1. TRAVAUX EN COMMISSION SUR LES CONSÉQUENCES DE LA CRISE SANITAIRE LIÉE À L'ÉPIDÉMIE DE COVID-19 SUR LES SECTEURS DE LA COMPÉTENCE DE LA COMMISSION

Presse

MERCREDI 20 MAI 2020

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Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - L'ordre du jour de notre réunion appelle à présent la présentation des conclusions de quatre des douze groupes de travail créés par le bureau le 14 avril dernier et chargés d'étudier les conséquences de la crise sanitaire sur l'ensemble des secteurs d'activité relevant des compétences de notre commission.

Pour cette première séance de restitution, je donnerai la parole successivement à Michel Laugier pour le groupe « Presse », Françoise Laborde pour le groupe « Industries culturelles », Stéphane Piednoir pour le groupe de travail « Enseignement supérieur » et Jacques-Bernard Magner pour le groupe « Jeunesse et vie associative ».

Avant de leur céder la parole et de débattre ensemble de leurs préconisations, je tenais à remercier les animateurs et l'ensemble des membres des groupes pour leur disponibilité, leur assiduité et leur investissement au cours des semaines écoulées.

Le travail accompli par chacun est d'autant plus remarquable qu'il est transpartisan. Il mérite à présent d'être rendu public dans la perspective de l'examen des prochaines mesures d'urgence mais aussi et surtout du projet de loi de finances rectificative programmé en juin.

Je vous propose que chaque animateur procède dans un premier temps à la présentation des conclusions de son groupe de travail pendant une dizaine de minutes, son propos pouvant être bien entendu complété par les membres du groupe.

À l'issue de chaque présentation, nous pourrons échanger sur les propositions réalisées avant d'autoriser, de manière consensuelle, la mise en ligne de la note de synthèse sur la page internet de la commission.

Monsieur Laugier, vous avez à présent la parole pour le groupe de travail « Presse ».

M. Michel Laugier . - Le groupe de travail sur la presse est composé de Max Brisson, Céline Brulin et David Assouline. Je les remercie au passage pour la qualité de notre travail commun et de nos échanges durant cette période.

C'est un constat que nous allons tous partager dans nos secteurs respectifs, et au-delà, dans l'ensemble des commissions : la situation de la presse est critique. Pas dans toute la presse, certaines familles s'en sortant mieux que d'autres, notamment en fonction de leur plus ou moins grande dépendance à la publicité et de la part d'abonnements, mais dans une partie significative du secteur.

Le groupe de travail sur la presse a procédé à plusieurs auditions, qui ont ainsi toutes souligné les difficultés du secteur.

Cependant, si on observe les choses avec un peu de recul, on constate que la presse ne vit pas la crise unique de la Covid, mais trois crises simultanées qui, toutes ensemble, ne font que souligner ses faiblesses structurelles.

Tout d'abord, la transition numérique en cours peine à déboucher sur un équilibre économique viable. En dépit des efforts des titres pour concevoir et alimenter des sites internet et promouvoir les consultations en ligne payantes ou rémunérées par la publicité, l'habitude de la gratuité comme la captation massive de valeur opérée par les plateformes en ligne ont détérioré les comptes au point de mettre en danger l'existence de nombreuses publications. La loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, adoptée sur la base d'une proposition de loi sénatoriale de notre collègue David Assouline, n'a pas encore pu produire ses fruits en raison de l'opposition ferme de Google et Facebook. La décision de l'Autorité de la concurrence du 9 avril 2020, qui enjoint aux plateformes de négocier avec les éditeurs la rémunération qui leur est due, ainsi que les transpositions en cours dans les autres pays européens, pourrait cependant, dans les prochaines semaines, permettre de déboucher sur une solution, si l'on veut bien être optimiste.

Ensuite, « l'éternelle question » de Presstalis s'est de nouveau imposée dans les débats. Je ne reviens pas sur le feuilletonnage presque quotidien des annonces, alliances et revirements, on est plus dans « Games of Thrones » que dans une discussion sérieuse. Le vote de la loi d'octobre 2019 de modernisation de la distribution de la presse, dont nous avions été saisis en premier lieu, offre un cadre adapté pour le futur, mais n'a jamais eu pour objet de solder le passif financier, et oserais-je dire moral, d'une entreprise qui survit depuis des années grâce à des transferts publics massifs et au soutien « à bout de bras » des grands éditeurs qui sont aussi ses actionnaires et qui paient aujourd'hui des errements de gestion dont ils sont, en partie au moins, comptables. Dernièrement, et alors même que la situation syndicale semblait constructive, la grève portant sur la distribution des quotidiens nationaux dans certaines régions illustre la crispation d'un dossier qui attend maintenant son règlement judiciaire sans cesse repoussé. Pour résumer, nous sommes dans un marais, la seule certitude étant que la solution coûtera certainement cher, une nouvelle fois, à l'État.

Enfin, les conséquences du confinement impactent durement un secteur déjà largement fragilisé. La diffusion a diminué de 20 % en moyenne, les recettes publicitaires de 80 %. Les activités de diversification dans l'évènementiel sont pour leur part au point mort. Les titres sont donc confrontés à une chute simultanée de l'ensemble de leurs sources de revenus. Cette situation est d'autant plus paradoxale que la fréquentation des sites a plus que doublé la première semaine de confinement et demeure à un niveau très élevé. Cependant, ce regain d'intérêt, signe au demeurant positif de la confiance que les Français accordent à leur presse, ne se traduit pas par des revenus suffisants, loin s'en faut.

Il faut donc envisager, et appeler à une prise de conscience de ce triple étau qui enserre la presse, une action de soutien concertée, qui ne se limite pas à des réponses purement conjoncturelles à la crise actuelle, mais offre également un cadre clair et stabilisé pour le monde « post-Covid ».

Premièrement, un soutien financier urgent doit être envisagé.

Frappant un secteur déjà largement fragilisé, la crise de la Covid appelle un soutien financier d'ampleur. Si je parle « d'ampleur », c'est évidemment au regard du secteur, d'une taille finalement modeste par rapport à tant d'autres, je pense à l'aviation ou au transport. Cette aide peut prendre plusieurs formes.

Tout d'abord, il est possible de monter un fonds de soutien spécifique, mais aussi de s'appuyer sur les outils déjà existants comme le Fonds stratégique pour apporter dès le prochain collectif budgétaire un soutien financier aux titres de presse.

Ensuite, il est possible de concentrer sur la presse les campagnes de communication institutionnelle du Gouvernement, de préférence aux plateformes numériques. C'est une mesure finalement simple et, oserais-je dire, de souveraineté, un terme qui revient à la mode !

Enfin, et c'est plus complexe, il y a l'outil fiscal. Plusieurs mesures fiscales destinées à soutenir la presse sont à l'étude, certaines évoquées dans le plan filière présenté par la presse IPG (Information de politique générale) en avril 2019. Pour l'heure, nous ne disposons ni d'évaluations financières, ni d'études d'impact, sur des mesures comme un crédit d'impôt sur les abonnements à la presse, ou bien une TVA à 0 % sur les publications de presse, une mesure par ailleurs déjà appliquée en Belgique.

La question d'un crédit d'impôt spécifiquement destiné à relancer le marché de la publicité est plus complexe. Elle s'est imposée dans les débats et reçoit aujourd'hui un large soutien, qui dépasse le cadre de la presse puisque les médias audiovisuels sont également intéressés, ce que Jean-Pierre Leleux pourra nous confirmer.

Je note cependant deux types de problèmes.

Le premier est que si l'initiative semble soutenue par le ministère de la culture, elle ne l'est pas encore, loin s'en faut, par Bercy. Je peux comprendre au passage cette position : chaque secteur recherche activement à obtenir telle ou telle mesure.

Second problème, et d'après les échanges que nous avons eus, la mesure ne fait en réalité pas consensus sur ses contours, ni même sur sa pertinence, au sein même de la profession. Son champ est incertain : faut-il une mesure large qui rassemble tous les médias, au risque de la diluer et d'en faire profiter certains acteurs moins légitimes que d'autres, ou bien la resserrer sur les médias d'information - qu'il faudrait alors circonscrire, une telle définition n'existant pas dans notre droit - ? En tout état de cause, il faudra veiller à ce que cette mesure ne bénéficie pas en premier lieu aux grands vainqueurs de la période que sont les plateformes en ligne. Son mécanisme enfin n'est pas encore clair : faut-il une mesure ciblée sur les annonceurs, qui déduiraient alors une fraction des dépenses de publicité de leurs impôts, ou bien centrée directement sur les diffuseurs, suivant des modalités qui restent à définir ?

Comme vous le voyez, la définition de ces paramètres occasionnera sans nul doute des incompréhensions entre, d'un côté, les tenants de l'orthodoxie budgétaire et de l'autre, ceux d'un soutien massif, mais également au sein même de la profession, entre différents types de médias (presse écrite, télévision, radio...) et au sein même des familles, où chacun estimera qu'il doit en bénéficier.

Deuxièmement, il faut donc s'attaquer aux difficultés structurelles de la presse.

Notre commission mène depuis plusieurs années une action déterminée pour faire évoluer la législation en faveur de l'indépendance éditoriale, mais également économique de la presse, que ce soit en anticipant l'adoption de la directive sur les droits voisins, que la France a été la première à transposer, qu'en amendant en profondeur la loi sur la modernisation de la distribution.

Sur ces deux dossiers cependant, qui constituent les deux défis les plus structurels du secteur, il reste encore du chemin à parcourir, ce qui est rendu d'autant plus criant que la crise actuelle agit comme un révélateur de faiblesses plus anciennes.

Les deux orientations suivantes devraient donc être suivies.

Tout d'abord responsabiliser les acteurs du dossier « Presstalis ».

Nous assistons ces derniers jours à un véritable festival de déclarations, contre-déclarations et jeux de rôle. A la clé, cependant, il y a le sort de près de 1 000 salariés et la distribution de la presse dans le pays. Dans les jours prochains, les négociations devraient aboutir à une solution dont on connait déjà finalement les grandes lignes, à savoir la constitution d'une messagerie unique autour des MLP, messagerie à laquelle les quotidiens nationaux sous-traiteraient la distribution de leurs flux. La non-distribution des quotidiens nationaux dans certaines régions suite à une grève constitue une épreuve supplémentaire dont la filière aurait pu faire l'économie.

Il faut cependant conditionner toute aide supplémentaire de l'État à l'émergence d'une solution acceptée par une grande majorité des éditeurs et qui règle enfin pour les prochaines années la question de la distribution. Cette solution ne doit cependant pas reposer exclusivement sur des financements publics, mais faire contribuer les actionnaires.

Ensuite, il faut durcir le rapport de force avec les grandes plateformes en ligne.

Il est impératif de soutenir, au besoin par de nouvelles dispositions législatives, les efforts des éditeurs pour obtenir des plateformes la juste rémunération de leurs publications, en application de la loi sur les droits voisins. L'attitude non coopérative de Google et Facebook a été une première fois fragilisée par la prise de position récente de l'Australie qui a décidé d'imposer des droits voisins, ainsi que par la décision de l'Autorité de la concurrence, qui constitue une défaite pour les plateformes en leur imposant d'ouvrir sans tarder des négociations.

Il est de notre devoir, aujourd'hui, de poursuivre notre mobilisation et surtout, de maintenir une saine pression sur les géants du numérique.

Voilà, mes chers collègues, les principales conclusions de notre groupe de travail. La presse est plus que jamais nécessaire à notre équilibre démocratique, et doit être protégée, mais avec discernement !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vous remercie monsieur Laugier pour cet excellent rapport et invite à présent les autres membres du groupe de travail à prendre la parole. Souhaitent-ils s'exprimer ?

M. David Assouline . - Je salue à mon tour la qualité de ce rapport qui recense l'ensemble des problématiques du secteur. Il démontre que la situation est catastrophique et de surcroît sans perspectives très positives.

Les abonnements par internet ont augmenté - la mutation en cours s'en trouve ainsi accélérée - mais le problème majeur est que pour compenser les pertes financières, alourdies par les pertes publicitaires, il faudrait trois abonnements internet pour un abonnement « papier ». Nous en sommes loin.

Le secteur de la presse attend également beaucoup de l'application de la loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse. Je rappelle que sous l'injonction de l'Autorité de la concurrence, les négociations entre Google et les éditeurs de presse devraient enfin reprendre.

A défaut de résultats, faut-il durcir la loi, sachant que j'avais jusqu'à présent miser sur leur bonne volonté ? Et dans quelle mesure pourra-t-elle l'être sans atteindre par ricochet des sites beaucoup moins prédateurs ?

Il conviendrait de transposer sans tarder les autres articles de la directive relative aux droits d'auteur et aux droits voisins afin d'imposer aux plateformes de contribuer au financement de la création. Nous aurons donc l'occasion d'en discuter dans les semaines à venir. Cela est d'autant plus important aujourd'hui que les nouveaux moyens financiers de la presse sont représentés en grande partie par ces revenus du numérique.

La presse papier, et avec elle sa diffusion sur le territoire, représente dans notre pays un grand acquis démocratique et une garantie du pluralisme d'expression y compris politique. Sa disparition est en jeu.

M. Max Brisson . - Je tiens à remercier à mon tour Michel Laugier pour la qualité de son animation du groupe et pour celle de son rapport très fidèle à l'esprit de nos travaux.

J'avoue avoir été impressionné par l'ampleur de la crise. Le président du syndicat de la presse magazine a parlé d'un « infarctus Covid-19 sur un corps particulièrement malade et aux pathologies extrêmement nombreuses » et a communiqué les chiffres alarmants de la trésorerie du groupe Bayard presse. Je pense que nous devons alerter sur cet effondrement et insister sur l'urgence des mesures à prendre pour sauvegarder la trésorerie des principaux groupes de presse.

Le Gouvernement doit définir un modèle économique juste, qui ne bénéficie pas aux seuls prédateurs. Ce qui m'a surpris finalement, c'est que le constat est assez partagé. Les mesures à prendre obligent à des choix politiques forts et seront difficiles à mettre en oeuvre.

Nous devons poursuivre nos travaux pour continuer à être force de proposition.

M. André Gattolin . - Bravo pour ce rapport particulièrement intéressant. Je voudrais revenir sur quelques points soulevés par Michel Laugier. Concernant les aides à la presse, on se rend compte, au travers de la mission « remboursements et dégrèvements » qui représente le premier budget de l'État, que l'efficacité des crédits d'impôt est faible, surtout lorsqu'elle est généralisée.

Ainsi, le crédit d'impôt Annonceurs ne permettrait pas d'améliorer la trésorerie des quotidiens à très faibles ressources publicitaires, dont les revenus demeurent par définition presque exclusivement issus de la vente au numéro. L'exemple du Canard Enchaîné vient immédiatement à l'esprit.

Les crédits d'impôt n'ont de sens que s'ils sont ciblés. A l'instar du président du groupe M6, Nicolas de Tavernost, auditionné par le groupe de travail « médias audiovisuels » dirigé par Jean-Pierre Leleux, je crois beaucoup à un crédit d'impôt « éditeurs » plutôt qu' « annonceurs », auprès desquels le risque d'une déperdition en ligne est réel. Les plans médias vont-ils rester identiques ? Vont-ils considérer la presse ou son volume, et à l'intérieur de la presse ? Quelles versions privilégieront-ils, internet ou papier ?

Une analyse en profondeur est nécessaire. Personnellement, je crois plus aux aides aux personnes, à la condition qu'elles soient ciblées - les journalistes, les intermittents, etc. - qu'aux aides aux structures.

Enfin, concernant les plateformes, une approche globale du secteur de la culture me paraît primordiale, même si elle revêt des logiques différentes selon que l'on parle musique ou production audiovisuelle et filmique. Pourtant, la question des plateformes se pose tout aussi bien pour une plateforme souveraine pour la presse écrite que pour le livre et l'édition.

C'est un peu le sens du travail que je mène avec mon collègue, Jean-Marie Mizzon, sur le livre numérique. Si nous sommes sous la domination des grands opérateurs, nous serons à la fois évincés en termes de référencement et les supports seront aspirés en termes de marge.

Par exemple, l'idée d'une plateforme souveraine pour l'écrit ne serait-elle pas plus puissante à l'échelle francophone - France, Belgique, Suisse, Québec - qu'à l'échelle nationale ?

Considérons aussi ce qui se passe dans d'autres pays : certains dirigeants de grands groupes de presse refusent toute aide directe du Gouvernement, comme en Suisse avec le groupe Ringier Axel Springer ?

Le développement de plateformes s'accompagnera du problème des réseaux de distribution physique. Si on développe une plateforme d'abonnements et de consultations internet aussi bien de la presse écrite que des livres, quid des diffuseurs de presse ? Quid de la librairie ? Il faudrait articuler tout cela, pour parvenir à faire des propositions ni trop globales ni trop incantatoires.

M. Jean-Pierre Leleux . - Je salue à mon tour le rapport fort exhaustif qui vient d'être présenté par Michel Laugier. Je voudrais souligner deux points d'ordre général. Le premier porte, comme vous l'avez dit, sur la spécificité du secteur de la presse par rapport aux autres secteurs frappés par l'épidémie : il était déjà malade avant la crise laquelle lui assène le coup de grâce.

Et pour ce secteur également, l'enjeu n'est pas uniquement économique et social, il est démocratique. L'effondrement du pluralisme de la presse au travers des faillites qui risquent de s'ensuivre est un enjeu crucial dans les temps à venir. Ce premier point mérite une attention particulière.

Le deuxième point concerne les différentes mesures de soutien proposées. Elles sont légitimes, notamment dans le cas gravissime de Presstalis, mais elle m'inquiète de par leur volume non estimé, et ce dans tous les secteurs. Il me semble nécessaire et pragmatique de faire l'addition de ces mesures et d'estimer le volume de toutes les aides préconisées. Il en va de notre responsabilité budgétaire.

Plus particulièrement, je voudrais saluer l'initiative de l'audiovisuel public, et notamment France 2 qui chaque soir, au journal télévisé de 20 heures, invite un rédacteur en chef de la presse écrite pour promouvoir la lecture d'un journal particulier en présentant son édition du lendemain.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vous remercie chers collègues pour ce travail. L'accélération de la digitalisation du monde évoquée par André Gattolin doit en effet nous projeter dans une large réflexion sur notre écosystème. Je pense que Françoise Laborde évoquera des problématiques similaires liées à la dépendance des plateformes qui sont aujourd'hui incontournables, dans le domaine de la culture en général et de notre économie en particulier.

Je suis tout à fait favorable à ce que nous menions une large réflexion sur ce sujet, tout secteur confondu, dont celui de l'audiovisuel, Jean-Pierre Leleux le sait bien. Face à ces grands bouleversements, nous devons être fermes face aux géants du numérique, faire appliquer les différentes directives et trouver des partenaires européens pour faire avancer notre cause. La réouverture de la directive e-commerce peut constituer une des solutions.

Dans mon département, les quotidiens écrits, pas seulement Paris Normandie, m'ont alertée ces derniers jours sur le fait qu'ils étaient au bord de la rupture. Les difficultés préexistantes s'accélèrent et nous sommes projetés dans le monde d'après avec un nouveau modèle économique à imaginer, plus vertueux, tout en tentant de sauver l'existant.

Je soutiens pleinement les conclusions du rapport.

Livre et industries culturelles

MERCREDI 20 MAI 2020

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Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Au regard de ce que je viens d'évoquer et pour rester dans une certaine cohérence d'un point de vue diagnostic, j'aimerais que l'on aborde maintenant les industries culturelles. Je donne donc la parole à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde . - Notre groupe de travail a procédé à plusieurs auditions dans l'ensemble des secteurs des industries culturelles. Je remercie chaleureusement mes collègues - Marie-Thérèse Bruguière, Laure Darcos, Colette Mélot, Jean-Marie Mizzon, Michel Laugier et André Gattolin - pour la qualité de nos échanges et la richesse des questions posées aux différents intervenants.

Du fait des problématiques similaires au sein des différents secteurs, comme vient de le souligner notre présidente, j'ai transmis le rapport aux animateurs des autres groupes de travail.

Mon propos va tenir en trois points, qui sont autant d'impératifs pour le monde des industries culturelles : anticiper, compenser, se projeter.

Anticiper tout d'abord : la levée partielle du confinement depuis le lundi 11 mai ne signifie pas, vous le savez, la reprise du cours normal de nos vies. Cela est encore plus vrai dans le domaine des industries culturelles. Si les librairies ont pu ouvrir leurs portes, les salles de cinéma sont encore dans l'expectative et confrontées à un défi majeur.

Dès lors, et c'est sa première préconisation, le groupe de travail souhaite qu'un message clair et univoque soit porté sur la réouverture des salles, afin d'éviter qu'elles ne soient vides - ce qui accentuerait encore les difficultés des exploitants - ou qu'elles doivent fermer de nouveau si des cas de contamination y étaient enregistrés. Cela sera d'autant plus facile que des conditions sanitaires claires auront été posées et acceptées et surtout, que la décision aura été prise avec au moins cinq semaines d'avance. Cela implique également l'édiction, par les professionnels, de règles sanitaires claires, qui doivent être validées, comme cela a été le cas pour les librairies, par les pouvoirs publics.

Ensuite, du côté des tournages, le Président de la République a annoncé le 6 mai la mise en place d'un fonds d'indemnisation. Il est essentiel que ses contours et son financement, en lien avec les collectivités locales et les assurances, soient rapidement définis. De même, il faut encourager les travaux actuellement menés pour permettre aux tournages d'être assurés. Au passage, je pense que l'on peut souligner l'attitude décevante des assureurs sur l'ensemble de l'épisode, ils ne se sont clairement pas montrés à la hauteur et, là encore une réflexion devra avoir lieu.

Après l'épisode d'anticipation de la reprise d'activité, il est temps de passer à la compensation pour éviter la débâcle.

Les premières estimations de pertes évaluent la destruction de valeur due à la crise à 8 à 10 milliards d'euros pour les industries culturelles et créatives. Ces pertes sont pour une bonne partie irréversibles : les festivals déprogrammés ne pourront pas être organisés, des livres et des films ne pourront pas sortir, entraînant des revenus nuls pour les exploitants comme pour les auteurs.

La crise a des conséquences financières dramatiques pour toute la chaîne de valeur. Il faut fortement attirer l'attention sur ce fait, et prendre conscience que la relance passera tout d'abord par des mesures massives de compensation.

Ce cas n'est pas unique : le tourisme, l'aéronautique, l'automobile, tous vont recourir à des capitaux publics, dans des proportions d'ailleurs considérables - sept milliards d'euros pour Air France par exemple.

Il faut cependant prendre en compte la spécificité des industries culturelles, dont le coeur d'activité, qui est le contact, la création, les sorties, est spécifiquement fragilisé.

Pour donner un ordre d'idée : les libraires estiment les mesures nécessaires entre 40 et 50 millions d'euros jusqu'en septembre ; dans le domaine de la musique, la SACEM évalue sa perte à 250 millions d'euros, soit environ 170 millions de droits qui ne seront pas versés aux auteurs ; le CNC, qui prend une part active pour soutenir les entreprises du secteur, estime à 120 millions d'euros ses pertes, essentiellement en raison de l'arrêt de la perception de certaines taxes. Ce chiffre pourrait encore augmenter en fonction de la date de réouverture des salles de cinéma.

Pour lors, le Président de la République a annoncé une dotation de 50 millions d'euros au Centre national de la Musique, ce qu'il faut saluer pour cette institution portée sur les fonts baptismaux cette année, notamment suite au travail de notre commission et du rapporteur Jean-Raymond Hugonet.

Ces données encore très partielles illustrent, selon le groupe de travail, l'ampleur des efforts budgétaires qu'il faudra très vraisemblablement consentir, simplement pour ne pas voir des pans entiers de l'économie française s'effondrer.

Il faut également, en matière de soutien, tenir compte du décalage dans le temps de l'impact de la crise.

Il se fera durablement sentir durant plusieurs mois ou années. Par exemple, les revenus des auteurs et des ayants droits seront plus particulièrement affectés en 2021, au moment d'une répartition des droits qui couvrira la période de confinement.

Le groupe de travail appelle donc les pouvoirs publics à considérer sur le temps long les effets de la crise, et à agir de manière concertée et massive le plus rapidement possible pour rassurer le secteur et conforter la viabilité de son modèle économique.

Enfin, mon dernier point porte là où nous devons aussi intervenir : se projeter dans l'après.

Les mesures provisoires prises notamment avec la loi du 23 mars 2020 ont permis au secteur de ne pas connaître un effondrement. La situation étant pour encore longtemps loin de la normalité, il convient d'ores et déjà d'en prévoir et d'en annoncer la prolongation, en particulier en ce qui concerne la capacité des Organismes de gestion collective à utiliser les crédits d'action culturelle pour venir en aide à leurs sociétaires ou les mesures dérogatoires de la chronologie des médias.

Il faut aussi organiser une sortie progressive des mesures de chômage partiel. Les différentes industries culturelles en contact avec le public ne pourront en effet pas retrouver un niveau d'activité comparable à la période précédente en quelques semaines.

Plus fondamentalement, la crise du coronavirus a accentué des déséquilibres déjà existants et accéléré des évolutions. Je ne reviens pas sur le sujet très largement débattu dans notre commission, notamment sous l'impulsion de notre Présidente, de la place absolument menaçante prise par les géants du numérique, qui ont encore renforcé leur emprise. Je ne voudrais cependant pas adopter une attitude dogmatique : nous avons tous été heureux de pouvoir conserver un lien entre nous et avec nos familles par le biais des outils numériques, et nombre d'entre nous ont pu se détendre en profitant des plateformes en ligne. Simplement, il faut aussi prendre conscience que le revers de cette médaille peut être la captation de nos données et la constitution de monopole qui menacent à terme nos démocraties.

Il serait dès lors grand temps, probablement en lien avec nos collègues des autres commissions, de travailler à un rééquilibrage des conditions de concurrence, je pense par exemple aux tarifs postaux pour le livre, qui ne permettent pas aux libraires de lutter contre Amazon, ou bien à l'absence d'une plateforme souveraine de livres numériques, un sujet sur lequel travaillent nos collègues André Gattolin et Jean-Marie Mizzon.

Dans ce contexte particulier, il nous faut prendre position sur un élément déterminant pour la reprise du secteur à moyen terme. Comme vous le savez, la transposition des directives « Service Médias audiovisuel » (SMA) et « droits d'auteur » est prévue au titre premier du projet de loi « audiovisuel », avec une réforme de l'audiovisuel public et de l'ensemble de la régulation. La première de ces directives permet d'imposer aux plateformes en ligne des obligations d'investissement dans la production nationale et la diversité. Cet apport de financement serait d'autant plus utile que l'industrie souffre énormément, alors que les plateformes comme Netflix ont engrangé les succès.

Dès lors, la question d'une transposition rapide se pose, et est réclamée par l'ensemble de la profession. A ce stade, et compte tenu de son volume, il semble illusoire d'imaginer que l'examen du projet de loi puisse reprendre en l'état, car il occuperait la quasi-totalité de l'ordre du jour restant. Dès lors, l'idée d'une ordonnance de transposition des directives parait séduisante à beaucoup, mais ne peut que nous frustrer d'un débat que nous attendons tous depuis des années pour enrichir, compléter, améliorer le texte. Il y a là une ligne de crête complexe.

Voici ma position, que je soumets au débat : depuis près d'un an, la profession, je parle des producteurs, des chaînes, des réalisateurs, n'est pas capable de se mettre d'accord sur certains grands équilibres, qui sont en réalité autant de paramètres nécessaires avant d'aller mener les réelles négociations avec les grandes plateformes. Une accélération de la procédure législative ne permettrait donc de faire contribuer rapidement les plateformes que si les positions se sont rapprochées. Or l'exemple de l'interminable débat sur la chronologie de médias ne nous incite pas à l'optimisme quant à la capacité des professionnels à travailler ensemble... Dès lors, je pense que nous ne devrions accepter d'être d'une certaine manière privés d'un débat passionnant que si notre renoncement est utile à tous et permet, dès le 1 er janvier prochain, au nouveau système de se mettre en place. Telle est la position que je soumets à votre appréciation.

Voilà, mes chers collègues, les principaux enseignements que tire le groupe de travail de ses auditions. Nous mesurons bien l'ampleur du chemin à parcourir !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vous remercie pour cet excellent travail. Je vais à présent donner la parole aux membres du groupe.

Mme Colette Mélot . - Je tiens simplement à féliciter Françoise Laborde et les membres du groupe pour la qualité du travail accompli. Je souscris entièrement aux propos de Françoise Laborde.

Mme Laure Darcos . - J'ai pu assister à la moitié des auditions de ce groupe de travail auquel j'ai été ravie de participer et je souscris également aux propos de Françoise Laborde.

Je tiens à souligner que, dès le début du confinement, les industries culturelles ont été très réactives pour mettre en place un plan d'urgence, dans le secteur du livre, mais aussi avec la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). Les organismes de gestion collective ont en effet été très présents auprès des auteurs et acteurs qu'ils représentent. Par contre, comme l'a dit David Assouline hier dans l'hémicycle, ils sont tous en attente d'un vrai plan de relance de la part du Gouvernement, à l'instar de celui proposé pour le tourisme, et il serait dramatique qu'il ne voie pas le jour.

En ce qui concerne le livre, que je connais particulièrement, le livre numérique, cher à André Gattolin, a été un palliatif, les éditeurs le confirment, uniquement pour les lecteurs déjà adeptes de cette pratique. La crise n'a pas ouvert de public supplémentaire et ce secteur continue de stagner. Rouvrir les librairies, en conformité avec la sécurité sanitaire, est donc essentiel, décision qui a provoqué de grands débats au sein du syndicat de la librairie française.

Je soutiens la proposition de Françoise Laborde, plébiscitée par les acteurs concernés, de voir le tarif postal Fréquencéo appliqué aux livres. Il est inadmissible qu'ils n'en aient pas bénéficié alors que d'autres secteurs ont pu l'utiliser, notamment de grands fournisseurs comme Amazon.

Je précise que la petite librairie du coin n'a pas les moyens de s'équiper en gels hydroalcooliques et en matériels sanitaires, indispensables pourtant dans un commerce où l'acheteur est amené à feuilleter et donc touché la marchandise. Certaines régions vont heureusement pouvoir les aider.

Je partage également l'avis relatif aux assurances, notamment pour les tournages, qui n'ont pu reprendre faute de garanties de la part des assureurs. Même chose pour les enregistrements musicaux, interrompus alors que les studios auraient pu être désinfectés, notamment par les artistes.

Je suis plus dubitative quant à la chronologie des médias et sur le retour dans les salles de cinéma. Autant les spectacles vivants et les livres sont dans notre ADN, autant je crains que le confinement ait habitué les gens à regarder les films en VOD. Beaucoup de professionnels du secteur estiment que le retour dans les salles de cinéma pourrait entrainer certaines réticences.

S'agissant de la chronologie des médias, je note que les acteurs du secteur ont jusqu'à présent toujours réussi à se mettre d'accord pour éviter que le Parlement ne se saisisse du sujet, même le couteau sous la gorge. Mais la situation aujourd'hui nous amènera peut-être à arbitrer vis-à-vis de certains acteurs du secteur, Netflix par exemple, Canal+ ayant l'air de vouloir se désengager complètement des financements à venir sur la production cinématographique, d'autant plus qu'ils risquent d'être rachetés par des Américains ou des Chinois.

Mme Françoise Laborde . - Je voudrais préciser que Canal+ ne réagit également que lorsque ses dirigeants ont le couteau sous la gorge, pour reprendre l'expression de Laure Darcos.

M. Michel Laugier . - Je salue l'excellent travail réalisé par ce groupe.

Pour revenir sur la question des mesures financières évoquée par Jean-Pierre Leleux, on va se heurter là aussi aux mêmes difficultés. Toute aide représente un coût et nécessite une estimation.

M. André Gattolin . - Je ne partage pas l'avis de Laure Darcos sur le fait que le livre numérique n'aurait été, pendant le confinement, qu'un palliatif.

J'auditionne beaucoup d'éditeurs actuellement, et Antoine Gallimard nous a fait part d'une progression de 40 % durant cette période. Le transfert du physique vers le numérique est lié aux pratiques des lecteurs c'est vrai, mais aussi au fait que les éditeurs, après avoir investi dans la numérisation des livres, s'en sont largement retirés depuis cinq ans. C'est parce que l'offre est limitée que le transfert est faible. L'inverse aurait cependant pour conséquence le risque de voir disparaître les petits éditeurs indépendants et surtout les petites librairies indépendantes.

Par ailleurs, je suis assez agacé d'entendre parler uniformément des plateformes : certaines sont pourtant monothématiques et d'autres plurithématiques. Concernant l'usage des données personnelles, il faut dissocier Netflix qui ne vend pas ses données personnelles, qu'il n'exploite qu'en interne conformément à sa charte, d'une société comme Amazon qui, au travers d'Amazon Prime, utilisent les données de son offre cinéma et de son offre marchande générale pour constituer une base de données globales.

En matière de plateforme souveraine, je rappelle que la première proposition remonte au rapport que j'avais réalisé avec Bruno Retailleau sur le jeu vidéo en 2013, où nous préconisions aux pouvoirs publics de créer une plateforme indépendante du jeu vidéo français ou francophone. C'était le seul moyen de résister à Steam, l'équivalent de Netflix, Apple ou Amazon dans le jeu vidéo, mais nous n'avons pas été suivis. J'appelle donc à plus de transversalité dans notre réflexion.

Je terminerai avec le cas du Centre national du cinéma (CNC) : le cinéma continue à être très bien financé. En comparaison, le système belge dépense moins d'argent et est beaucoup plus efficace aujourd'hui. Le CNC a fait des coupes sombres dans le domaine de la production audiovisuelle, cela nous a été dit par les représentants du groupe Newen : les séries sont moins financées ainsi que l'animation qui est pourtant l'un des grands secteurs de réussite dans l'exportation.

Le CNC préserve le cinéma, la directive SMA le lui permettra en bénéficiant de l'argent d'Amazon ou de Disney+ pour la production cinématographique. Mais il faut rester vigilant sur l'impact financier et sur la répartition du CNC pour soutenir les autres domaines.

Mme Laure Darcos . - Il est faux d'affirmer que les éditeurs se sont retirés de la numérisation : toute l'offre est maintenant simultanément proposée en papier et en numérique. J'ai exercé neuf ans dans ce secteur, les ventes numériques « plafonnent », on l'a constaté aux Etats-Unis.

Par contre, l'offre numérique progresse au niveau des prêts en bibliothèque ou médiathèque et a été davantage sollicitée durant le confinement, cela m'a été confirmé par les acteurs de ces structures. A l'achat, le livre numérique étant moins cher, la répercussion sur les ventes évoquée par Antoine Gallimard reste faible en termes de chiffres d'affaires. Le livre traditionnel a encore de beaux jours devant lui !

M. André Gattolin . - Mais je défends également le livre papier ! L'objet de mon étude est juste de comprendre pourquoi un secteur de la culture résiste à la numérisation,

Mme Sonia de la Provôté . - Mon intervention porte sur la question de l'animation qui vient d'être évoquée. Concernant le CNC, j'ai pu constater lors de nos auditions que l'animation et notamment l'animation française représente une part extrêmement importante des soutiens. Et j'ai eu des informations récentes démontrant qu'il s'agit d'un domaine où l'activité peut être maintenue, au niveau de la création comme au niveau de la production puisque les contraintes diffèrent de celles de la réalisation de films. Un certain nombre de studios sont en mesure de produire tout en respectant le protocole sanitaire.

Il me semble que ce domaine-là, où la France excelle, mériterait d'être accompagné, y compris dans le cadre d'un plan d'actions dans le domaine de la culture, à l'instar de celui pour le tourisme. Il représente un des facteurs de relance.

Quant au livre numérique, j'avais aussi entendu parler d'une augmentation de son accès, notamment chez Gallimard, mais le retour qui m'a été fait par les librairies qui ont rouvert dans mon département montre une présence accrue des clients. Il semble donc que la progression du livre numérique est plus une parenthèse que le fait d'un usage définitif en défaveur du livre papier.

M. David Assouline . - Françoise Laborde a soulevé dans son rapport une question que l'on aborde également dans notre groupe sur les médias audiovisuels, celle de la transposition de la directive afférente aux médias.

L'appréciation sur la conduite à tenir est selon moi la suivante : un grand débat semble compromis, la loi audiovisuelle est globalement enterrée, mais la question reste urgente et elle doit être traitée très rapidement, nous y avons tous intérêt.

La date du 1 er janvier, annoncée par le Président de la République, déroge aux dispositions de la directive qui spécifie une transposition en France d'ici le mois de septembre. Il nous faut rester sur ce mois de septembre pour qu'elle puisse effectivement être adoptée au 1 er janvier, on a pu le constater avec la loi que j'ai initiée sur les droits voisins, restée sans application un an après.

