B. CRÉER UNE VÉRITABLE LÉGISLATION DE LA PROTECTION DES SOLS

La protection des sols et la réhabilitation des sites pollués doivent bénéficier d'une « grande loi sur les sols », instaurant un cadre juridique plus transversal et plus complet. Parent pauvre du code de l'environnement , le sol pâtit aujourd'hui d'un arsenal législatif et réglementaire parcellaire et négligé au profit d'une méthodologie de prévention et de gestion des risques et de dépollution sans véritable portée contraignante et d'un renvoi à une jurisprudence encore jeune . Comme l'a souligné, lors de son audition par la commission d'enquête, M. Christian Decocq, ancien rapporteur de la mission « Friches industrielles et pollutions historiques » mise en place par la Métropole européenne de Lille, la technicité et la complexité du sujet ont certainement nui à sa traduction dans la loi : « il nous manque aujourd'hui une grande loi, un cadre législatif qui permettrait d'organiser ce débat pour essayer de le décomplexifier » 75 ( * ) .

Afin de garantir une recherche des responsabilités plus efficace , de donner à l'administration des pouvoirs de contrôle et de prescription adaptés et de dépasser le cadre restrictif des polices sectorielles applicables aux ICPE, mines et déchets , il est nécessaire de prévoir un encadrement juridique plus intégré et mieux abouti.

1. En dépit de timides avancées législatives, un encadrement juridique de la protection des sols encore sous-dimensionné
a) Des dispositions embryonnaires adoptées sous l'impulsion du Grenelle de l'environnement

Le Grenelle de l'environnement, organisé en 2007, a relancé la réflexion autour de la gestion des sites et sols pollués en France. Témoignant d'une relative prise de conscience , en lien notamment avec le sort des sites dits « orphelins » et la problématiques des friches urbaines, les deux lois dites « Grenelle I » et « Grenelle II » n'ont cependant pas sensiblement étoffé l'arsenal juridique national dans ce domaine .

L'article 43 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, dite loi « Grenelle I », s'est en effet bornée à introduire quelques dispositions programmatiques , ayant pour objet de :

- réaliser avant 2010 un inventaire des sites potentiellement pollués et le croiser avec l'inventaire des points de captage d'eau et les lieux d'accueil des populations sensibles ;

- établir au plus tard en 2009 un « plan d'action sur la réhabilitation des stations-services fermées et des sites orphelins », en privilégiant « les techniques de dépollution par les plantes ». Selon les éléments transmis par la direction générale de la prévention des risques, un plan stations-service a été lancé en 2009 avec l'Ademe et finalisé en janvier 2010, prévoyant l'identification puis la mise en sécurité et la réhabilitation des sites concernés. Parmi les 61 stations-services identifiées, 47 ont bénéficié d'une action de l'Ademe. Une action est encore en cours sur les 14 autres sites, à divers degrés d'avancement (surveillance, diagnostic, travaux). L'union française des industries pétrolières et le conseil national des professions automobiles ont décliné les demandes de participation volontaire formulées par le ministère de l'environnement ;

- renforcer la lutte contre les décharges illégales et les dépôts de déchets ayant un impact sur l'environnement ;

- renforcer « les sanctions administratives et pénales prévues par le code de l'environnement ».

La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite « Grenelle II », n'a cependant pas traduit ces orientations en une grande « loi sur les sols » . Seul son article 188 a institué de nouvelles obligations visant à informer le public de la présence de pollutions . Ses dispositions préfigurent le dispositif des secteurs d'information sur les sols qui sera ultérieurement mis en oeuvre à la suite de l'adoption de la loi ALUR. Elle a ainsi introduit deux nouveaux articles L. 125-6 et L. 125-7 dans le code de l'environnement :

- l'article L. 125-6 prévoit la publication des informations dont dispose l'État sur les « risques de pollution des sols », et leur « prise en compte dans les documents d'urbanisme lors de leur élaboration et de leur révision » ;

- l'article L. 125-7 impose une obligation d' information de l'acquéreur ou du locataire par le vendeur ou bailleur , lorsque l'un des terrains ainsi identifiés fait l'objet d'une cession ou d'un bail, sous peine de restitution d'une partie du prix acquitté ou d'une réhabilitation aux frais du vendeur. Une telle obligation, que l'article généralise, existait alors déjà pour les terrains ayant accueilli des installations ICPE à l'article L. 514-20 du même code.

