour un livreur à vélo mais être nettement plus importantes pour un chauffeur de VTC qui doit financer son véhicule et son carburant.

L'attractivité du régime de la micro-entreprise a pu être renforcée au cours des dernières années par l'aide aux créateurs et repreneurs d'entreprise (ACRE), consistant en une baisse de cotisations sociales au titre de la première année d'activité. Les micro-entrepreneurs pouvaient également bénéficier de l'ACRE, de manière dégressive, au titre de la deuxième et de la troisième année 102 ( * ) .

Pour autant, il est probable que, en facilitant la création d'activité, le régime de la micro-entreprise contribue à solvabiliser des activités faiblement créatrices de valeur et rende possible le développement de certaines plateformes.

Cette hypothèse est particulièrement plausible s'agissant des plateformes de placement dédiées aux étudiants, dont le public est par hypothèse fortement composé de bénéficiaires de l'ACRE.

Par ailleurs, si l'absence de cotisation minimale permettant de valider trois trimestres au titre de l'assurance vieillesse est justifiée pour les activités naissantes ainsi que pour les activités accessoires, elle peut constituer un phénomène de « trappe à précarité » pour les travailleurs tentés de privilégier le court terme.

2. La nécessité de revoir les règles

Il semble donc qu'une réflexion doive être engagée sur le calibrage du régime de la micro-entreprise.

Cette réflexion, qui n'a de sens qu'en lien avec la future réforme du système de retraites, devra prendre en compte la diversité des situations des micro-entrepreneurs et des risques de déstabilisation des situations existantes que pourraient avoir des mesures mal calibrées.

Cette réflexion pourrait conduire à introduire une progressivité dans le temps des taux de cotisation applicables aux micro-entrepreneurs, afin que ce régime se rapproche progressivement du régime applicable aux autres entrepreneurs.

Afin de ne pas mettre en difficulté les micro-entrepreneurs ayant un chiffre d'affaires, et donc un revenu, limité ou de fragiliser l'activité annexe de ceux qui ont par ailleurs, à titre principal, une autre activité, cette progressivité pourrait être appliquée à partir d'un certain seuil de chiffre d'affaires. Les micro-entrepreneurs exerçant par ailleurs une autre activité pour laquelle ils bénéficient d'une couverture sociale pourraient également être exonérés de ce mécanisme.

Recommandation n° 6 : Remettre à plat les règles applicables au régime de la micro-entreprise afin de limiter les effets d'aubaine et de renforcer la protection des travailleurs indépendants.

3. Promouvoir des modèles alternatifs

Le droit du travail offre des alternatives à la micro-entreprise pour permettre à un travailleur indépendant de lancer son activité. Il s'agit notamment des modes d'organisation permettant à un entrepreneur individuel de bénéficier du support d'un tiers employeur, à l'image de l'expérience menée par la coopérative SMART avec les coursiers à vélo en Belgique.

Dans un rapport de 2018 sur le secteur des VTC 103 ( * ) , l'IGAS et le CGEDD 104 ( * ) préconisent de « faire connaître, promouvoir ou élargir les modalités d'organisation juridiques alternatives, notamment le statut d'entrepreneur salarié ou le portage salarial , parmi les statuts susceptibles d'améliorer la pérennité économique et les conditions de travail des conducteurs ».

La loi « Hamon » de 2014 105 ( * ) a, en effet, consacré l'existence d'un nouveau type de contrat de travail, le contrat d'entrepreneur salarié et associé (CESA). Il s'agit d'un contrat à durée indéterminée, assorti de toutes les protections du salariat, conclu entre un porteur de projet et une coopérative d'activité et d'emploi (CAE).

Ce contrat défini à l'article L. 7331-2 du code du travail présente la particularité de ne pas lier le salaire au temps de travail mais au chiffre d'affaires réalisé par l'entrepreneur salarié. Au bout de trois ans au maximum, l'entrepreneur salarié peut devenir associé de la coopérative.

L'entrepreneur salarié bénéficie donc à la fois d'une protection sociale complète et de l'autonomie professionnelle d'un travailleur indépendant. Il reçoit de la coopérative une rémunération versée mensuellement après déduction des charges et d'une contribution au fonctionnement de la structure.

Bien que cette possibilité existe, elle n'est pas utilisée aujourd'hui par les travailleurs de plateformes , notamment en raison de son coût.

En janvier 2020, le Sénat a rejeté une proposition de loi 106 ( * ) tendant à rendre obligatoire le choix de ce statut par les travailleurs de plateformes. Les rapporteurs considèrent pour leur part que l'adhésion à une coopérative suppose un engagement volontaire et qu'une telle solution ne saurait satisfaire l'ensemble des travailleurs concernés.

Un rapport de la Fondation Jean Jaurès publié concomitamment 107 ( * ) a plaidé pour faire la promotion de ce statut sans l'imposer.

L'État et les collectivités territoriales pourraient en effet participer, sous la forme de sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC) , à la constitution de CAE destinées à « héberger » certains travailleurs de plateformes engagés dans un projet de long terme.

Quant aux plateformes, elles devraient lever les éventuels obstacles techniques au choix d'un tel statut par leurs utilisateurs.

Recommandation n° 7 : Accompagner le développement du modèle coopératif en créant sous forme de SCIC des entreprises porteuses pour certains travailleurs de plateformes.


* 98 Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.

* 99 « Les auto-entrepreneurs fin juin 2019 », Acoss Stat n° 303, Acoss, janvier 2020.

* 100 L'Acoss identifie comme économiquement actif les micro-entrepreneurs déclarant un chiffre d'affaires positif au moins un trimestre dans l'année. Les micro-entrepreneurs qui dépassent les seuils du régime ou qui ne déclarent aucun chiffre d'affaires pendant 8 trimestres consécutifs sont radiés d'office.

* 101 Ces plafonds ont été doublés à compter du 1 er janvier 2018.

* 102 Constatant une explosion du nombre de bénéficiaire de l'ACRE, pour un coût budgétaire dépassant largement les prévisions, le Gouvernement a décidé, dans le cadre du PLF pour 2020, de resserrer fortement les conditions d'éligibilité et de modifier les modalités de calcul des exonérations de cotisations dans un sens défavorable aux micro-entrepreneurs. Il est encore trop tôt pour dire si cette mesure aura un effet sur les créations de micro-entreprises ou sur le revenu disponible de la population des micro-entrepreneurs.

* 103 N. Amar, V. Maymil, L.-C. Viossat, M. Leconte, A. Sauvant, La régulation du secteur des voitures de transport avec chauffeur et des taxis, Rapport IGAS-CGEDD, décembre 2018.

* 104 Conseil général de l'environnement et du développement durable.

* 105 Loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire.

* 106 Proposition de loi n° 155 (2019-2020) visant à rétablir les droits sociaux des travailleurs numériques, déposée le 28 novembre 2019 par Mme Monique Lubin et plusieurs de ses collègues.

* 107 J. Giusti et Th. Thévenoud, Pour travailler à l'âge du numérique, défendons la coopérative !, Fondation Jean Jaurès, janvier 2020.

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