Plus la contribution des plateformes au financement des oeuvres audiovisuelles entre tardivement en application, plus nous aurons perdu de l'argent. Je suis prêt à soutenir l'adoption d'une ordonnance, le fait est assez rare, si et seulement si, en amont, nous sommes associés aux négociations, au sein des commissions des deux chambres, et avec toutes les forces politiques.

Ma seconde question porte sur l'animation et sur l'éventuelle fermeture de France 4. Faisant partie du conseil d'administration du CNC, je confirme que des initiatives ont eu lieu, notamment avec la SACD qui a ouvert un fonds de solidarité en faveur des auteurs.

Dans le cadre des auditions menées par le groupe de travail médias audiovisuels, Delphine Ernotte nous a indiqué que le ministre lui avait demandé de prévoir deux scénarios pour l'avenir de l'animation sur les chaînes du service public : l'un avec France 4, l'autre sans. Dès le lendemain, elle a envoyé les grilles de programmes correspondantes. Or, le ministre reporte de plusieurs semaines sa décision alors que la chaîne doit fermer dans onze semaines !

Serait-il envisageable que notre commission, représentée par notre présidente mais aussi par chacun de ses membres investis sur cette question de façon importante, interpelle publiquement le ministre pour lui demander le maintien France 4 ?

Ce serait un signal fort en direction de l'animation et de l'éducation des jeunes publics. Samia Ghali, maire adjointe à Marseille, m'a dit que dans certains quartiers de sa ville, où des élèves défavorisés sont dépourvus d'internet ou même d'ordinateurs, la chaîne a été un vecteur essentiel en matière d'éducation grâce aux cours qu'elle a diffusés dont la qualité a été constatée par tous.

Il nous faut à mon sens hausser le ton, non de manière vindicative, mais de façon à faire ressortir nos positions et peser dans la balance.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je partage cet avis sur France 4 et nous y reviendrons. Les problématiques qui viennent d'être soulevées correspondent à celles du groupe de travail sur les médias audiovisuels, je donne donc la parole à Jean-Pierre Leleux.

M. Jean-Pierre Leleux . - Le rapport présenté par Françoise Laborde, très exhaustif, met en exergue les passerelles qui existent entre les différents groupes de travail et j'adhère à votre suggestion, madame la présidente, de prévoir dans le rapport définitif une annexe réunissant les points transversaux traités par l'ensemble des groupes de travail.

Parmi ceux-ci, la reprise des tournages est un élément très important qui nécessite la création, comme l'a annoncé le Président de la République, d'un fonds auquel contribueraient les assureurs. Je partage en effet l'avis selon lequel ils sont défaillants, malgré les quelques centaines de millions d'euros qu'ils ont versés au fonds de solidarité globale. Il apparaît important que la création de ce fonds soit très rapidement engagée.

Cette reprise des tournages, que tous les producteurs et toutes les professions concernées souhaitent ardemment, inquiète du point de vue du chômage partiel. En effet, ils n'en bénéficieront plus à compter du 1 er juin prochain. Or, si une seule personne est contaminée par le Covid-19 sur un tournage, c'est tout le plateau qui s'arrête.

Je ne reviendrai pas sur la notion de crédit d'impôt, qui mérite d'être étudiée même si sa mise en oeuvre est difficile. La presse en attend beaucoup. Avec un encadrement judicieux, le crédit d'impôt annonceurs pourrait être proposé dans le cadre du plan de relance.

Je partage l'avis de David Assouline sur les points relatifs à la directive SMA et à France 4. L'urgence de la transposition de la directive SMA mérite peut être d'être traitée par ordonnance, aux conditions exposées, en s'assurant d'être associés à sa rédaction et à sa validation ultérieure. L'urgence de sa production est patente et attendue par tous les acteurs de l'audiovisuel et du cinéma.

Enfin, concernant France 4, la chaîne a manifesté son utilité lors de la période de confinement et, sous réserve d'un certain nombre d'améliorations, demeure nécessaire dans le paysage audiovisuel dédié à la pédagogie et aux enfants. Je suis donc favorable pour mener une forte action de pression en direction du Président de la République, car c'est bien au plus haut niveau de l'État que la suppression de cette chaîne a été décidée.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Avant de conclure, je donne la parole à Françoise Laborde qui souhaite peut-être réagir sur l'ensemble des propos formulés.

Mme Françoise Laborde . - J'ajouterai peu de choses. Les propos tenus font bien ressortir la nécessité d'une transversalité, nous en sommes tous conscients. Concernant la chronologie des médias et la transposition nous sommes d'accord sur leur urgence, et sur le fait d'y travailler de façon constructive et efficace. Avec ou sans ordonnance ? Cela reste un important sujet à traiter, comme celui du passage dans l'hémicycle et le travail en totale concertation comme conditions impératives.

Je voudrais aussi remercier tous les membres de la commission, car nous n'avons pas travaillé chacun dans notre coin, les préconisations transversales en sont la preuve. J'avais d'ailleurs transmis en amont nos conclusions à chaque animateur des groupes de travail.

Je suis entièrement d'accord pour mettre la pression sur le Président de la République qui me paraît en effet être le véritable interlocuteur.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vous remercie. Notre conversation fait ressortir des sujets majeurs en résonnance avec les groupes de travail de notre commission mais aussi avec ceux d'autres commissions permanentes, comme celle des affaires économiques.

Vous avez évoqué la nécessité d'un rééquilibrage des règles de la concurrence ; il me paraît en fait qu'il faut avant tout les refonder, et ce au niveau européen. Aujourd'hui, les conditions du marché ne sont pas loyales et des abus de positions dominantes sont avérés.

André Gattolin a eu raison de souligner qu'il existe différentes sortes de plateformes et que l'on peut donc en promouvoir certaines, dès lors qu'elles respectent la protection des données. Nous espérons pour les autres, qu'elles finiront par verser à la création son juste dû, reverser une part de la valeur ajoutée captée par la circulation des contenus sur internet, s'acquitter de l'impôt, etc...

Concomitamment à la réouverture de la directive e-commerce, ces règles de la concurrence nécessitent d'être revues. Aujourd'hui, au niveau européen, dans des cas d'abus de positions dominantes, il n'existe pas de procédure de règlement des litiges, qui ne se règlent qu'après des années de procédures pour notifier les griefs et condamner certaines plateformes, comme Google. Ces mesures doivent d'ailleurs être définies en partenariat avec la commission des affaires économiques.

André Gattolin le sait car il faisait partie de la mission commune d'information sur la gouvernance d'internet dont j'étais rapporteure en 2015 : nous avions déjà énoncé tous les sujets et préconisations évoqués aujourd'hui. La régulation souhaitée se doit d'être offensive, pour voir appliquées les directives et ses transpositions, couplée à une politique industrielle puissante qui nous a fait défaut. Nous n'avons pas su investir dans les années 90, comme l'ont fait les Etats-Unis ou d'autres. La crise nous a fait prendre davantage conscience de cette situation, on a pu le constater avec l'épisode de l'application Covid-19.

J'ajoute que nous avons toujours bien travaillé avec la commission des affaires européennes. J'ai régulièrement des conversations sur ce sujet avec leur président, Jean Bizet, avec qui nous envisageons de reprendre un travail transversal, en lien encore une fois avec la commission des affaires économiques.

Par ailleurs, dans le cadre des plans d'urgence et d'accompagnement, voire de réflexions à la relance, le rôle des grandes collectivités territoriales n'a pas beaucoup été évoqué dans le rapport. Je rappelle que de par leurs compétences, les régions ont pris des mesures très importantes pour accompagner le secteur économique, y compris pour le secteur culturel. Il est vrai que les salles de cinéma et les librairies se situent entre les deux mais dans certaines régions, elles vont pouvoir bénéficier de l'accompagnement des dispositifs à la fois économiques et culturels.

La prise en charge des gels hydroalcooliques et autre matériel de protection sanitaire, évoquée par Laure Darcos, est aussi l'exemple de ce soutien régional, tout comme leur accompagnement pour la reprise des tournages, leurs fortes contributions à la production cinématographique, aux résidences d'écriture, etc. Il me paraît important de rendre justice aux collectivités que nous représentons en intégrant ce point au rapport.

Mme Françoise Laborde . - Ce rôle essentiel sera largement évoqué dans le rapport.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - D'autant que toutes nos régions, villes et intercommunalités, vont veiller à ce que nos salles de cinémas ne ferment pas, après tout le travail entrepris pour les numériser. Je rappelle d'ailleurs que le Sénat a été l'initiateur de cette loi qui a permis cette numérisation. Ce maillage a été exceptionnel et nous allons être très attentifs à la réouverture des salles et de nos librairies.

Pour ma part, j'ai regretté que les librairies ne restent pas ouvertes durant la période du confinement ; elles me paraissent être plus faciles à gérer qu'un grand supermarché. En contingentant les clients qui entraient, on aurait pu les maintenir ouvertes.

Mme Laure Darcos . - Bruno Le Maire l'a également dit !

Mme Françoise Laborde . - Malheureusement le syndicat des libraires a pris cette décision de fermeture, à notre grand étonnement.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je souhaite que l'on puisse maintenant énoncer des propositions fortes que notre commission pourrait faire.

Concernant France 4, nous nous sommes tous mobilisés dès l'annonce de sa suppression par Françoise Nyssens et lors d'un récent conseil d'administration de France télévisions, dont je fais partie, ce sujet a été à nouveau évoqué avec la présentation de la nouvelle grille liée à la période de confinement. Delphine Ernotte a précisé que « l'écran allait être noir le 9 août » et que cela ne dépendait pas d'elle.

Je partage la position de David Assouline et de Jean-Pierre Leleux à ce sujet : il faut lancer une action forte, peut-être une lettre au Président de la République. J'ai trouvé regrettable à l'époque qu'on annonce la suppression d'une chaîne sans réflexion cohérente sur l'impact de cette décision, notamment sur le bouquet de chaînes et sur toute la filière animation, comme l'a dit Sonia de la Provôté. Je ne veux pas m'appesantir sur le sujet mais je pense en effet qu'il faut agir de manière forte.

Je pense par ailleurs que la transposition des dispositions de la directive SMA doit être réalisée de manière urgente. J'ai été sollicitée par l'ARP, société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs, et nous les avons entendus avec Françoise Laborde. Ils militent quant à eux pour l'adoption d'une ordonnance.

Je vais demander au secrétariat de travailler sur le sujet. La chronologie des médias reste un sujet sensible. J'en veux pour preuve l'action qu'avait menée Jean-Pierre Leleux, dans le cadre de la loi LCAP au travers d'un amendement qui a permis de retrouver un équilibre entre distributeurs et producteurs s'agissant des droits.

J'avais moi-même émis un rapport sur ce sujet, bien avant que le ministère de la culture s'en empare, mais malheureusement les travaux du Sénat n'ont pas été considérés. La médiation a été relancée et les acteurs concernés, comme Canal+ ou les exploitants cinématographiques qui sont les plus durs en termes de négociations, en ont profité pour faire traîner les choses.

Il convient que les acteurs se rendent compte que l'heure n'est plus aux chicaneries mais à la solidarité, sous peine de voir le système entier s'effondrer face à la concurrence extra-européenne, représentée notamment par Disney.

Accepter que cela puisse se faire sous forme d'ordonnance pourrait être conditionné au fait que les acteurs de la chronologie des médias se mettent rapidement d'accord.

Nous avons des pistes d'intervention et de travail très intéressantes qui regroupent le diagnostic de plusieurs groupes de travail.

M. David Assouline . - Je propose de nous en tenir à réclamer une transposition rapide des directives. Si le Gouvernement envisage l'adoption d'une ordonnance, nous en négocierons les conditions le moment venu.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - En effet. Je souhaiterais avoir l'avis de Jean-Pierre Leleux sur la démarche à suivre.

M. Jean-Pierre Leleux . - Je suis par nature méfiant à l'égard des ordonnances et des lois d'habilitation. Mais si le Gouvernement nous associe à la rédaction du texte, nous pourrons en rediscuter.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vous propose d'inviter le Gouvernement à transposer rapidement les dispositions de la directive.

Mme Françoise Laborde . - Je suis d'accord.

Enseignement supérieur

MERCREDI 20 MAI 2020

___________

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je donne maintenant la parole à Stéphane Piednoir qui va nous exposer la situation du secteur de l'enseignement supérieur.

M. Stéphane Piednoir . - Il me revient donc de vous rendre compte de cette partie des douze travaux herculéens de notre commission, preuve de la transversalité de ses prérogatives.

Le groupe de travail, que j'ai eu l'honneur d'animer, est composé de Mireille Jouve, Guy-Dominique Kennel, Laurent Lafon, Pierre Ouzoulias, Olivier Paccaud et Sylvie Robert. Il a mené un travail d'audition auprès des principaux acteurs du secteur, centré sur trois grandes problématiques : la continuité pédagogique, l'organisation des examens et des concours, l'accompagnement sanitaire et social des étudiants.

Fort de ces échanges et des remontées d'informations dont ses membres ont été destinataires dans leurs départements respectifs, il constate que la gestion de la crise sanitaire s'est caractérisée par une réponse globalement réactive et concertée de la part du ministère de l'enseignement supérieur.

S'agissant de la continuité pédagogique, apparue comme une priorité absolue, le groupe de travail salue l'incroyable mobilisation et la capacité d'adaptation des équipes tant pédagogiques qu'administratives pour accompagner les étudiants dans ce passage au « tout virtuel ». Ce constat ne doit évidemment pas masquer ni la diversité des situations ni les difficultés rencontrées.

Compte tenu de la fermeture des établissements jusqu'après l'été et des dernières déclarations de la ministre indiquant la poursuite d'un enseignement « hybride » à la rentrée de septembre, on peut s'attendre à une modification durable et en profondeur des pratiques pédagogiques, qui s'appuient davantage sur les outils numériques. J'ai eu l'occasion d'insister sur ce point lors du débat qui s'est tenu hier au Sénat, à l'initiative de notre commission.

S'agissant de l'organisation des examens et des concours, des adaptations étaient nécessaires au regard du contexte. La ministre a invité les universités, qui organisent traditionnellement des contrôles de connaissances au printemps, à procéder à des adaptations dans le cadre de trois orientations : la réduction du recours aux épreuves en présentiel ; en cas de maintien d'épreuves en présentiel, la nécessité de les organiser entre le 20 juin et le 7 août afin de limiter les perturbations sur l'année universitaire 2020-2021 ; le respect de règles très strictes d'organisation pour assurer la sécurité sanitaire des étudiants et des personnels mobilisés. Le groupe de travail approuve ces orientations qui posent un cadre général et national.

Le remplacement des concours post-baccalauréat par un examen des dossiers constitue sans doute la moins mauvaise des solutions en raison des protocoles sanitaires difficilement tenables, tout en préservant les chances de réussite des candidats.

Quant à la réorganisation des concours post-classes préparatoires, il faut saluer le bon travail du comité de pilotage, teinté d'un pragmatisme évident, pour parvenir à une vision concertée et convergente. Toutefois, la suppression des oraux d'admission, essentiels pour détecter les qualités et compétences des candidats, ne sera pas neutre sur les caractéristiques de la cohorte 2020 et devra être prise en compte durant le cursus en école.

S'agissant des concours externes de recrutement de l'éducation nationale, pour lesquels les épreuves orales d'admission ont été supprimées et remplacées par un oral de titularisation à l'issue de l'année de stage, le groupe de travail s'interroge sur la pertinence d'une telle mesure pour des personnes qui s'apprêtent à enseigner dès la rentrée prochaine.

Sur le volet sanitaire, la présidente du Cnous nous a indiqué qu'environ 50 000 étudiants avaient été confinés en résidence étudiante et qu'aucun foyer épidémique n'était à déplorer. Le groupe de travail salue la très forte mobilisation des personnels du Cnous, des Crous, des services de santé universitaires, des bénévoles associatifs, ainsi que des collectivités locales, qui ont continué à assurer leurs missions dans un contexte très anxiogène.

Sur le volet social, quatre leviers ont été activés pour venir en aide aux étudiants : les aides d'urgence des Crous ont été abondées de 10 millions d'euros ; les ressources issues de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC) ont été mobilisées à hauteur de 80 millions, à destination des étudiants boursiers ou non ; le versement de bourses a été effectué dans les temps : se pose maintenant la question de leur éventuel maintien en juillet ; l'aide exceptionnelle de 200 euros, annoncée par le Premier ministre concernera 800 000 jeunes ayant perdu leur stage ou leur emploi, les étudiants ultramarins et les jeunes précaires ou modestes.

Ce constat général dressé, le groupe de travail appelle à la vigilance sur les points suivants :

- la transition entre le second degré et le supérieur qui pourrait s'avérer plus compliquée, compte tenu des bouleversements de l'année scolaire 2019-2020 - la crise sanitaire bien sûr, mais aussi les manifestations des gilets jaunes et d'autres évènements sociaux de l'hiver dernier - ;

- les limites de l'enseignement supérieur à distance au regard de la fracture numérique qui prive une part non négligeable d'étudiants de la continuité pédagogique, pour des raisons principalement techniques ;

- la mise en place des examens en distanciel qui interroge tant sur le plan de l'équité entre les candidats que des modalités de surveillance à distance au regard du respect du règlement général sur la protection des données (RGPD) ;

- l'organisation des concours en présentiel qui pose un vrai défi en termes de nombre de centres d'examens, des modalités de surveillance, des mesures sanitaires, des déplacements et de l'hébergement des candidats ;

- la clarification des moyens dédiés aux mesures d'aide aux étudiants, qui pourraient s'avérer sous-calibrés face à l'ampleur des besoins ;

- les conséquences financières de la crise sur les Crous qui vont accuser une forte baisse de leurs recettes d'exploitation, du fait du gel des loyers pendant le confinement.

Le groupe de travail formule aussi sept préconisations complémentaires pour une gestion des effets de la crise à moyen terme :

- étudier la mise en place d'une période de remédiation en début de première année universitaire ;

- inciter les universités à se préoccuper davantage de l'équipement informatique individuel des étudiants ;

- soutenir les formations professionnalisantes et accompagner les jeunes diplômés 2020 à s'insérer sur le marché du travail déjà fortement dégradé, au moyen de mesures incitatives à l'embauche, d'aides ciblées en faveur de la recherche d'emploi, de facilités pour le remboursement des prêts bancaires ;

- financer le prolongement des contrats doctoraux et postdoctoraux, dont il faudra préciser les conditions d'octroi, par une augmentation de la subvention pour charges de service public des établissements d'enseignement supérieur et de recherche ;

- encourager et adapter l'accueil des étudiants internationaux en communiquant davantage, en envisageant des mobilités plus courtes et plus ciblées, en simplifiant les procédures d'obtention de visa, en clarifiant la question d'une éventuelle mise à l'isolement de ces étudiants à leur arrivée ;

- mieux considérer les études de santé en assouplissant les critères de sélection en première année commune aux études de santé (Paces) pour cette année, en valorisant les stages effectués dans les services hospitaliers pendant la crise, en attribuant une prime exceptionnelle à l'ensemble des étudiants en médecine, étudiants infirmiers et étudiants techniciens de laboratoire mobilisés durant cette période ;

- réfléchir à la mise en place d'un plan ambitieux de rénovation des bâtiments universitaires comme facteur de relance économique.

Je tiens à remercier mes collègues qui ont participé aux auditions et qui ont nourri les conclusions de ce rapport de manière très consensuelle et très complémentaire.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Merci pour cette présentation très complète. Je vais maintenant donner la parole aux membres de ce groupe de travail.

M. Guy-Dominique Kennel . - Je remercie notre président de groupe dont vous aurez remarqué sa présentation synthétique et pédagogique.

Les auditions ont été très intéressantes et les préconisations émises, notamment pour la rentrée universitaire, mériteraient d'être mises en exergue auprès de la ministre en charge de l'enseignement supérieur. Les universités connaissent et vont encore connaître d'énormes problèmes, notamment au niveau sanitaire et social. D'un point de vue pédagogique, les cadrages réalisés et les préconisations empreintes de bon sens que nous faisons seront, je pense, probablement entendus.

J'ajoute que les difficultés sanitaires et sociales toucheront fortement les étudiants étrangers, qui sont assez nombreux - sur Strasbourg, ils représentent plus de 27 % des étudiants - et tous les étudiants en général. La crise a révélé un point inquiétant : la fracture existante entre les jeunes qui ont les moyens de pouvoir se procurer un certain nombre de supports et ceux qui ne les ont pas, qui doivent travailler pour se les procurer et donc consacrer moins de temps à leurs études. Nos préconisations à ce sujet nécessitent des moyens financiers supplémentaires, mais les étudiants en difficulté me paraissent constituer une priorité.

M. Laurent Lafon . - Je salue également le travail de rédaction et de présentation de Stéphane Piednoir qui restitue parfaitement nos constats et nos recommandations.

Si, dans le débat public, l'on a moins parlé du supérieur que du scolaire, c'est que la pédagogie par le numérique est plus facile pour des étudiants qui ont déjà l'habitude de ces outils. Or il connaît aussi de vraies problématiques dont deux que je souhaite souligner.

La première concerne l'orientation et plus particulièrement Parcoursup dont il a relativement peu été question, considérant sans doute qu'une plateforme numérique ne pouvait que continuer de fonctionner en cette période. Si cela est vrai techniquement, l'accompagnement dans la réflexion de l'élève de terminale par ses professeurs principaux, par le CIO ou lors des journées portes ouvertes, pour le guider dans ses choix, a été en revanche affecté par le confinement. Je crains que l'orientation des jeunes s'en trouve moins affinée que les années précédentes et qu'elle soit source pour eux de beaucoup de déceptions.

À cela s'ajoute un autre phénomène également évoqué, à savoir que les élèves de terminale ont vu leur année scolaire tronquée par la crise sanitaire et les différents mouvements sociaux et qu'ils vont se retrouver à la rentrée universitaire prochaine dans un environnement complètement différent auquel ils auront été mal préparés, et avec un certain retard scolaire. Une remédiation apparaît donc nécessaire pour tenter d'amoindrir l'augmentation du nombre d'échecs en première année qui pourraient en découler, qui sera perçu comme un échec personnel par les étudiants. Nous devons être attentifs à ce point de fragilité.

M. Pierre Ouzoulias . - Je remercie à mon tour Stéphane Piednoir pour avoir restitué avec autant de précisions notre travail commun. La crise exacerbe les dysfonctionnements mais lorsqu'on a l'habitude de travailler ensemble, ce qui avait déjà été le cas sur le dossier de suivi de Parcoursup, les méthodes de travail s'avèrent très efficaces en période de crise.

En ce qui concerne Parcoursup, je note que l'impossibilité de tenir des oraux a engendré un recours massif aux algorithmes pour trier les dossiers. Au regard de la décision du Conseil constitutionnel et de l'impératif de protection des libertés individuelles, il me paraît important de vérifier ce que ces algorithmes contiennent et de les rendre transparents.

En complément des propos tenus un peu plus tôt ce matin par notre collègue Jean-Pierre Leleux, relatifs au risque budgétaire, et dans le cadre de notre rôle de contrôle de l'utilisation des crédits votés, je précise que cette année, il a été constaté une faible consommation de certains crédits, notamment dans l'enseignement supérieur et la recherche, et une surconsommation d'autres. Nous avons besoin que le ministère fasse un bilan très précis des postes sur lesquels une rallonge substantielle sera nécessaire.

Je rappelle aussi l'enjeu majeur que représentent les thèses. Beaucoup d'étudiants ont été obligés d'arrêter la préparation de leurs thèses, faute d'accès aux bibliothèques et aux laboratoires. S'ils se trouvent dans l'incapacité de reprendre leur travail de thèse, on va continuer à perdre des docteurs et affaiblir l'influence de la recherche française dans le monde. Je regrette que dans le cadre de la loi, le ministère n'ait pas été capable de fournir une étude d'impact du nombre de docteurs arrêtés dans leurs travaux de recherche. Nous allons avoir besoin de poursuivre notre propre travail d'évaluation, initié par Stéphane Piednoir, pour mesurer l'ampleur des dégâts qui apparaissent d'ores et déjà considérables, aux dires de mes collègues. On ne redémarre pas aussi aisément certaines études, comme celles portant sur le vivant, qui nécessitent par exemple de reconstituer les cohortes d'animaux utilisés.

Les douze travaux d'Hercule ont été évoqués, je pense qu'il va nous falloir aussi rapporter les pommes d'or du jardin des Hespérides !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Nous venons un peu d'anticiper sur le groupe de travail « Recherche » animé par Laure Darcos en évoquant cet arrêt de certaines recherches. Nous serons sans doute amenés à approfondir ce sujet ultérieurement. Je donne maintenant la parole à Sylvie Robert.

Mme Sylvie Robert . - Je m'associe aux compliments adressés à l'ensemble des membres du groupe de travail et souhaite vous soumettre trois réflexions.

La première concerne la question des examens passés en distanciel et des outils numériques de télésurveillance. Certaines universités n'ont en effet pas respecté le RGPD en la matière. Je vous informe que j'en ai saisi la CNIL et qu'une information va être publiée aujourd'hui. J'en ferai également une communication lors de la prochaine commission plénière de la CNIL pour rappeler qu'au regard du RGPD, les dispositifs de surveillance qui prennent le contrôle à distance de l'ordinateur personnel de l'étudiant ou ceux qui reposent - et c'est le plus grave - sur des traitements biométriques, ne sont pas admis. Il est important d'en informer les présidents d'université et leur rappeler que les étudiants sont en droit de refuser ces dispositifs ne reposant sur aucune base légale.

Ma deuxième réflexion porte sur la réactivité des collectivités territoriales et leur contribution importante à la question de l'enseignement supérieur, au niveau des logements étudiants notamment. Un recensement des aides d'urgence en faveur des étudiants octroyées par les régions me paraît important à réaliser, comme l'a déjà fait la Bretagne.

Enfin, je souhaite insister sur la précarisation assez importante de certains étudiants dont certains vont devoir - j'en ai eu l'écho récemment - abandonner leurs études pour des raisons économiques. La directrice du Cnous que nous avons auditionnée nous avait fait part de cette préoccupation et des moyens dont elle aimerait disposer pour compenser les millions qui ont été réinjectés en faveur de ces étudiants en grande précarité. Il nous faut rester vigilants à ce sujet et évaluer à la rentrée prochaine dans quelles conditions certains pourront ou pas reprendre leurs études.

Mme Mireille Jouve . - Je remercie également notre brillant rapporteur et tous mes collègues qui ont participé à ce groupe. Je pense que nous devons rester attentifs à ce que les étudiants, compte tenu des bouleversements qu'ils vivent, ne souffrent pas outre mesure de diplômes dévalorisés. Beaucoup d'entre eux vont devoir essayer d'intégrer un marché du travail profondément dégradé et devront donc pouvoir être soutenus.

En ce qui concerne le soutien financier et le suivi social des étudiants les plus précaires, même si les situations de chacun sont aussi singulières et nombreuses, ils nous ont paru être à la hauteur de l'enjeu, c'est en tout cas ce qu'il est ressorti de nos auditions.

Je crois également qu'il nous faut rester très vigilants sur les conditions dans lesquelles la procédure Parcoursup se déroule cette année. Le satisfecit affiché par le ministère pourrait peut-être être relativisé.

Nous demeurons en outre conscients que l'enseignement à distance, même si nos universités ont su faire preuve d'une grande capacité d'adaptation, demeure un amplificateur des inégalités existant entre les étudiants.

M. Jacques Grosperrin . - Je félicite Stéphane Piednoir et son équipe pour ce travail exceptionnel réalisé en peu de temps. Notre équipe, au sein du groupe de travail sur l'enseignement scolaire, a également abordé les problématiques liées à la continuité pédagogique, l'organisation et l'accompagnement sanitaire.

S'agissant de la continuité pédagogique, elle a pu se mettre en place, pas seulement grâce au fait que le numérique ne pose pas de souci aux étudiants, mais aussi parce qu'ils se sont fortement engagés, tout comme les professeurs.

Ma deuxième remarque concerne l'organisation des écrits des grandes écoles. La question a été posée hier au ministre de l'éducation nationale, mais il n'a pas pleinement répondu car cela concerne davantage sa collègue du supérieur. Certaines académies pensent faire passer ces concours à Paris, notamment du fait des consignes sanitaires à respecter et de la fermeture actuelle des lycées. Des réponses à ces difficultés-là ont-elles été apportées ?

Enfin, la Covid a modifié beaucoup de choses, dont l'abandon de l'année de césure. On a aussi le sentiment que pour certains étudiants, les universités de proximité ont joué peut-être un rôle plus important et qu'au travers de Parcoursup, les uns et les autres vont vouloir poursuivre leurs études dans des lieux plus sécurisants ou plus en lien avec le sanitaire et le social. En témoignent les 600 000 voeux formulés en direction des écoles d'infirmières et les quelques 250 000 pour la Paces.

Je terminerai par la question du travail de réhabilitation, voire d'évolution, à mener dans les résidences universitaires, dont l'état actuel ne facilite pas la vie de nos étudiants.

M. Max Brisson . - Je salue également la qualité du rapport présenté par Stéphane Piednoir. Je souhaite tout d'abord demander à notre rapporteur comment il analyse le fait qu'il y ait eu finalement peu de polémiques dans l'enseignement supérieur, contrairement à l'enseignement scolaire, où les tensions et angoisses ont été nombreuses. Est-ce dû à un système beaucoup plus déconcentré ou à l'autonomie des universités ?

Quant à la continuité pédagogique, fort justement saluée, il me semble malgré tout qu'il y a bien dû y avoir des pertes en ligne et des décrochages. Il ne peut y avoir autant de différences entre un étudiant de deuxième année de faculté et un élève de terminale. Hier, j'ai évoqué dans l'hémicycle devant Jean-Michel Blanquer, ces élèves pas forcément décrocheurs mais en perte de contact avec leurs enseignants alors qu'ils ne l'étaient pas en présentiel. A-t-on une idée des dégâts causés par cet enseignement à distance, jusqu'au niveau de la licence ?

Pour ce qui concerne les étudiants en master, beaucoup d'établissements pratiquent des stages en entreprises et leur configuration en distanciel - c'est-à-dire par le télétravail - a dû également provoqué des dégâts et à tout le moins une perte des connaissances fondamentales acquises dans le monde professionnel.

S'agissant des examens en distanciel, et au-delà du discours que tout le monde a voulu très positif, on peut se poser la question de la pertinence de certaines évaluations et donc de la fiabilité de la validation d'un certain nombre d'acquis, de connaissances et de compétences.

J'ai par ailleurs posé la question au ministre hier de la remédiation pour le scolaire, et elle me semble tout aussi importante pour le supérieur lorsqu'on accepte l'idée que, au-delà du décrochage, il y a malgré tout des connaissances qui ne seront pas acquises. Les établissements se préparent-ils à cette difficulté, dans le cadre d'une réflexion stratégique concertée ?

Mme Sonia de la Provôté . - Je souhaite rebondir sur le souhait qui vient d'être évoqué, d'avoir un bilan très précis du nombre d'étudiants décrocheurs, d'en évaluer les raisons ainsi que les professeurs pour lesquels la continuité pédagogique a été plus difficile à assurer - je pense aux Sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps), où le présentiel est indispensable. Un bilan objectif me paraît essentiel en vue des réévaluations des validations à la rentrée prochaine.

La priorité donnée aux études liées à la santé reste relative. Les chiffres 2020/2021 - + 47 places en médecine au niveau national, + 10 en dentaire, + 6 pour les sages-femmes et + 4 pour les pharmaciens - ne permettront pas de pallier les carences en accompagnement sanitaire sur le territoire.

A l'approche de la rentrée scolaire, et au regard du fait que les universités n'ont pas rouvert, un protocole sanitaire précis a-t-il été défini ? Car de nombreux établissements s'interrogent... Il serait souhaitable qu'il soit communiqué et mis en place avant fin juillet, ne serait-ce que pour rassurer les étudiants.

Quant à la CVEC, à l'aune de la crise sanitaire, il me paraît justifié d'en avoir un bilan et surtout d'avoir un certain nombre d'exigences sur son usage.

Enfin, concernant la précarisation, le fait que la situation économique va se compliquer, et qu'un nombre important d'étudiants travaillent pour pouvoir financer leurs études, un accompagnement financier supplémentaire apparaît primordial. Je rejoins l'avis de mes collègues sur ce volet social de la précarisation - pouvant conduire à l'abandon des études - qui risque de prendre une dimension particulièrement prégnante à la rentrée.

Mme Laure Darcos . - Merci pour ce brillant rapport. J'ai une remarque relative aux examens. Dans mon entourage personnel, j'ai eu connaissance d'élèves qui, pour répondre à un QCM en ligne en une heure, se sont tous connectés à Zoom pour s'échanger les réponses, ils vont donc tous avoir vingt sur vingt !

À l'inverse, l'examen de fin de première année de Paces va devoir être organisé en présentiel. Il s'agit d'un examen regroupant 900 candidats, tous très inquiets du fait que les examinateurs et surveillants de ces concours sont âgés de 55/60 ans - il s'avère très difficile d'en trouver de plus jeunes -, donc plus « à risque », et de l'organisation logistique. En effet, quelle salle va pouvoir accueillir 900 candidats permettant la distanciation obligatoire ? Et combien de temps faudra-t-il avant qu'ils soient tous installés en temps et en heure ?

Mme Françoise Laborde . - Je rejoins l'avis de mes collègues concernant Parcoursup et le fait que cela va être compliqué pour les étudiants qui étaient indécis dans leurs choix.

J'insiste sur les conditions d'examen en Paces, sujet qui fait beaucoup de remous dans mon département de Haute-Garonne. Pour toutes les raisons évoquées par Laure Darcos, mais aussi pour le fait que passer de nombreuses épreuves écrites à des QCM est très difficile à vivre. Je vais questionner à nouveau la ministre à ce sujet. Et comme vous tous, mon groupe a interpellé le ministère par rapport aux concours internes et externes des enseignants.

Enfin, je vais parler pour une fois des outre-mer, où pour certains concours, les élèves sont isolés dans des loges, car les épreuves écrites ne se déroulent pas aux mêmes heures qu'en métropole. Les résidences du Crous et internats étant fermés, les élèves ne pourront pas être isolés et ils passeront le concours en même temps que les autres, c'est-à-dire à trois heures du matin ! Je tenais à vous le signaler.

M. Stéphane Piednoir . - Je vais apporter quelques réponses aux questions qui viennent d'être posées.

Sur la question de l'organisation des examens en présentiel, souvent posée, et plus particulièrement pour les concours des grandes écoles, certaines académies envisageaient effectivement de ne pas les organiser dans les lycées habituels. Jean-Michel Blanquer a renvoyé cette question à son homologue de l'enseignement supérieur mais il n'empêche qu'elle relève bien de la réouverture des lycées, dont on ne connaît toujours pas la date.

Dans mon académie de Nantes, le recteur avait envisagé de supprimer tous les centres et d'envoyer les candidats sur Paris, ce qui en termes de transports, de logements et de coûts supplémentaires posait beaucoup de problèmes, notamment pour les boursiers fort nombreux de ces filières. Il a fait machine arrière mais je ne sais pas si c'est le cas pour toutes les académies.

Concernant les épreuves en Paces et plus globalement pour les centres qui vont accueillir plusieurs centaines de candidats, il nous a été répondu qu'ils allaient être multipliés pour diviser les effectifs, permettant ainsi de réduire les temps d'attente pour entrer. Mais cela nécessite plus de surveillants, et si possible plus jeunes, ce qui va être très difficile à trouver. La question n'est donc pas réglée et les examens auront lieu dans un mois !

Sur l'absence de polémique évoquée par Max Brisson, il s'avère que le ministère a su prendre des décisions rapides, et notamment celles de ne pas ré-ouvrir. Les universités sont toutefois ouvertes à 50 % de leur capacité pour les activités autres que l'enseignement ; tous les cours ont été suspendus jusqu'à la rentrée de septembre. Les étudiants ont donc su très vite que l'année en présentiel était terminée, ce qui a coupé court aux interrogations qu'a dû par contre se poser l'enseignement scolaire quant à la date de réouverture des écoles.

Concernant la continuité pédagogique et le décrochage, nous ne disposons pas encore de remontées chiffrées, mais il est très probable qu'il y aura des décrocheurs, potentiellement en fin d'année scolaire universitaire. Les partiels ont pu donner toutefois des signaux d'alerte pour certains.

S'agissant de la vigilance sur la valeur des examens, je précise que la triche existe aussi en présentiel, selon des procédés ancestraux ! Zoom facilite cependant bien les choses. Et en même temps nous sommes coincés par ce refus des applications de surveillance des candidats lors des épreuves - certains logiciels peuvent scruter le visage d'un candidat et veiller à ce qu'il ne regarde pas ailleurs... La valeur du diplôme se testera de toute façon à la rentrée. Il en va donc aussi de la responsabilité des étudiants.