Limitée à un mécanisme d'information du public aux contours encore vagues , la mesure introduite par la loi Grenelle II n'a jamais été mise en oeuvre : le manque de précision de la loi et l' absence de décret d'application n'ont pas permis de donner à ce dispositif toute sa portée. Du reste, si une ordonnance du 17 décembre 2010 76 ( * ) a introduit dans le code de l'environnement un nouveau chapitre dédié aux « Sites et sols pollués » 77 ( * ) , cette réécriture s'est en réalité bornée à transférer, sans réflexion d'ensemble, une disposition déjà existante transposée du droit applicable aux déchets 78 ( * ) .

L'ambition exprimée lors du Grenelle de l'environnement n'a donc pas véritablement été traduite en un véritable arsenal juridique clarifiant la chaîne des responsabilités en matière de pollution des sols, les mesures de réparation exigibles ou encore les modalités de financement de la dépollution des sites orphelins.

b) La loi ALUR : l'ébauche d'un droit spécifique aux sols pollués

Les dispositions légales qui régissent aujourd'hui la police des sites et sols pollués et l'information du public en la matière ont été créées en 2014 par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR ». L'introduction de dispositions spécifiques à la problématique des sites et sols pollués dans ce grand texte relatif au logement et à l'urbanisme était le fruit des réflexions menées dans le cadre du groupe de travail « Sites et sols pollués » mis en place par le conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT) , organe consultatif chargé, entre autres, des installations ICPE.

L'adoption d'un cadre juridique rénové ne faisait pourtant pas consensus. Adoptées par amendement au Sénat , avec un avis favorable du Gouvernement qui reconnaissait qu'« il fallait avancer » sur cette question, ces dispositions ont néanmoins été supprimées en seconde lecture par les députés qui regrettaient l'absence d'étude d'impact sur leurs conséquences économiques. Elles auront finalement été réintroduites dans le projet de loi au Sénat.

Les trois articles insérés par l'article 173 de la loi ALUR constituent une avancée importante sur trois volets de la gestion des sites pollués : l' information du public , la responsabilité de la réhabilitation des sites et les modalités de mise en oeuvre de ces réhabilitations .

(1) Les SIS, un dispositif plus structuré d'information sur les sols pollués

Les articles L. 125-6 et L. 125-7 du code de l'environnement font l'objet d'une réécriture complète, pour substituer à l'obligation d'information prévue par la loi Grenelle II un dispositif plus structuré : les secteurs d'information sur les sols (SIS) 79 ( * ) .

L'obligation d'information est refondue. Tout d'abord, la nouvelle rédaction s'applique aux terrains où la pollution des sols est avérée et comporte un risque pour « la sécurité, la santé ou la salubrité publiques et l'environnement », alors que le dispositif de la loi Grenelle II visait de manière bien plus vague les « risques de pollution des sols ».

Les nouvelles dispositions améliorent également l'intégration des enjeux de sites et sols pollués au sein des documents d'urbanisme et des contrats . Via les SIS, elles introduisent un outil concret pour opérer la délimitation graphique, à l'échelle parcellaire, des sites pollués dont l'État a connaissance, et prévoient leur annexion au plan local d'urbanisme , répondant ainsi aux incertitudes formelles posées par l'obligation d'information préexistante.

Les modalités d'identification de ces terrains sont précisées. La loi prévoit la consultation des maires et des EPCI compétents en matière d'urbanisme , et confie la procédure au préfet de département, déjà compétent en matière de responsabilité environnementale.

Surtout, la nouvelle rédaction instaure de nouvelles obligations applicables aux terrains ainsi identifiés -obligations qui dépassent la seule information de l'acquéreur et confèrent ainsi une véritable portée opérationnelle au dispositif . Les articles L. 125-6 et L. 556-2 du code de l'environnement prévoient que la pollution connue de ces terrains « justifie, notamment en cas de changement d'usage, la réalisation d'études de sols et de mesures de gestion de la pollution », témoignant d'une volonté de faire émerger une vraie police des sols pollués .

Tous les projets de construction ou d'aménagement situés en SIS devront dorénavant être précédés d'une étude des sols qui censée définir les mesures de gestion de la pollution , dont la prise en compte dans le projet doit faire l'objet d'une attestation par un bureau d'études certifié.