Sur l'évolution très relative du numerus clausus dans les filières de la santé, j'avais adressé un courrier à Frédérique Vidal pour demander sa réévaluation. En réalité, nous n'avons obtenu que 67 places supplémentaires à l'échelon national. Je regrette qu'un geste plus fort n'ait pas été fait en faveur des jeunes en Paces. Je rappelle que certaines académies, dont la mienne, organisaient cette année le PluriPass ; les oraux ayant été supprimés, l'admission en deuxième année va se faire uniquement sur les épreuves écrites. Certains candidats qui avaient basé leur réussite sur l'oral vont en pâtir. J'aurais aimé que la prise en compte de ces modifications passe par l'assouplissement du numerus clausus .

En ce qui concerne Parcoursup, la plateforme numérique a en effet fonctionné, mais l'accompagnement des candidats dans leur réflexion a pu être affecté.

Pour répondre à Françoise Laborde sur l'horaire de passation des épreuves en outre-mer, le numérique nous oblige à ce que les épreuves aient lieu simultanément. Les candidats concernés vont donc devoir se lever très tôt !

Enfin, s'agissant du protocole sanitaire évoqué par Sonia de la Prôvoté, il a été publié récemment et est accessible sur le site du ministère.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Merci beaucoup pour ces éléments de réponses. Je tiens à m'excuser auprès des membres du groupe de travail animé par Jacques-Bernard Magner, car nous avons été un peu gourmands en imaginant pouvoir passer quatre rapports en une matinée. Pour permettre de mettre en valeur les travaux du groupe « Jeunesse et vie associative », nous allons donc reporter, si vous en êtes d'accord, la restitution de leur rapport.

M. Jacques-Bernard Magner . - - Tout à fait.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vous remercie tous pour votre participation active et rappelle que les groupes de travail n'ont pas vocation à se réunir pendant la réunion de commission du mercredi matin, à l'instar des groupes d'études.

Jeunesse et vie associative

MERCREDI 27 MAI 2020

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M. Jacques-Bernard Magner . - Le groupe de travail « jeunesse et vie associative » est composé de Mme Céline Boulay-Espéronnier, M. Olivier Paccaud, Mme Dominique Vérien, et moi-même. Nous avons procédé à une série d'auditions autour de trois thématiques : la situation sociale et économique du milieu associatif ; les conséquences du Covid-19 sur le service civique ; la mise en place de colonies de vacances studieuses annoncées par le Gouvernement, afin d'accompagner les enfants à la suite du confinement.

Le milieu associatif est un secteur social et économique de premier rang : les associations participent pleinement à l'animation de nos territoires et au développement du lien social. Il s'est pleinement mobilisé pour faire face à la crise, contribuant ainsi à la résilience des territoires.

Mais, et c'est une dimension trop souvent oubliée, le secteur associatif représente un acteur économique non négligeable. Près de 1,8 million de personnes travaillent ainsi dans les associations, soit un salarié du secteur privé sur dix, pour des emplois non délocalisables. À titre de comparaison, le secteur du tourisme, pour lequel le Gouvernement vient d'annoncer un plan de relance de 1,3 milliard d'euros, représente environ 2 millions d'emplois directs et indirects. Nous sommes donc sur des ordres de grandeur proches.

Or, comme dans de très nombreux autres domaines, les conséquences économiques sont importantes. Près de 70 % des associations ont déposé une demande de chômage partiel, près de 30 % des associations employeuses disposaient début avril de moins de trois mois de trésorerie, 81 % des associations ont été contraintes d'annuler des évènements importants, et les deux tiers d'entre elles ont même mis l'intégralité de leurs activités en sommeil.

Toutefois, le groupe de travail a pu constater que la spécificité du secteur associatif n'était pas toujours bien prise en compte dans les mesures de soutien de l'économie. Je prendrai l'exemple de l'accès au fonds de solidarité. Il permet normalement à toute entreprise, dont les associations, de disposer d'une aide financière si elle a fait l'objet d'une interdiction d'accueil au public, ou a subi une perte de 50 % de son chiffre d'affaires en mars 2020 par rapport à mars 2019. Mais en fonction des interprétations faites par les services régionaux des finances publiques, certaines associations se voient refuser l'accès à ce dispositif, au motif qu'elles ne payent pas d'impôts commerciaux. Dans d'autres cas, il leur est demandé leur identifiant fiscal, alors qu'une association à but non lucratif n'en possède pas. Or ce refus ferme l'accès à ce fonds de solidarité, mais également à des fonds régionaux, qui s'appuient sur le fonds national en termes de critère d'éligibilité. Il faut être éligible au fonds national pour pouvoir disposer d'une aide supplémentaire de la part des régions.

Au moment où la crise sanitaire a éclaté, quelque 60 000 jeunes étaient en train d'effectuer une mission de service civique. Afin de ne pas ajouter de la précarité pour ces jeunes en plus de l'incertitude, l'agence du service civique a demandé aux structures de maintenir les contrats. Pour sa part, elle a maintenu le versement des indemnités. Cette démarche a contribué à la grande créativité et à l'innovation dont ont fait preuve tant les jeunes que les structures pour continuer les missions. Outre la poursuite de certaines missions sous d'autres formes, quelque 26 000 jeunes ont été redéployés sur des missions de terrain.

En outre, le service civique a été un acteur essentiel de la réserve civique, puisque sur les 350 000 inscrits de cette dernière, 50 000 étaient des jeunes en service civique. Bénéficier d'une formation civique et citoyenne, avoir été formé par ses tuteurs à la notion d'intérêt général favorisent l'engagement. Enfin, cette crise a révélé un certain nombre de freins juridiques sur lesquels il convient d'agir.

En ce qui concerne le secteur du tourisme associatif et l'organisation des colonies de vacances « studieuses », le constat économique est également grave. 95 % des activités de classes vertes, et 85 % des accueils collectifs de mineurs sont à l'arrêt depuis mars. Les taux de chômage partiel atteignent 70 % des effectifs de grandes fédérations organisatrices de séjours pour enfants. De nombreux acteurs s'interrogent sur leur capacité de survie. En effet, le modèle économique de nombreux acteurs est construit autour d'une complémentarité entre classes vertes et accueils d'enfants pendant les vacances, ce qui leur permet de passer les mois de novembre à février.

Le taux d'inscription en colonies de vacances est en chute libre, en baisse de 40 % à 50 % par rapport à la même époque l'année dernière. Or les mois de mars à mai correspondent précisément à la période d'inscription. Je mentionnerai également un point qui peut avoir un effet négatif à moyen terme. Les formations de brevets d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA), les stages pratiques, ainsi que les jurys de diplôme n'ont pas pu avoir lieu ce printemps. Nous courrons donc le risque d'une pénurie d'encadrants à moyen terme.

Nous avons tous noté la volonté du Gouvernement de mettre en place des colonies de vacances studieuses. Or aujourd'hui, de très nombreuses questions demeurent. Les conditions sanitaires, la prise en charge du surcoût, les taux d'encadrement nécessaires, et le contenu de ces colonies de vacances studieuses. Il est plus qu'urgent de donner des indications claires sur l'ensemble de ces points. Cela contribuera d'ailleurs à rassurer et à convaincre les familles. Un certain nombre d'entre elles ont déjà dû mal à remettre leurs enfants à l'école, qui est pourtant un environnement familier. Qu'en sera-t-il des colonies ?

En outre, un travail partenarial, en lien avec les animateurs, les travailleurs sociaux et les associations est nécessaire pour convaincre les enfants et leurs familles de découvrir les colonies de vacances. La question budgétaire est loin d'être le seul frein. Les obstacles sont aussi culturels, cultuels, psychologiques, pour des questions d'encadrement ou de sécurité.

J'en viens maintenant aux quatorze préconisations du groupe de travail, regroupées autour de quatre axes. Les quatre préconisations du premier axe visent à prendre en compte la spécificité du secteur associatif :

- permettre aux associations non employeuses de bénéficier du report de charge et de l'accès aux fonds d'aide régionaux ;

- encourager les associations représentant les collectivités locales à signer une charte, afin d'inciter l'ensemble des collectivités à maintenir le versement des subventions promises si l'activité ne peut pas avoir lieu du fait de la crise sanitaire de Covid-19 ;

- réévaluer le Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA) dont les montants versés aux associations restent inférieurs à ceux précédemment alloués à travers la réserve parlementaire ;

- mettre en place un fonds de soutien interministériel pour les associations en grande difficulté financière.

Les préconisations du deuxième axe visent à garantir les moyens de redynamiser les colonies de vacances :

- inclure dans le plan de soutien au tourisme le secteur du tourisme associatif et prendre en compte ses caractéristiques ;

- indiquer rapidement aux professionnels du secteur les conditions sanitaires à respecter pour l'organisation des séjours de mineurs cet été.

Les préconisations du troisième axe visent à préparer l'immédiate après-crise :

- donner la possibilité juridique et les moyens budgétaires d'étendre de plusieurs semaines les contrats des jeunes en service civique qui le demandent, afin de permettre aux structures, en l'absence d'autres alternatives, de disposer de jeunes déjà formés, pour répondre aux besoins immédiats à la sortie du confinement ;

- reporter, en raison des difficultés d'organisation nées de la crise sanitaire, l'élargissement à l'ensemble des départements de l'expérimentation du service national universel (SNU) à 2021, et réallouer tout ou partie du budget dédié au service civique ;

- augmenter les moyens budgétaires du service civique en 2021, afin de pouvoir proposer un plus grand nombre de missions pour redonner confiance aux jeunes décrocheurs du système scolaire ou en difficulté d'insertion professionnelle en raison de la crise sanitaire. En effet, celle-ci aura des conséquences économiques et sociales importantes. Or le service civique a démontré son excellente capacité pour réinsérer professionnellement les jeunes. Une étude de mars 2020 de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP), sur les parcours de formation et d'insertion des jeunes en service civique, montre que 57 % des volontaires au chômage de longue durée et sans expérience professionnelle avant le début de leur mission n'étaient plus en recherche d'emploi six mois après sa fin ;

- récréer pour une période transitoire des emplois aidés, réservés au secteur associatif. Notre commission l'avait déjà proposé en 2017, dans le cadre d'un rapport intitulé « Réduction des emplois aidés : offrir une alternative crédible au secteur associatif ».

Enfin, le dernier axe de préconisations vise à tirer tous les enseignements de la crise :

- intégrer dans les contrats des jeunes en service civique la possibilité de les transférer, avec leurs accords, sur une mission urgente, en cas de besoin ;

- renforcer l'accompagnement des associations dans l'accueil de nouveaux bénévoles. En effet, il n'y a pas en France un problème de volontariat, mais d'offres, de la part des associations. Animer une association, accueillir de nouveaux bénévoles, penser de nouvelles missions nécessite du temps et des compétences, que n'ont pas toujours les associations, notamment les plus petites ;

- encourager le développement du service civique en zone rurale, en tirant pleinement profit des outils numériques pour le suivi et l'encadrement du jeune ;

- renforcer la reconnaissance de la Nation envers l'engagement citoyen. Je regrette à ce titre que ni le Premier ministre, ni le Président de la République n'aient salué, voire évoqué, le rôle des bénévoles dans leurs discours. Ceux-ci ont en effet joué un rôle essentiel pour soutenir « la première ligne » pendant la crise sanitaire.

Mme Céline Boulay-Espéronnier . - Nous avons mené des auditions passionnantes et variées, avec des acteurs très engagés. Le but du groupe était de tirer les enseignements de la crise, et de préparer l'immédiate après-crise. Nous avons rencontré des problématiques très différentes selon les associations, leur taille, et leur secteur d'activité.

Les appels au bénévolat se sont multipliés pendant cette crise, avec un fort écho dans la population. De nombreuses associations s'appuyant sur des forces vives gratuites, se retrouvent par ailleurs dans une situation précaire, alors même que bon nombre d'entre elles alimentent une économie dynamique, au service du lien social, et de l'animation du territoire. Elles représentent 4 % du produit intérieur brut (PIB), soit 113 milliards d'euros. Le Parisien faisait état d'un chiffre de 1 milliard d'euros de pertes. Il ne pourrait cependant s'agir que d'un montant provisoire, puisqu'il tient compte du manque à gagner sur les recettes d'activités, mais non des possibles baisses de subventions ou de mécénat des entreprises. Je songe notamment aux associations sportives, par exemple de rugby, qui dépendent largement du mécénat.

La crise a également révélé l'utilité et l'importance du service civique, et la nécessité de le développer en milieu rural, notamment grâce au numérique. Il existe un enjeu autour des décrocheurs scolaires et de l'insertion professionnelle. La volonté de s'engager est forte chez les jeunes, comme nous avons pu le constater lors de la crise.

La réserve citoyenne a 300 000 inscrits - dont 50 000 jeunes en service civique - pour 30 000 missions. Je m'en suis émue auprès du ministre, en soulignant que le nombre de missions était très insuffisant. De nombreux jeunes qui souhaitaient s'engager ont ainsi été laissés un peu de côté. L'un des enjeux de la sortie de crise est de parvenir à maintenir le capital d'engagement d'un grand nombre d'actifs. Enfin, le monde associatif a le sentiment d'être mal compris par les autorités politiques et administratives.

Je reviendrais maintenant sur quelques préconisations du rapport. La première d'entre elles est le fonds de soutien interministériel pour les associations en grande difficulté financière. À la différence des entreprises, il n'existe pas pour les associations de procédure judiciaire de sauvegarde. La crise a violemment percuté leur modèle de financement. Pour les toutes petites structures notamment, l'argent est essentiel. Elles disposent de peu de trésorerie, mais n'ont droit à aucune aide de l'État, car ce ne sont pas des entreprises à part entière. De même, elles ne disposent pas de fonds de solidarité, car elles ne disposent pas de plus de 60 000 euros de recettes par mois. Il s'agit d'un véritable problème. Une association sur cinq dispose de moins de trois mois de trésorerie, et la moitié d'entre elles de moins de six mois.

Par ailleurs, le rapport fait état de la nécessité de réévaluer le FDVA. Celui-ci s'est vu confier par la loi de finances 2018 une nouvelle mission : attribuer aux associations sur le territoire des fonds anciennement versés au titre de la réserve parlementaire. Or les sommes allouées apparaissent très en-deçà de ce que cette dernière pouvait allouer aux associations. C'est l'occasion de rappeler à quel point cette réserve parlementaire manque dans les territoires.

Une autre préconisation vise à renforcer la reconnaissance de la nation envers l'engagement citoyen. La reconnaissance des pouvoirs publics encourage en effet ce dernier. La crise a offert de nombreux exemples. Je citerai notamment la distribution alimentaire, ou encore l'écoute et la lutte contre les violences intrafamiliales. Cela pose la question de l'engagement bénévole et du civisme.

J'ai été interpellée par un article dans Le Journal du dimanche du 24 mai 2020 de M. Marcel Gauchet, qui souligne que les associations sont allées contre les deux injonctions du confinement, qui pourront avoir un impact durable dans la vie de nos sociétés : « méfiez-vous les uns des autres » ; « restez chez vous ». En cela, elles méritent la reconnaissance des pouvoirs publics.

Enfin, il a été largement question au sein du groupe des colonies de vacances, et de leur enjeu social et sociétal pour les familles fragilisées par la crise. J'ai également évoqué avec le ministre la question du scoutisme, qui l'avait beaucoup intéressé. Cette question est largement liée à celle des seuils des allocations familiales. M. Gabriel Attal a annoncé un plan global avant l'été pour l'emploi des jeunes, notamment pour éviter leur décrochage en lycées professionnels. Il vise également à renforcer leur comptage, et faciliter leur entrée sur le marché. Cela fera également l'objet d'un grand plan de relance européen. Il faudra y être attentif, car la proportion de jeunes en voie professionnelle en décrochage pendant le confinement est estimée à 15 %.

Il existe de nombreux sujets connexes, que nous n'aborderons pas ce matin. Je citerai néanmoins les emplois d'été, ou encore les jeunes créateurs en danger immédiat, qui devront être suivis par notre commission.

Mme Dominique Vérien . - Les associations ont été particulièrement utiles pendant cette crise. Je salue notamment dans notre département La Croix-Rouge, qui a réalisé un travail formidable pour lutter contre la précarité mais surtout contre l'isolement des habitants. Néanmoins, il existe un véritable besoin de renouvellement des générations. Pour ce faire, la formation et l'accompagnement sont indispensables. C'est la raison pour laquelle nous les avons intégrés dans nos préconisations.

Le fait que 50 000 jeunes sur 60 000 en service civique se soient engagés dans la réserve civique témoigne de son rôle important. Je salue donc l'annonce de M. Gabriel Attal, qui souhaite créer 10 000 missions en secteur rural. Nous avons constaté qu'y compris dans ces zones, il était possible de télétravailler. Or l'une des raisons pour lesquelles le service civique est peu développé en zones rurales tient aux difficultés d'encadrement. Il serait ainsi possible de régler ce problème grâce au numérique.

Enfin, l'annonce du plan général sur le tourisme social a finalement été décalée, à mon sens en raison des vacances apprenantes. Elles sont en effet difficiles à mettre en oeuvre. L'annonce devrait intervenir le 15 juin. Or, les vacances commencent début juillet, et les mettre en place en quinze jours risque de constituer un casse-tête pour toutes les associations et les professionnels. Par ailleurs, ceux-ci enregistrent tous une baisse des inscriptions. Comment sera-t-il possible d'envoyer davantage d'enfants dans ces colonies, en particulier ceux qui sont ciblés par le Gouvernement ? Cette date du 15 juin me semble trop tardive. Les professeurs participeront-ils à ces « colonies apprenantes » ? Il s'agit à mes yeux de la plus importante interrogation qui subsiste après les auditions.

M. Pierre Ouzoulias . - Je remercie les membres de ce groupe de travail, dont les recommandations sont fondamentales. D'un point de vue général, ces deux mois de confinement ont touché très cruellement le tissu social, et notamment la jeunesse. Sa fin, et peut-être celle de l'épidémie, nous oblige à retisser la trame indispensable de notre société. Depuis quelque temps, nous entendons tous les jours des annonces de plans d'urgences pour divers secteurs. Nous avons maintenant besoin d'une annonce forte, et d'un plan budgétaire détaillé, pour nous expliquer quels moyens seront mis en place pour sauver ce réseau, qui nous permet, au quotidien, de faire société. Il est essentiel de retisser ce lien. Je suis l'élu d'une ville populaire, et l'été va être très tendu d'un point de vue social. Si nous ne donnons pas aujourd'hui aux associations les moyens d'encadrer les jeunes, nous risquons de rencontrer d'importants problèmes dans les quartiers populaires.

M. Stéphane Piednoir . - Nous risquons une pénurie de titulaires de BAFA, en raison de la baisse du nombre de candidats. J'ai adressé un courrier au ministre de l'éducation nationale sur les taux réglementaires d'encadrement, pour les associations en lien avec la jeunesse, mais également périscolaires. Envisagez-vous une modification de ces taux pour faire face à cette pénurie ? Le nombre de titulaires du BAFA va être en baisse à la rentrée, car les personnes n'ont pas pu se former.

L'engouement des jeunes pour le service civique semble significatif. Le ministre a annoncé un effort supplémentaire pour augmenter le nombre d'offres. Je suis cependant moins favorable aux contrats aidés. Nous devons mener une action concertée sur l'insertion professionnelle des jeunes. Des annonces sont faites régulièrement, et un plan devrait être prochainement dévoilé. 700 000 jeunes arrivent sur le marché du travail dans un contexte extrêmement dégradé. Cela mérite un plan d'urgence.

Mme Annick Billon . - Cette crise sanitaire ne met-elle pas en relief un déficit de formation à l'intégration de gestion de crise ? Il serait à ce titre intéressant de réfléchir à des modules nouveaux dans l'encadrement, pour que les jeunes qui souhaitent s'engager soient en capacité de mettre des processus immédiatement en application, dans l'éventualité d'une nouvelle crise sanitaire.

Ma deuxième question porte sur l'allégement des conditions d'encadrement. La saison touristique sera extrêmement difficile, puisqu'elle commence deux mois plus tard qu'en temps normal. Ne serait-il pas imaginable, par exemple pour la surveillance de plages, de faire appel à ces jeunes qui ne pourront occuper des emplois saisonniers, et feront face à des conditions très difficiles à la rentrée universitaire ?

Mme Sonia de la Provôté . - Je vous remercie pour ce rapport, qui traite des sujets importants que sont le service civique et les colonies apprenantes. Le contenu de ces dernières reste à déterminer. L'impact de la crise sanitaire sur le monde associatif est évident, et sévère. Est-il possible de l'évaluer plus précisément, secteur par secteur ? Je songe aux petites associations de quartiers, ou aux associations communales, chargées de la vie citoyenne et du lien social. Elles vont particulièrement souffrir, car elles n'ont pas réussi à trouver leur place pendant le confinement. À partir d'aujourd'hui, elles seront néanmoins un élément majeur de la vie collective, dans des territoires où il nécessaire que des bénévoles s'emparent de ces sujets. Je pense notamment aux quartiers de la politique de la ville où leur rôle est essentiel, notamment en matière de repérage pour les familles et les enfants, qui aurait dû, mais n'ont pas réintégré l'école. Nous devrons nous appuyer sur elles, et elles devraient être prioritaires dans l'accompagnement.

Le FDVA a été mis en place depuis deux ans. Je n'arrive toujours pas à comprendre les critères qui gouvernent les choix de répartition financière d'une région ou d'un département à l'autre. Or nous avons besoin de critères. Nous devons également pouvoir comparer la somme allouée à celle qui était versée au titre de la réserve parlementaire. Cela nous permettra d'être plus précis dans l'accompagnement. Par ailleurs, je m'interroge sur les grands axes de répartition du FDVA. Certaines associations ne sont pas accompagnées quand d'autres le sont. Nous avons peut-être l'occasion d'exiger que des priorités soient définies.

M. Jacques-Bernard Magner . - Nos préconisations doivent être examinées sérieusement par le Gouvernement, car ces derniers mois ont mis en lumière les failles de notre système, et peuvent éclairer les mesures qui doivent être mises en place à l'avenir. Comme le disait M. Pierre Ouzoulias, les associations sont des amortisseurs sociaux dans les quartiers. Elles le sont également dans les zones rurales, où beaucoup prennent en charge des actions importantes. Lorsqu'existent un secteur associatif, et des bénévoles présents, de tous âges, les actions des pouvoirs publics ont pu être améliorées, et complétées.

Le secteur qui couvre les colonies de vacances est également en charge du périscolaire. Aujourd'hui existent des interrogations sur les possibilités d'animation, compte tenu du faible nombre de BAFA. Il est certes possible d'être formé en ligne sur la partie théorique, mais il est absolument nécessaire de recevoir une formation de terrain. Ces questions devront être pensées pour la sortie de crise. Un débat aura lieu au Sénat la semaine prochaine. La question des taux d'encadrement pourra alors être posée.

Les contrats aidés sont un recours pour les associations autre que financier. La mise à disposition quelques heures pendant une semaine de quelqu'un les aides à remplir leurs missions. Les contrats aidés représentent ainsi un avantage tant pour l'association que pour le jeune, qui peut ainsi obtenir une rémunération, et acquérir une expérience professionnelle. Nous avions d'ailleurs adopté cette recommandation à l'unanimité dans notre commission il y a deux ans.

Mme Annick Billon évoquait les nouveaux modules de formation à mettre en place. Je partage cet avis. Le BAFA en est un important. Il sera peut-être nécessaire d'élaborer des moyens de former plus rapidement, avec les techniques plus modernes que nous avons éprouvées au cours de ces derniers mois. Néanmoins, cette nécessité est également soumise à des problèmes de financement. L'argent dépensé dans certains secteurs peut donner envie au milieu associatif, qui n'est pas toujours doté à la hauteur des missions qu'il assure.

J'ai participé hier à une audioconférence avec la préfecture de mon département pour le financement de projets FDVA. Les critères ne sont en effet pas les mêmes dans tous les départements. Certes, les professionnels de la préfecture qui en sont en charge essaient de faire pour le mieux. Néanmoins, les associations sont insuffisamment informées de l'existence de ces dispositifs. La députée de ma circonscription a fait valoir que les moyens alloués étaient totalement inégaux selon les circonscriptions. Les associations de certains secteurs, qui ont l'habitude de monter des dossiers, peuvent disposer de moyens importants. D'autres secteurs en ont très peu, car les associations sont insuffisamment accompagnées pour constituer leurs dossiers. Il conviendrait ainsi d'accentuer les choix des critères des commissions qui s'occupent de répartir le FDVA. Ces dispositifs doivent également être mieux connus, même s'ils ne sont pas les seuls à pouvoir être sollicités. Nous proposons donc qu'une charte assure que les associations touchent leurs subventions, malgré l'annulation des activités en raison de la crise de Covid-19.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je remercie le groupe de travail au nom de toute la commission. Leur travail fera l'objet d'un communiqué de presse. Nous rebondirons sur l'ensemble de ces sujets dans les semaines qui viennent, à mesure que les colonies de vacances s'organisent, ainsi que les centres de loisirs. La reprise de la vie associative est un sujet important.

Action culturelle extérieure

MERCREDI 27 MAI 2020

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M. Claude Kern . - Le groupe de travail consacré à l'action culturelle extérieure de l'État, que j'ai eu l'honneur d'animer, est composé de Claudine Lepage et Damien Regnard. Je les remercie tous deux chaleureusement pour leur très grande implication et la qualité de nos échanges.

Nous avons choisi de concentrer nos premiers travaux sur la situation de l'enseignement français à l'étranger car la crise a révélé l'urgence à agir dans ce secteur. Nous avons d'ailleurs souhaité vous présenter nos conclusions avant l'audition de M. Jean-Baptiste Lemoyne cet après-midi, afin que notre commission puisse l'interroger en ayant à l'esprit nos constats et nos préconisations.

Le réseau est confronté à ce qui semble bien être la plus grave crise de son histoire, comme nous l'a indiqué le directeur de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) lui-même.

Les établissements d'enseignement français d'Asie ont été les premiers, dès février, à devoir fermer à cause de l'épidémie. Au pic de la crise sanitaire, courant avril, 99 % des 522 établissements que compte le réseau dans 139 pays avaient fermé leurs portes.

L'AEFE s'est immédiatement attaché à mettre en place un dispositif de continuité pédagogique pour permettre aux élèves de suivre leur scolarité à distance. Tous les personnels de l'Agence (inspecteurs, conseillers pédagogiques, enseignants formateurs) ont été mobilisés pour aider les équipes de direction et les équipes pédagogiques.

Alors que 350 000 élèves parmi les 365 000 que compte le réseau ont bénéficié ou bénéficient encore d'une continuité pédagogique, la qualité de celle-ci est diversement appréciée par les parents. Globalement, les efforts déployés sur place par les personnels, ainsi que la qualité de l'offre sont reconnus. Mais les appréciations sont très différentes d'une zone géographique et d'un établissement à l'autre.

Ce n'est pas tant le contenu de la nouvelle offre pédagogique qui est contesté, que le retour sur investissement. Certains parents considèrent en effet qu'ils n'en ont pas pour leur argent avec l'enseignement distanciel par rapport à l'enseignement présentiel. Cela est très perceptible chez les parents d'enfants de maternelle, et chez les familles allophones. Localement, les tensions ont parfois été vives entre les parents, ou les associations de parents, et les personnels des établissements.

C'est dans ce contexte tendu, aggravé par les conséquences économiques de la crise sur certaines familles, que s'est développé un mouvement de contestation des frais de scolarité, très actif dans certaines zones.

Face à cette contestation, certains établissements ont décidé, lorsque leur trésorerie le leur permettait, de mettre en place des mesures pour aider les familles les plus en difficulté (échelonnement des paiements, remise sur les frais de scolarité du troisième trimestre, attribution de bourses exceptionnelles, mobilisation de fonds de solidarité, etc.).

De son côté, l'AEFE a adopté une position très ferme à l'égard des velléités de non-paiement ou de réduction des frais de scolarité. Comme nous l'a expliqué son directeur, la multiplication des réductions de frais provoquerait un effet boule de neige d'un établissement à l'autre, et entraînerait le réseau sur une voie dangereuse. À terme, c'est l'ensemble de son fonctionnement qui s'en trouverait menacé, celui-ci reposant de 60 % à 70 % sur les droits d'écolage.

Nous comprenons la position de principe de l'Agence, mais nous appelons toutefois à une certaine souplesse dans l'étude des situations individuelles qui peuvent justifier l'octroi de facilités particulières.

Si les familles sont les premières victimes de la crise, les établissements sont à terme également menacés, en particulier les petites structures, qui ne disposent pas d'une trésorerie suffisante. Le directeur de l'AEFE a eu beau nous garantir qu'à ce jour, aucun établissement n'était dans un état critique, nous ne sommes pas aussi optimistes. Nous avons en effet eu écho de situations déjà très difficiles pour certains établissements.

Un autre effet collatéral de la crise est le risque d'une diminution des inscriptions à la rentrée prochaine. Les familles en difficultés, qu'elles soient françaises, issues du pays d'accueil ou de pays tiers, pourraient en effet se tourner vers des solutions moins coûteuses que l'enseignement français, comme le système public local ou le centre national d'enseignement à distance (CNED).

Si cette prévision se concrétisait, elle aurait évidemment des conséquences financières très graves sur les établissements. Certains pourraient être contraints de fermer. Les premières estimations de l'AEFE font état, sur l'année 2020, d'une baisse des ressources propres de 48 millions d'euros pour les établissements en gestion directe (EGD), d'environ 80 millions d'euros pour les établissements conventionnés, et de 100 à 120 millions d'euros pour les établissements partenaires.

Le 30 avril, M. Jean-Yves Le Drian, M. Gérald Darmanin, et M. Jean-Baptiste Lemoyne ont annoncé, par communiqué de presse, deux mesures de soutien aux familles et aux établissements du réseau :

- un aménagement, estimé à 50 millions d'euros, du dispositif des bourses scolaires permettant de tenir compte de la situation financière des parents d'élèves français en 2020 ;

- une avance, d'un ordre de grandeur estimé à 100 millions d'euros, de l'Agence France Trésor à l'AEFE, pour soutenir financièrement les établissements du réseau, quel que soit leur statut, afin qu'eux-mêmes puissent venir en aide aux familles, de toute nationalité, confrontées à des difficultés financières.

Les sommes débloquées seront, selon les termes mêmes du communiqué de presse des ministres, « réévaluées plus précisément en juin » .

Notre groupe s'étonne de cette méthode qui consiste à annoncer des mesures, sans avoir au préalable bâti un plan d'action dressant le constat exhaustif de la situation et apportant des solutions précises et chiffrées. Il est clair que ces annonces ont eu pour objectif de calmer les familles dont le mécontentement va grandissant.

Dans le même temps, un plan de sauvegarde du réseau a été annoncé et est en cours de préparation au ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. Cette initiative est certes nécessaire, mais nous estimons qu'il aurait été préférable de travailler préalablement à l'élaboration de ce plan d'ensemble, plutôt que de recourir à des effets d'annonce.

L'aménagement du dispositif des bourses scolaires repose sur un élargissement de son accès et un assouplissement de ses critères. Il s'agit d'une bonne mesure, qui fait d'ailleurs consensus parmi les acteurs du secteur. Nous sommes cependant plus circonspects sur sa budgétisation (50 millions d'euros annoncés) qui pourrait s'avérer sous-calibrée par rapport aux besoins de court terme et de moyen terme. Nous demandons également que cet abondement se concrétise rapidement dans un prochain projet de loi de finances rectificative.

L'avance de France Trésor à l'AEFE a, quant à elle, provoqué des réactions beaucoup plus vives. Le dispositif choisi laisse en effet penser que l'opérateur sera obligé de rembourser les sommes avancées par l'Agence France Trésor. Or pour l'ensemble des acteurs du réseau, comme pour notre groupe de travail, ce système de solidarité à crédit est inconcevable, surtout en regard de la crise qu'a vécue l'AEFE en 2017 à la suite d'une coupe budgétaire drastique de 33 millions d'euros.

Pour désamorcer la polémique naissante, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a annoncé aux parlementaires représentant les Français de l'étranger que l'avance de l'Agence France Trésor pourrait être transformée en subvention à l'AEFE lors d'un prochain projet de loi de finances rectificative. Cette information a été confirmée par son secrétaire d'État lors d'échanges bilatéraux, et lors du récent débat en séance publique au Sénat sur la proposition de projet de loi concernant les Français de l'étranger.

Cependant, à ce jour, nous n'avons, en dehors de ces promesses orales, aucune garantie sur l'effectivité de cette transformation. L'AEFE nous a confirmé qu'elle devra rembourser à l'Agence France Trésor les sommes avancées, selon des modalités fixées dans une convention entre les deux institutions.

Or, demander à l'AEFE de rembourser les sommes prêtées pourrait l'entraîner dans une spirale financière ingérable, dont elle pourrait ne pas se remettre. C'est pourquoi nous estimons que le soutien financier à l'opérateur de l'État doit impérativement se traduire par un abondement du montant de sa subvention pour charges de service public.

Nous souhaitons en outre que le dispositif de soutien aux établissements soit strictement conditionné à des critères d'attribution très précis, et à une gestion transparente des fonds reçus.

Nous sommes tous convaincus, au sein de cette commission, que le réseau de l'enseignement français à l'étranger constitue un atout exceptionnel pour le rayonnement de la langue, de la culture et de la diplomatie d'influence françaises.

Face à l'ampleur de la crise qu'il traverse, il y a urgence à agir, en apportant une réponse d'ensemble, coordonnée, ambitieuse et dotée de moyens adaptés.

Mes collègues et moi-même formulons plusieurs recommandations en ce sens :

- réguler le niveau des frais de scolarité qui n'ont cessé de croître depuis une dizaine d'années, et qui ont atteint un seuil limite d'acceptabilité ;

- décider d'un moratoire sur le plan de développement du réseau, voulu par le Président de la République, qui prévoit le doublement de ses effectifs d'ici 2030. Alors que la survie de certains établissements est en jeu, il est totalement incohérent de continuer à homologuer de nouvelles structures. L'heure doit être à une totale mobilisation pour sauver et pérenniser le réseau existant ;

- mettre un frein au mouvement d'assouplissement des critères d'homologation, qui nuit à l'équité entre les établissements de statuts différents, et qui risque de porter atteinte à la qualité de notre enseignement reconnu de par le monde ;

- renouveler la confiance dans l'AEFE, qui joue le rôle de colonne vertébrale du réseau, tout en l'encourageant à une gestion transparente et rigoureuse ;

- mettre en place une procédure de suivi et d'évaluation des mesures contenues dans le futur plan.

Mme Claudine Lepage . - Nous avons travaillé dans le consensus, aussi je partage les conclusions présentées. M. Jean-Yves Le Drian et M. Jean-Baptiste Lemoyne ont annoncé que tous les établissements, quel que soit leur statut, seraient soutenus. J'émets cependant une réserve : certains d'entre eux sont des établissements privés à but lucratif, dont la gestion n'est pas toujours transparente. Il est cependant difficile d'obtenir des informations chiffrées. L'agence doit ainsi exiger des justificatifs, et avoir un droit de regard sur leur gestion.

J'ai également une réticence à l'égard de l'assouplissement des critères d'homologation qui ont été mis en place pour développer le réseau. Il faut revenir à des fondamentaux. En effet, dans une même ville, de nouveaux établissements peuvent faire concurrence à ceux du réseau, ce qui n'est pas souhaitable. Récemment, une réunion de la commission d'homologation a débouché sur l'autorisation de 179 nouveaux établissements. Deux nouvelles réunions se tiendront en juillet et en octobre, ce qui donne une idée de cette marche forcenée en avant.

Enfin, il est actuellement demandé à l'AEFE de ventiler des prêts entre des établissements fragilisés par la crise. Il est clair que certains d'entre eux seront dans l'impossibilité de rembourser les prêts dans les délais impartis, sauf à augmenter les frais de scolarité, qu'il leur est par ailleurs demandé de maîtriser, afin de ne pas provoquer le départ des familles. Cette situation est ingérable, et ne pourra in fine qu'exacerber la colère des familles. Elle fragilisera encore l'AEFE, tenue responsable du flou sur la nature des 100 millions d'euros d'aide promis par les ministres. Il me semble qu'il est temps de clarifier la situation. Cette aide sera-t-elle une avance ou une subvention ?

M. Damien Regnard . - J'insisterai sur ce dernier point. Le message du Gouvernement n'est toujours pas clair. Pour l'heure, il s'agit d'une avance de l'Agence France Trésor à l'AEFE. Cette dernière souhaiterait la récupérer auprès des établissements. Ce seraient donc les parents d'élèves français, étrangers, de pays tiers ou de pays d'accueil, qui financeront cette avance. Nous souhaiterions des précisions supplémentaires, et nous les demanderons à M. Jean-Baptiste Lemoyne, car les réponses que nous obtenons diffèrent selon les interlocuteurs.