Contrairement au dispositif issu de la loi Grenelle II, un décret d'application est cette fois rapidement venu préciser les dispositions relatives aux SIS, fixant notamment un calendrier de déploiement et une obligation de révision annuelle 80 ( * ) .

(2) Un nouveau dispositif de « tiers demandeur » pour la réhabilitation des sites d'ICPE

Dans l'objectif de faciliter la réhabilitation des sites ayant accueilli des installations ICPE , la loi ALUR a introduit un dispositif de tiers demandeur à l'article L. 512-21 du code de l'environnement.

En application de ces dispositions, l'exploitant d'une ICPE en cessation d'activité peut autoriser un tiers à réaliser à sa place les travaux de réhabilitation nécessaires, lorsque ce tiers est porteur d'un projet pour le terrain concerné. Par exemple, un aménageur souhaitant construire des immeubles de bureaux et ainsi valoriser le site, peut opérer en lieu et place de l'exploitant et avec son accord la remise en état pour cet usage précis.

Le recours à cette procédure est soumis à la validation du préfet de département, sur la base d'un mémoire de réhabilitation incluant l'usage envisagé par le tiers, sous réserve que ce dernier présente les capacités techniques suffisantes et prévoie des garanties financières adaptées.

Le décret d'application de l'article L. 512-21 81 ( * ) est venu préciser que cette procédure de tiers demandeur peut également s'appliquer même en l'absence de dernier exploitant connu et sous réserve de l'accord de la commune, permettant ainsi de traiter le cas des sites orphelins en réalisant un transfert de responsabilité. Il autorise également le préfet, en cas de besoin, à prescrire au tiers certaines mesures complémentaires de réhabilitation ou de surveillance.

La loi ALUR crée ainsi un mécanisme nouveau de substitution d'un tiers demandeur à l'exploitant dans ses responsabilités au titre du code de l'environnement, pour une opération de réhabilitation circonscrite . Pour l'exploitant, cette procédure permet de ne pas assumer la charge opérationnelle de la maîtrise d'ouvrage de la dépollution 82 ( * ) ; pour l'administration, elle offre l'avantage d'acter un transfert de responsabilité au nouveau porteur de projet ; pour le tiers demandeur enfin, elle permet de porter un projet d'aménagement ou de construction qui n'aurait peut-être pas pu voir le jour sans réhabilitation adéquate par l'exploitant.

(3) Une ébauche de police des sites et sols pollués

Surtout, l'article 173 de la loi ALUR remplace la disposition embryonnaire de l'article L. 555-1 -jusqu'alors unique article du chapitre du code de l'environnement consacré aux sites et sols pollués- par une ébauche de police des sites et sols pollués , quel que soit le régime juridique de ces sites ou sols.

Avant l'adoption de la loi ALUR, les seules dispositions en matière de pollution des sols avaient été transposées à l'identique depuis la législation relative à la gestion des déchets, prévoyant l'exécution d'office par les pouvoirs publics des travaux nécessaires, aux frais du responsable 83 ( * ) . La réécriture opérée par la loi ALUR remplace cette mesure générale par deux dispositions distinctes : l'une visant le cas particulier des anciennes ICPE déjà réhabilitées, l'autre visant les terrains pollués non réhabilités.

(a) La réhabilitation des sites pollués : une clarification des responsabilités et des modalités d'action des pouvoirs publics

Comme le prévoyait l'article L. 556-1 du code de l'environnement dans sa rédaction antérieure à la loi ALUR, dans le cas de terrains pollués présentant des risques, le nouvel article L. 556-3 créée par la loi ALUR autorise les pouvoirs publics à se substituer au responsable de la pollution pour conduire les travaux nécessaires , les frais afférents pouvant ensuite être recouvrés auprès du responsable.

Plusieurs nouveautés significatives sont introduites par la loi ALUR. D'abord, elle consacre le rôle des établissements publics fonciers (EPF) dans la conduite des travaux, l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ne se voyant reconnaître qu'un rôle subsidiaire pour l'aménagement. L'Ademe conserve toutefois la compétence principale en matière de sites orphelins , « en raison de la disparition ou de l'insolvabilité de l'exploitant du site pollué ou du responsable de la pollution ».