Face à ces inquiétudes, les parlementaires des Français établis hors de France ont été très sollicités depuis plusieurs semaines par les comités de gestion et les associations de parents d'élèves. Les taux de recouvrement pour le troisième trimestre sont très faibles. Les perspectives de réinscription pour la rentrée prochaine sont floues. L'inquiétude persiste. Les moyens mis à disposition permettraient de faire face à la crise qu'évoquait notre rapporteur sur les frais d'écolage du troisième trimestre, mais ne constitueraient en aucun cas une mesure sur l'année scolaire à venir. Notre groupe de travail devra donc exercer un suivi, à partir des remontées des ambassades et des services culturels dans chaque pays, qui permettront un état des lieux des établissements. Nous devrons également suivre l'utilisation de ces fonds, qui pour l'heure, d'après les informations dont nous disposons, demeurent assez vagues.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vous remercie. Nous aurons l'occasion cet après-midi de poser directement ces questions à M. Jean-Baptiste Lemoyne. Nous traiterons de la partie sur l'action culturelle et les alliances françaises dans un autre temps. Nous mettrons l'accent sur la situation du réseau de l'enseignement français à l'étranger, dont nous entendons beaucoup parler. Je préside le groupe d'amitié France-Egypte, et les conseillers consulaires sur place ne cessent de m'alerter sur cette problématique. Une réponse appropriée revêt donc une certaine urgence.

M. Max Brisson . - Je souhaiterais saluer ce rapport, qui présente les dangers que court ce modèle sur le plan de sa pérennité économique. Je souhaiterais interroger le ministre plus particulièrement sur l'impact de la crise pour les élèves eux-mêmes. Nous devons nous interroger sur l'attractivité de ce modèle, pour l'avenir de notre système, et analyser la réalité de la pérennité des apprentissages pour des élèves qui ont fait confiance au système français, mais qui risquent de se trouver en grande difficulté.

Enseignement agricole

MERCREDI 3 JUIN 2020

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Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - L'ordre du jour de notre réunion appelle à présent la présentation des conclusions du groupe de travail créé par le bureau le 14 avril dernier et chargé d'étudier les conséquences de la crise sanitaire sur l'enseignement agricole.

Je tiens à remercier les membres de ce groupe, animé par M. Antoine Karam - connecté depuis la Guyane - et à qui je donne maintenant la parole.

M. Antoine Karam . - Le groupe de travail est composé d'Annick Billon, Maryvonne Blondin et Michel Savin. En outre, j'ai invité les membres du groupe de travail « enseignement scolaire » présidé par Jacques Grosperrin à participer aux auditions.

Dans le cadre de nos travaux, nous avons auditionné des représentants de syndicats enseignants agricoles, du conseil national de l'enseignement agricole privé, de l'union nationale des maisons familiales rurales (MFR), de fédération de parents d'élèves scolarisés dans l'enseignement agricole. Il ressort de l'état des lieux que nous avons dressé 10 préconisations.

L'enseignement agricole a été très fortement touché par la crise de Covid-19 en raison de ses spécificités. Certains cours d'ateliers se prêtent difficilement à l'exercice du cours à distance : je pense aux formations d'aménagement paysager, des activités hippiques ou encore de l'élevage. Je souhaite rendre hommage à l'ensemble de la communauté éducative de l'enseignement agricole qui a su se mobiliser pour trouver des façons innovantes de poursuivre les apprentissages. Je pense notamment à cet enseignant de la filière restauration qui a proposé à ses élèves les cours de techniques culinaires, en se filmant depuis sa cuisine. Toutefois, malgré cet investissement remarquable, les apprentissages en ont souffert.

Autre spécificité de l'enseignement agricole profondément touché par la crise de Covid-19 : le rôle prépondérant joué par les stages. Certes, des mesures ont été prises pour que les élèves ne soient pas pénalisés pour passer les examens. Mais au-delà du diplôme, ces stages leur permettent de se familiariser aux pratiques professionnelles. Ils participent fortement à l'employabilité du jeune et sont une partie intégrante du projet pédagogique de l'enseignement agricole.

En outre, malgré cet investissement fort de la communauté éducative, 5 % des élèves ont décroché au sens du ministère, c'est-à-dire que les établissements n'ont pas de leurs nouvelles. Mais plus préoccupant, le SNETAP-FSU, syndicat enseignant agricole, estime à 25 % le nombre d'élèves qui se sont désengagés de leur scolarité, avec un manque d'assiduité dans les cours en ligne, ou dans la remise des devoirs.

Dans ces conditions, la réouverture des établissements avant l'été est demandée par toutes les personnes auditionnées. Elle doit être l'occasion de faire le point avec chaque élève individuellement. Toutefois, et ce sont nos deux premières préconisations, il est d'une part impératif de prévoir la réouverture des établissements en concertation avec l'ensemble des acteurs locaux. En effet, si le protocole sanitaire et le cadre global doivent être définis au niveau national, sa déclinaison doit être locale. La situation n'est pas du tout la même entre une MFR accueillant en temps normal entre 15 à 25 élèves de manière simultanée et un grand lycée agricole !

Par ailleurs, et il s'agit de notre deuxième préconisation, il est indispensable dans le cadre de cette réouverture de travailler avec les représentants des associations d'élus sur les questions liées aux transports scolaires, à l'internat et à la restauration collective. En effet, les établissements d'enseignement agricole ont traditionnellement un bassin de recrutement étendu. Certains élèves habitent à plus de 150 km de leur lycée. On dénombre d'ailleurs 50 % d'élèves internes dans l'enseignement agricole, cette proportion pouvant atteindre 80 % dans certains établissements. À titre de comparaison, il y a 10 % d'internes dans l'éducation nationale. Rouvrir les établissements sans internat, ni cantine n'aurait aucun sens. La réouverture des établissements d'enseignement agricole en juin doit en quelque sorte permettre une répétition pour être prêt à la rentrée de septembre 2020, si les mêmes restrictions sanitaires s'appliquent.

Par ailleurs, il est nécessaire d'apporter un soutien scolaire aux apprenants et de renforcer les apprentissages. Nous avons pour cela deux préconisations. Nous souhaitons que soit rapidement menée une réflexion entre le ministère de l'éducation nationale et le ministère de l'agriculture pour mettre en place un dispositif « école ouverte » mutualisé, notamment pour les matières communes, afin de permettre aux élèves de l'enseignement agricole domiciliés loin de leurs établissements de pouvoir disposer d'un soutien scolaire pendant les vacances d'été. Par ailleurs, dans le contexte actuel, il nous paraît opportun de revoir le schéma prévisionnel d'emploi pluriannuel pour mettre fin à la baisse du nombre d'équivalents temps plein (ETP), afin de permettre un accompagnement des élèves en petits groupes. Celui-ci prévoit, sur la période 2019-2022, la suppression de 300 ETP, avec une accélération sur les années 2021 et 2022. Il est ainsi prévu la suppression de 80 ETP à la rentrée 2020.

J'en viens maintenant à nos préconisations pour éclaircir l'avenir de l'enseignement agricole fortement assombri par la crise. En effet, celle-ci a eu des conséquences financières très lourdes. Le ministère estime à une centaine de millions d'euros les pertes financières pour l'ensemble de l'enseignement agricole. Or, avant même la crise de Covid-19, la situation financière de plusieurs établissements d'enseignement était sous surveillance. Ainsi, 46 % d'entre eux étaient en 2017 dans une situation financière d'alerte ou de vigilance forte. La santé financière des établissements d'enseignement participe à l'attrait de cet enseignement envers les apprenants et leurs familles. En effet, comment attirer de nouveaux élèves ou étudiants si les exploitations agricoles liées aux établissements sont en difficulté financière ? Aussi nous appelons à la mise en place d'un plan d'aide économique aux exploitations et établissements d'enseignement agricole pour les aider à faire face aux conséquences de la crise de Covid-19.

Par ailleurs, il devient désormais urgent de prendre les mesures d'application du plan de requalification et de revalorisation salariale pour les agents contractuels et les enseignants de catégorie 3 de l'enseignement agricole privé sous contrat. Le principe de ce plan a été adopté en juillet 2019, et une enveloppe de 2,13 millions d'euros a été votée dans la loi de finances pour 2020. Mais, les mesures d'application ne sont toujours pas prises ! Or certains établissements d'enseignement agricole peinent à recruter de nouveaux professeurs en l'absence de cette revalorisation !

Il faut désormais préparer la rentrée 2020. De nombreuses incertitudes pèsent sur le projet pédagogique de l'enseignement agricole : les conditions d'accueil dans les internats, la possibilité de trouver un stage ou un apprentissage dans un contexte de crise économique. Pour cela nous avons trois préconisations : il faut rassurer les élèves, et leurs familles, quant à la préparation de la prochaine rentrée (obtention du diplôme en cours, organisation des concours, conditions d'accueil dans les établissements d'enseignement).

Par ailleurs, nous préconisons l'assouplissement dès à présent du statut de scolaire alternant. Celui-ci présente l'avantage de permettre à un jeune qui n'a pas encore trouvé un contrat d'apprentissage de pouvoir quand même s'inscrire dans une formation, et commencer son année scolaire par des cours, dans l'attente de la signature de son contrat d'apprentissage. En effet, en raison des difficultés économiques que risquent de connaître de nombreuses entreprises, notamment les plus petites, il n'est pas sûr qu'elles souhaitent prendre en charge un apprenant en alternance ou en apprentissage. Or, en l'absence de ce contrat d'apprentissage, l'apprenant ne peut pas commencer sa formation, y compris la partie « scolaire ». Si le recours à ce statut est déjà possible pour certaines formations de l'enseignement agricole, ce n'est pas le cas pour les formations de l'éducation nationale dont certaines se font dans les établissements d'enseignement agricole.

Par ailleurs, nous souhaitons que soit organisée une large concertation avec les filières professionnelles pour préparer la prochaine rentrée. Il s'agirait notamment de mobiliser des « jeunes professionnels », installés depuis peu qui viendraient transmettre leurs compétences aux élèves à travers leurs retours d'expérience. Bien évidemment, les chambres consulaires doivent être associées à cette démarche.

Enfin, et il s'agit de notre dernière préconisation, il est urgent de relancer l'information et la communication sur l'enseignement agricole. Je regrette d'ailleurs que l'enseignement agricole ait été oublié ou mentionné de manière trop succincte dans la parole publique ces derniers mois. Je pense à l'annonce de la fermeture puis de la réouverture progressive des établissements, ou encore aux conditions de passation du baccalauréat et des examens en juin 2020.

La grande campagne de communication « l'aventure du vivant », et la mobilisation des ministères de l'agriculture et de l'éducation nationale ont permis non seulement de stopper l'hémorragie de la baisse des effectifs. Mais plus encore, elles ont permis pour la première fois en 10 ans, un rebond, avec 3 000 inscriptions supplémentaires à la rentrée de 2019. Or, cette dynamique risque d'être stoppée net : de nombreuses journées portes ouvertes n'ont pas pu se tenir, et le travail d'information qui a souvent lieu au moment des conseils de classe de deuxième et troisième trimestres s'est fait dans des conditions dégradées. Nous le savons : l'enseignement agricole est mal connu : à peine 1/3 de ses élèves se destine à des métiers en lien avec l'agriculture. Le réseau des lycées agricoles privés constate une chute de 15 % des inscriptions par rapport à la même époque l'année dernière.

Vous le savez, tout comme vous, je crois profondément dans l'enseignement agricole qui représente une voie de formation professionnelle d'excellence et d'insertion forte. Il serait dommage que la crise que nous avons connue mette à mal ce magnifique outil dont dispose notre pays pour former nos jeunes.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vous remercie monsieur Karam pour cette présentation. Il me paraissait important que notre commission mette un coup de projecteur sur cette voie de formation. J'invite à présent les autres membres du groupe de travail à prendre la parole.

Mme Annick Billon . - Je vous remercie également, cher Antoine, pour cette présentation exhaustive de nos travaux.

Je regrette que la communication gouvernementale ait séparé l'enseignement agricole de l'enseignement général, confrontés pourtant aux mêmes problématiques. En bénéficiant des mêmes dispositifs, l'enseignement agricole aurait au moins pu échapper à l'invisibilité chronique dont il souffre, en dehors des périodes d'annonces médiatiques.

Concernant la réouverture des établissements agricoles, elle me paraît urgente car les élèves doivent, avant l'été, reprendre contact avec la vie scolaire, notamment les élèves décrocheurs qu'ils le soient par manque d'équipement informatique, de couverture numérique ou encore parce qu'ils se sont démobilisés. En outre, une MFR n'étant pas confrontée aux mêmes problématiques qu'un grand lycée, il me semble important que ces réouvertures se fassent « à la carte » et que chaque responsable d'établissement définisse son propre calendrier. Le soutien scolaire durant l'été me paraît aussi essentiel.

Je conclurai sur le statut scolaire alternant qui m'intéresse particulièrement. Faute d'avoir pu organiser des journées portes ouvertes traditionnelles, les établissements agricoles et les MFR ont souffert d'un certain manque de visibilité, qui a généré un déficit de visites et d'inscriptions. Des baisses d'effectifs sont à craindre - certaines sont déjà signalées - qui auront un impact considérable sur le personnel. Il est donc urgent de proposer dès maintenant, tout enseignement confondu, un assouplissement de ce statut scolaire alternant, permettant aux jeunes de s'inscrire même sans contrat d'apprentissage. J'ai d'ailleurs interpellé le ministre par une question d'actualité sur ce sujet.

Mme Maryvonne Blondin . - Je tiens à remercier mes collègues pour l'ambiance qui a régné au cours de ces auditions et Antoine Karam pour sa disponibilité malgré l'éloignement géographique et le décalage horaire.

Il me paraît important de différencier chaque établissement d'enseignement agricole : une MFR ne se gère pas de la même façon qu'un lycée agricole. Les projets pédagogiques recouvrent plusieurs volets : éducatif, social, économique.

Au sein d'un internat par exemple, les élèves apprennent la vie en collectivité. En outre, ils apprennent à développer des activités annexes, par exemple un réseau de ventes de leurs produits qui leur permet de mettre en oeuvre différentes techniques de commercialisation, en lien avec les producteurs locaux et la population locale. Cela génère des ressources propres qui donnent la possibilité aux établissements de financer d'autres projets. Or, on connaît la fragilité financière de ces établissements, qui risque d'être accentuée par la crise de Covid-19 et empêcher d'offrir aux élèves intéressés une formation à la rentrée 2020-2021.

Par ailleurs, les journées portes ouvertes, même si elles ont eu lieu de manière virtuelle, n'ont pas été suffisantes pour assurer l'abondement du recrutement des élèves.

Il a aussi été noté que l'environnement numérique ne s'est pas suffisamment développé et l'accès aux services de La Poste, mis en place par le ministère de l'éducation nationale, n'a malheureusement pas été simultané pour l'enseignement agricole.

Les transports représentent également une réelle inquiétude pour les chefs d'établissement.

Enfin, il ressort de nos auditions que cet enseignement n'a pas suffisamment été mis en avant par les publications du ministère, pourtant source de satisfaction pour beaucoup d'élèves et d'emplois, lesquels devraient se développer en ces temps où la production locale est mise en exergue.

M. André Gattolin . - Je félicite les membres du groupe de travail pour ce rapport très intéressant.

S'agissant des décrocheurs pendant la période de confinement, disposons-nous d'un état précis ? Ont-ils vraiment décroché de leur formation, ou bien certains se sont-ils portés volontaires pour répondre à l'appel lancé par le ministre pour aider aux travaux agricoles durant le confinement ? Si seul un tiers des élèves de l'enseignement agricole rejoint les entreprises agricoles, cela signifie que le risque de dispersion, voire de disparition, est effectivement important.

Je suis par ailleurs étonné que dans l'enseignement agricole, un contrat d'apprentissage en alternance doit être conclu dès le début de l'année scolaire. Dans l'enseignement supérieur, ces contrats peuvent être signés en cours d'année. Dans ce cas, la durée du contrat excède l'année d'obtention du diplôme. Il me semble important que cette souplesse existe aussi dans l'enseignement agricole.

M. Pierre Ouzoulias . - Je remercie Antoine Karam, notamment pour son attachement indéfectible à l'enseignement agricole qu'il vient de démontrer.

En préambule, je voudrais souligner le fait que cette crise a révélé les faiblesses structurelles de l'enseignement agricole, et comme l'a dit André Gattolin, le risque qu'il disparaisse. Des moyens importants sont nécessaires pour pallier les dysfonctionnements accentués par la crise actuelle.

Le bilan dressé par Antoine Karam est précis. Je souhaite insister sur deux points : la situation économique catastrophique des exploitations agricoles tout d'abord, fondamentales en termes d'enseignement et dont près de la moitié étaient en déficit avant la crise et certainement la totalité aujourd'hui. Un effort considérable du ministère de l'agriculture - qui souhaite exercer pleinement sa tutelle sur ces fermes - est attendu pour les sauver. Il est inconcevable que dans l'enseignement agricole, on puisse se satisfaire à la rentrée prochaine d'un enseignement uniquement théorique et délivré par Internet !

Second point, en lien avec le rapport précédemment présenté : le secteur de l'enseignement agricole est l'un des rares au sein duquel les responsables des collèges n'ont pas de statut. Soutenus par leurs syndicats, ils souhaitent simplement pouvoir intégrer les statuts existant dans l'éducation nationale. Les soutenir serait un signe fort de notre intérêt pour cet enseignement.

Je conclurai sur le souhait, très largement partagé, qu'une période de remise à niveau des élèves soit mise en place en amont de la rentrée prochaine. Ceci me paraît indispensable dans l'enseignement agricole, au risque encore une fois de le voir disparaître.

Mme Dominique Vérien . - Je souhaite revenir sur deux sujets dont des MFR m'ont fait part.

Le premier concerne les stagiaires placés sous la responsabilité du chef d'établissement, à l'inverse des apprentis placés sous la responsabilité du chef d'entreprise. Certains de ces élèves, n'ont pas suivi de stage, car le chef d'établissement n'a pas pu s'assurer que toutes les entreprises accueillant ces stagiaires respectent bien le protocole sanitaire. Le statut d'alternant ne pourrait-il pas inclure ces élèves stagiaires non apprentis en leur permettant de ne pas être sous la responsabilité du chef d'établissement ?

Le second point concerne le financement des MFR, lié au nombre d'élèves évalué en octobre. Or, et j'avais eu l'occasion de le dire au ministre de l'agriculture lors de son audition en mai dernier, et même si les portes ouvertes virtuelles n'ont pas eu le succès escompté, les MFR espèrent malgré tout que des élèves, non encore inscrits, s'inscrivent à l'automne. De ce fait, le comptage ne pourrait-il se faire en décembre plutôt qu'en octobre, permettant ainsi un financement incluant ces nouveaux élèves ?

L'enseignement agricole est un modèle composé de multiples filières, pas seulement agricoles, qui offre la possibilité aux élèves moins à l'aise dans le système proposé par l'éducation nationale de réussir brillamment.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Avant de conclure, je donne la parole à Antoine Karam pour qu'il apporte quelques réponses aux questions qui viennent d'être posées.

M. Antoine Karam . - Je souhaite avant tout remercier à nouveau mes collègues pour ce travail collectif, qui nous a permis de mieux comprendre et apprécier la situation. Outre les nombreux interlocuteurs mentionnés en introduction, nous avons aussi auditionné des ministres, et plus particulièrement celui de l'agriculture qui, malgré quelques garanties, n'a pu empêcher que certaines inquiétudes subsistent.

Ce rapport sera transmis à qui de droit, et notamment aux ministères et aux différentes personnes rencontrées, pour renforcer la qualité de ce travail dont le socle est de démontrer que l'enseignement agricole se situe bien au coeur de la formation de nos jeunes : il ne s'agit pas d'un strapontin de l'éducation nationale et je refuse toute dissociation entre éducation nationale et enseignement agricole.

Pour répondre à notre collègue, André Gattolin, au sujet de ces formations conditionnées par un stage en alternance en début d'année scolaire, nous allons interroger les directeurs d'établissements agricoles et étudier le moyen d'assouplir ce système en autorisant des signatures de contrat tout au long de l'année. Aujourd'hui, on constate des différences de statut entre les élèves.

Maryvonne Blondin a fort justement parlé des internats, qui accueillent je le rappelle 50 % des élèves de l'enseignement agricole, élèves organisés et faisant preuve d'imagination pour apporter de la vie à ces structures. S'agissant des difficultés financières, la situation continue de se dégrader. Le ministère a promis un geste fort, il faut maintenant le concrétiser. Des fermetures d'établissements sont en jeu, je le crains.

Je partage l'avis de Pierre Ouzoulias quant au fait que la crise sanitaire a révélé et mis en exergue les faiblesses structurelles de l'enseignement agricole. Dans le cadre de notre travail d'auditions mené depuis plusieurs années, ces faiblesses avaient cependant été annoncées, présageant déjà des fermetures d'exploitations agricoles. Comment les éviter, sinon par des mesures fortes prises par le ministère, à l'image de celles en faveur d'autres secteurs économiques ?

S'agissant de l'intégration aux statuts de l'éducation nationale, nous menons ce combat depuis de longues années, pour que le binôme éducation nationale/enseignement agricole soit définitivement reconnu. Travailler en complémentarité est le meilleur moyen de valoriser cet enseignement agricole, trop souvent considéré comme une « voie de garage ». Je pense que les deux ministres concernés - qui disent travailler de manière concertée, ce dont je me réjouis - en sont conscients puisqu'ils ont affirmé que de nombreuses passerelles existent entre ces deux filières de formation.

Il faut qu'au sein de notre commission, nous puissions aussi travailler en ce sens pour que nos jeunes, d'où qu'ils viennent, puissent bénéficier d'une éducation forte qui, ne l'oublions pas, est en mesure de leur permettre de trouver un emploi à la fin de leur cursus.

S'agissant du statut d'alternant, beaucoup d'élèves non apprentis rencontrent en effet des difficultés, notamment au niveau des entreprises. Vous avez tous insisté sur ce travail de communication à mener de manière constante, de façon à donner ses lettres de noblesse à l'enseignement agricole.

J'y crois profondément.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vous remercie monsieur Karam ainsi que tous les membres de ce groupe de travail. Vos travaux ont bien sûr vocation à être poursuivis au sein de notre commission qui, je tiens à le rappeler, a toujours milité pour qu'aucune différentiation n'existe entre éducation nationale et enseignement agricole, et que chaque jeune, quel que soit son parcours, soit pris en considération. Notre collègue, Françoise Férat, longtemps rapporteure de ce secteur, en a été une fervente militante ainsi que tous les précédents présidents de notre commission.

Je note avec satisfaction que les ministres de l'agriculture, depuis que j'ai demandé à ce qu'ils soient auditionnés, répondent toujours présents, avec réactivité et enthousiasme.

Je souhaite enfin vous soumettre un sujet de réflexion : de par leurs compétences en matière d'enseignement mais aussi d'économie, les régions jouent un rôle au niveau des lycées, qu'ils soient traditionnels ou agricoles. Il serait intéressant que leurs interventions sur l'ensemble des dispositifs soient explorées, région par région.

Nous allons donc communiquer sur ces travaux, reflets de la réactivité de notre commission en cette période de crise sanitaire. Et dans le cadre de la prochaine rentrée ministérielle, nous auditionnerons à nouveau les ministres concernés pour insister sur l'importance de ces sujets.

Médias audiovisuels et Recherche

MERCREDI 10 JUIN 2020

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1) Médias audiovisuels

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - L'ordre du jour de notre réunion appelle à présent la présentation des conclusions de deux groupes de travail, créés par le bureau le 14 avril dernier, et chargés d'étudier les conséquences de la crise sanitaire sur les secteurs relevant de notre compétence. Il s'agit du groupe de travail sur le secteur des médias, animé par Jean-Pierre Leleux, et composé de David Assouline, Claude Malhuret, Jean-Raymond Hugonet, André Gattolin et moi-même. L'autre groupe porte sur le secteur de la recherche, est animé par Laure Darcos et est composé de Pierre Ouzoulias, Stéphane Piednoir et Sonia de la Provôté.

M. Jean-Pierre Leleux . - Madame la présidente, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme de nos travaux dans le cadre de notre groupe de travail consacré aux médias audiovisuels.

Je tiens tout d'abord à vous remercier, madame la présidente, pour avoir pris l'initiative de sa création. Je remercie également mes collègues membres du groupe de travail. Outre vous-même, madame la Présidente, je pense à David Assouline, André Gattolin, Jean-Raymond Hugonet et Claude Malhuret.

Nous avons beaucoup auditionné depuis deux mois, les présidents des grandes chaînes (TF1, France Télévisions, M6, Canal+), les producteurs (Banijay, Newen et Mediawan), Radio France, France Médias Monde, mais aussi les radios indépendantes et les télévisions locales. Nous avons également échangé avec le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).

Tous ces échanges de grande qualité nous ont permis de nous faire une idée précise de la situation que traverse ce secteur. Cette perception s'est affinée dans le temps à mesure que nous sortions de l'urgence absolue de la crise sanitaire, pour entrer dans une période beaucoup plus incertaine d'évaluation de ses conséquences sur le plan économique et financier.

Sur la base de cet état des lieux, nous avons essayé d'élaborer un certain nombre de propositions. J'insiste sur le fait que ce rapport est un travail collectif. Il traduit des sensibilités différentes, et des priorités qui peuvent ne pas toujours se recouper. Pourtant, dans les circonstances présentes, je salue la volonté de chacun de formuler une réponse commune. Nous pensons qu'un plan de soutien à l'audiovisuel est nécessaire, mais nous ne le voyons toujours pas venir.

Dans la grave crise que nous connaissons, les médias n'ont pas été confinés, ils se sont au contraire mobilisés pour informer les Français, lutter contre les infoxs, les distraire, leur proposer de revoir les classiques de notre cinéma populaire sur France 2, ou les grands classiques sur Arte. Cette période a aussi été l'occasion d'innover, avec une nouvelle grille pour France 4, axée sur l'éducation, et la mise à disposition de la plateforme Educ'Arte gratuitement, qui a séduit près de 60 000 enseignants.

Le CSA a fait preuve d'une grande souplesse quant à l'application de la réglementation. Les obligations conventionnelles des chaînes ont été appréciées au cas par cas avec intelligence. Le président du groupe M6 a loué le fait que le CSA se soit comporté comme « un véritable partenaire » . Plusieurs décisions importantes, concernant notamment le renouvellement de l'autorisation d'émettre de Canal+, et la présidence de France Télévisions, ont été reportées à juillet par le régulateur. J'observe également que c'est en juillet que le Conseil de surveillance d'ARTE se prononcera sur le nom du successeur de Véronique Cayla à l'issue d'un inédit appel à candidatures.

L'état des lieux ne serait pas complet sans un hommage appuyé aux personnels de toutes les entreprises de médias, qui ont su basculer en quelques jours dans le télétravail. Chacun comprendra qu'il n'est pas évident de monter un sujet de radio ou de télévision depuis son domicile, d'autant plus que rares étaient les personnels équipés.

Leur implication doit être saluée. Aujourd'hui, le déconfinement est en route, et la présidente d'ARTE me disait hier que les personnels sont de plus en plus nombreux à vouloir revenir sur site. Nous entrons dans une nouvelle phase.

Un certain nombre de difficultés ont cependant été rencontrées. Toutes les entreprises de médias n'étaient pas prêtes à proposer une offre numérique abondante et de qualité. Comme nous l'a indiqué Sibyle Veil, présidente de Radio France : « si la crise avait eu lieu il y a quelques années nous n'aurions pas pu mettre à disposition autant d'émissions conçues à distance, ainsi que de grandes émissions ``cultes'' patrimoniales » .

Si Radio France et ARTE ont ainsi pu battre des records, respectivement sur sa plateforme de podcasts, et sur ses applications, on ne peut que regretter que le projet SALTO, du fait de ses multiples retards, n'ait pu bénéficier du formidable accélérateur de souscriptions qu'a constitué le confinement pour les services de vidéos par abonnement. Netflix a battu des records, et Disney + a réussi son lancement en France, mais SALTO risque d'arriver après la bataille.

Deux déceptions sont à signaler concernant le service public. La première concerne la chaîne France Info. Alors que BFM, CNews et LCI ont connu des audiences en progression de plus de 60 % (+68 % pour LCI), France info a dû se contenter de 47 % (chiffres de mi-avril). Nous avons interrogé Sibyle Veil sur cette contre-performance de la chaîne publique, alors que la radio et la plateforme France Info ont enregistré quant à elles d'excellents résultats. Pour la présidente de Radio France, la chaîne publique reste mal positionnée dans la numérotation de la TNT, et elle connaît « un déficit de capacité de projection pour réaliser des reportages par rapport à BFM » . Cela la rend moins attractive.

Cette situation est d'autant plus étonnante que le coût de cette chaîne reste assez mystérieux, comme le rappelait André Gattolin. Nos nombreuses demandes concernant le coût complet de la chaîne (direct et indirect, en prenant en compte les moyens de France Télévisions utilisés par la chaîne) sont toujours restées sans réponse. Certains professionnels estiment cependant ce coût à au moins 80 millions d'euros. Le ministère évalue quant à lui le coût direct à une trentaine de millions d'euros.

La seconde déception concerne l'arrêt des matinales communes à France 3 et France Bleu, décidé par France Télévisions dès le début du confinement, notamment pour pouvoir basculer la diffusion des dessins animés de France 4 à France 3. N'aurait-il pas été pertinent, au contraire, de multiplier ces matinales communes, pour informer les Français au plus près dans leurs territoires ? France Bleu a un rôle reconnu dans la gestion des crises, pourquoi ne pas avoir saisi cette circonstance pour permettre à France 3 de jouer un rôle similaire ?

Un dernier regret concerne l'ensemble des médias, et a trait au respect du pluralisme. De la mi-mars à la mi-avril, les antennes ont été surtout occupées par le Gouvernement et les membres de la majorité. Le CSA a reconnu que les règles de répartition du temps de parole n'avaient plus été respectées, et il a fallu une saisine des rédactions par le régulateur pour que la diversité politique redevienne la règle début mai.

Je ne souhaite pas polémiquer, c'est pour cela que j'accepte de considérer que les médias ont sans doute été pris au dépourvu, et se sont tournés vers ceux qui disposaient des informations. Mais la gestion de cette crise n'a sans doute pas été sans reproche, et les règles démocratiques ne doivent pas être confinées. On ne peut que souhaiter que le CSA se donne le temps d'un retour d'expérience, pour essayer de mieux garantir le pluralisme en temps de crise.

Notre groupe de travail s'est également intéressé à la situation économique et financière des médias. Nous avons demandé à chaque interlocuteur de nous faire un point précis de la situation. Celle-ci n'est pas bonne. Le président de TF1 nous a indiqué que la crise était « sans précédent », et que si les chaînes avaient connu de très belles audiences, celles-ci n'avaient pu être monétisées.

Avec la fermeture des usines et des magasins, avec la baisse très forte de la consommation du fait du confinement, la publicité s'est effondrée en mars et avril de 50 % à 70 %. Pour des médias qui ne vivent que des recettes publicitaires, la crise a eu un effet dramatique. C'est tout l'écosystème qui a été touché. Les tournages se sont arrêtés. Certains producteurs comme Banijay ont dû rapatrier des équipes entières de l'étranger à leurs frais.

Avec l'arrêt des tournages, les chaînes ont été privées rapidement de programmes frais, notamment de feuilletons quotidiens. Tous les métiers concernés par ces tournages ont été fragilisés.

Je rappelle par ailleurs que toutes les grandes manifestations sportives, comme les Jeux olympiques de Pékin, Roland Garros, ou le Tour de France ont été reportées, ou écourtées, comme le championnat de Ligue 1.

Une des conséquences de la pénurie de programmes a été l'augmentation de leurs prix de 20 % à 30 %, nous disait hier soir la présidente d'ARTE, sous la pression des plateformes américaines qui ont « siphonné » les catalogues européens.

Même le service public n'a pas été épargné par la crise. France Télévisions a perdu environ 40 millions d'euros de mars à mai en recettes publicitaires. Le report des grandes manifestations sportives devrait affecter le chiffre d'affaires publicitaire au second semestre. C'est, en fait, tout l'environnement du mandat du prochain président de France Télévisions qui est affecté, d'autant que le ministère des finances a laissé entendre que la trajectoire financière 2022 ne serait pas remise en cause.

Si pour France Médias Monde et ARTE les conséquences sont limitées, il n'en est pas de même pour Radio France, qui devra faire face à une perte de recettes publicitaires et de recettes de billetterie, sans parler d'un nouveau report du chantier de la Maison de la Radio. Pour France Télévisions, comme pour Radio France, des incertitudes ont émergé sur les plans de départs volontaires, qui doivent permettre d'alléger les charges de personnel de ces deux entreprises.

La situation des radios indépendantes et des télévisions locales est encore plus précaire, car elles ne peuvent s'appuyer ni sur la contribution à l'audiovisuel public (CAP) comme le service public ni sur la surface financière de grands groupes privés. Beaucoup craignent de ne pas survivre à la crise.

Tous les acteurs que nous avons auditionnés nous ont dit que leur sort dépendrait de l'intensité de la reprise au second semestre. Que la crise de la publicité se poursuive, et même les plus grands risquent de trébucher. Que l'activité reprenne, et ces entreprises pourront se projeter dans l'avenir, et accélérer leur transformation numérique.

Dans ces conditions, tous les acteurs se tournent depuis des semaines vers l'État pour obtenir un soutien. Nous avions été parmi les premiers à défendre auprès du ministre de la culture la création d'un crédit d'impôt pour les annonceurs. Or depuis deux mois, le ministère de la culture est d'une grande discrétion. Alors que de nombreux secteurs ont obtenu des plans de soutien massifs, l'audiovisuel, qui pèse le même poids que l'automobile, n'a rien obtenu, à part un fonds de soutien de 50 millions d'euros pour la production, dont la consommation n'a du reste pas commencé.

Or le temps presse, car les plateformes américaines ont pleinement profité de la situation pour accroître leur avantage.

Le Gouvernement réfléchit aujourd'hui à appliquer la réforme de l'audiovisuel par petits bouts, en commençant par la transcription de la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA). Une des leçons de nos auditions est qu'il conviendrait au contraire de maintenir l'esprit d'une réforme globale, qui comblerait les nombreuses lacunes du texte actuel. Si celui-ci ne trouve pas beaucoup de défenseurs à l'heure de la préparation de la fin du quinquennat, n'est-ce pas justement parce qu'il ne permettait pas vraiment, ou suffisamment, de préparer l'avenir ?

Les différents membres du groupe de travail ne sont pas d'accord sur tout. Il existe des nuances entre nous, que nous assumons, notamment concernant le sort à réserver à la trajectoire financière 2022 du service public. Mais il est un point qui fait consensus, c'est la conviction qu'il faut définir une vraie ambition pour l'audiovisuel, qui permette de préserver un audiovisuel public fort, tout en permettant aux autres acteurs de jouer leur rôle.

Les dix propositions que je vais maintenant vous présenter succinctement, avant d'ouvrir le débat, sont d'abord des pistes. Elles doivent s'apprécier les unes par rapport aux autres, car si elles ne constituent pas un tout unique (chaque proposition pourrait être appliquée séparément), elles s'équilibrent en fait les unes les autres. Nous avons en effet le souci de préserver chaque acteur, tout en modernisant son environnement et en adaptant les règles.

La première proposition consiste donc à demander au Gouvernement un vrai plan d'action en faveur du secteur des médias et de l'audiovisuel. Il ne doit pas s'agir d'une simple mesure ou de quelques adaptations. Il faut à la fois des aides temporaires pour sauver les médias qui pourraient disparaître, notamment les radios indépendantes et les télévisions locales, mais aussi des mesures plus pérennes qui permettent de préparer l'avenir.

Les pistes 2, 3, 4 et 6 concernent le service public, dont le rôle est essentiel. Depuis trop longtemps, l'Etat actionnaire a renoncé à définir un cap, à faire des choix sur les objectifs, et à sanctuariser des moyens.

Dans notre rapport de 2015, nous avions été les premiers, avec André Gattolin, à proposer une réforme de la gouvernance de l'audiovisuel public, mais nous avions surtout demandé à réformer son financement, afin de conforter sa spécificité. Cet avis est personnel, et n'engage pas le groupe de travail, mais il me semble que la plus grande erreur d'appréciation du Gouvernement a été de prendre le problème à l'envers, en se focalisant sur la gouvernance, qui n'était pour nous qu'une conséquence.

C'est pour cela que notre sixième proposition concerne la réforme de la CAP, qui risque malheureusement de ne pas aboutir au cours du quinquennat. Cette réforme est une victime collatérale du report du projet de loi de réforme de l'audiovisuel. Or la réforme de la CAP en une taxe universelle est une condition indispensable du renforcement de l'indépendance du service public.

Avec une réforme à l'allemande, il est possible d'imaginer que suffisamment de moyens pourraient être dégagés pour réduire, voire supprimer, la publicité sur le service public, et donc renforcer sa spécificité. Nous évoquons d'ailleurs la piste d'une suppression de la publicité le week-end sur les antennes publiques dès que possible, et un objectif de suppression totale en 2025. C'est sur ce socle d'une nouvelle redevance qu'il aurait fallu, il me semble, construire la réforme.

Au lieu de cela, le Gouvernement a choisi de mettre les entreprises publiques sous tension budgétaire. A défaut d'une ambition qualitative et collective, nous avons donc eu une restriction quantitative individualisée pour chaque entreprise, la fameuse trajectoire financière.

Je sais que l'on m'a reproché à la fois de dénoncer cette approche comptable, et de ne pas m'y opposer formellement. Cette approche budgétaire constitue selon moi un pis-aller. Mais elle a au moins le mérite de mettre ces entreprises en mouvement, et de les obliger à s'interroger sur leur organisation, que de nombreux rapports de la Cour des comptes ont jugé coûteuse et inefficace.

C'est pour cela que la troisième proposition évoque la nécessité d'adapter la trajectoire à la situation de chaque entreprise. David Assouline aurait souhaité aller plus loin, en renonçant à son application. Je ne l'exclus pas, mais uniquement en dernier recours, et en rappelant que les entreprises ne le demandent pas. Mais nous sommes d'accord sur le fait qu'il ne faut pas faire de fétichisme budgétaire, sans renoncer pour autant au sérieux de la gestion.

La proposition 4 vise au maintien de la diffusion hertzienne de France 4, qui a démontré ses mérites pendant la crise. Je suis complètement d'accord avec André Gattolin sur le fait que ce maintien devrait s'accompagner d'une remise à plat de son cahier des charges. La ligne éditoriale de France 4 n'était pas claire. Le nouveau France 4 doit mettre le cap sur la jeunesse et l'éducation, sur tous les apprentissages, y compris les questions d'orientation.

La cinquième proposition concerne l'ensemble des médias, puisqu'elle vise à défendre l'idée d'une mesure d'aide générale au secteur. Nous avons entendu les réserves sur le crédit d'impôt pour les annonceurs. C'est pour cela que nous marquons notre préférence pour un crédit d'impôt ciblé sur les éditeurs, et leurs dépenses en faveur de la production, y compris le flux et l'information. Nous proposons que cette mesure dure un an, car la crise ne durera pas six mois.

La mesure 7 rappelle la nécessité de transcrire rapidement la directive SMA. C'est une mesure très importante pour soutenir le secteur de la production, et l'exception culturelle.

La proposition 8 concerne les radios indépendantes et les télévisions locales, qui sont véritablement menacées. Une mesure spécifique est ainsi nécessaire, telle par exemple qu'une une aide pour leurs frais de diffusion.

Les deux dernières propositions visent à préserver dans la durée une information et des programmes de qualité. Il n'y plus de raison que des chaînes d'information, et ceux qui les regardent, soient pénalisés par des questions de numérotation. Si l'on veut préserver l'information, il faut conforter toutes ces chaînes, et donc les rassembler dans un bloc. Les mutualisations entre ces chaînes et leurs groupes doivent aussi être pérennisées.

La dernière proposition est plus originale. Elle nécessiterait une vraie concertation, et a fait débat au sein du groupe de travail. Elle vise à permettre aux chaînes d'allouer une partie de leurs obligations de financement au cinéma, ou à la production audiovisuelle selon leurs projets. Cette zone de souplesse, ou couloir de flexibilité se glisserait entre les obligations relatives au financement du cinéma, et celles relatives à la production audiovisuelle, en prenant un peu sur chacune. Nos chaînes ont besoin de cette souplesse. Une telle évolution pourrait aussi s'inscrire dans le cadre de la modernisation nécessaire de la chronologie des médias, et de la négociation avec les plateformes. Un véritable New Deal audiovisuel est devenu indispensable.

Voilà, mes chers collègues, le fruit de nos auditions. Ce rapport rassemble des convictions anciennes, des rapprochements de points de vue entre nous, et quelques idées nouvelles, qui sont souvent la marque de fabrique de notre commission concernant l'évolution de ce secteur.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Cet exposé permet de poser la question de l'audiovisuel dans le contexte de la crise sanitaire, ainsi que celle de la création, qui lui est intrinsèquement associée.

M. David Assouline . - J'ai été frappé, au cours des auditions, par la grande réactivité des principaux médias français pendant cette crise. Celle-ci a notamment permis que les citoyens soient accompagnés et informés. Cela n'avait rien d'évident. Sibyle Veil a eu raison de dire qu'il y a quelques années, ce service n'aurait pu être aussi performant. La révolution numérique a permis cette réactivité. Je souhaite également saluer le personnel, qui pour partie travaillait à distance, mais également en présentiel, à l'instar des journalistes de terrain.

L'ensemble des propositions exposées est partagé. Nos échanges ont été soutenus pour ce rapport, car nous avons des différences d'appréciations. Ainsi, si je suis favorable au maintien d'une trajectoire financière, car je suis pour une gestion sérieuse, je m'oppose à ce que nous poursuivions sur une trajectoire de baisse, telle que le Gouvernement l'a imposée à l'audiovisuel public. Ces nuances sont rappelées dans le rapport. Néanmoins, nous nous accordons sur les mesures à prendre d'urgence, à travers un plan d'action et des moyens dédiés, tant pour le public que le privé.

De même, nous rappelons notre opposition à la fermeture de France 4, qui doit être effective le 9 août 2020. Il n'est du reste pas sérieux de ne pas communiquer sur ce point. Delphine Ernotte nous a indiqué que le ministre lui a demandé une grille de programmes dans l'hypothèse d'une poursuite de l'activité de la chaîne, ou les évolutions de l'offre dans l'hypothèse contraire. Le lendemain, Delphine Ernotte a pu lui remettre une grille. La réactivité d'un côté apparaît ainsi bien supérieure à celle de l'autre.

Pendant ce confinement, France 4 a démontré une utilité comme chaîne jeunesse éducative. J'ai reçu un nombre important de témoignages de sénateurs, qui soulignaient que dans des foyers où le nombre d'écrans était limité, France 4 avait permis de suivre des cours, grâce à une offre de valeur. Chaque foyer reçoit cette chaîne, et il n'existe pas de zone blanche ou grise en la matière. Tous ces points font consensus entre nous.

De même, la pérennité du financement de l'audiovisuel public est essentielle. Jean-Pierre Leleux doute que la réforme de la CAP puisse intervenir avant la fin du quinquennat. Néanmoins, je ne vois pas de lien direct entre celle-ci et le report du projet de loi de réforme de l'audiovisuel public. Il reste du temps dans ce quinquennat pour mettre en oeuvre une mesure consensuelle. Si une réforme comme celle des retraites a mis en lumière une forte division politique, la nécessité de la réforme de la CAP fait l'objet d'un consensus. Il n'est plus possible que ne s'en acquittent que les détenteurs téléviseurs, car cela crée une inégalité fiscale. Aujourd'hui, chacun reçoit ce service, mais seule une partie de la population le paie.

Je partage toutes les autres propositions. Il est positif que le service public ait été mis en avant, mais nous n'avons pas ignoré les difficultés des chaînes privées. Il s'agit d'un écosystème. Nous avons proposé des mesures à destination du secteur privé autres que le crédit d'impôt sur la publicité, dans la mesure où le Gouvernement pourrait s'y opposer. Nous proposons donc un crédit d'impôt sur l'investissement et la production.

M. André Gattolin . - Un élément évoqué par David Assouline me semble important. Il s'agit du lien entre la période que nous venons de traverser et le numérique. Nous sommes en effet peut-être entrés dans le troisième âge des relations des populations à internet. L'âge utopique de la gratuité et des gains de productivité a été suivi par l'âge dystopique de la mainmise de Google, Apple, Facebook, Amazon, et Microsoft (GAFAM), de l'accaparement des données personnelles, et de la surveillance généralisée. Pour les médias, comme pour de nombreux autres domaines, nous nous demandons ce qu'aurait pu être un confinement il y a vingt ans, sans numérique. Cela nous amènera peut-être à abandonner une vision idéologique et dialectique de la numérisation de la société, pour une vision plus équilibrée. La rédaction du Monde me disait récemment qu'elle s'interrogeait sur l'opportunité de conserver de vastes locaux. En effet, ses membres ont appris à travailler depuis chez eux, et de manière beaucoup plus efficace. L'un des effets positifs du confinement a du reste été le faible nombre d'invités sur les plateaux des chaînes d'information, permettant d'éviter une certaine cacophonie. Il est ainsi possible de s'exprimer de manière plus détaillée, et de répondre mieux aux questions.

Il sera donc urgent de dresser un véritable bilan de ce que cette période aura changé profondément dans la société. Les changements ont en effet concerné d'autres dimensions que celle du numérique, et je songe par exemple aux attentes vis-à-vis du service public. Celui-ci a retrouvé une certaine noblesse, cela a été notamment le cas pour France 4, en diffusant des programmes éducatifs. L'idée de dédier une chaîne à l'éducation est ancienne, mais celle-ci s'est heurtée à une absence de volonté, moins des pouvoirs publics, que des dirigeants des chaînes. Il est en effet plus aisé de proposer des chaînes de flux et de divertissement que de créer de véritables programmes. Si l'audience de ces derniers n'est en effet jamais considérable, ils touchent in fine des millions de personnes, à l'instar du service éducatif de la British Broadcasting Corporation (BBC), utilisé notamment en cours par les enseignants.

Il n'existe pas pour l'heure de grand plan de relance dédié au secteur audiovisuel, bien que de nouveaux plans soient annoncés tous les jours. Hier, il s'agissait du livre. Je ne jette pas la pierre au ministre de la culture, car il ne décide pas des budgets. Les annonces sur le livre ont hier été faites en commun avec le ministre de l'économie. Les demandes sont nombreuses en la matière, et des arbitrages ont lieu, mais il existe de véritables urgences.

L'une des questions essentielles, que nous avons évoquée lors de l'audition des responsables de Banijay, est celle de l'assurance des tournages. Si sur un tournage, une personne tombe malade, le risque de cluster est considérable, notamment pour la production privée. La production déléguée ne bénéficie en effet d'aucune garantie de la chaîne ni de l'Etat. Sans un fonds assurantiel qui lui permette de se protéger, le risque de faillite est important.

Le risque de faillite des entreprises est souvent évoqué, par exemple pour Air France ou Airbus. Or aucune chaîne aujourd'hui ne court ce risque. Il existe cependant pour les producteurs, et notamment pour les petits indépendants. Quant RTL perd 73 % de sa recette publicitaire sur les derniers mois, le grand groupe auquel elle appartient est capable d'encaisser ces pertes. Il n'en va pas de même pour les petites radios. Il faut donc traiter en priorité le risque de perte d'emplois, et de catastrophe immédiate.

Il convient ainsi de penser une réforme de l'audiovisuel de manière plus articulée, par rapport au bilan que nous pouvons tirer de cette crise. Je suis d'accord pour que France 4 continue, mais il convient de préciser son identité. Une chaîne jeunesse de 2 à 35 ans, comme aujourd'hui, n'a pas de sens. Une chaîne proposant des programmes éducatifs, et des divertissements à destination des 4 à 14 ans en aurait davantage. Il n'est pas possible de donner un blanc-seing à la direction de France Télévisions. L'identité de la chaîne doit être définie au préalable.

M. Jean-Raymond Hugonet . - Comme toujours en période de crise, il me semble essentiel de déterminer ce qui réunit les acteurs. Deux éléments me frappent. Tout d'abord, l'intégralité de ceux-ci se tourne vers l'Etat pour obtenir des moyens financiers. La culture apparaît comme le parent pauvre en la matière, à l'instar du sport.

Par ailleurs, la traditionnelle séparation entre privé et public a été intéressante à observer au cours de nos auditions. En effet, si les sentiments exprimés étaient différents, un certain nombre de ressentis étaient partagés par les acteurs. Le service public n'a par exemple pas pu recourir massivement au chômage partiel. Au contraire, le secteur privé a pu user de ce dispositif. De même, des acteurs de ce dernier ont pu tenir des propos assez radicaux, et je songe notamment à Nicolas de Tavernost, alors que ceux du secteur public apparaissaient plus nuancés.

L'Etat leur apporte un soutien, par exemple pour le financement des travaux de Radio France. Le retard pris en raison du Covid-19 aura un effet calendaire, mais également financier, puisque le coût augmentera de 50 millions à 60 millions d'euros. La crise a par ailleurs frappé Radio France au pire moment. Celle-ci sortait notamment d'excellents résultats, et avait réussi à s'inscrire dans une trajectoire de gestion saine. Elle avait également atteint des records d'audience, avant de connaître une grève de 63 jours. Lorsque la direction a finalement obtenu la signature de quatre syndicats sur cinq, la crise sanitaire a empêché la conclusion de l'accord, à quelques jours près. Aujourd'hui, Radio France a démontré son extrême réactivité devant la crise, mais devra reprendre des négociations difficiles avec les syndicats à la rentrée. Or lors du dernier conseil d'administration, la farouche opposition des représentants du personnel est apparue clairement.

En matière de trajectoire financière, l'Etat se limite aujourd'hui à des questions de gestion. Néanmoins, si la trésorerie de Radio France n'est pas atteinte pour l'heure, elle rencontrera des difficultés lors du budget 2021, en raison de l'inertie du déficit.

L'audition de Stéphane Courbit et François de Brugada, que nous avons menée hier, s'est avérée particulièrement intéressante en ce qui concerne les risques que court le secteur privé. Par exemple, si un tournage de 5 millions d'euros est arrêté, et que le produit n'est pas livré à l'acheteur, l'engagement de financement n'est pris en compte, ni par le client, ni par les assurances. Celles-ci en effet ont une tendance bien connue à n'assurer que des projets qui ne posent aucun problème. Le métier de producteur, qui est intrinsèquement à risque, rencontre ainsi de vives difficultés.

Les explications de Delphine Ernotte en ce qui concerne la spécificité des programmes de flux ne nous ont par ailleurs pas convaincus. Des produits sont achetés massivement à l'étranger, à travers des sociétés dérivées, alors que la France dispose de grands talents, qui ne parviennent pas à être exposés.

Enfin, l'absolue nécessité de la transposition de la directive SMA fait l'objet d'un consensus au sein du groupe. Nous demandons au ministre de la culture de clarifier ce point, au regard du report du projet de loi sur l'audiovisuel.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Toutes les propositions exposées me semblent pertinentes, et s'appuient sur un diagnostic précis. Je souscris à l'idée qu'un véritable plan d'action doit être exigé de la part du Gouvernement, pour un secteur dont le poids est plus important que celui de l'automobile. Les emplois qu'il crée sont non-délocalisables, et contribuent à l'exercice de la démocratie, à travers le pluralisme de l'information, dans un contexte de développement des infoxs. Il est ainsi absolument nécessaire de sanctuariser ce secteur. Par ailleurs, les chaînes privées contribuent également à l'enrichissement de la production cinématographique, en raison des obligations de soutien à la création.

Dans le cadre de ce plan d'action, le Gouvernement devra accroître la lisibilité de la réforme de l'audiovisuel à court et moyen terme. Il s'agit de savoir lesquels de ses éléments seront repris, si elle n'est pas intégralement présentée au Parlement. A ce titre, la transposition de la directive SMA apparaît nécessaire. Notre commission a rédigé un communiqué de presse il y a dix jours, qui a rencontré un certain écho. Il a notamment été repris par l'Assemblée nationale, qui a salué cette initiative. Il semblerait que le Gouvernement souhaite effectuer cette transposition par ordonnance. J'ai cependant rappelé au ministre de la culture que le Parlement souhaite être étroitement associé à cette étape indispensable. La crise a accéléré un certain nombre de mouvements, tels que la numérisation de la société, ou l'irruption des plateformes extraeuropéennes dans le paysage audiovisuel et cinématographique français. Cela rend d'autant plus urgente la transposition des décisions prises au niveau européen. Le financement de la création ne peut aujourd'hui passer que par une mise à contribution des plateformes.

La réforme de la CAP est évoquée de longue date. J'avais notamment rédigé un rapport en 2011 sur les financements de France Télévisions, dans lequel je soulignais la nécessité de cette réforme à l'heure du numérique, car l'assiette de la CAP ne correspondait déjà plus aux usages. Ceux-ci se sont depuis amplifiés. La CAP est ainsi profondément inégalitaire, puisque les personnes âgées regardent encore la télévision, et s'acquittent donc de la redevance, à la différence des catégories socioprofessionnelles supérieures (CSP+) qui utilisent des tablettes. Je rappelle que les pays voisins ont de longue date mis en oeuvre cette modernisation de l'assiette de la redevance.

En 2014, François Hollande annonçait lors d'un colloque au CSA une réforme de la CAP. Depuis cette date cependant, cette réforme a toujours été reportée. Cette crise constitue une opportunité en la matière. Il serait coupable de ne pas mettre en oeuvre cette réforme. Nous sommes en effet arrivés à un point critique. Cela permettrait de clarifier le modèle de financement de l'audiovisuel public. Il ne faudrait pas qu'une suppression de la publicité impacte négativement le budget de ces sociétés, et il faudra donc une réflexion sur le produit de la redevance. En Allemagne, la réforme a permis de dégager des moyens supplémentaires.

Je souhaiterais que nous écrivions un courrier au Président de la République sur l'avenir de France 4. Nous en avions acté le principe, à la faveur du rapport. Notre commission a été la première à demander un moratoire. France 4 devrait être une chaîne éducative pour la jeunesse. Depuis l'annonce de sa suppression, j'ai maintes fois interrogé le conseil d'administration de France Télévisions sur ce point. En réalité, cette suppression dépend de la tutelle, et non de la présidence de France Télévisions elle-même. Nous sommes donc dans l'attente, puisque la fermeture de la chaîne est toujours prévue pour le 9 août 2020.

Le modèle économique de SALTO n'est par ailleurs toujours pas stabilisé. Il n'a pas même été débattu au Parlement, ce qui aurait été légitime, puisqu'une partie du produit de la redevance lui sera destiné.

Mme Catherine Dumas . - Ce travail est passionnant, d'autant que ce groupe est pluriel. Je pense que la mission de service public pour la jeunesse de France 4 doit être confortée. Une lettre au Président de la République serait donc bienvenue.

Je souhaiterais interroger Jean-Pierre Leleux sur France Info. Au-delà du fait que la chaîne était mal positionnée en numérotation, j'ai cru comprendre que d'autres problèmes se posaient. Vous avez souligné les difficultés que vous avez rencontrées pour obtenir des informations quant à son coût. Pourriez-vous détailler ce point ?

Par ailleurs, les tournages constituent un véritable problème, humain et économique. Le nombre de personnes concernées est très important. Lorsqu'un tournage est arrêté, des coûts imprévus se révèlent. Il faudra donc reprendre ces tournages, obtenir de nouvelles autorisations administratives, et organiser les équipes dans le respect des mesures sanitaires. Auriez-vous des éléments sur les incidences humaines de cette question, notamment en termes de chômage ?

L'activité des doubleurs a par ailleurs été complètement interrompue par le confinement. Le chiffre d'affaires du marché du doublage est estimé à plus 100 millions d'euros, et est en hausse depuis deux ans. Comment ces métiers de postproduction vont-ils reprendre ? Ont-ils fait l'objet d'une aide spécifique ?

Mme Dominique Vérien . - France 4 a prouvé son utilité. De nombreux discours ont évoqué le monde d'après. Or la première décision du ministère a été d'appliquer une décision controversée du monde d'avant. J'avoue mon incompréhension.

J'aimerais également insister sur la question de la représentativité. Jean-Pierre Leleux évoquait le manque de pluralisme politique. Je souhaiterais pour ma part souligner le manque ahurissant de parité. La délégation aux droits des femmes a lancé un rapport sur la présence des femmes dans l'audiovisuel, et nous avons choisi d'y inclure un volet pandémie. Dans l'urgence se sont exprimés de vieux réflexes. Les caméras se sont dirigées vers des hommes puissants, c'est-à-dire de bons clients.

Il a fallu que des associations telles que le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) s'en émeuvent pour que le CSA intervienne. Miracle, les chaînes ont alors trouvé des femmes. Certes, il ne s'agissait pas de chefs de service hospitalier, car il en manque. Mais ont trouvé à s'exprimer des femmes économistes, épidémiologistes, infirmières, ou psychologue. Ainsi, il convient de lutter encore pour la parité. Par ailleurs, le rapport du CSA que nous attendons devrait contenir un certain nombre de propositions, dont la création d'un guide des expertes. Celles-ci existent, mais sont moins visibles. Si elles sont répertoriées au préalable, leur présence sera facilitée.

Mme Céline Brulin . - Je voudrais revenir sur un aspect qui me semble essentiel. Jean-Pierre Leleux a souligné que les règles démocratiques ne doivent pas être confinées, ce que je partage pleinement. Je pense qu'il est d'autant plus important que des voix plurielles se fassent entendre dans le cadre d'une crise. De nombreux débats agitent notamment la communauté scientifique. Je ne suis pas qualifié pour y prendre part, aussi m'en abstiendrai-je, mais je ne suis pas certaine qu'ils soient toujours de meilleure tenue que les débats politiques. Si nous voulons redonner du crédit à la parole publique, nous avons cependant besoin que s'expriment des voix diverses, d'autant que de nombreuses questions se posent pour le monde d'après. Par définition, cela implique que soit questionnée en profondeur la société que nous souhaitons demain.

Je me retrouve également dans la nécessité d'un plan d'action et de soutien à l'audiovisuel. Il s'agit d'un secteur économique de poids, et nous ne pouvons en délaisser aucun. De plus, nous avons affaire à des concurrences redoutables à l'échelle internationale. Enfin, ce domaine n'est pas anodin, puisqu'il s'agit de la culture et de l'information. Je plaide également pour que les trajectoires de baisse de dépenses soient abandonnées, ou à tout le moins revues. Certains secteurs bénéficieront de diminutions de cotisations sociales, ce que je ne conteste pas. De gros efforts sont consentis, et je ne peux imaginer que l'audiovisuel public n'en bénéficie pas également.

La transposition de la directive SMA est urgente, et doit être intégrée dans le plan d'action. J'entends qu'elle pourrait être réalisée par ordonnance. Il apparaît cependant nécessaire d'établir des rapports de force extrêmement solides sur ces questions, et je ne crois pas qu'une ordonnance permette le rassemblement de toute la nation. Il en va de même pour la CAP. J'ai fait le deuil d'une réforme globale de l'audiovisuel, mais ces deux urgences pourront peut-être être concrétisées par d'autres véhicules législatifs.

Je partage absolument le propos de Dominique Vérien sur France 4. Enfin, je me félicite des nuances apportées dans le rapport à la revendication portée par les acteurs de l'audiovisuel et de la presse d'un crédit d'impôt pour les annonceurs. En effet, à l'examen, cette mesure comportait un certain nombre de dangers, à commencer par le fait que les gros annonceurs soutiennent avant tout les médias dont la diffusion est la plus importante. Cela ne constituerait donc pas un soutien efficace aux acteurs indépendants.

Mme Sonia de la Provôté . - Il m'a semblé que pour les questions sanitaires et scientifiques, le pluralisme n'était pas effectif. J'ai notamment constaté une surreprésentation des professeurs de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), comme s'il n'existait pas de compétences au sein des régions. Il devrait exister en la matière un souci de diversité, et de la qualité de l'information. Je peux témoigner du fait que le grand public a été quelque peu exaspéré de cette situation. En effet, la situation épidémique des territoires n'était pas identique à celle de Paris.

M. David Assouline . - Je ne suis pas opposé à la suppression de la publicité à terme sur l'audiovisuel public, à condition qu'une compensation soit apportée. La publicité, y compris avant 20 heures, représente une source de revenus très importante pour Radio France. Je me suis donc opposé à cette suppression tant qu'il n'existe pas une assurance de la compensation, qui permette que les budgets ne soient pas modifiés à chaque nouveau gouvernement, ou dès qu'une crise économique survient. La redevance est le seul système pérenne, et doit être calculée pour répondre aux besoins de l'audiovisuel public. Lorsque Nicolas Sarkozy a décidé de la suppression de la publicité après 20 heures sur France Télévisions, il avait été dit que celle-ci serait compensée à l'euro près. Or nous avons constaté qu'il n'en avait rien été, et cela a représenté un coût de plusieurs centaines de millions d'euros. Nous pouvons tous souhaiter une suppression, afin que le service public ne dépende plus du commerce. Mais pour qu'il ne soit pas totalement dépendant d'un gouvernement, il doit bénéficier d'un financement pérenne.

M. André Gattolin . - Sur la question du pluralisme pendant la crise, il serait intéressant d'interroger les chaînes. Des problèmes techniques ont pu se poser, notamment pour joindre des intervenants. J'ai par ailleurs suivi les relevés de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) et du CSA sur le temps de parole. Pendant ces deux mois, et notamment pendant les deux premières semaines du confinement, la parole gouvernementale a été surreprésentée, comme elle l'avait été lors de la crise des subprimes . Le gouvernement et la majorité avaient alors occupé 75 % du temps de parole pendant des mois. Il en a été de même lors des attentats. Dans ces périodes de crise, les médias se tournent vers l'exécutif. Il convient donc de relativiser ce déséquilibre, bien qu'il doive se résorber rapidement.

M. Jean-Pierre Leleux . - Dans la mesure où ce rapport n'était pas un rapport budgétaire, la diversité des avis qui se sont exprimés au sein du groupe de travail a pu être représentée. Nous avons ainsi pu évoquer un certain nombre de sujets, qui ne faisaient pas consensus.

Nous nous accordons cependant sur certains d'entre eux : la réforme de la CAP ; le choix du crédit d'impôt éditeur plutôt qu'annonceur ; le regret que le secteur de la culture ne souffre d'une image trop intellectuelle par rapport aux autres industries. La culture n'a jamais été considérée comme une industrie, avec les emplois et les échanges que cela implique. Il faudra donc le rappeler, lorsque nous demanderons un plan d'action global. La transposition de la directive SMA fait également l'objet d'un consensus.

Nous avons constaté que les performances de la chaîne télévisée de France Info avaient été moindres que celles des trois autres chaînes d'information. Cela s'explique par un positionnement défavorable de la numérotation. Néanmoins, LCI est placée juste avant France Info, et a réalisé 67 % d'audience en plus. La question des moyens a donc également été évoquée, car ceux de la chaîne publique d'information en continu sont sans doute moins importants que ceux des autres. Le manque de transparence sur les coûts a également été largement souligné. S'il existe un consensus sur l'importance d'une chaîne publique, des inquiétudes demeurent. Nous avons donc proposé davantage de transparence sur les coûts, afin de pouvoir accompagner davantage cette action. De même, nous avons demandé une évolution du positionnement sur la numérotation.

Les tournages reprennent progressivement, pour certains depuis fin mai. Néanmoins, si un acteur ou un technicien tombe malade sur un tournage, l'intégralité du plateau devra être confinée pendant un ou deux mois. Le risque est faible en termes d'occurrence, mais considérable en termes de coût. Les assureurs sollicités pour le fonds assurantiel n'ont pas encore répondu, mais l'Etat l'a déjà abondé à hauteur de 50 millions d'euros. Jamais un phénomène épidémique n'avait conduit à arrêter l'économie de la sorte. Or l'assurance est contractuelle, et n'est pas une mutualisation des risques. Les assureurs, qui ne sont pas des entreprises charitables, ont donc pu faire valoir que ce risque n'était pas couvert. Néanmoins, il est important qu'il soit désormais pris en compte.

Le CSA travaille beaucoup sur la question de la parité. Il est vrai que les médias audiovisuels ont longtemps été très masculins, dans la production, et dans la réalisation. Je constate cependant un progrès en la matière, et les productrices comme les réalisatrices sont de plus en plus nombreuses. Le CSA tient chaque année avec le Centre national du cinéma (CNC) le compte de la féminisation de ce secteur, qui est certes insuffisante, mais progresse.

Le CSA et nous-mêmes avons constaté le problème de pluralisme au début de la crise. Il était néanmoins compréhensible que les médias aillent chercher l'information auprès du ministère de la santé et de l'exécutif. Le constat d'un déséquilibre a cependant été fait au mois de mai, et le CSA a depuis fait le nécessaire. Un rééquilibrage a été constaté ultérieurement. Je partage cependant l'idée de l'importance encore accrue du pluralisme en temps de crise.

Je suis très engagé pour la suppression à terme de la publicité sur l'audiovisuel public. Il n'est pas possible de supprimer du jour au lendemain une grande partie de ses recettes, qui s'appuient sur la publicité. Ce serait un choc trop important. Il faut donc pouvoir compenser ces pertes, pour asseoir les recettes sur un mode pérenne, démocratique et juste. Néanmoins, comme le soulignent de nombreux rapports de la Cour des comptes, des optimisations doivent également être menées. Celles-ci sont accélérées par les coupes que l'Etat opère dans la redevance. Une assurance de la compensation complète du montant des revenus de la publicité risquerait d'entraîner un moindre effort en la matière. Ce débat doit cependant avoir lieu, car la différenciation de l'audiovisuel public dans le paysage global est une nécessité pour l'avenir.

Des ordonnances ont été évoquées pour mettre en oeuvre certaines des dispositions du projet de loi. Néanmoins, le Gouvernement a constaté que cela ne pouvait suffire. Outre la transposition de la directive SMA, il est également important de fusionner la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI) et le CSA en une Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM). De même, il convient de revoir les rapports entre producteurs et éditeurs. Aussi, un projet de loi réduit devrait être présenté. Le Parlement pourra ainsi débattre de ces questions. Il faudra cependant réfléchir au cadrage qui devra être réalisé pour les ordonnances prévues. Nous pourrons également aborder d'autres points, et rappeler un certain nombre de nos attentes, telles que le modèle global de l'audiovisuel privé par rapport au public. Le problème de la CAP doit également être réglé, et pourrait l'être dans le cadre d'une loi de finances.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Qu'on soit favorable ou non à la suppression de la publicité sur l'audiovisuel public, ce dernier a démontré son excellente réactivité à l'occasion de cette crise. Il est d'autant plus urgent de réformer la CAP. Pour ce qui est du financement de l'audiovisuel public, il convient de sortir du débat, et d'admettre la nécessité d'une autorité indépendante et extérieure, qui fixe le budget nécessaire, telle que le board de la BBC. Cela n'empêche pas de réaliser des efforts en termes de productivité et de gestion. Un rapport de la Cour des comptes le soulignait en 2011. Il n'est pas normal que des salariés de plus de 65 ans continuent à travailler à France Télévisions, avec des salaires extrêmement importants. Il convient notamment de laisser la place à de jeunes générations.

Nous devrons par ailleurs auditionner le CSA sur la question du pluralisme pendant cette crise, et de la parité.

2) Recherche

Mme Laure Darcos . - Madame la présidente, mes chers collègues, le groupe de travail consacré à la recherche, que j'ai eu l'honneur et le plaisir d'animer, est composé de vous-même, madame la présidente, Pierre Ouzoulias, Stéphane Piednoir et Sonia de la Provôté.

Au cours de nos auditions, nous avons bien sûr approfondi les grandes problématiques qui sont au coeur de l'actualité des travaux de recherche sur la Covid-19 : les essais thérapeutiques ; la recherche de vaccins ; le recours aux tests de dépistage ; la modélisation de la propagation de l'épidémie. Ce n'est toutefois pas sous l'angle scientifique et technologique que nous avons choisi d'en rendre compte, trois d'entre nous travaillant déjà sur ces aspects dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Nous nous sommes au contraire penchés sur la gouvernance du système de recherche et la coordination entre les différentes structures impliquées.

Avant d'approfondir ce point, je souhaite rappeler que, depuis le début de l'épidémie de Covid-19, toute la recherche française, des sciences du vivant aux sciences humaines et sociales, en passant par les mathématiques, est mobilisée pour contenir l'expansion du virus, tester des traitements, tenter de trouver un vaccin et évaluer l'incidence sociale de cette crise. Cet engagement total traduit la volonté et la détermination de nos chercheurs de répondre, par la science, à ce qui constitue la plus grave pandémie de notre histoire récente.

À l'ensemble des structures de recherche impliquées - Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), Institut Pasteur, Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA), Institut national d'études démographiques (INED), Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAAE), centres hospitaliers universitaires (CHU) - et de leurs personnels, nous tenons à témoigner notre profonde admiration et notre très grande reconnaissance.

Notre premier constat est celui du manque de stratégie nationale de recherche sur la Covid-19, et l'absence de structure de pilotage unique. Dès le début de la pandémie, la communauté scientifique s'est mobilisée dans l'urgence, mais aussi dans une certaine confusion.

Sa gouvernance ainsi que son expertise scientifique sont notamment apparues éclatées. De trop nombreuses instances participent à la structuration de l'effort de recherche et à l'éclairage scientifique de la prise de décision politique : le consortium REACTing ; l'Agence nationale de la recherche (ANR) ; le Conseil scientifique ; le Comité analyse, recherche et expertise (CARE) ; l'Académie nationale de médecine ; l'Académie des sciences ; les sociétés savantes ; le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) ; la Haute Autorité de santé (HAS) ; l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ; etc. Bien sûr, chacune de ces institutions a légitimité à s'exprimer, mais l'absence d'organisation et de coordination entre elles a donné lieu à des messages au mieux désordonnés, au pire contradictoires.

L'impression de confusion a ensuite été renforcée par l'absence de régulation et de pilotage des projets de recherche sur la Covid-19. La très grande réactivité des chercheurs s'est traduite par un afflux de propositions. Ces initiatives n'ont toutefois fait l'objet d'aucun encadrement. Ainsi, le nombre d'essais cliniques en cours au niveau national (45 pour 2 000 patients) est clairement trop élevé, ce qui limite le nombre de patients par essai. Le même constat peut être fait au sujet de la trentaine de travaux de recherche français consacrés au développement de vaccins, sur une centaine comptabilisée au niveau mondial. Cette multiplication des projets conduit en outre à une dispersion des financements, alors qu'il aurait été plus pertinent de consacrer des montants plus élevés sur des projets bien ciblés.

Le désordre constaté s'est enfin illustré par une très grande compétition entre les équipes. L'émulation entre chercheurs est évidemment saine et bénéfique, mais le manque de coordination et de pilotage engendre des effets pervers : cacophonie des annonces ; surenchère médiatique ; mise en avant des intérêts personnels ; développement de logiques d'image ; importance des enjeux industriels et financiers ; etc.

Au vu de cet état des lieux, notre groupe estime qu'il a clairement manqué une instance de réflexion et de coordination unique. Le temps de la recherche étant un temps long, il est encore possible de redresser le tir et de confier à une structure de pilotage unique la coordination de la recherche sur la Covid-19. Celle-ci serait chargée de la programmation et du lancement des appels à projets, qui doivent couvrir l'ensemble des aspects de la pandémie, de l'évaluation des propositions reçues, et de l'attribution des moyens spécifiquement dédiés à la recherche sur le Sars-Cov-2. Ce constat et cette recommandation sont partagés par des scientifiques de renom, et par des institutions comme l'Académie nationale de médecine ou la section 27 du Comité national de la recherche scientifique.

Notre deuxième conclusion est celle d'une crise révélatrice des carences structurelles du système de recherche français.

La première d'entre elles tient au manque criant d'investissement budgétaire et stratégique en faveur de la recherche biomédicale. La France n'a pas réussi à maintenir son rang, et est aujourd'hui largement devancée par des pays comme les États-Unis, la Chine, l'Allemagne, le Japon, le Royaume-Uni et l'Italie. Plusieurs raisons expliquent ce décrochage : érosion et cloisonnement des financements alloués à ce domaine de recherche ; carences stratégiques ; essoufflement du modèle hospitalo-universitaire, dispersion des acteurs. L'épidémie de Covid-19 a fait ressurgir ce constat bien connu, et mis en lumière les conséquences délétères de ce désengagement. Ainsi, les travaux de recherche sur les coronavirus ont été considérablement réduits il y a une quinzaine d'années en France, faute de financements et de programmation stratégique, alors qu'ils ont été poursuivis dans d'autres pays, notamment en Allemagne.

Notre groupe de travail appelle donc à un réinvestissement budgétaire et stratégique dans la recherche biomédicale, afin que la France rattrape son retard au niveau international. Pour ma part, cela fait des années que je me bats, au moment de l'examen du budget, pour que l'INSERM, qui est l'acteur de tout premier plan dans ce domaine, puisse bénéficier de crédits à la hauteur de ses projets de recherche.