Surtout, la loi établit un ordre de priorité strict afin de déterminer le responsable de la pollution des sites et des sols . Consacrant une interprétation déjà retenue par le Conseil d'État, le II de l'article L. 556-3 du code de l'environnement prévoit que soit principalement responsable l'exploitant de l'installation ou le producteur des déchets , ou bien, dans le cas d'un site réhabilité, le maître d'ouvrage ou tiers demandeur . À titre subsidiaire, c'est le propriétaire des sols qui sera responsable, « s'il est démontré qu'il a fait preuve de négligence ou qu'il n'est pas étranger à cette pollution » 84 ( * ) .

(b) Le changement d'usage des anciens sites d'ICPE : la responsabilité du nouveau maître d'ouvrage pour gérer les pollutions

Dans une réécriture de l'article L. 556-1 du code de l'environnement, la loi ALUR prévoit en outre que pour les terrains ayant accueilli une ICPE « mise à l'arrêt et régulièrement réhabilitée » , lorsqu'un nouveau maître d'ouvrage envisage un nouveau type d'usage que celui prévu au moment de la cessation d'activité, c'est à celui-ci qu'il incombe de mettre en oeuvre des mesures de gestion de la pollution des sols . Si une collectivité territoriale décide, par exemple, d'aménager un ancien site d'ICPE réhabilité pour un usage industriel, afin de le rendre propre à un autre usage (comme l'accueil d'une salle de spectacle), c'est à la collectivité qu'il incombera d'assurer la dépollution pour cet usage déterminé, dès lors que l'exploitant de l'ICPE a rempli ses obligations légales.

Par cette disposition, la loi ALUR vise principalement à assurer la mise en oeuvre de mesures de gestion adaptées par le maître d'ouvrage, en rendant obligatoire la délivrance d'une attestation par un bureau d'étude certifié , préalable à toute autorisation d'urbanisme pour le projet. Toute pollution résiduelle devra être signalée aux autorités et au propriétaire.

L'article précise en outre que « ces mesures de gestion de la pollution sont définies en tenant compte de l'efficacité des techniques de réhabilitation dans des conditions économiquement acceptables ainsi que du bilan des coûts, des inconvénients et avantages des mesures envisagées », introduisant donc un principe de bilan coût-avantage . Une dépollution totale n'est donc pas nécessairement requise.

c) Un droit des sols fragmenté qui laisse certaines questions en suspens

Le droit français en matière de sites et sols pollués a donc été sensiblement étoffé en 2014 avec l'adoption de la loi ALUR, qui a apporté des précisions utiles sur le partage des responsabilités ou les obligations de réhabilitation des sols pollués.

Néanmoins, le constat reste aujourd'hui celui d'un cadre juridique nettement sous-dimensionné, en comparaison non seulement avec celui applicable à l'eau et à l'air, mais aussi au regard du droit applicable dans les pays voisins. Moins d'une dizaine d'articles du code de l'environnement traitent directement de la question des sols.

Minimaliste, le droit des sites et sols pollués est aussi fragmenté. Il est dispersé au sein de plusieurs sections du code, reflétant la superposition de différents régimes , notamment le régime applicable aux ICPE et celui applicable aux secteurs d'information sur les sols, et la sédimentation de dispositions successives 85 ( * ) . Des redondances existent , par exemple en ce qui concerne l'obligation d'information des acquéreurs 86 ( * ) . La question de la pollution des sols reste principalement abordée sous l'angle des ICPE , en dépit de la création des SIS et des précisions concernant la réhabilitation au titre de l'article L. 556-3 du code de l'environnement.

Enfin, le droit en vigueur laisse de côté plusieurs questions centrales , pourtant indispensables au développement d'une véritable politique de prévention et de gestion des sites et sols pollués. La réhabilitation des sites orphelins n'est évoquée qu'en cas de nouveau projet porté par un maître d'ouvrage, ou à la discrétion de l'État via l'intervention de l'Ademe. Le financement des opérations de dépollution ne fait l'objet d'aucun dispositif spécifique , hormis celui des garanties financières applicables aux ICPE ou aux tiers demandeurs.

Enfin, la question de la qualité des mesures de dépollution ou de réhabilitation n'est pas véritablement traitée, le droit renvoyant la responsabilité du contrôle de leur mise en oeuvre aux bureaux d'études par le biais d'une attestation. Pourtant, la bonne mise en oeuvre des mesures de traitement de la pollution est fondamentale dans une approche par le risque et l'usage.

Face au silence du droit, les acteurs des sites et sols pollués en sont réduits à se référer à des documents sans valeur législative ni réglementaire , rassemblés sous le nom de « méthodologie » des sites et sols pollués.

2. Un cadre méthodologique national de gestion des sites et sols pollués, sans portée contraignante

Dès l'année 2000, un rapport du conseil général des mines et de l'inspection générale des finances tirait un constat critique du cadre juridique applicable aux sites et sols pollués en France, notant que « le traitement des problèmes est reporté en fin de vie des entreprises » et dénonçant « un arsenal juridique inadapté et une jurisprudence erratique » 87 ( * ) .

En l'absence de toute disposition législative spécifique, outre celles relatives aux ICPE, c'est en effet essentiellement par le biais d'une succession de circulaires qu'une méthodologie nationale de gestion des sites pollués s'est progressivement construite . Dans un domaine encore mal appréhendé par les politiques publiques, une stratégie de prudence a été retenue : accompagner étape par étape l'identification des sites et l'élaboration d'une doctrine, plutôt que de prévoir un cadre réglementaire ex ante sans retour d'expérience préalable .

a) En l'absence de cadre législatif, l'élaboration progressive par l'administration d'un ensemble de « bonnes pratiques »
(1) D'une volonté d'identifier les sites au besoin d'évaluer les risques sanitaires

Les premières circulaires relatives aux sites et sols pollués, prises à partir de 1993, se sont concentrées sur la problématique initiale de l'identification des sites pollués sur le territoire national. Elles prescrivent notamment la réalisation d'inventaires, dont les inventaires régionaux, les futures bases Basol en 1993 et Basias en 1998.

Face à l'important nombre de sites ainsi pré-identifiés, et dans l'objectif de définir des priorités pour l'action publique, les circulaires ont progressivement fait émerger une doctrine de l'évaluation des risques . Celle-ci se fonde principalement sur l'estimation du risque sanitaire et se traduit entre 1993 et 1999 par le recours à des diagnostics et des évaluations simplifiées des risques, fondées sur des valeurs toxicologiques de référence visant à caractériser le niveau de pollution des sites.

À défaut d'existence d'une police plus générale des sites et sols pollués, les premières circulaires témoignent d'une focalisation sur les ICPE qui disposent, elles, déjà d'un cadre juridique propre. Une circulaire du 3 avril 1996 précise ainsi que « cette liste d'entreprises [devant faire l'objet d'un diagnostic et d'une évaluation des risques] sera arrêtée, en priorité, à partir de la liste des installations soumises à autorisation au titre de la législation des ICPE et exerçant une activité ayant potentiellement pu conduire à une pollution des sols. Sauf exception, les sites industriels récents ne sont pas en principe à retenir ».

Les circulaires prises entre 1996 à 1998 témoignent ensuite de la montée progressive des préoccupations relatives aux sites orphelins , à la recherche des responsabilités en matière de pollution et au financement des réhabilitations menées par les pouvoirs publics. Elles fournissent notamment au préfet des instructions sur les méthodes de saisine de l'Ademe pour mener des opérations de dépollution, et rappellent que la recherche de la responsabilité de l'exploitant est nécessaire pour obtenir le recouvrement des sommes engagées.

En outre, une attention croissante est accordée à la protection des eaux souterraines , tandis que la question des mesures adaptées de gestion de la pollution se fait plus pressante. La circulaire du 31 mars 1998 note ainsi qu'« il va de soi que vous devez agir immédiatement à chaque fois que la présence en surface de produits présente un danger en cas d'intrusion, par exemple d'enfants, [...] sans attendre l'aboutissement d'études qui peuvent être complexes » et que « la mise en place d'une surveillance de l'impact du site sur les eaux souterraines ou superficielles s'impose quasi systématiquement. »

(2) La consécration progressive d'une gestion du risque en fonction de l'usage et un rôle méthodologique accru des circulaires

La circulaire du 10 décembre 1999 marque un tournant notable dans l'approche des pouvoirs publics vis-à-vis des sites pollués. S'éloignant d'une logique de gestion en fonction du seul risque sanitaire, elle amorce un virage vers une logique de gestion du risque selon l'usage, indiquant que « les mesures de surveillance et les travaux de dépollution que vous prescrirez doivent viser à prévenir l'apparition ou la persistance de risques ou de nuisances pour l'homme et l'environnement. Ils tiennent compte de l'usage auquel le détenteur du site le destine et des techniques disponibles ».