La deuxième carence est l'érosion constante, depuis plusieurs années, des dotations de base des laboratoires de recherche. Cette évolution les oblige à se tourner de plus en plus vers les financements sur projets. Ce type de financement a bien sûr de nombreux atouts, mais il présente aussi des inconvénients. En particulier, il est peu compatible avec la prise de risque et ne permet pas de mener des projets exploratoires. Or certains pans de la recherche, comme ceux concernés par le nouveau coronavirus (recherche fondamentale, recherche médicale), ont besoin de mettre au point et d'expérimenter des pistes qui n'aboutiront pas forcément. Aussi, notre groupe juge indispensable de mettre un terme à la diminution constante des dotations de base des laboratoires de recherche, et de rééquilibrer leur structure de financement entre ces dotations et les financements sur projets.

Plus globalement, l'épidémie de Covid-19 confirme à nos yeux la nécessité d'une réforme globale de la recherche, qui tirerait les leçons de cette crise. Plusieurs chantiers nous paraissent incontournables :

- amorcer une trajectoire financière ambitieuse qui permette d'atteindre l'objectif de 1 % du produit intérieur brut (PIB) consacré à la recherche publique ;

- définir des orientations stratégiques redonnant toute sa place à la recherche biomédicale ;

- clarifier la gouvernance du système ;

- rééquilibrer la structure de financement des laboratoires de recherche entre dotations de base et financements sur projets ;

- revaloriser très nettement la rémunération et le statut des chercheurs.

Le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), qui aurait dû être présenté ce printemps, a été ajourné, et nous ne savons pas quand il sera de nouveau inscrit au calendrier des réformes. Selon de récentes informations, un passage en Conseil des ministres début juillet serait néanmoins prévu. Quoi qu'il en soit, nous serons très vigilants à ce que la communauté de la recherche, qui a été sous le feu des projecteurs durant cette crise, ne soit pas encore une fois laissée de côté.

Nous soulevons également dans nos conclusions la problématique de la démarche et de l'intégrité scientifiques. Dans un contexte de très large couverture médiatique, et de place grandissante des réseaux sociaux, l'émulation scientifique née de la lutte contre la Covid-19 a donné lieu à certaines dérives : effets de communication ; annonces prématurées ; discordes entre les équipes. Notre groupe de travail déplore ces excès, qui vont à l'encontre de la démarche et de l'intégrité scientifiques, lesquelles exigent de la méthode, de la rigueur, de l'esprit critique et de la discrétion professionnelle. Le battage médiatique autour de l'hydroxychloroquine est particulièrement révélateur des manquements à ces règles et valeurs. Faut-il le rappeler, le temps de la recherche et de la science n'est pas celui de l'immédiateté des médias et des réseaux sociaux.

Parallèlement à nos travaux, la commission des affaires sociales auditionnait de nombreux chercheurs. Je regrette que nous n'ayons pu partager ces auditions, qui étaient très intéressantes. Il n'est en effet pas toujours évident qu'une même personnalité accepte d'être auditionnée plusieurs fois.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Rien n'empêche de nous rapprocher de la commission des affaires sociales, et de dresser un bilan commun, pour que le Sénat formule des propositions solides. Je suis très favorable au travail transcommission.

M. Pierre Ouzoulias . - Ce rapport fait l'objet d'un consensus au sein du groupe de travail. Les acteurs scientifiques que nous avons interrogés, qu'ils fassent partie d'organismes publics, d'académies ou de sociétés savantes, ont tous souligné un paradoxe terrible. Jamais auparavant la communauté nationale, dans son ensemble, n'avait demandé autant à la science, sur la compréhension du virus et de la pandémie, mais également en matière de solutions thérapeutiques. Pourtant, malgré cette attente, la recherche publique comme privée a démontré un certain nombre de dysfonctionnements, qui étaient connus, mais que la pandémie a exacerbés. Le rapport fournit une base juste et consensuelle pour un bilan et une remise à plat globale de notre système de recherche.

Notre commission a auditionné un chercheur, M. François Trottein, qui s'exprimait devant des parlementaires pour la première fois. Il nous a livré son expérience, en disant l'immense peine qu'il avait ressentie en s'apercevant que l'urgence n'avait pas fait disparaître toute la lourdeur bureaucratique, qui l'oblige à consacrer l'essentiel de son temps à trouver des financements plutôt qu'à la recherche. Il faisait ainsi face aux mêmes problèmes, alors qu'il aurait été nécessaire d'alléger énormément tout le dispositif, et sans doute de le centraliser au sein des grands organismes pour faciliter l'activité des chercheurs. Il nous a indiqué avoir passé une semaine à rédiger seul un appel à projets, temps qu'il n'a pu consacrer à la recherche de thérapies. Cet exemple est terrible, et révèle l'inadaptation de notre système pendant la crise. Il n'a ainsi pas pu répondre aux demandes de la communauté nationale.

Si la LPPR était examinée en conseil des ministres le 8 juillet 2020, il faudrait que soit imposé un certain nombre de mesures systémiques, sur la base du rapport de Laure Darcos. Ce qui nous est proposé aujourd'hui apparaît en effet très insuffisant au regard de ce que la crise a révélé. Je ne parle pas même des moyens budgétaires, car les problèmes vont bien au-delà.

Mme Sonia de la Provôté . - Je remercie Laure Darcos et l'ensemble des membres du groupe de travail pour la qualité du rapport.

La crise a en effet mis en lumière, avec beaucoup d'acuité, un certain nombre de carences en matière de recherche biomédicale qui ont empêché de bien réagir. Ce constat avait déjà été dressé par la commission d'enquête sur la pénurie de médicaments et de vaccins. La multiplicité des intervenants, des structures en charge du contrôle, et l'absence d'un pilotage unique ont entraîné des lenteurs, des dissensions, non seulement entre structures ou entre chercheurs, mais aussi entre Paris et la province. Le défaut manifeste de coordination, en particulier dans le cadre des essais thérapeutiques, ainsi que les tensions et carences d'hier se sont exprimés au cours de cette crise. Il est donc nécessaire de mettre en place un pilotage et une coordination qui laissent une place aux innovations et opportunités scientifiques. Dans le cadre de la future LPPR, la question de cette réorganisation, tout comme celle du financement de la recherche, se posent.

Par ailleurs, le manque de transparence a laissé place à toutes les suppositions, jetant souvent le doute et le discrédit sur les recherches en cours : l'épisode de l'hydroxychloroquine en est l'expression. L'éthique et la rigueur scientifiques ont été mises à mal. Nous avons assisté à des affrontements de personnes et de protocoles qui ont nui gravement à l'image même de la science. En ces temps d'immédiateté de l'information et de place grandissante des réseaux sociaux, souvent en substitut à la parole scientifique, il devient urgent de reprendre le chemin de la coordination et de la planification scientifiques.

Enfin, cette crise appelle plus que jamais à une coordination européenne en matière de recherche, qu'elle soit épidémiologique, biologique ou thérapeutique.

M. Stéphane Piednoir . - Les conclusions de ce rapport sont parfaitement consensuelles. Il était malheureusement presque risible de constater le faible nombre de personnes participant aux essais thérapeutiques. La recherche française ne ressort pas grandie de cet épisode. Elle a démontré tout ce qu'on ne souhaiterait pas voir, en matière de dispersion ou d'effets de communication. Cela ne sert ni la recherche, ni la science.

Des problèmes de fond se posent également. Nous ne sommes pas à la hauteur en matière de recherche biomédicale. Nous ne le sommes pas non plus au regard de l'érosion des dotations des laboratoires, et de la part importante des financements sur projets. Ce rapport sert de base à l'exposé des motifs de la LPPR, qui reprend notamment un objectif de 3 % du produit intérieur brut (PIB) consacré à la recherche, qui n'est pas atteint aujourd'hui. Nous n'en sommes en effet qu'à 2,19 %. Il y est également dit que la France décroche, que les chercheurs se consacrent trop à des tâches administratives, ou qu'il convient de réarmer notre système public de recherche.

En tant que scientifique de formation, je formule deux voeux. Le premier est que nous ne revivions pas ce type d'épisode, même en l'absence de consensus scientifique. Le second est que nous fassions davantage de pédagogie auprès des plus jeunes. Malgré la massification de la scolarisation et des études supérieures, le nombre de doctorants diminue, ce qui est dramatique. Il me semble que la cause principale de ce phénomène est le manque de pédagogie auprès des plus jeunes. Un lycéen ne sait pas ce que signifie la recherche. Apprendre ce qu'est une identité remarquable représente déjà pour lui un effort surhumain, aussi il ne peut concevoir ce que signifie la recherche en mathématiques.

Nous devons mobiliser l'ensemble de la communauté scientifique sur la LPPR. Mon regard sur cette dernière est peut-être moins sévère que celui de Pierre Ouzoulias. Une réforme systémique me semble en effet amorcée. Elle n'est cependant pas parfaite, aussi devrons-nous l'amender.

M. Laurent Lafon . - Les dysfonctionnements structurels déjà connus de la recherche éclatent de manière encore plus évidente à l'occasion d'une crise. Vous avez insisté sur la dispersion des financements, et la part sans doute excessive des financements sur projets. Il ne faut pas non plus occulter que la dispersion des financements est également liée à celle des structures. Le système de la recherche en France est très éclaté. Lorsqu'un problème de recherche se pose au niveau mondial, et exige des investissements lourds, cette organisation n'est pas la plus efficiente.

Est-il possible d'espérer remédier à ce problème de coordination par le CARE, créé par le Gouvernement ? Je suis assez dubitatif sur ce type de structures mises en place de manière ponctuelle, et qui ont du mal à s'imposer face à celles déjà existantes. Quel est le point de vue du groupe de travail en la matière ?

Par ailleurs, je pense que cette crise a démontré toute l'utilité de la fonction de chercheur. Il faudra parvenir à capitaliser sur cela, notamment à travers une revalorisation du métier. Stéphane Piednoir évoquait le travail à faire auprès des lycéens. D'autres pistes de ce type doivent être explorées, afin de mettre en lumière le caractère fondamental de la recherche dans une société, et en particulier dans une société du savoir.

Mme Laure Darcos . - A ce jour, nous ignorons toujours à quoi sert le CARE. Il ne sert ni à fédérer, ni à mutualiser l'ensemble des informations. J'ai énormément d'estime pour sa présidente, Françoise Barré-Sinoussi, qui a été auditionnée par la commission des affaires sociales. Je ne suis cependant pas sûre que le CARE ait réussi à s'imposer comme référent. Des problèmes d'ego se posent mais il était, à mon sens, possible de parvenir à une véritable complémentarité entre les membres des différentes instances de réflexion. Nous ferons face à d'autres épidémies, et nous devons tirer des leçons de celle-ci. Notre retard en matière de recherche biomédicale était criant depuis des années. Nous l'avions vu à propos du budget de l'INSERM, qui n'est pas dû au ministère de la Recherche. Je me bats depuis trois ans pour que le ministère de la Santé puisse également mettre en place un budget pour le biomédical.

Nous avons également constaté les manques criants de l'Union européenne. Les financements européens auraient dû permettre de fédérer de grands projets. Vous avez entendu les propos du président-directeur général (PDG) de Sanofi, qui a indiqué que les États-Unis, parce qu'ils financent l'entreprise, auraient la primeur du vaccin. Le Président de la République a rappelé que le vaccin serait universel. Néanmoins, les gros laboratoires privés financent les recherches actuelles. Il aurait à ce titre été intéressant de disposer du soutien de Bruxelles pour fédérer davantage de projets.

Le projet Discovery s'est fait torpiller par les médias. Il est mené par l'INSERM, notamment sur la molécule remdésivir. Ce projet devait débuter dans tous les grands pays européens, mais chacun a souhaité mettre en place ses propres expérimentations. S'il a donc pu bénéficier des 800 lits initialement prévus en France, seuls le Luxembourg et le Portugal y contribuent. Ce projet souhaite convaincre d'autres pays, mais espère surtout pouvoir disposer de financements européens qui permettraient une mise en commun de ses résultats avec le projet concurrent de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Solidarity.

Cela illustre le phénomène que j'évoquais, qui voit des acteurs travailler indépendamment sur de mêmes molécules. Le président de l'INSERM m'a rappelé qu'après la fin de l'embrasement médiatique, ses chercheurs continueraient à travailler. Ils seront donc en mesure de dire à la rentrée si cette molécule fonctionne, en attendant un vaccin qui n'arrivera sans doute pas avant 2021.

Il faudra partir du constat de ce rapport pour la LPPR. Le cabinet de la ministre a besoin de notre soutien vis-à-vis du ministère de l'Economie et des Finances, pour valoriser le budget de la recherche. Je doute que nous puissions trouver un créneau parlementaire avant la fin de l'année, aussi le projet de loi de finances (PLF) sera particulièrement important.

De la même façon que la crise aura contribué à revaloriser les métiers de soignants, les premiers métiers choisis sur Parcoursup étant ceux d'infirmiers, j'espère qu'elle aura suscité des vocations en matière de recherche, notamment chez les filles. Le fait de voir davantage de scientifiques femmes est mon cheval de bataille. Nous en avons du reste auditionnées beaucoup. J'espère que la crise incitera les jeunes à s'orienter vers ces métiers essentiels, qui sont très peu valorisés.

M. Jacques Grosperrin . - Je félicite Laure Darcos et ses collègues pour la grande qualité de leur travail.

Je souhaiterais avoir leur avis sur la gestion de la crise dans les écoles. N'est-ce pas le moment de desserrer le protocole sanitaire imposé ? Nous devons faire en sorte que le dispositif Sport-Santé-Culture-Civisme ( 2S-2C ) ne soit pas la seule solution pour faire venir davantage d'enfants à l'école.

Mme Sylvie Robert . - Ce rapport vient à point nommé, avec le travail qui va s'engager sur la LPPR. Cette période a mis en lumière un paradoxe terrible. Nous avons plus que jamais besoin de la recherche. Or en raison d'effets de communication catastrophiques, son image a été altérée. La question de son attractivité deviendra encore plus essentielle pour la LPPR. Nous ne l'avions pas anticipé.

Par ailleurs, si la question budgétaire est importante, et j'espère que les efforts en la matière seront à la hauteur des ambitions de notre pays, c'est bien celle de la structuration qui a été mise en lumière. Ces dernières années, nous avons vu se déployer des injonctions paradoxales, entre la nécessité du temps long de la recherche, et la logique des appels à projets, qui mobilisent les équipes dans un temps très court.

La LPPR sera présentée au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) ce vendredi. Son calendrier est cependant toujours inconnu, et je doute qu'elle puisse être débattue avant la fin de l'année. Il est donc quelque peu étonnant qu'elle soit présentée au CNESER, mais notre exigence et notre vigilance seront renforcées par votre rapport. Il manque aujourd'hui une vision stratégique pour la recherche, et cela sera au coeur de nos réflexions.

M. Jean-Raymond Hugonet . - Laure Darcos évoquait Sanofi, qui témoigne de l'incompréhension totale de notre pays vis-à-vis de la recherche et de ses mécanismes. De même, il s'agit d'une occasion inespérée, lamentablement ratée par l'Union européenne. Cette dernière aurait pu se saisir de ce sujet vital. Chacun s'enorgueillit que Sanofi est français. Or Sanofi ne l'est plus depuis longtemps. Il s'agit d'une belle construction française, que nous avons laissé partir, faute de moyens.

Je ne crois pas que les propos de son PDG constituent une erreur de communication. Il s'agit au contraire d'un pavé dans la mare. Les États-Unis disposent du Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA), qui permet au Président des États-Unis de faire collaborer les plus grands laboratoires, et de les financer. Or nous ne sommes pas capables d'en faire autant en Europe, malgré le nombre très important de grands laboratoires dont nous disposons. L'Europe a raté l'occasion de montrer qu'elle pouvait rassembler.

Mme Laure Darcos . - L'OPECST a mené de nombreuses auditions, et nous sommes en train de rédiger une note sur le possible allégement des contraintes sanitaires pour les enfants. Il a en effet été démontré qu'ils sont dans le pire des cas asymptomatiques, et dans le meilleur des cas immunisés. Nous avons notamment auditionné des chercheurs de l'Institut Pasteur, qui travaillent à un vaccin contre la Covid-19 proche de celui contre la rougeole. Par les rhumes qu'ils se transmettent entre eux, les enfants pourraient être immunisés, mais il semblerait que le vaccin contre la rougeole ait également pu y contribuer.

La note de l'OPECST permettra peut-être de desserrer les contraintes sur les écoles. Néanmoins, avant la rentrée, se pose la question des colonies de vacances et des centres de loisirs. Le premier rapport que voulait sortir Gabriel Attal était beaucoup trop contraignant, et la plupart des centres de vacances ont été contraints d'annuler leur programme. C'est une catastrophe, alors qu'il faudrait permettre à ces jeunes, qui ont été confinés dans des conditions parfois difficiles, de partir en vacances.

Je partage l'avis de Sylvie Robert sur l'importance de la communication. J'ai reçu des centaines de sollicitations pour signer des pétitions en faveur du Dr Didier Raoult. Je n'ai rien contre cet homme, et peut-être que sa molécule a soigné de nombreux malades. Mais qui suis-je pour en juger, n'ayant pas même suivi d'études scientifiques ? J'ai été particulièrement agacée par tous les non scientifiques qui, pendant cette période, se sont crus autorisés à donner constamment des leçons.

Enfin, je souhaiterais terminer sur une note positive. Lorsque survient une crise de ce type, nous sommes capables de nous organiser pour des financements d'urgence. L'ANR a joué son rôle, avec des projets flash, qui ont permis des financements dans les quinze jours. Tous n'ont bien évidemment pas été retenus, mais au moins cinquante projets ont permis d'avancer sur des tests virologiques ou des vaccins.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je note que quel que soit le secteur dont notre commission a traité, la crise sanitaire a agi comme un accélérateur et un catalyseur des fragilités et des carences. Nous l'avons constaté pour le secteur de l'audiovisuel, et il en va de même pour celui de la recherche. Nous avions souligné un certain nombre de problèmes au cours de rapports budgétaires précédents, tels que la question des moyens, ou de la reconnaissance des chercheurs.

Il faut que ce rapport provoque un électrochoc, et nous devrons communiquer sur ce point. Notre absence de souveraineté sanitaire a largement été mise en lumière, et il en va de même pour les dysfonctionnements majeurs de la recherche française, dont l'histoire a été marquée par Louis Pasteur, ou Marie Curie.

Nous devrons donc communiquer sur la question de la gouvernance, sur celle des moyens, comme sur celles des valeurs. La confusion, et la problématique de l'intégrité scientifique, qui ont été soulevées, sont d'une évidence criante. Ces trois piliers pourraient constituer les apports du Sénat.

Sport

MERCREDI 17 JUIN 2020

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Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - L'ordre du jour de notre réunion appelle à présent la présentation des conclusions du groupe de travail, créé par le bureau le 14 avril dernier, chargé d'étudier les conséquences de la crise sanitaire sur le secteur du sport. Il est composé de Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Nicole Duranton et Mireille Jouve et de MM. Antoine Karam, Claude Kern et Michel Savin, et est présidé par notre collègue, Jean-Jacques Lozach, à qui je donne maintenant la parole.

M. Jean-Jacques Lozach . - Nous voici arrivés au terme de nos travaux dans le cadre de notre groupe de travail consacré au sport, lequel avait été constitué en mars afin d'assurer le suivi de la crise sanitaire dans le sport, d'examiner les modalités du déconfinement et de réfléchir à des mesures permettant d'accompagner la relance économique du secteur.

Notre constat à l'issue de deux mois d'auditions est sans appel : la situation du sport est grave et son avenir n'est pas assuré compte tenu des incertitudes qui demeurent.

Pour ce qui concerne les opérateurs économiques, les enquêtes réalisées par COSMOS et Union Sport & cycle montrent que plus de 84 % des structures ont suspendu leur activité pendant le confinement ; 54,6 % ont placé l'intégralité de leur personnel en activité partielle ; 76 % des industriels du secteur ont connu un arrêt total ou partiel de leur production et 70 % des entreprises du secteur affirment avoir mis leurs salariés en chômage partiel.

Sur le plan sportif, toutes les compétitions ont été arrêtées à l'issue du discours du Premier ministre du 28 avril à l'Assemblée nationale, avec la perspective d'une reprise en septembre. La crise sanitaire a remis également en cause l'activité des organisateurs d'événements sportifs. Des événements internationaux ont été annulés, d'autres ont été reportés, comme le Tour de France cycliste ou le tournoi de Roland Garros.

Le président du syndicat Première Ligue, Bernard Caïazzo, estime que la perte des clubs de football professionnel, du fait de l'arrêt des matchs, devrait s'établir entre 500 et 600 M€ - d'autres estimations évoquent même une perte qui pourrait représenter jusqu'à 900 M€. Une reprise des matchs à huis clos réduirait les recettes de billetterie et de marketing et aurait un impact sur le montant des droits de retransmission télévisée, le football à huis clos étant dévalorisé, les diffuseurs ne manqueront pas de renégocier le tarif des droits. La crise que connaît le secteur du sport est donc profonde et durable.

Le groupe de travail constate que, à ce jour, aucun plan de relance digne de ce nom n'a été présenté et mis en oeuvre. Il semble que la ministre s'apprête à demander un tel plan à Matignon. Le président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), M. Denis Masseglia, avait estimé le 12 mai que 20 % des clubs étaient en difficulté, cette proportion a sans doute significativement augmenté à la mi-juin. Faute de véritable soutien de l'État, la situation des clubs amateurs et professionnels pourrait même s'aggraver avec la levée des dispositifs d'aides mis en place au début de la crise et la montée de la crise économique.

Le déconfinement dans le sport s'accompagne donc d'une grande incertitude et suscite un début d'inquiétude quant à la pérennité de nombreuses structures. Beaucoup d'acteurs appellent donc de leurs voeux un « plan Marshall » pour le sport pour une durée de trois à quatre ans.

Les associations sportives ont pu très vite bénéficier des dispositions adoptées par le Gouvernement à destination des entreprises. Ces mesures ont été extrêmement précieuses pour permettre à ces structures, souvent de petite taille, de supporter le choc d'un arrêt le plus souvent total de leur activité. Il n'est toutefois pas acquis qu'elles suffisent, car le déconfinement est plus long à s'opérer dans le secteur du sport.

Sur le plan de la pratique, le groupe de travail salue les efforts déployés par le ministère des sports et les fédérations afin de déterminer des protocoles adaptés à la reprise de chaque activité sportive. Toutefois, beaucoup trop de nuages continuent à obstruer l'horizon du secteur sportif, notamment professionnel. Si le football professionnel peut envisager de reprendre les compétitions en août à huis clos, compte tenu du poids des droits télévisés dans ses recettes, ce n'est pas le cas des autres disciplines, notamment du rugby et des sports de salle, dont la majorité des recettes est issue de la billetterie et des recettes de marketing. Les clubs sont inquiets, par ailleurs, quant au maintien de leurs partenariats avec les sponsors et les collectivités territoriales dont les priorités pourraient changer à l'issue de la crise sanitaire.

Pour les présidents des ligues professionnelles, il est fondamental que les compétitions puissent reprendre normalement en septembre au plus tard.

Le groupe de travail ne peut que souscrire à l'idée de repenser le modèle économique du sport que promeut le ministère des sports. Pour autant, la réalité de la situation des clubs reste très éloignée d'une telle démarche : l'urgence est d'adopter très vite des mesures pour passer la crise avant de songer à inventer le sport de demain.

A cette fin, le groupe de travail a élaboré dix propositions.

La première proposition est la suivante : mettre en place un plan global pour soutenir le secteur du sport à la rentrée de septembre 2020. Le secteur du sport a bénéficié des dispositifs mis en place par l'État pour soutenir les entreprises et le secteur associatif, mais a beaucoup souffert de la décision de mettre un terme de manière prématurée aux championnats professionnels. Ce grave préjudice, dont on ne mesure pas encore exactement l'étendue, justifie pleinement que l'État s'engage à mobiliser des moyens particuliers pour aider les clubs victimes de la crise sanitaire et d'une décision unilatérale de la puissance publique.

Ces mesures doivent reposer sur le maintien pendant plusieurs mois des dispositifs généraux mis en place depuis le mois de mars et sur des aides spécifiques au secteur du sport, lesquelles pourraient porter sur la fiscalité propre au secteur, mais également sur une aide à destination des jeunes pour encourager leur inscription dans des clubs, sur un assouplissement de la loi Évin et sur un accompagnement financier des athlètes français engagés dans la préparation des Jeux olympiques de Tokyo. Le groupe de travail souscrit également à la proposition faite par le groupe de suivi de l'application de l'état d'urgence sanitaire dans les domaines des sports et de la vie associative de l'Assemblée nationale de créer un fonds de soutien spécifique au bénéfice des associations et des clubs sportifs amateurs, dans le cadre du plan de relance envisagé par le Gouvernement.

Ces nouvelles aides doivent s'accompagner de contreparties de la part du secteur sportif. Les clubs pourraient, par exemple, pérenniser leur implication dans le dispositif sport santé-culture civisme (2S2C) afin de faire vivre le lien créé entre les structures sportives et l'éducation nationale. Les clubs pourraient également s'engager plus fortement dans la voie d'une maîtrise des salaires.

Notre deuxième proposition est de créer un crédit d'impôt dédié aux annonceurs dans le sport, afin de les inciter à maintenir leur implication. Ce dispositif permettrait d'encourager l'achat d'espaces dans publicitaires dans les stades et aux abords des compétitions. Il pourrait être intégré à une mesure plus large concernant les annonceurs dans les médias audiovisuels et la presse, qui a été soutenue par la commission de la culture.

Une troisième proposition est d'assouplir la loi Évin dans les enceintes sportives, avec une évaluation en 2022. Le régime d'autorisation qui permet aux clubs de vendre de l'alcool dix fois par saison n'est pas satisfaisant. Pourquoi limiter ces exceptions si elles ne posent pas de difficulté ? Par ailleurs, leur contrôle paraît pour le moins défaillant, donnant lieu à des inégalités entre les clubs. Le groupe de travail propose donc d'autoriser la consommation dans les stades de certains alcools et certaines publicités pendant deux ans, jusqu'à la fin de la saison 2021-2022, puis de réaliser une évaluation indépendante de cette évolution. Un tel assouplissement doit permettre de favoriser le retour des supporters dans les stades lorsque les contraintes portant sur les grands rassemblements seront levées et d'aider économiquement les clubs.

Quatrième proposition : élaborer un mécanisme de garantie du paiement aux collectivités territoriales des redevances d'occupation demandées aux clubs professionnels pour l'usage des enceintes sportives. En raison du contexte actuel, certains clubs pourraient éprouver des difficultés pour s'acquitter de cette redevance. Pour autant, il semble peu justifié d'en suspendre le paiement. Le groupe de travail propose donc que, en cas de nouvelle dégradation de la situation des clubs, l'État, en lien avec la fédération et l'éventuelle ligue concernée, examine la possibilité de créer un dispositif de soutien mutualisé permettant de soulager temporairement les clubs de ce poids tout en préservant les collectivités territoriales.

Cinquième proposition : augmenter les moyens de l'Agence nationale du sport (ANS) pour renforcer son action territoriale. Le groupe de travail reste très attaché au principe selon lequel le sport doit financer le sport, qui n'est pas compatible avec le plafonnement par l'État des taxes affectées au sport. Les demandes d'aides financières par les clubs devraient toutefois fortement augmenter dans les mois à venir, compte tenu de la crise économique et sociale annoncée. La nécessité de mettre en place un nouveau plan d'équipement sportif n'est également pas contestée, les 45 millions d'euros prévus à cet effet dans le budget de l'ANS étant très insuffisants. La hausse des revenus du secteur sportif doit enfin permettre de financer de nouveaux équipements, notamment en zone rurale et en outre-mer. Le groupe de travail propose en conséquence d'augmenter les moyens de l'ANS en lui affectant davantage de crédits issus du produit de la taxe Buffet. Pour ce faire, la totalité de l'accroissement du rendement de cette taxe consécutif à la hausse des droits de retransmission télévisée pourrait lui être affectée.

Sixième proposition : mettre en place l'organisation territoriale de l'Agence nationale du sport au second semestre 2020. Le groupe de travail souhaite que les dispositions réglementaires relatives à ce point soient publiées dans les meilleurs délais et, en tout état de cause, au cours du second semestre 2020. Il est urgent de pouvoir associer tous les acteurs locaux à la conduite des politiques territoriales du sport. De même, nous attendons toujours la publication des décrets d'application de la loi de 2019 relative à la création de l'ANS et à diverses dispositions relatives à l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024.

Septième proposition : adopter un moratoire sur la réforme des conseillers techniques sportifs (CTS) jusqu'en 2024. Le groupe de travail considère indispensable de stabiliser la situation des CTS dans la perspective des prochaines échéances sportives majeures. La proposition des tiers de confiance consistant à resserrer le corps des CTS autour des directeurs techniques nationaux et des entraîneurs nationaux et à le doter d'une véritable fonction de gestion des ressources humaines constitue une piste intéressante, qui doit encore être étudiée. Dans ces conditions, le groupe de travail propose que la situation des CTS fasse l'objet d'un moratoire jusqu'à 2024 afin de leur permettre de préparer les Jeux olympiques de Paris dans les meilleures conditions. Il importe de mettre un terme à la polémique et de ne pas faire des économies sur le dos des CTS.

Abordons le soutien à apporter à la pratique sportive, dont la crise sanitaire a rebattu les cartes, beaucoup de pratiquants ayant substitué à leur pratique en club une pratique dématérialisée et/ou des exercices individuels. En la matière, il n'y aura pas non plus de retour à la normale. Les clubs devront repenser leur organisation et leur offre pour redevenir attractifs.

Le sport santé constitue un autre terrain de développement pour les clubs. Le sport peut jouer un rôle plus important pour accompagner les rémissions de nombreux patients, il pourrait surtout être plus largement conseillé dans une logique de prévention de certaines pathologies.

Outre la question du sport santé, le groupe de travail propose de mettre l'accent sur l'accueil des jeunes, le soutien aux athlètes et le développement du sport féminin.

Huitième proposition : créer un Pass sport pour encourager les jeunes de quatorze à vingt ans à pratiquer un sport en club. Ce dispositif consisterait en un crédit de 500 euros dédié à l'achat de licences, à l'acquisition de petit matériel, à l'accès à des équipements sportifs, ainsi qu'à des animations sportives en dehors des périodes scolaires. Cette création serait aujourd'hui particulièrement pertinente dans le contexte de sortie de crise sanitaire et compte tenu de la nécessité de retisser un lien entre la jeunesse et les structures sportives.

Neuvième proposition : permettre à l'ANS d'aider financièrement les athlètes fragilisés par le report des Jeux olympiques de Tokyo.

Faut-il rappeler que la situation d'athlète de haut niveau est souvent synonyme en France de précarité ? En 2016, la moitié de la délégation française envoyée aux Jeux olympiques vivait ainsi en dessous du seuil de pauvreté. Le groupe de travail craint que la situation financière de nombreux athlètes de haut niveau ne se dégrade encore dans les prochains mois, jusqu'à compromettre leurs performances, sinon leur participation, aux jeux de Tokyo. Dans ces conditions, nous soutenons la proposition de l'ANS d'attribuer des bourses mensuelles pouvant aller jusqu'à 3 000 euros aux athlètes qui en feraient la demande.

Dixième proposition : mobiliser des moyens en faveur du sport professionnel féminin afin de permettre aux clubs de mieux valoriser leurs infrastructures. Le développement du sport féminin se justifie par lui-même, compte tenu de ses valeurs, des perspectives qu'il crée pour les sportives et de l'attente du public. Il constitue, par ailleurs, un facteur de développement économique pour les clubs qui peuvent ainsi mieux utiliser leurs infrastructures et donc rentabiliser plus rapidement leurs investissements dans les stades, les centres d'entraînement, les installations médicales.

Telles sont, mes chers collègues, nos propositions qui sont les fruits de nos travaux. Il s'agit de propositions collectives qui poussent toutes dans le même sens. Je crois que la ministre des sports serait bien inspirée d'accorder son attention à ces propositions sénatoriales qui sont à la fois concertées, ambitieuses et cohérentes.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vous remercie pour ces propositions extrêmement fortes. J'invite à présent les autres membres du groupe de travail à prendre la parole.

M. Claude Kern . - Je serai bref car l'exposé de notre rapporteur est le reflet exact et complet de nos travaux. Je le remercie pour son excellente gestion de notre groupe de travail ainsi que mes collègues pour leur assiduité, notamment celle de M. Karam malgré le décalage horaire.

Je soutiens pleinement les dix propositions exposées, sur lesquelles nous avons échangé jusqu'au dernier moment.

M. Antoine Karam . - Je suis favorable aux propositions du groupe de travail, qui vont dans le bon sens. Nous sommes des militants de la cause du sport et nous sommes en contact avec les sportifs sur le terrain, notamment avec les amateurs. De ce point de vue, je suis particulièrement sensible à la proposition du Pass sport. Lors de nos travaux sur l'enseignement scolaire et agricole, nous avions dû rassurer les parents sur les conditions d'accueil à la reprise des cours. Il en va de même s'agissant du sport : nous avons rencontré de graves difficultés, avec le décrochage de certains jeunes. En Guyane, un ancien footballeur professionnel a même construit son propre terrain pour maintenir ses joueurs en forme, ce que les autorités préfectorales n'ont pas apprécié.

Dans ce contexte, il faut donner des assurances sur les conditions de reprise. Le Pass sport est à ce titre une idée précieuse pour les associations, pour les jeunes, qui est de nature à instaurer un climat de confiance. C'est important, car nous avons besoin du sport, qui est un moyen de cohésion.

M. Michel Savin . - Je salue également la qualité de nos travaux et échanges, fort bien présidés par Jean-Jacques Lozach. Le secteur du sport a été, de façons multiples, très fortement déstabilisé par l'arrêt total de ses activités.

Il me paraît important de différencier le sport amateur, professionnel et de haut niveau. A cet égard, une certaine vigilance est de mise quant aux futures annonces du Gouvernement - qui se font attendre - sur la relance, notamment par rapport à la répartition et au volume des crédits accordés. Notre vigilance devra se porter également sur les collectivités territoriales, qui, au vu de leur situation financière actuelle, et de leur engagement vers le « sport pour tous » et les sports amateurs, vont nécessairement moins soutenir le sport professionnel.

Si je partage la grande majorité des propositions émises, je tiens à faire part - mes collègues du groupe de travail le savent - de mon désaccord sur celle relative aux CTS. L'idée d'un moratoire jusqu'en 2024 ne me semble pas correspondre à la mission « flash » conduite par notre commission en juin 2019 qui avait conduit à l'adoption d'un amendement empêchant tout transfert automatique des CTS en direction des fédérations. Nous avions mis en avant la volonté de voir l'ensemble des partenaires s'engager sur une réflexion rapide afin d'aboutir à une évolution de ce corps d'État. Il me semble plutôt urgent de revoir les missions et la répartition des CTS pour bien préparer les Jeux de Tokyo et surtout ceux de 2024. A défaut, leur avenir risque d'être très compliqué.

Mme Mireille Jouve . - Je souhaite revenir sur quelques préoccupations qui ressortent du rapport qui vient de nous être brillamment présenté. Le sport compte parmi les secteurs d'activité les plus durement impactés par la crise sanitaire. Cette mise à l'arrêt est notamment lourde de conséquences financières pour le sport professionnel, dont l'équilibre des recettes repose largement sur la billetterie ou les droits audiovisuels. Directement exposée à une décision unilatérale de la puissance publique, comme cela a été dit dans le rapport, cette filière devra faire l'objet d'une nécessaire attention des pouvoirs publics, même si dans le cas emblématique du football, nous devons garder à l'esprit que la question des difficultés salariales actuelles des clubs peut paraître bien inaudible pour un nombre croissant de Français en proie à de fortes difficultés sociales. La demande de contrepartie en matière de maîtrise des salaires portée par le groupe de travail nous apparaît donc très opportune.

Le sport amateur, même s'il n'évolue pas dans la même dimension, se trouve aujourd'hui tout aussi ébranlé. De nombreuses structures associatives s'interrogent sur leur pérennité ; elles n'ignorent pas que la crise économique va conduire de nombreux foyers à limiter leurs dépenses dans ce domaine. Nous mesurons tous pourtant l'apport de ces clubs en matière de structuration et de lien social, qu'il s'agisse de territoires ruraux ou urbains. Au-delà de l'accompagnement financier, nous devons redoubler d'effort dans nos incitations à la pratique sportive.

Les collectivités territoriales ont dû elles aussi prioriser leurs actions. Leur attention sur la question sportive a dû être temporairement différée, et s'inscrit dans une gestion post-crise. Tout en rencontrant elles-mêmes de fortes difficultés financières, elles vont devoir accompagner la remise en service de leurs équipements et soutenir les associations dont la pérennité des emplois nous apparaît prioritaire.