En application de cette nouvelle approche, la méthodologie d'évaluation des risques est révisée sous l'égide du BRGM et de l'Ineris. Inspirée des méthodes mises en oeuvre aux États-Unis, elle instaure une réflexion en quatre étapes, reprise dans un « schéma conceptuel » devant permettre de caractériser les sources de pollution, les vecteurs de transfert et d'exposition et d'en déduire les risques au regard de l'usage.

Les précautions relatives à l'usage sont en conséquence renforcées et clarifiées. L'administration recommande notamment un recours systématique aux servitudes d'utilité publique pour les terrains d'emprise des anciennes installations ICPE.

L'approche mise en place en 1999 a cependant montré certaines limites . D'abord, les valeurs retenues pour déterminer les objectifs de dépollution s'avéraient mouvantes et incertaines en fonction des avancées dans la connaissance scientifique. Ensuite, l'addition des facteurs de risque conduisait souvent à des objectifs de dépollution très contraignants, ne prenant pas compte des possibilités réelles de mise en oeuvre des mesures de gestion .

La logique de gestion du risque selon l'usage sera confirmée en 2005. Trois nouvelles circulaires introduisent en revanche une notion de « bilan des coûts et des avantages » des mesures de gestion de la pollution et sur le « caractère nécessaire, proportionné et pertinent » des prescriptions des préfets pour la réhabilitation des sites en fonction de l'usage, rappelant que la dépollution totale ne doit pas être systématiquement recherchée .

b) La consolidation du corpus de circulaires en une méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués
(1) Une réécriture complète des circulaires applicables en 2007

En 2007, l'ensemble du corpus de circulaires en vigueur depuis 1993 a fait l'objet d'une réécriture complète , visant à doter les préfets de département et les services déconcentrés d'une méthodologie unique de gestion des sites et sols pollués. Près d'une dizaine de circulaires sont abrogées ou consolidées dans une circulaire du 8 février 2007 relative aux sites et sols pollués, déclinée en une méthodologie nationale prenant la forme d'un guide précis 88 ( * ) .

Applicable en grande partie à la totalité des sites et sols pollués, quel que soit le régime juridique qui leur soit applicable , la méthodologie ainsi élaborée donne pour la première fois un cadre unique, bien que non exhaustif et non contraignant, utile aussi bien aux services déconcentrés qu'aux maîtres d'ouvrage. Elle acquiert ainsi une portée plus large, tirant les leçons des réhabilitations menées sur les anciens sites d'ICPE au cours des années précédentes.

La circulaire de 2007 poursuit la logique pragmatique initiée en 1999. Elle intègre explicitement dans un bilan coût-avantages l'état des techniques de dépollution , privilégiant à la dépollution totale le traitement des sources de pollutions concentrées et la réduction des possibilités de transfert. Elle fait également disparaître le recours à des valeurs seuils pour estimer le risque, préférant une approche par « valeurs de gestion réglementaire », associées à d'autres facteurs tels l'usage et l'exposition.

En matière de procédure, la réécriture fait apparaître deux nouveaux outils de gestion : la démarche d' interprétation de l'état des milieux (IEM) , visant à s'assurer que l'état du sol est compatible avec l'usage envisagé, et le plan de gestion qui définit les mesures nécessaires pour agir sur l'état du site ou adapter les usages choisis.

Enfin, elle consacre une section au suivi des mesures de gestion de la pollution , encourageant au contrôle des opérations de dépollution et à la surveillance environnementale selon une périodicité quadriennale.

(2) Une réactualisation de la méthodologie nationale en 2017

Près de dix ans après son introduction, la méthodologie consolidée en 2007 a été revue 89 ( * ) pour tenir compte de l'évolution de la législation et des techniques disponibles. L'approche de gestion du risque selon l'usage, le principe de spécificité, et le bilan des coûts et des avantages qui fondaient la méthodologie élaborée en 2007, ne sont pas remis en question , le ministère de l'environnement notant d'ailleurs que « les textes de gestion des sites pollués parus en février 2007 ont établi des référentiels reconnus par les acteurs du domaine. Ils ont édicté des principes essentiels qui doivent continuer à guider l'action des pouvoirs publics et des acteurs privés en matière de pollution des sols » 90 ( * ) .