Concernant l'accueil en France des Jeux olympiques, les membres du groupe RDSE sont aussi favorables à la mise en place d'un moratoire sur le statut des CTS jusqu'en 2024.

Concernant la proposition tendant à un assouplissement temporaire de la loi Evin, sans nier le caractère exceptionnel des difficultés économiques qui se dressent devant nous, je pense qu'au sortir d'une crise sanitaire, il s'agit d'une perspective qu'il nous faudra aborder avec la plus grande vigilance.

Nous adhérons enfin pleinement à la mise en oeuvre d'un plan de relance global et en souhaitons une concrétisation très prochaine, compte tenu de la dégradation rapide de la situation des différents acteurs du secteur.

Mme Céline Boulay-Espéronnier . - Je remercie Jean-Jacques Lozach pour la manière avec laquelle il a animé ce groupe. Au cours de nos nombreuses auditions, j'ai été frappée de constater combien l'inquiétude était grande autour de tout l'écosystème sportif. Je citerai pêle-mêle les problématiques abordées : la mauvaise santé du sport professionnel, la difficile reprise des compétitions pour les supporters, les centres d'entraînement et les organisateurs d'événements sportifs, la situation concurrentielle avec les autres clubs européens, à l'image de nos entreprises, ...

Une inquiétude subsiste aussi sur les compétitions à huis clos, notamment pour le tournoi de Roland Garros. S'il ne devait pas reprendre dans sa forme habituelle, il serait intéressant qu'il puisse malgré tout avoir lieu, de nombreux petits clubs en dépendent.

Je reviens sur le chiffre encore plus catastrophique que prévu de l'Observatoire économique du sport, la BPCE, qui évalue désormais la perte financière à 24 milliards.

Pour terminer sur une note positive, cette même BPCE a insisté sur deux points intéressants : les plateformes « Weedoo-it sport » qui ont été plébiscitées pendant la crise sanitaire, et devraient continuer à séduire, et l'impact dont on a beaucoup parlé, notamment dans le rapport sur la montée des préoccupations individuelles pour la préservation du capital santé.

Je conclurai sur l'importance de relancer l'attrait du bénévolat en menant une réflexion sur un véritable statut du bénévole, et sur le focus fait dans nos travaux sur le sport féminin. Celui-ci a déjà fait l'objet d'un rapport, établi avec la délégation aux droits des femmes, qui faisait notamment référence au succès de la coupe du monde féminine de football sur lequel il était important de capitaliser. À terme, il me semble important de réfléchir au statut des joueuses professionnelles.

M. Jacques Grosperrin . - Je remercie Jean-Jacques Lozach et l'ensemble du groupe pour le travail accompli. Je souhaiterais simplement faire un focus sur les sports de combat et plus particulièrement sur le judo. Le fait qu'il n'y ait pas eu de reprise a généré pour nos clubs amateurs, qui accueillent beaucoup de pratiquants, un réel problème économique. Actuellement, en Belgique, les moins de 12 ans ont repris et la Fédération française de judo (FFJ) est prête, elle aussi, à permettre à nouveau cette pratique en respectant les conditions sanitaires en vigueur. Concernant les sportifs de haut niveau, la FFJ a pratiqué hier tous les tests possibles en matière de détection du virus et ils se sont tous révélés négatifs.

La concurrence mondiale est sévère : les autres pays ont continué l'entraînement. J'ai bien entendu les interrogations du rapporteur vis-à-vis de la ministre des sports, et j'aimerais avoir son avis, ainsi que celui de la commission, sur les conditions de cette reprise. Des échéances sportives approchent et si la France veut conserver son rang, il faut rouvrir les pratiques des sports de combat, et en l'occurrence celles du judo.

Mme Sylvie Robert . - Je remercie les membres de ce groupe de travail pour la qualité de leur rapport. Je souhaite concentrer mon intervention sur le sport amateur, fortement fragilisé. Les associations sportives sont dans l'incertitude quant à leur devenir, notamment en termes de ré-inscriptions à la rentrée prochaine et d'implication renouvelée ou pas des bénévoles, essentiels pour les faire fonctionner. Elles sont également inquiètent de l'aide financière apportée par l'État et par les collectivités territoriales

Selon moi, le dispositif 2S2C ne constitue pas une réponse à cette fragilisation, d'autant qu'il a vocation à disparaître dès le 22 juin prochain puisqu'il était fondé sur le fait d'accueillir des enfants ne pouvant l'être dans certaines collectivités.

Ma question porte, et je la relie à nos discussions sur les associations, avec entre autres notre collègue Jacques-Bernard Magner, sur les emplois aidés, car le mouvement sportif est en demande de ce dispositif. A-t-il été évoqué et ne constitue-t-il pas une réponse à la hauteur des enjeux actuels ?

M. Jean-Raymond Hugonet . - Je salue la qualité des travaux menés par le groupe de travail et à l'instar de M. Grosperrin qui a revêtu quelques instants le kimono, je souhaite chausser les crampons pour parler du football, qui m'est cher !

Il me semble important de rester très prudents et très sages quant aux conclusions portées sur la polémique, regrettable, provoquée par l'arrêt des championnats de football. Je pense pour ma part, et comme de nombreux Français, qu'il s'agissait d'une sage décision motivée par la santé des joueurs, et basée sur un sondage - bien sûr critiqué ! - de l'Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP).

Même si les joueurs avaient très envie de reprendre, ils savaient aussi que leur santé était en jeu et que leurs clubs étaient dans l'incapacité de respecter les consignes de sécurité sanitaire. Cette décision a permis d'acter les pertes sur la saison 2019/2020 mais surtout de pouvoir commencer la saison 2020/2021 dans les meilleures conditions, nous allons bientôt le constater. J'ajoute que l'inquiétude autour du football professionnel existait bien avant la crise du Covid-19 qui l'a juste renforcée.

Il faut reconnaître que le Gouvernement a tout de suite mis à disposition les fonds et prêts garantis d'État et bien évidemment les clubs qui étaient dans un état financier acceptable en ont profité, mais ceux qui étaient en situation précaire - la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) a signalé des cas alarmants - le sont encore plus.

Par contre, je partage les conclusions du rapport - qui rejoignent d'ailleurs celles de la mission d'information conduite actuellement par Jean-Jacques Lozach, et le rapporteur Alain Fouché - quant au dysfonctionnement qu'a représenté le fait qu'un premier ministre stoppe, au travers d'un discours, une saison de championnat, en visant particulièrement celui du football. C'est la première fois dans l'histoire ! Cela ne relevait pourtant ni de ses compétences ni de son autorité mais de celles du président de la FFF. Cela a créé un trouble et je regrette que le football ait donné une triste image, au travers d'une polémique stérile, alors que la décision était à la base la bonne. Personne n'aurait accepté que les raisons commerciales l'emportent. Les matchs organisés sans supporters sont selon moi une insulte à ces supporters et un bien triste spectacle.

M. Max Brisson . - Je salue la qualité du rapport qui reflète, et j'en ai été étonné, la verticalité des décisions prises, ce qui en dit long sur le fonctionnement de notre Gouvernement et sur son rapport aux corps constitués, que sont en l'occurrence les ligues et fédérations.

J'ai aussi été surpris par les commentaires du président du CNOSF, au moment même où nous débattions dans l'hémicycle des amendements de notre collègue Michel Savin. Je les trouve déplacés vis-à-vis de la représentation nationale.

J'ajouterai que je reste surpris de la faiblesse du sport dans le débat public, en comparaison avec la culture. On a pu trouver parfois que le ministre de la culture avait du mal à se faire entendre en termes d'arbitrages interministériels, mais le silence des autorités sportives a été encore plus assourdissant ! L'économie du sport est pourtant tout aussi importante.

En ce qui concerne mon sport fétiche, le rugby, je souhaite que l'on se dirige vers des solutions différenciées dans la reprise des activités. L'idée d'un sport à huis clos n'a aucun sens si l'on veut assurer l'équilibre économique des clubs professionnels, avec ses conséquences sur le sport amateur. La coupure est récente dans l'histoire et est encore faible, la fédération de rugby réfléchit d'ailleurs à la création d'une division nationale sur le modèle de ce qui existe pour le football. Je souhaite qu'on laisse aux fédérations et ligues la possibilité d'un déconfinement moins vertical que le confinement l'a été.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je constate que ce rapport est essentiel et j'en salue la qualité. S'il y a eu deux secteurs qui ont été marginalisés pendant la période du confinement, c'est bien ceux de la culture et du sport. Je dirai même davantage encore pour le sport car la ministre a été particulièrement absente du débat public - c'est la raison pour laquelle je l'avais interpellée par courrier au nom de notre commission.

Si l'on peut comprendre que les événements culturels et sportifs aient été différés, un travail de fond restait possible, et il aurait permis, au sortir de la crise, d'être en bon état de marche. Autant pour le milieu culturel, on a vu quand même se succéder quelques mesures -l'année blanche en faveur des intermittents, le fonds de soutien pour le Centre national de la musique, le plan librairies, ... - autant on ne voit rien venir pour le sport. Vos propositions, cher Jean-Jacques, sont donc très appréciées ; certaines d'entre elles sont extrêmement fortes. Nous les ferons entendre auprès de la ministre des sports.

J'ajouterai quelques remarques. Concernant les collectivités territoriales, et le fait que leurs priorités pourraient changer à l'issue de la crise sanitaire, ce qui génère de fortes inquiétudes pour les clubs en termes de partenariats, que sait-on des actions de ces collectivités durant cette période de confinement ? Un état des lieux des plans de soutien a-t-il été fait ? Ce qui m'amène à la proposition sur la mise en place de l'organisation territoriale de l'ANS, qui n'est autre que celle dont nous débattrons dans l'hémicycle la semaine prochaine dans le cadre de l'application des lois. Je regrette que les décrets n'aient pas été publiés.

Concernant le dispositif 2S2C évoqué par Sylvie Robert, il serait souhaitable que les animateurs des groupes dont les secteurs sont concernés, la culture et le sport, travaillent ensemble sur cette question pour énoncer clairement notre position. Beaucoup de contestations émanent du milieu culturel quant au recours à ce système pour les professeurs d'EPS. J'y vois personnellement le retour, nouvelle formule, des activités rendues obligatoires des rythmes scolaires, transférées sur les collectivités territoriales. La commission doit se positionner sur cette question dont on n'a pas encore beaucoup débattu avec le ministre de la culture.

Enfin, sur le Pass Sport, serait-il financé par le ministère des sports, ou en partie par le Pass Culture ? Souhaitez-vous qu'il soit mis en place par certaines collectivités, comme certaines Régions l'ont fait pour le Pass Culture?

M. Jean-Jacques Lozach . - Je commencerai par le Pass Sport dont la proposition a déjà été transmise à la ministre des sports il y a plus d'un an maintenant et qui reste à ce jour sans réponse de sa part. Il reprend le modèle du Pass Culture avec une expérimentation sur un certain nombre de territoires mais reste indépendant de celui-ci. La période me semble propice à une relance de la réflexion.

Je partage l'avis de Jacques Grosperrin quant aux sports de combat, et je pense effectivement qu'il a été très déconcertant de constater à quel point les conditions sanitaires de la reprise variaient d'un pays à l'autre.

Pour objectiver les conséquences financières de la crise sanitaire sur le sport, je rappellerai que l'économie du sport dans notre pays, même si les estimations sont difficiles, représente entre 90 et 100 milliards d'euros, d'après des études réalisées en 1991 et en 1998 et prenant en compte toutes ses dimensions : sport amateur, professionnel et de haut niveau, les manifestations, le secteur commercial et toute la sphère associative. Aujourd'hui, la perte serait de l'ordre de 20 à 25 milliards d'euros, d'après la BPCE. L'impact s'avère donc très fort.

L'enjeu immédiat est la perte éventuelle de licenciés à la rentrée prochaine, avec la nécessité de maintenir en vie des milliers de clubs amateurs au bord de la disparition, et de maintenir aussi un niveau élevé de motivation de la part des bénévoles, problème souvent soulevé par les personnes auditionnées. N'oublions pas que cette crise a lieu à un moment particulier pour les petites associations qui organisent habituellement en mai ou juin des événements de nature à améliorer leurs recettes - kermesses, tournois, lotos, ...

Il est fondamental de permettre à ces clubs de proposer un accueil qui soit le plus pertinent dès septembre prochain. Cela rejoint la question des emplois sportifs qualifiés, la période de crise arrivant après une suppression très importante des emplois aidés, qui étaient souvent des emplois en phase de formation, en vue d'être qualifiés, et très souvent mutualisés.

Cette question des emplois aidés, qui renvoie au côté régalien du ministère des sports, doit absolument être privilégiée au cours des mois et années à venir. Beaucoup de nos interlocuteurs nous ont en effet dit que l'après Covid ne devait pas être simplement une reprise de l'avant Covid. Une prise de conscience de la nécessité de réorienter les priorités dans le domaine sportif s'avère indispensable et l'exemple type en est le sport santé. Celui-ci n'est pas seulement un sport sur ordonnance, suite à la loi Touraine de modernisation du système de santé. Or, seuls 10 millions d'euros y sont consacrés en France, en additionnant ministère des sports et ministère de la santé via les ARS. Cette loi, soyons clairs, n'est pas appliquée.

S'agissant les 2S2C, l'idée était de rapprocher l'école et les clubs, un fossé s'étant creusé entre le sport scolaire et le sport fédéral. Une volonté s'est concrétisée l'année dernière par le CNOSF, à travers une licence passerelle, prise en charge par le groupement sportif pour la rentrée de septembre et octobre prochains, afin de permettre à de jeunes élèves de tester leur volonté d'adhérer à différentes disciplines sportives. Or, le mouvement sportif s'est heurté à un silence complet du ministère de l'éducation nationale, qui n'a même pas accepté que l'information circule auprès des élèves et leurs parents. Le dispositif 2S2C permet de rétablir le contact et nous espérons qu'il se poursuive. Je conviens par contre que son application est très inégale d'un département à l'autre.

J'adhère également à ce sentiment de centralité qui a porté préjudice à l'efficacité des décisions publiques au début de la crise sanitaire.

En ce qui concerne les collectivités territoriales, certaines se sont engagées à maintenir leurs subventions en faveur des clubs mais cela méritera d'être vérifié lors de l'élaboration des budgets dans les semaines à venir.

Environ 40 % des personnes interrogées ont continué à pratiquer une activité physique pendant le confinement, et parmi elles 80 % souhaitent continuer et ce, plus seulement pour le dépassement de soi et la recherche de performances ; ce qui prédomine aujourd'hui ce sont le lien social, la santé, le bien-être et la convivialité. C'est pourquoi les clubs doivent se remettre en question pour répondre à ces nouvelles demandes sociales.

Pour exemple, un haut cadre technique a relativisé récemment l'importance des Jeux olympiques de 2024, et a affirmé, alors qu'il est très engagé dans leur préparation, que si l'on arrivait à développer le sport scolaire ou de santé dans notre pays, cela serait aussi important que les 30 ou 40 médailles escomptées. Ceci est révélateur d'une évolution de l'état d'esprit actuel au sortir de cette crise.

Je terminerai sur les moyens. Je suis convaincu que si l'on veut faire vivre l'héritage olympique, il va falloir augmenter d'au moins 100 millions par an le budget de l'ANS jusqu'en 2024. A défaut, on risque de passer à côté des ambitions affichées par l'État.

Le déplafonnement des taxes affectées - la « taxe Buffet », les paris sportifs en ligne et la Française des jeux - apparaît comme une des solutions car depuis 2017, la situation s'est totalement inversée. 77 % des taxes affectées étaient alors destinés au sport, aujourd'hui seuls 35 % reviennent au sport et 65 % à Bercy. Le taux de rendement de ces taxes affectées s'est donc dégradé et il apparaît nécessaire de débattre à nouveau sur ce déplafonnement.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Il apparaît en effet vraiment important de taper du poing sur la table. On a pu le constater lors du débat sur le modèle économique de l'audiovisuel qui a acté le détournement total des taxes affectées pour remplacer la publicité supprimée après 20 heures. Les proportions qui viennent d'être indiquées sont inadmissibles. L'esprit du vote en faveur de la création de ces taxes s'en trouve complètement dénaturé.

Je voudrais relayer les propos de Mme Duranton qui n'a pu se connecter dans de bonnes conditions à cette visioconférence : « Cette crise est l'occasion pour le monde du sport de s'interroger et de repenser son modèle. Au-delà des grands événements, le sport met aussi en jeu une vie sociale et associative qui s'érige comme l'un des piliers du « vivre ensemble ». Le sport a été le grand oublié durant cette crise. Il est temps de mener une vraie réflexion sur l'avenir du sport et peut-être en profiter pour arrêter la spirale infernale de l'argent, souhait souvent entendu lors de nos auditions. Les dix propositions sont essentielles, en espérant que la ministre des sports en tiendra compte puisque le Sénat a une fois de plus tiré la sonnette d'alarme et que la ministre a été absente durant cette crise. Il est temps qu'elle assume pleinement son rôle en préservant les collectivités territoriales ». Elle termine en remerciant tous les membres du groupe de travail.

En conclusion, un communiqué de presse va être préparé et devra être fort, à l'image des propositions faites qui réaffirment un certain nombre de principes votés au Sénat. On aura d'ailleurs beaucoup travaillé sur le sport ces trois dernières années et je salue les collègues qui se sont mobilisés sur ce sujet et qui ont permis de faire évoluer sa législation.

Le sport est en effet le grand oublié des préoccupations de cette crise, derrière le secteur de la culture ce qui n'est pas peu dire !

La commission a autorisé la mise en ligne de la note de synthèse du groupe de travail sur la page Internet de la commission.

Création et Patrimoine

Mercredi 24 juin 2020

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Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - L'ordre du jour appelle à présent la présentation des conclusions de deux groupes de travail.

Le groupe de travail consacré au secteur de la création, animé par Sylvie Robert, était composé de Sonia de la Provôté, Françoise Laborde, Jean-Raymond Hugonet, Maryvonne Blondin et Vivette Lopez.

Le groupe de travail consacré au patrimoine, animé par Alain Schmitz, était quant à lui composé de Jean-Pierre Leleux, Sonia de la Provôté, Catherine Dumas, Marie-Pierre Monier et Dominique Vérien.

La parole est à Sylvie Robert, rapporteure du groupe de travail relatif au secteur de la création.

Mme Sylvie Robert . - Le secteur de la création artistique et culturelle a été l'un des premiers affectés par la crise sanitaire. Il est gravement touché.

Le spectacle vivant, comme les arts visuels, se trouvent aujourd'hui en grand danger, d'autant que la reprise d'une activité normale apparaît encore aussi lointaine qu'incertaine. Un exemple chiffré : le président du CMN évalue à près de 2 milliards d'euros les pertes pour 2020.

Il s'agit d'un secteur économique très fragile, qui comporte beaucoup de petites structures, des établissements publics, etc. La crise actuelle constitue un véritable danger pour l'emploi, la diversité artistique, le dynamisme et le rayonnement de nos territoires.

Le soutien renforcé des pouvoirs publics est plus que jamais urgent si l'on veut préserver notre modèle culturel. Or, les mesures d'urgence sont souvent incomplètes, insuffisantes et difficiles d'accès au regard des spécificités de ce secteur. Les acteurs culturels manquent encore cruellement de visibilité, trois mois après le début de la crise, pour s'organiser et préparer leur programmation.

Enfin, le troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR3), que nous serons vraisemblablement amenés à travailler à partir de mi-juillet en séance, ne met nullement en place un plan de relance global du secteur culturel.

Nous avons travaillé autour de trois axes pour élaborer nos propositions : parer à l'urgence, faciliter la relance et améliorer l'exercice de la compétence culturelle.

S'agissant de l'urgence, nous avons identifié deux difficultés concernant les mesures transversales mises en place par le Gouvernement. Il s'agit tout d'abord de la durée des aides. L'activité partielle doit prendre fin le 30 septembre, le fonds de solidarité au plus tard le 31 décembre, et on sait que l'activité se poursuivra « en mode dégradé » bien au-delà de 2020.

En second lieu, certains acteurs culturels ne parviennent pas à en bénéficier car les critères d'octroi des aides ne sont pas adaptés à leurs spécificités. C'est particulièrement manifeste en ce qui concerne l'activité partielle Malgré nos interventions, les établissements publics, et singulièrement les établissements publics de coopération culturelle (EPCC), n'y ont pas droit, dès lors que les subventions constituent une part majoritaire de leurs budgets, alors même qu'ils remplissent les mêmes missions que d'autres structures. Il est étonnant de fonder cet accès sur la forme juridique des établissements et non sur les missions qu'ils remplissent.

J'en viens au soutien sectoriel. Le plan de 17 millions d'euros en faveur de la création, hors livres, a été jugé nettement insuffisant par rapport à l'ampleur des besoins du secteur. Par ailleurs, la répartition de ses crédits est très inégale et se fait malheureusement encore au détriment des arts visuels, d'où la nécessité d'accentuer l'effort budgétaire et l'investissement en leur faveur. Le dégel des crédits de la réserve de précaution pour 2020 serait une mesure importante pour compléter le soutien aux différents secteurs.

Quand on évoque l'urgence, on pense évidemment d'abord aux artistes. S'agissant des intermittents, le décret d'une année prolongeant leurs droits, promis par le Président de la République le 6 mai, n'est toujours pas paru.

Ce décret devrait également relever le plafond des heures d'enseignement artistique. Cette mesure est nécessaire pour permettre de participer aux vacances apprenantes et au dispositif 2S2C, que je souhaiterais voir demeurer exceptionnel. Je rappelle qu'il est pris sur le temps scolaire et a été pensé pour que le plus d'enfants possible puissent être accueillis après le 11 mai, faute de places suffisantes dans les écoles compte tenu des mesures sanitaires. Peu de collectivités l'ont mis en place du fait de la nécessité de financements complémentaires à la participation de l'Etat. Seules les collectivités qui en avaient les moyens ont pu l'organiser.

Pour ce qui est des artistes-auteurs, la situation est dramatique. Leur réalité professionnelle n'est toujours pas correctement prise en compte. Leur cas doit être traité de manière globale et non selon les disciplines artistiques.

Il convient également de faire en sorte que la clause de service fait puisse être totalement levée. Aucune circulaire expliquant les assouplissements apportés à cette clause depuis fin mars n'est jamais parue, et cela bloque le règlement des engagements annulés.

La crise actuelle révèle une nouvelle fois l'urgence à mettre en place le statut des artistes-auteurs. Aucun plan d'urgence ou de relance ne peut être aujourd'hui efficace s'il ne les concerne pas.

S'agissant de la relance, nous avons identifié trois enjeux principaux.

Il est en premier lieu urgent de donner davantage de visibilité au monde de la culture. À la différence d'autres activités culturelles, pour lesquelles le ministère de la culture a publié des guides de recommandations pour la reprise d'activité, il n'y a toujours pas de guide ni de circulaire concernant les règles d'organisation des festivals qui, en dessous de 5 000 personnes, sont laissées à la discrétion des collectivités et des préfets. Beaucoup se posent la question de savoir s'ils peuvent réunir 200, 300, voire 1 000 personnes. En l'absence de recommandations, la responsabilité est reportée sur les organisateurs, les collectivités, et les inégalités entre territoires vont s'accentuer.

Des clarifications rapides sont également nécessaires concernant les conditions de réouverture des établissements et d'autorisation de manifestations à compter de septembre prochain. Beaucoup de structures sont en train de revoir leur programmation, mais l'exercice est très délicat face à un tel flou. Certains festivals doivent avoir lieu, comme les Trans Musicales en décembre prochain. On ne sait si on peut les organiser. Or les organisateurs ont besoin d'être informés au minimum deux mois à l'avance. Il est essentiel que le ministre apporte de la visibilité au plus tard début juillet. Au-delà de cette date, leur modèle économique peut être très fragilisé.

Autre enjeu : le retour du public. Le ministère peut appuyer les démarches des établissements pour rassurer les participants, via l'adoption de chartes de bonnes pratiques ou la création d'un pictogramme national pour les établissements qui respectent les exigences sanitaires.

Je n'insiste pas sur la nécessité de transposer rapidement la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA) ni sur la demande du Président de la République de voir les établissements se « réinventer ».

Troisième enjeu : le soutien de l'Etat à la relance. Nous nous interrogeons sur le niveau et les modalités de l'accompagnement par l'État des acteurs culturels afin de faire évoluer les modèles. Le plan prévu par le PLFR3 est insuffisant. Il ne répond pas à beaucoup des demandes présentées par les différents secteurs comme l'accompagnement dans la mise en place des mesures sanitaires, ou la compensation des surcoûts et des pertes de billetterie qui en découlent. Aucune piste n'a été esquissée pour renforcer le soutien aux arts visuels (sanctions en cas de non-respect du dispositif du 1 % artistique, exonération de TVA à l'importation pour les oeuvres produites à l'étranger par des artistes français), au spectacle vivant (élargissement du crédit d'impôt pour le spectacle vivant) ou aux festivals (assouplissement de la circulaire Collomb sur les questions de sécurité). Le PLFR3, alors qu'il va traiter du tourisme, a oublié la culture !

Pendant ce temps, le Pass culture continue d'être déployé. Nous exigeons une évaluation des résultats qualitatifs de cette politique d'ici à la fin de l'année pour pouvoir fonder notre jugement sur un certain nombre d'éléments objectivés.

Quant au fonds de soutien spécifique en faveur des festivals, qui constituait une promesse du Gouvernement après le discours du Président de la République du 6 mai, il n'apparaît nulle part. Ses crédits pourront difficilement être pris sur les 50 millions d'euros promis au Centre national de la musique (CNM), dans la mesure où confier la gestion de ce fonds à ce seul opérateur conduirait à laisser de côté tous les festivals qui ne sont pas musicaux.

Une cellule d'accompagnement a été créée pour soutenir les festivals dans le contexte de la crise sanitaire. Nous avons auditionné son représentant, Bertrand Munin, mais il faudrait que son fonctionnement soit pérennisé. L'Etat doit améliorer ses connaissances sur les festivals, leurs retombées économiques. Il doit renforcer sa politique dans leur direction et cela justifierait de mettre en place une véritable démarche interministérielle.

Enfin, s'agissant de la compétence culturelle, la gestion de la crise sanitaire a mis en lumière la nécessité de développer le dialogue entre les différents acteurs de la culture. De vraies faiblesses sont apparues en matière de concertation. Des décisions ont été prises sans en informer les acteurs, qui ont découvert certaines mesures. Les collectivités ont par ailleurs souvent été mises au pied du mur et les petits festivals se retrouvent démunis.

Les collectivités territoriales ont cependant joué une nouvelle fois le rôle de partenaire de l'État en matière culturelle, aux côtés des acteurs du secteur. Beaucoup de régions ont annoncé la mise en place de plans de relance pour la culture, ce qui pose la question de la poursuite en 2021 des assouplissements à la règle du Pacte de Cahors. Malgré cela, les collectivités n'ont pas été associées à la définition du cadre pour la reprise de l'activité ou du plan de relance de l'État, ce qui montre la nécessité d'accroître le dialogue entre l'État et les collectivités.

Nous sommes un peu circonspects pour ce qui concerne la question des conseils des territoires pour la culture (CTC) déclinés au niveau régional pendant la crise. Nous ne sommes pas certains qu'ils se soient montré très efficaces dans le contexte actuel. Nous souhaiterions que leur composition évolue ou que les commissions culture des conférences territoriales de l'action publique pour la culture ou toutes autres instances territoriales puissent continuer à travailler parallèlement au plus près de ce secteur, en tout cas, pour celles qui fonctionnaient correctement jusqu'ici.

Cela permettra d'être plus réactif. Les acteurs culturels ont aujourd'hui deux craintes : d'une part, celle d'une décentralisation complète des politiques culturelles. Prenons toutefois garde que les collectivités ne prennent la décision de décentraliser dans le cadre de la prochaine loi 3D. Une vision globale est nécessaire. La Bretagne, par exemple, souhaite s'investir davantage en matière culturelle, mais cela doit se faire en concertation avec les services déconcentrés de l'État.

Leur seconde crainte, c'est que la crise sanitaire n'amène certaines municipalités, métropoles régionales ou communautés de communes à réduire les aides à la culture. L'effet domino serait terrible. Il faut demeurer vigilant à ce sujet. C'est ce qui nous conduit à plaider en faveur d'une relance rapide des pactes culturels.

La crise a enfin fait apparaître le besoin d'une plus large concertation avec les acteurs du secteur. J'attire également votre attention sur les arts visuels. La filière est peu structurée. Le Conseil national des professions des arts visuels (CNPAV) n'a pas les moyens de fonctionner. C'est un secteur extrêmement fragilisé. Il faut vraiment progresser sur ces sujets.

Les opérateurs nationaux comme le CNM ou le Centre national des arts plastiques (CNAP) doivent disposer de ressources suffisantes et pourquoi pas, dans le cas du CNM en particulier, même de nouvelles ressources pour poursuivre leurs missions une fois la crise passée.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Voici un panorama extrêmement complet de la situation, et sans complaisance. J'apprécie le caractère très pointu de votre analyse et de l'état de lieux.

La parole est aux membres du groupe de travail.

Mme Sonia de la Provôté. - Je souscris totalement à ce rapport et à son ton direct.

On constate aujourd'hui un certain décalage entre la lenteur du ministère et l'angoisse croissante des acteurs sur le terrain. Même si le monde de la culture a bénéficié d'annonces du Président de la République le 6 mai, il y a encore peu de traduction concrète : les intermittents attendent toujours la parution du décret, la circulaire sur la clause du service fait n'a jamais été transmise et le PLFR3 comporte, somme toute, peu de mesures concernant la culture.

Heureusement, il y a les collectivités territoriales, tous échelons confondus, qui se sont engagées, se sont efforcées de maintenir leurs contributions et ont réuni les acteurs aux niveaux régional, départemental, intercommunal ou municipal. Il n'en reste pas moins que seul l'Etat peut fixer le cadre général et c'est pourquoi ses clarifications sont si attendues. Même si elle génère de la complexité, la compétence partagée est essentielle pour permettre à chacun de contribuer aux actions culturelles et d'accompagner les acteurs de la culture. C'est un enseignement de cette crise. D'où l'importance de la contractualisation entre les collectivités publiques pour apporter de la visibilité aux acteurs de terrain, qui en manquent cruellement.

En matière d'éducation artistique et culturelle (EAC), il est clair que les artistes ne sont pas des animateurs. Au demeurant, si la crise peut nous donner l'occasion de renforcer l'EAC, sous réserve que les artistes y occupent la place qui doit être la leur, ce peut être une bonne chose pour l'accès à la culture et pour mieux faire vivre la culture dans tous les territoires.

Mme Françoise Laborde . - Il existe une certaine complémentarité entre le rapport que je vous ai présenté il y a déjà quelques temps et celui-ci.

Je n'en dirai pas beaucoup plus que Sonia de la Provôté. Un certain nombre de promesses ont été faites au monde de la culture et à ses acteurs. Il est grand temps de les concrétiser.

Jean-Raymond Hugonet reviendra certainement sur le Pass culture. Avec la fermeture des établissements culturels pendant la crise, ses dépenses ont été moindres que programmés. Peut-être pourrait-on dégager une certaine somme, dans le PLFR3, au profit des acteurs culturels ?

En tout cas, la crise aura montré les vertus de la compétence partagée, au regard des nombreuses sollicitations dont ont fait l'objet les collectivités territoriales. Elles jouent un rôle essentiel en matière culturelle.

Je n'ai pas l'habitude de mélanger tourisme et culture, mais reconnaissons que l'annulation des festivals d'été sera un frein à la reprise du secteur touristique. Espérons que le Gouvernement en ait suffisamment conscience pour clarifier rapidement le cadre applicable à l'organisation des festivals.

Je partage toutes les préconisations de ce rapport et j'espère, même s'il n'est pas tendre, que le ministère les entendra, pour le plus grand bénéfice des artistes et de toute la filière.

M. Jean-Raymond Hugonet . - C'est comme si le Pass culture n'avait jamais autant progressé que durant la crise sanitaire. Compte tenu du haut niveau de sa dotation dans la loi de finances pour 2020, nous avions invité le ministre, lors de son audition le 16 avril, à transférer une partie de ses crédits pour soutenir le secteur culturel. Mais nous nous sommes vus opposer une fin de non-recevoir. Il est clair que le Pass culture constitue toujours une priorité présidentielle.

Damien Cuier, président de la société par action simplifiée qui encadre le Pass culture, nous a communiqué des informations au cours de son audition, et devrait prochainement ouvrir aux membres du groupe de travail un accès à l'application pour que nous puissions nous familiariser avec son contenu et son fonctionnement. Nous essaierons de vous tenir informés le plus souvent possible, de même que si de nouveaux élargissements de l'expérimentation devaient être décidés.

S'agissant des festivals, je dois dire que nous avons été saisis par le manque de connaissances précises du ministère en ce domaine. Personne ne sait véritablement combien notre pays en compte chaque année. J'espère que la « cellule festivals » mise en place à l'occasion de la crise sanitaire continuera à fonctionner une fois celle-ci écartée.

Je remercie Sylvie Robert d'avoir animé ce groupe. Nous avons auditionné nombre de responsables. Ce travail a été particulièrement intéressant. C'est pourquoi ce rapport est conséquent et sans concession.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La parole est aux commissaires.

M. Pierre Ouzoulias. - Merci à Sylvie Robert et ses collègues pour la qualité de leur travail. Cela fait plusieurs fois, notamment au moment de la discussion budgétaire, que nous considérons unanimement que l'État n'a pas plus de doctrine en matière culturelle qu'en matière de relations avec les collectivités territoriales.

Malheureusement, la pandémie dans laquelle nous nous trouvons encore a exacerbé ce défaut de gestion du ministère de la culture. Cette compétence est aujourd'hui majoritairement exercée par les collectivités. Il est important que la commission de la culture du Sénat fasse prendre conscience à tous les acteurs qu'il faut faire évoluer le mode de relations entre l'État et les collectivités. L'État doit absolument aider ces dernières à préserver un réseau essentiel qui se trouve dans une situation dramatique.

Il faut que l'État fasse confiance aux collectivités et à leur capacité de relance de ce réseau. Malheureusement, la politique de transferts de charges et de compétences vers les collectivités se poursuit. Elle n'est ni raisonnée ni négociée. Je pense notamment au dispositif 2S2C. Ainsi, le rectorat de Versailles a informé les maires des Hauts-de-Seine qu'il faudra le pérenniser sans financement à partir de la rentrée de septembre, ce qui n'est absolument pas envisageable pour des raisons financières et d'organisation.

S'agissant du Pass culture, le département des Hauts-de-Seine a mis en place de façon très judicieuse un Pass culture qui repose essentiellement sur des réseaux déjà disponibles. Le département met maintenant à disposition des collégiens, jusqu'à l'âge de dix-huit ans, une somme qui leur permet d'aller vers les acteurs locaux et départementaux de la culture, ce qui me semble bien plus sain que le système national. Les Hauts-de-Seine, en raison de la sous-utilisation des crédits en 2020 liée à la fermeture des établissements à cause de la pandémie, les reportera intégralement sur 2021, ce qui permettra de relancer l'activité des acteurs locaux.

Je propose donc que l'argent consacré au Pass culture permette d'aider des départements comme la Vendée ou les Pays-de-Loire, par exemple, à financer leur dispositif, qui fonctionne et qui constitue un outil extrêmement utile pour permettre aux structures et aux réseaux locaux de se relancer après la crise. Ceci permettra de soutenir les collectivités et les opérateurs culturels locaux et pourrait constituer une nouvelle forme d'organisation de la culture en France.

M. Laurent Lafon. - J'adresse mes félicitations à Sylvie Robert et à l'ensemble du groupe pour ce rapport. Ce secteur est en grande difficulté depuis la crise sanitaire, il faut le dire.

Je formulerai cependant une remarque à propos du système 2S2C. Certes, il a été mis en place en urgence. Il est donc très perfectible. En revanche, je ne suis pas pour le rejeter de manière totale et définitive, notamment par rapport au monde de la culture. Il ouvre en effet des passerelles entre l'école et le milieu culturel. Dans une période où ce dernier a besoin d'ouverture, ce n'est pas inintéressant. Il n'est pas non plus mauvais pour l'école de décloisonner les intervenants, en particulier s'agissant du monde de la culture.

Je ne me fais pas un défenseur à tout prix de ce système, mais je ne suis pas sûr qu'il y ait intérêt à rejeter l'idée de passerelle entre la culture et le monde scolaire.