Parmi les ajouts notables opérés en 2017, précisés dans une note du ministère chargé de l'environnement 91 ( * ) , figurent :

- l'intégration des avancées législatives et réglementaires intervenues depuis 2007, en particulier avec l'adoption de la loi ALUR en matière de secteurs d'information sur les sols ;

- les nouvelles dispositions relatives au statut de déchets des terres excavées hors site, traduites en 2010 en droit français 92 ( * ) sous l'impulsion notamment de la directive cadre européenne sur les déchets adoptée en 2008, et ayant fait l'objet d'un guide élaboré en 2012 ;

- la référence à la norme « NF X 31-620 : Prestations de services relatives aux sites et sols pollués » , élaborée en 2011 par l'Afnor afin d'accroître la qualité des prestations offertes dans ce secteur et d'améliorer leur lisibilité pour les donneurs d'ordre ;

- une étape de gestion supplémentaire dénommée « ingénierie de dépollution », visant à décliner le plan de gestion en un plan de conception des travaux qui fasse l'objet d'un suivi spécifique ;

- un nouveau cadre de « valeurs d'analyse de la situation » pour certains polluants, comportant trois valeurs distinctes permettant d'analyser l'état des sols (valeurs cibles, valeurs réglementaires ou seuils d'action et valeurs toxicologiques de référence aigües) ;

- de nouveaux outils d'analyse, tels que le bilan massique pour la localisation et la quantification des pollutions dans les sols, ou les méthodes de démonstration financière visant à déterminer le niveau optimal de traitement des pollutions en fonction du coût et de la pollution résiduelle ;

- un chapitre dédié aux anciens sites miniers , rappelant la classification des sites minier et l'application spécifique de la méthodologie.

Plusieurs guides élaborés par le ministère chargé de l'environnement, le BRGM, l'Ademe et l'Ineris ont également été publiés, à destination notamment des donneurs d'ordres et des maîtres d'ouvrages 93 ( * ) .

c) La nécessité d'acter juridiquement la place centrale de cette méthodologie, aujourd'hui encore sans véritable portée contraignante

Bien qu'elle représente un texte de référence, présentant les meilleures pratiques recommandées par les pouvoirs publics et fournissant une méthode opérationnelle pour la gestion des sites pollués, la méthodologie des sites et sols pollués n'a pas de portée contraignante . Celle-ci n'étant pas opposable, l'administration , en particulier au niveau des services déconcentrés et des Dreal, ne peut se prévaloir d'un manquement aux dispositions de la méthodologie pour juger de la bonne réalisation d'une opération de réhabilitation.

Lors de son audition 94 ( * ) par la commission d'enquête, Mme Laura Verdier a ainsi indiqué avoir eu connaissance de cas dans lesquels des bureaux d'études n'appliquaient pas la méthodologie dans leurs rapports, sans pour autant que cela puisse leur être reproché . Mme Christine Lafeuille, directrice adjointe « Stratégie et opérations foncières » et responsable de l'unité fonctionnelle « Stratégie foncière » de la Métropole européenne de Lille, a indiqué avoir « assisté à la situation d'un porteur de projet dont le bureau d'études belge appliquait la méthodologie belge. Nous n'avons pas pu l'en empêcher » 95 ( * ) . M. Jean-François Nogrette, directeur de Veolia Technologies & Contracting, membre du comité exécutif du groupe Veolia, a de même indiqué que « les bureaux d'études sont en général capables et professionnels. Le problème, c'est qu'il leur est difficile d'être également les garants, à chaque étape, d'un certain nombre de bonnes pratiques . Beaucoup d'opérations sont aujourd'hui trop peu surveillées ou encadrées. » 96 ( * )

Plus précisément, l'audition de l'union des professionnels de la dépollution des sites (UPDS) a démontré qu'« il existe donc beaucoup de trous dans la raquette en matière de gestion de certaines contraintes, s'agissant en particulier du retrait des sources concentrées et de la gestion des pollutions hors site, qui sont des sujets préoccupants » , traités par la méthodologie mais qui ne font pas l'objet d'obligations réglementaires ou législatives.

Pourtant, la méthodologie contient des prescriptions qui nourrissent de facto la doctrine de contrôle et d'interprétation des Dreal . Il s'agit donc d'un enjeu d'information des acteurs du secteur de l'aménagement et de la dépollution, qui doivent être mis à même d'anticiper les « bonnes pratiques » recommandées par l'administration.