M. Jean-Pierre Leleux. - L'objectif du groupe de travail est de mettre en oeuvre un certain nombre de mesures. Or l'examen nous démontre que le secteur culturel et celui de la création n'ont rien à voir avec les autres enjeux économiques du territoire. On a en effet affaire à des acteurs extrêmement divers. Il est donc très difficile de proposer des mesures généralistes dans un tel domaine. Je me demande donc s'il ne faut pas avoir une approche différenciée pour être juste et équitable.

Par ailleurs, le ministère de la culture est devenu, au fil des années, un guichet de soutien ponctuel qui saupoudre des aides multiples sans doctrine affirmée. Que fait-on pour le rayonnement culturel de la France ? Je ne dis pas que les aides sont inutiles, mais la distribution au coup par coup, avec des lobbies qui s'enchevêtrent, me paraît une voie complexe et injuste, sans ligne directrice.

M. Stéphane Piednoir . - Je félicite le groupe de travail, qui est cependant assez peu paritaire : Jean-Raymond Hugonet m'a semblé bien seul au milieu de ce collectif féminin très efficace !

Ma question concerne la presse gratuite d'information culturelle. J'ai été sollicité dans mon département par une douzaine de collectifs à ce sujet. La fermeture des salles de spectacles, l'annulation des festivals et l'arrêt quasi-total de l'activité culturelle et événementielle les a contraints à suspendre leur propre activité. Cela fait partie de l'effet domino que Sylvie Robert évoquait dans sa présentation. C'est pourtant un maillon essentiel de la chaîne. Y a-t-il une préconisation pour prolonger le chômage partiel dans ce secteur ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le domaine de la presse ne concerne pas vraiment le groupe de travail « Création ». Vous pourrez interroger Michel Laugier sur ce point.

La parole est à la rapporteure.

Mme Sylvie Robert . - On ne peut dire que le dispositif 2S2C ne bénéficie pas aux artistes. Mais, il a été mis en place dans un contexte particulier qui suppose l'intervention des collectivités sur le temps scolaire, ce qui constitue un vrai sujet en matière de rupture d'égalité territoriale. Toutes les collectivités ne peuvent l'assumer. Il y a une remise en cause de la mission régalienne du ministère de l'éducation nationale, ce qui pose, à mon sens, question en matière de transmission des connaissances.

Par ailleurs, il fait concurrence aux projets d'éducation artistique et culturelle (EAC), qui ont été brutalement arrêtés. Les artistes se sont retrouvés avec des contrats gelés. Il en va de même de l'éducation physique et sportive. Ce dispositif n'a donc pas vocation à être pérennisé car il est intervenu dans un contexte exceptionnel et pose une question de fond par rapport aux collectivités territoriales. Seules les collectivités qui ont les ressources internes suffisantes ont pu le mettre en place. Ma ville en fait partie. C'est un débat qu'il faudra avoir.

S'agissant du rôle de l'État, je pense que la loi 3D sera pour nous un bon moyen de traiter de la subsidiarité dans un contexte décentralisé plus poussé. Je partage le point de vue de Jean-Pierre Leleux à ce sujet.

Enfin, on verra comment les choses évoluent concernant le Pass culture. On ne peut adapter tous les dispositifs à chaque secteur. La présidente posait la question des 50 millions d'euros qui ont été attribués au CNM. Je ne puis vous dire où ils vont aller. Le Centre national du livre (CNL) et le CNAP sont en train de revoir leurs modalités d'intervention. Il serait intéressant d'étudier la façon dont ils ont revu leur dispositif. C'est un secteur fragile, à haute valeur ajoutée. Je suis étonnée qu'il soit délaissé.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Nous avions demandé au ministre de l'éducation nationale de veiller à ce que les artistes intervenant dans le cadre de l'EAC soient rémunérés. Avez-vous pu obtenir des précisions à ce sujet ?

Mme Sylvie Robert . - L'éducation nationale n'a rien réglé.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Le ministère de la culture a pourtant demandé qu'on y veille au début du confinement. Il a lui-même versé les subventions qui devaient l'être et réglé tous les services, même s'ils n'étaient pas accomplis.

Mme Sylvie Robert . - C'est ce qui justifie ma critique du dispositif 2S2C.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - L'État a fait des choses pour la culture comparé à ce qu'il fait pour le sport depuis le début de la crise. L'année blanche pour les intermittents ce n'est pas rien si le décret paraît. En Europe, c'est un système assez exceptionnel que celui de l'intermittence, qui permet d'assurer la vie de 60 % d'artistes et de 40 % de techniciens.

Nous avons, avec la commission des affaires sociales, aidé à rédiger l'amendement permettant l'inscription de cette prolongation dans la loi d'urgence.

50 millions d'euros sont attribués au CNM, même si on ne connaît pas les critères de répartition, et le plan librairie qui a été annoncé paraît plutôt ambitieux, mais le ministère a continué à fonctionner de façon verticale, en accordant un pouvoir discrétionnaire aux seuls préfets. Le ministre n'a pas engagé de mouvement de coordination. Le CTC a mis plus de trois mois à se réunir dans ma région, et encore pour une simple réunion d'information qui s'est révélée très formelle et n'a débouché sur aucun grand axe. Il pouvait constituer un outil à la main des préfets pour organiser la concertation et l'articulation des fonds d'urgence des différentes collectivités. L'État avait l'occasion de reprendre la main sur ces sujets, d'autant que je crois que les collectivités territoriales ont encore besoin de maturité avant de pouvoir animer la compétence partagée.

Les conférences territoriales de l'action publique (CTAP) ne fonctionnent pas partout. S'il n'existe pas un certain volontarisme, elles ont du mal à se mettre en place. Les collectivités n'y trouvent pas toujours le bon outil pour articuler leurs politiques publiques, certaines étant parfois jalouses de leurs prérogatives. L'État peut donc encore conserver un rôle de coordination, d'animation et d'impulsion, dans un cadre général qui peut être débattu avec les collectivités, qui continuent à apporter un financement à hauteur des deux tiers.

Sylvie Robert l'a dit, toutes les collectivités ont très rapidement mis en place un fonds d'urgence. Dans ma région, c'est le président qui a réuni tous les acteurs culturels. Si les collectivités territoriales n'avaient pas été là, les choses n'auraient pas été aussi simples.

Certains secteurs ont été par ailleurs totalement abandonnés. Sonia de la Provôté a rappelé la question des enseignements artistiques et des conservatoires. L'État garde la compétence sur la délivrance des diplômes, les cursus, la formation des enseignants, etc. Ce sont des établissements qui, comme les établissements scolaires, organisent chaque année des examens. Il aurait fallu avoir un vade-mecum des reports.

Frank Riester nous a affirmé que cela relevait des collectivités territoriales. Celles-ci estiment que c'est la responsabilité des ministères concernés du fait des protocoles qui doivent être mis en place. Quant aux associations de directeurs de ces établissements, elles pensent qu'elles ont été totalement abandonnées, ce qui n'est pas sans poser un réel problème.

Je remercie le groupe de travail d'avoir mis en avant la particularité des arts visuels, complètement délaissés. Le fonds dédié est ridiculement bas. C'est un secteur en souffrance, pour lequel il faut trouver une organisation pour structurer la filière dans les régions. Pourquoi ne pas confier aux fonds régionaux d'art contemporain (FRAC) de nouvelle génération le soin de jouer le rôle d'animateurs ?

Quant aux auteurs indépendants, ils estiment être les laissés pour compte de la crise. Il faut avancer sur la définition d'un statut social pour ces artistes.

Les mesures de chômage à temps partiel ne sont toujours pas débloquées dans les EPCC. J'avais adressé un courrier au Premier ministre à ce sujet. On nous dit qu'un fonds compensatoire sera créé. Il nous faudra le vérifier. Ces établissements tiennent le choc parce que les collectivités et l'État ont maintenu leurs subventions, mais que se passera-t-il au moment de la relance si les recettes de billetterie continuent à ne pas être au rendez-vous ?

Ces établissements sont extrêmement importants. C'est d'eux que dépend tout le maillage territorial des plus petits ensembles qui travaillent autour de ces différentes structures.

Il va falloir suivre les choses d'extrêmement près, en lien avec les grandes associations d'élus et les collectivités, qui sont en grande difficulté financière avec la hausse de leurs dépenses conjuguée à une baisse de leurs recettes.

La parole est à présent à Alain Schmitz concernant le groupe de travail relatif au secteur du patrimoine.

M. Alain Schmitz . - Madame la présidente, mes chers collègues, la presse s'en est assez peu fait l'écho ces dernières semaines, mais le secteur des patrimoines a été terriblement affecté par la crise sanitaire. Les personnes que Catherine Dumas, Jean-Pierre Leleux, Marie-Pierre Monier, Sonia de la Provôté, Dominique Vérien et moi-même avons entendues au cours des dernières semaines ont dressé un constat accablant de la situation.

Si le secteur des patrimoines n'était pas inclus dans le plan de relance - pire, si le patrimoine devait servir de variable d'ajustement dans les prochaines semaines pour faciliter le financement des besoins qui se font jour dans tous les domaines -, alors les difficultés actuelles pourraient muter en une crise profonde et durable.

Les mesures d'urgence mises en place par le Gouvernement ont permis d'atténuer l'impact économique à court terme de la crise s'agissant de la protection du patrimoine, mais la reprise de l'activité des entreprises de restauration des monuments historiques reste balbutiante. Les mesures de protection sanitaire qui doivent être mises en place ralentissent les chantiers et en renchérissent les coûts. L'activité perdue pourra difficilement être rattrapée. Les perspectives d'activité d'ici la fin de l'année sont réduites, compte tenu des retards pris dans la délivrance des autorisations d'urbanisme pendant la période de confinement et de l'absence d'ouverture du moindre appel d'offres depuis la mi-mars.

À cela s'ajoute le contexte électoral, qui ralentit les projets des collectivités quand il n'entraîne pas l'abandon de projets programmés par les équipes précédentes, ainsi que la situation financière des propriétaires privés, qui n'ont pas pu dégager de recettes en raison de la fermeture des monuments au public.

Dans ce contexte, des faillites d'entreprises de restauration de monuments historiques, déjà fragiles à la base, ne sont pas à exclure d'ici la fin 2020 ou le courant 2021, avec des répercussions inévitables sur l'activité, l'emploi et le maintien des savoir-faire.

S'agissant des musées, nous nous sommes intéressés à la situation des opérateurs - je fais ici référence à des établissements comme la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, le château de Versailles, le musée Picasso, le musée du Louvre, le Centre des monuments nationaux ou le musée d'Orsay. Ils n'ont pas été épargnés par la crise sanitaire, tant s'en faut.

La demande répétée de l'État au cours des dernières années en faveur d'une augmentation de leurs ressources propres les a rendus particulièrement vulnérables face à l'arrêt de leurs activités. Tous les établissements que je viens de vous citer ont un budget majoritairement constitué par leurs ressources propres, certains allant jusqu'à 80 %.

Malgré la reprise progressive de leurs activités, les opérateurs continueront à accumuler les pertes dans les mois à venir en raison, d'une part, d'une moindre fréquentation et, d'autre part, d'une baisse très probable des recettes liées au mécénat. Même si leur survie n'est pas directement menacée, les pertes des opérateurs d'ici la fin de l'année sont évaluées à 400 millions d'euros.

Vous en conviendrez, cet état des lieux n'est guère réjouissant et des mesures complémentaires s'imposent. Mes collègues du groupe de travail et moi-même sommes convaincus que le patrimoine doit constituer l'un des axes du plan de relance.

On néglige trop souvent cette dimension, mais c'est d'abord un enjeu économique, car les patrimoines sont bien une filière économique à part entière. Ce secteur, qui pesait 1,4 % du PIB avant la crise, est essentiel au dynamisme économique et à l'attractivité de nos territoires. Il constitue un atout déterminant pour accroître le potentiel de développement touristique de notre pays.

Au-delà, le patrimoine est également un marqueur important de l'identité collective de la France, un objet de fierté et un trait d'union entre les Français. Il peut et doit donc être mobilisé pour répondre à la crise de confiance et à la perte de repères suscitée par la crise sanitaire actuelle.

Nous nous sommes efforcés de construire des propositions équilibrées et raisonnables au regard des fortes sollicitations dont nos finances publiques font déjà aujourd'hui l'objet. Pour le reste, vous verrez que beaucoup de nos préconisations correspondent en fait à des recommandations formulées de longue date par notre commission, la crise sanitaire n'ayant fait qu'exacerber les difficultés rencontrées par ce secteur.

Nous formulons quatre propositions en matière budgétaire.

Nous demandons en premier lieu que les financements prévus en 2020 soient maintenus. Ils sont essentiels pour ce secteur, qui a déjà subi de plein fouet la disparition de la réserve parlementaire en 2017. Autrement dit, pas de coup de rabot sur les crédits du programme 175. L'engagement pris par le Gouvernement en 2017 de sanctuariser les crédits destinés au patrimoine monumental tout au long du quinquennat dans le cadre de sa stratégie pluriannuelle en faveur du patrimoine ne doit pas être rompu. Les besoins de restauration restent importants : 23 % des monuments historiques sont en péril ou en mauvais état.

Deuxième proposition : pérenniser le loto du patrimoine ou, à tout le moins, reconduire ce dispositif pour une nouvelle période de trois ans, la convention actuelle n'allant pas en l'état au-delà de 2020.

Au regard de l'ampleur des besoins du secteur du patrimoine, nous nous permettons d'insister une nouvelle fois sur le fait qu'il est important que l'État renonce définitivement aux taxes qu'il perçoit sur le tirage et les jeux de grattage afin de les réinjecter dans la protection du patrimoine.

Troisième proposition : reporter à l'exercice 2022 l'entrée en vigueur des dispositions réduisant l'incitation au mécénat pour les grandes entreprises.

Les TPE et PME vont difficilement pouvoir maintenir le niveau de leur engagement en faveur de la culture compte tenu de l'impact de la crise. Autant éviter de freiner la générosité des grandes entreprises dans le contexte actuel, tant les financements privés sont devenus ces dernières années essentiels à la réalisation des actions de protection du patrimoine et des projets des établissements patrimoniaux.

Enfin, nous demandons la compensation au moins partielle des pertes des opérateurs dans le PLF pour 2021. Les réserves de trésorerie des opérateurs ne sont pas suffisantes pour leur permettre d'absorber les pertes enregistrées. Si nous voulons éviter que notre pays perde sa position de leader dans le domaine culturel, l'État devra nécessairement venir en renfort de ces établissements pour leur permettre de continuer à se renouveler et à se moderniser afin de répondre aux attentes des publics.

Il faudra aussi prêter une attention particulière aux budgets d'acquisition et amplifier la politique de circulation des oeuvres sur le territoire national, le prêt d'oeuvres au niveau international étant actuellement délicat.

Pour autant, les établissements doivent faire face à leurs responsabilités et poursuivre leurs efforts pour réduire les coûts de fonctionnement et examiner de quelle manière ils pourraient faire évoluer leur modèle de financement.

Nous formulons par ailleurs plusieurs propositions pour accroître le soutien à la filière de la restauration de patrimoine dans la seconde partie de l'année. Cette filière souffre, et la consommation des crédits inscrits en loi de finances pour 2020 en faveur du patrimoine monumental accuse des retards significatifs par rapport aux années précédentes.

Nous réclamons de faire en sorte que les crédits 2020 puissent être intégralement consommés de la manière la plus efficiente possible pour soutenir les entreprises de restauration des monuments historiques.

Le ministère de la culture affiche clairement sa volonté d'accélérer le rythme de consommation des crédits d'ici la fin de l'année, mais envisage de redéployer les crédits entre les DRAC pour financer la restauration de certaines cathédrales ou de transférer une partie des crédits déconcentrés vers les opérateurs nationaux comme Versailles, le Centre des monuments nationaux, le Louvre, etc., afin de financer des grandes opérations reportées jusqu'ici faute de financements. Bref, il devrait principalement s'agir de gros chantiers, géographiquement localisés.

Notre groupe de travail croit qu'il existe une autre manière de consommer les crédits pour maximiser les retombées, à la fois, pour les entreprises de restauration du patrimoine dans leur ensemble et pour tous les territoires. Il s'agit de privilégier les opérations portant sur des monuments historiques n'appartenant pas à l'État mais à des propriétaires privés, car les collectivités territoriales rencontreront sans doute des difficultés pour lancer beaucoup d'opérations d'ici la fin de l'année.

En effet, le soutien de l'État à ces opérations crée un effet de levier et génère plus d'activités et de chiffre d'affaires pour les entreprises, dans la mesure où des subventions des collectivités territoriales, des aides d'associations de sauvegarde du patrimoine et une prise en charge des travaux par les propriétaires privés viennent s'ajouter aux crédits de l'État.

Comment faire en sorte que de telles opérations soient lancées d'ici la fin de l'année ? D'abord en mobilisant les DRAC pour qu'elles fassent le tour des collectivités territoriales et des propriétaires privés afin d'identifier les chantiers qui pourraient être rapidement lancés. Ensuite en simplifiant certaines démarches administratives pour garantir que les projets puissent démarrer le plus rapidement possible, par exemple en accélérant le temps d'instruction des demandes d'urbanisme. Enfin en mettant en place différents mécanismes incitatifs.

Nous suggérons notamment d'appliquer pour une période limitée des assouplissements afin d'entreprendre un maximum d'opérations d'ici là. Nous plaidons en particulier pour l'augmentation du taux de subvention de l'État sur les immeubles protégés au titre des monuments historiques, le relèvement du plafond maximal de subvention concernant les monuments inscrits, l'augmentation de la part des crédits alloués aux monuments appartenant à des propriétaires privés parmi les crédits destinés aux monuments qui n'appartiennent pas à l'État, l'inclusion des surcoûts de chantiers causés par les contraintes sanitaires dans le montant total de la dépense utilisé pour calculer le montant de la subvention de l'État. Les surcoûts de chantier peuvent renchérir aujourd'hui le coût du chantier de 15 % à 20 %.

Plusieurs évolutions que notre commission défend régulièrement pourraient également contribuer à la relance de l'activité et mériteraient d'être rapidement mises en place. Elles sont au nombre de trois.

Il s'agit premièrement de l'élargissement du champ géographique du label de la Fondation du patrimoine à l'ensemble des immeubles situés dans des communes de moins de 20 000 habitants, que le Sénat avait voté dans le cadre de la proposition de loi de notre collègue Dominique Vérien. Cette proposition de loi n'étant toujours pas adoptée, pourquoi ne pas saisir l'opportunité du PLFR 3 pour l'entériner, puisque nos collègues députés y sont, eux aussi, favorables ?

La deuxième évolution concerne l'augmentation de la part des crédits consacrés chaque année à l'entretien des monuments historiques, dans la mesure où les travaux d'entretien sont des chantiers dont le lancement est à la fois plus facile et rapide, puisqu'ils ne nécessitent pas d'autorisation préalable. La crise sanitaire n'est-elle pas une occasion de lancer enfin une expérimentation en la matière ?

Troisième évolution : que les services de l'État fournissent une véritable assistance à la maîtrise d'ouvrage (AMO) dans toutes les régions. Nous ne nions pas que cette proposition représente un coût important, puisqu'elle exige de procéder à des recrutements de personnel, mais ce coût nous paraît proportionné à l'impératif de relance de l'activité et à l'enjeu de la préservation du patrimoine dans la durée.

Le manque d'ingénierie des petites communes et des propriétaires privés freine trop souvent la réalisation de nombreux projets. Il paraît difficile de confier cette mission aux départements sans risquer de créer des inégalités territoriales.

L'accomplissement de cette mission par les architectes des bâtiments de France (ABF) pourrait permettre d'améliorer la qualité de leurs relations avec les élus locaux, problème qui nous tient beaucoup à coeur.

Nous formulons enfin une proposition d'ordre général, commune à l'ensemble du secteur des patrimoines : il s'agit de renforcer les liens entre culture et tourisme - Sylvie Robert a longuement insisté sur ce point -, en particulier d'accroître les interactions entre les deux ministères.

La dimension économique et touristique du patrimoine n'est en effet véritablement traitée par aucun d'eux. C'est un vrai problème, qui contribue largement à ce que le patrimoine soit davantage perçu comme un coût que comme une chance. Pourtant, à la veille des vacances d'été, la promotion du tourisme patrimonial comme alternative au tourisme balnéaire est essentielle pour venir en aide à ce secteur sinistré. Je me félicite à ce sujet de la campagne intitulée Cet été, je visite la France lancée dans les médias.

Voici, mes chers collègues, la synthèse des conclusions du groupe de travail sur les patrimoines. Pour ouvrir un peu notre horizon, pourquoi ne pas demander qu'une proportion même infime du plan de relance de l'Union européenne en réponse à la crise sanitaire serve à amorcer une véritable stratégie européenne en matière de patrimoine ?

Je vous remercie.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - La parole est aux membres du groupe de travail.

Mme Dominique Vérien. - Je remercie notre rapporteur, qui a très fidèlement reproduit la conclusion de nos débats, en particulier concernant l'AMO pour les communes. Je trouve intéressant de proposer que les ABF portent celle-ci afin que nous n'ayons pas à revivre ce que nous avons connu avec la loi ELAN. S'ils accompagnent les communes dans leurs projets, ils seront forcément mieux acceptés par les élus et deviendront pour eux de vrais partenaires. Ce sera mieux pour tout le monde.

En Bretagne, c'est la DRAC qui a la charge de cette question. Il est bon de s'inspirer de ce qui fonctionne. Dans cette région, les subventions ont été augmentées pour tenir compte des surcoûts liés aux mesures de protection contre le coronavirus.

Il est important que le plan de relance inclut le patrimoine. En 2008, celui qui avait été mis en place a ainsi permis de réaliser des travaux sur la tour sarrasine de Saint-Sauveur-en-Puisaye, qu'une commune de moins de mille habitants n'aurait jamais pu réaliser. Cela a également permis aux entreprises locales du patrimoine de travailler.

Je ne peux qu'être favorable au développement de la culture et du tourisme, puisque c'est là notre source de développement, qu'il s'agisse du patrimoine ou d'écrivains comme Colette, etc. La question reste de savoir si l'on place le tourisme dans la culture ou dans l'économie. Cela ne permet pas forcément la même dynamique, mais la disparition d'un festival est un drame économique. Il faut donc admettre que culture et économie vont de pair.

Enfin, merci d'avoir fait référence à la proposition de loi sur l'extension du label de la Fondation du patrimoine aux communes comptant jusqu'à 20 000 habitants. J'espère que nous pourrons l'obtenir. Il semblerait que nous en prenions le chemin. J'en serai très heureuse, car nous ne verrons pas cette proposition de loi revenir avant le mois d'octobre, et je ne sais si je serai encore sénatrice à cette date.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - J'ai envoyé la semaine dernière un courrier au président du Sénat pour lui demander d'inscrire cette proposition de loi avant la fin de la session extraordinaire.

Mme Marie-Pierre Monier . - Je remercie le groupe de travail pour ses travaux, et je tiens à souligner la concertation et l'écoute qui ont présidé à nos échanges.

Il ne faudrait pas que le secteur du patrimoine serve de variable d'ajustement à la suite de la crise que nous sommes en train de vivre. Il est impératif que ce domaine fasse partie du plan de relance. C'est le sens de ce rapport.

Le patrimoine n'est pas négligeable sur le plan économique. Ce secteur contribue directement à la qualité du cadre de vie des Français. La préservation des sites et des monuments permet l'éducation de la jeunesse et la transmission. Nous avons cependant quelques inquiétudes sur la suite, étant donné les temps compliqués que l'on va connaître.

Je souscris bien sûr aux propositions qui ont été faites. J'espère que nous aurons l'oreille du Gouvernement. Je suis très attachée à l'articulation entre tourisme et patrimoine pour relancer la saison estivale. Les acteurs du patrimoine ne sauraient être évincés du plan de soutien au tourisme. C'est tout le territoire qui est concerné. Il est important de ne pas le négliger.

Le loto du patrimoine a permis de souligner l'attachement que les Français éprouvent pour leurs monuments. J'aimerais qu'on n'ait pas à ferrailler chaque année au sujet des taxes que l'Etat perçoit sur ce jeu et que notre avis soit partagé au plus haut de l'État.

Mme Sonia de la Provôté . - Je souhaite rappeler que la question de l'entretien du patrimoine est un sujet important. Autant le plan de relance porte sur des questions d'investissement, autant la question de l'entretien reste un sujet prégnant dans le fonctionnement local, au travers d'une programmation en lien avec les ABF, dont un certain nombre serait enchanté de pouvoir réaliser un suivi régulier de l'état et anticiper les choses sur les plans technique et financier.

Les petites entreprises locales interviennent dans l'entretien du patrimoine. Si des programmations existaient, on pourrait les faire intervenir bien plus rapidement que sur les gros chantiers, où les contraintes administratives sont plus importantes.

Par ailleurs, la question du mécénat inquiète beaucoup. Il faut essayer d'obtenir le report de l'entrée en vigueur des nouvelles règles concernant le mécénat des grandes entreprises. Pour les propriétaires privés, le sujet va s'imposer. La part du patrimoine est importante dans la relance du BTP. Elle permet aux petites entreprises de ce secteur de survivre. Sans ces chantiers, ces entreprises n'auront pas de commande. Il faut bien avoir conscience de cette situation.

Enfin, concernant l'AMO, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales a auditionné récemment Stéphane Bern, dans le cadre du rapport que j'ai commis avec Michel Dagbert sur le patrimoine des communes. Stéphane Bern met lui aussi en évidence la carence de l'AMO, qui présente une grande fragilité. Depuis que l'État n'assure plus celle-ci, certains projets s'arrêtent en cours de route. Les maires ne peuvent jouer leur rôle dans le domaine patrimonial faute d'accompagnement, et on en paye les conséquences. C'est un sujet qu'il faut régler.

En Bretagne, c'est M. Masson, conservateur en chef des monuments historiques, qui a volontairement conservé cette compétence. C'est un cas unique en France. Tous les crédits de la région sont grâce à lui consommés.

M. Jean-Pierre Leleux . - Le débat démontre que ce groupe de travail a bien fonctionné.

Je veux insister sur l'importance que revêtirait, dans le cadre d'un plan de relance, la redynamisation des chantiers dans les territoires. Une des propositions du groupe de travail parmi les plus importantes pourrait être la sauvegarde des entreprises spécialisées dans le patrimoine et les mesures incitatives, qui flécheraient les crédits existants sur les monuments historiques inscrits ou classés appartenant aux collectivités territoriales et aux propriétaires privés, qui représentent pratiquement 95 % des monuments historiques. Il existe là des effets de levier majeur sur le plan culturel et sur celui de la préservation patrimoniale, mais également en matière de sauvegarde du monde économique spécialisé.

Je suggère, s'agissant du lien entre tourisme et patrimoine, une grande opération pilotée par l'État, avec le relais des DRAC, durant l'été : il s'agirait de trouver un chantier emblématique par département et d'organiser des journées portes ouvertes, sous le contrôle de l'État. Les entreprises spécialisées et les agents disposant d'un savoir-faire particulier pourraient expliquer au grand public le travail qu'ils font et l'intérêt que cela présente dans les territoires et les lieux touristiques.

J'insiste sur l'entretien des monuments historiques. Nous ne sommes guère mobilisés dans ce domaine, alors que d'autres pays, comme la Belgique ou l'Allemagne, bénéficient de dispositifs d'entretien. Quand on entretient bien un monument historique, on évite les coûts de restauration, bien plus élevés, qu'on aurait eu à financer sinon.

Je souscris à toutes ces propositions, et je félicite notre rapporteur.

J'ajoute, s'agissant de Notre-Dame de Paris, même si les problèmes de financement ne sont pas à l'ordre du jour, que la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture va se réunir le 9 juillet prochain pour rendre un avis. Nous avons demandé que celui-ci porte sur des propositions d'orientations architecturales.

Les architectes en chef des monuments historiques qui se sont penchés sur le sujet autour de Philippe Villeneuve vont faire des propositions sur plusieurs points, et la commission va devoir établir des recommandations notamment sur la charpente et la flèche de la cathédrale.

La commission est composée de personnalités très différentes. Le débat reste ouvert, mais la crise sanitaire a peut-être ramené le Président de la République à plus de sagesse en la matière.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le comité de suivi de la loi Notre-Dame a été installé cette semaine, à l'initiative de Vincent Éblé et de moi-même. Il s'est mis en place sous la présidence de Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Il se réunira tous les six mois. Le général Georgelin a insisté sur le fait qu'il faudra absolument recueillir l'avis de la Commission nationale de l'architecture et du patrimoine.

La parole est aux commissaires.

M. Pierre Ouzoulias. - Je remercie le rapporteur pour la qualité de sa présentation. Cette synthèse n'élude aucun domaine.

Je souhaiterais toutefois attirer votre attention sur l'INRAP, qui n'a quasiment pas travaillé durant la période de confinement et qui, comme tous les opérateurs de la culture, a vu ses recettes diminuer drastiquement. Elle sera, de l'avis de son président, en grande difficulté budgétaire à la rentrée de septembre.

Vous l'avez dit, la reprise des constructions va exercer une pression supplémentaire sur les opérateurs du patrimoine, et notamment sur l'INRAP. Il ne faudrait pas qu'un conflit naisse entre les collectivités porteuses des projets et l'INRAP, qui ne pourrait pas réaliser les opérations de fouilles faute de temps suffisant. Il faut y être attentif.

Patrick Devedjian, alors ministre du plan de relance 2008-2010, avait obtenu que l'INRAP se voie accorder des crédits, considérant qu'il fallait aider les opérateurs de l'archéologie à faire face aux demandes. Le patrimoine n'avait alors pas été oublié.

Ce n'est pas l'objectif de la loi de finances rectificative, mais on peut y parvenir à condition qu'il existe une volonté ministérielle forte.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le patrimoine regroupe beaucoup de PME, voire de grandes entreprises, et concerne donc l'économie. Le groupe de travail a-t-il évalué la participation des régions et des intercommunalités qui disposent de la compétence économique dans la mise en place des fonds d'urgence et d'accompagnement des entreprises en difficulté, en complément des dispositifs d'État ? Je pense aux artisans qui ont moins de deux employés. Ce qui a été fait en la matière mériterait d'être valorisé pour montrer que les collectivités territoriales ont joué pleinement leur rôle.

Par ailleurs, qu'en est-il des parcs et jardins qui ont dû fermer ? Avez-vous pu en tirer un bilan ?

Enfin, le patrimoine est très lié aux visites touristiques et concerne des métiers qui ne bénéficient pas du statut des intermittents du spectacle. Les guides conférenciers ont par exemple été touchés. Le groupe de travail a-t-il des éléments à ce sujet ?

M. Alain Schmitz . - Pour ce qui est de l'AMO, il s'agit en quelque sorte de réconcilier nos ABF avec les élus locaux. L'ABF n'est pas uniquement là pour défendre la doctrine du ministère de la culture. Il doit travailler main dans la main avec les élus. Les ABF détiennent un vrai savoir, qu'ils doivent transmettre à tous les élus locaux de façon constructive.

Je suis heureux de voir que Dominique Vérien, Marie-Pierre Monier et Sonia de la Provôté souhaitent travailler en étroite collaboration avec eux. La Bretagne est par ailleurs à l'honneur et nous montre l'exemple de ce qui doit être fait. La région a pris la décision d'intégrer le surcoût lié au coronavirus dans l'enveloppe globale de subventions allouées par l'État et s'est efforcée de relancer systématiquement les dossiers, tant concernant les collectivités territoriales que les particuliers.

Marie-Pierre Monier a souligné le rôle économique du patrimoine. Elle a rappelé que la filière représentait 8 milliards d'euros, soit 1,4 % du PIB, et a insisté sur le rôle que l'on devait avoir vis-à-vis de la jeunesse dans le cadre des visites des chantiers-écoles, qui permettent de susciter des vocations. Nous espérons que le chantier de Notre-Dame de Paris en sera un.

Un autre projet concerne la reconstruction de la flèche de la basilique de Saint-Denis. Beaucoup de pays nous envient ces vitrines de notre savoir-faire.

Sonia de la Provôté a mis l'accent sur la notion d'entretien. Cet entretien peut susciter beaucoup de travaux faciles à engager. La relance doit se faire par les DRAC. Je voudrais souligner que des départements sont très en pointe dans ce domaine, notamment les Yvelines, qui a lancé un carnet d'entretien des monuments historiques financé par le département. Celui-ci permet de connaître exactement l'état sanitaire des ouvrages et d'intervenir immédiatement si nécessaire, à un coût infiniment moindre.

L'écueil vient du fait que tous les départements ne sont pas logés à la même enseigne, faute de revenus. Certaines régions disposent en outre d'un grand nombre de monuments historiques. La Bretagne est en France la région qui en détient le plus. Cette notion d'entretien me semble donc importante. C'est là que la relance peut se faire le plus rapidement, Jean-Pierre Leleux a raison.

Par ailleurs, qui dit carnet d'entretien dit intervention des ABF. Ils seront donc tenus au courant et pourront établir une carte des travaux les plus urgents.

Jean-Pierre Leleux a insisté sur le fait qu'il est important de flécher les travaux des patrimoines appartenant aux collectivités territoriales et aux particuliers. Ces derniers ont parfois la possibilité d'engager des interventions. Il est important que l'État augmente le montant de ses participations. Actuellement, le taux de subvention de l'Etat s'établit en moyenne à 15 % pour les monuments inscrits et à 40 % pour les monuments classés. Nous souhaiterions qu'il puisse être porté, de façon très temporaire, a minima à 40 % pour les monuments inscrits et à 60 % voire 80 % pour les monuments classés, comme dans le cadre des opérations financées par le fonds incitatif et partenarial. Ces assouplissements pourraient débloquer des dossiers. Il faudrait faire valoir auprès des particuliers qu'il s'agit d'une opportunité unique et limitée dans le temps, afin d'inciter les uns et les autres à engager les travaux.

J'avais dit que le calendrier électoral était malheureusement venu se surajouter à la crise sanitaire : absence d'appels d'offres et de marchés publics, remise en cause d'opérations, même primées par le loto du patrimoine. Des maires nouvellement élus ont indiqué avoir d'autres priorités. À terme, il s'agit d'une remise en cause du mécénat fléché vers le patrimoine. Peut-être ira-t-il désormais plus facilement vers la recherche médicale, le social et moins vers le culturel.

Je rejoins la suggestion de Jean-Pierre Leleux d'un grand chantier emblématique à l'initiative des DRAC, qui permettrait de réaliser des chantiers-écoles afin de faire connaître les métiers du patrimoine. Il faudrait voir comment susciter l'intérêt du ministère de la culture pour lancer un chantier témoin.

Pierre Ouzoulias a raison : nous aurions dû penser à l'INRAP. Il est important que les opérateurs de l'archéologie ne soient pas oubliés. Merci de l'avoir rappelé. Nous aurions pu les auditionner, ce que nous n'avons pas fait. Dont acte.

Madame la présidente, vous avez soulevé plusieurs questions.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, les TPE et les PME sont celles qui ont le mieux résisté. Elles n'ont en effet pas eu les mêmes contraintes sanitaires que les grandes entreprises, qui ont pour la plupart suspendu les travaux. En revanche, les TPE d'une ou deux personnes ont pu continuer à travailler, même si cela ne signifie pas que leur état de santé soit bon.

Les parcs et jardins ont bien entendu été touchés par le défaut de billetterie. Les jardins remarquables, dont c'est la seule ressource, ont été encore plus impactés que les autres. Il en va de même des guides conférenciers. Certains journaux nationaux s'en sont fait l'écho. Ils n'ont pas été aidés. Ce sont souvent des professions libérales. Les offices de tourisme n'ayant pas fonctionné, ils se sont retrouvés au chômage technique dès le début du confinement.

En matière de patrimoine, le ministre de la culture a tenu à être présent lors de la réouverture du château de Breteuil, qui a la particularité d'accueillir plus de 100 000 visites scolaires. Il s'est également déplacé pour la réouverture du château de Versailles et des jardins. Malheureusement, en cette période, le château accueille habituellement près de 30 000 visiteurs par jour. Or les contraintes sanitaires limitent la visite à 4 000 personnes par jour, ce qui entraîne une chute très conséquente de la billetterie mais permet toutefois d'être en contact étroit avec les oeuvres présentées dans tous les monuments.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je suggère qu'on continue à approfondir les réflexions engagées par les deux groupes de travail et que l'on prévoie éventuellement des amendements de commission au moment du PLFR3.

M. Pierre Ouzoulias. - Il ne faudrait pas que le Parlement soit en effet dépossédé de sa capacité à contrôler l'action des services de l'État et l'utilisation des budgets, qui ont été mis à mal durant cette période.

Ces amendements pourraient être une façon pour le Parlement de se réinvestir dans la gestion budgétaire. J'y suis très favorable.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Les ordonnances nous ont écartés des débats et nous ont empêchés d'intervenir, alors que nous avons accompli un travail incroyable. On pourrait au moins s'exprimer à cette occasion.

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