Il serait donc utile d'ancrer plus solidement cette méthodologie dans le corpus juridique national relatif aux sites et sols pollués , dans le double objectif de mieux informer les acteurs des « bonnes pratiques » validées par l'administration et de renforcer leur prise en compte dans la pratique. La commission d'enquête propose en conséquence que l'existence de la méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués soit consacrée sur le plan règlementaire en y faisant explicitement référence dans la loi et dans les dispositions règlementaires du code de l'environnement.

Il conviendrait ainsi d'introduire dans la partie législative du code de l'environnement une nouvelle disposition générale prévoyant que la politique nationale de prévention et de gestion des risques sanitaires et écologiques associés aux sites et sols pollués, de dépollution et de réhabilitation de ces sites et sols s'appuie sur une méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués validée par arrêté des ministres chargés de l'environnement et de la santé. Une validation par arrêté interministériel , élaboré dans le cadre d'une large concertation des différents acteurs concernés , offre un cadre plus souple pour permettre la réactualisation de cette méthodologie afin de tenir compte de l'évolution des pratiques et des connaissances scientifiques sur l'impact des pollutions des sols et leurs techniques de remédiation.

Des dispositions règlementaires du code de l'environnement pourraient par ailleurs renvoyer à cette méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués pour, respectivement, la définition des « méthodes de diagnostic, de prévention, de traitement ou de réduction de la pollution des sols applicables respectivement aux différentes catégories d'installations classées » 97 ( * ) et la typologie des « mesures de gestion de la pollution à mettre en place pour assurer la compatibilité entre l'état des sols et l'usage futur du site » 98 ( * ) .

Proposition n° 10 : Inscrire dans la loi les principes généraux de la politique nationale de prévention et de gestion des risques sanitaires et écologiques associés aux sites et sols pollués, de dépollution et de réhabilitation de ces sites et sols et consacrer dans la loi le renvoi à une méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués validée par arrêté des ministres chargés de l'environnement et de la santé pour préciser les modalités de mise en oeuvre de cette politique.

La mise en oeuvre de la méthodologie révisée en 2017 n'a pas encore fait l'objet d'une évaluation spécifique . À terme, une évaluation permettrait de confirmer la pertinence de certaines approches et de certains outils, qui pourraient alors être intégrés au cadre législatif et réglementaire de gestion des sites et sols pollués afin de leur conférer un caractère plus contraignant .

En tout état de cause, il ne serait pas pertinent de traduire la totalité du contenu de la méthodologie en dispositions réglementaires. Il convient de laisser une certaine marge d'adaptabilité aux maîtres d'ouvrages, afin qu'ils puissent tenir compte de l'état des technologies accessibles et de la diversité des situations. Les dispositions les plus techniques de la méthodologie ne sauraient trouver leur place au niveau de la loi ou du règlement. Comme l'a souligné M. Raymond Cointe, directeur général de l'Ineris, lors de son audition par la commission d'enquête, « il est nécessaire de trouver un équilibre et de bien positionner le curseur » 99 ( * ) entre une logique de réglementation, qui pourrait entraîner un alignement a minima , et une logique de responsabilisation du maître d'ouvrage .

La commission d'enquête recommande, par conséquent, d'opérer une revue de la méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués afin de déterminer les recommandations qui pourraient être élevées aux niveaux réglementaire ou législatif.

3. Poser les jalons d'un véritable droit des sols

Face au constat d'un cadre législatif qui reste sous-dimensionné, la commission d'enquête appelle surtout à doter la France d'un véritable droit des sols , comme il en existe en matière de protection de l'eau, de l'air, ou en matière de déchets.

La visée d'une grande « loi sur les sols » serait double : d'abord, elle devrait poser les fondements de l'encadrement juridique de la protection des sols , en clarifiant les notions clés de pollution, d'usage et de réhabilitation, et en consacrant le rôle de l'État dans la prévention et la gestion des pollutions. Ensuite, elle devrait compléter et restructurer le cadre existant, en renforçant la transversalité du droit pour améliorer sa lisibilité et pour dépasser les approches en silo . Enfin, elle devrait étoffer et moderniser certaines dispositions spécifiques portant sur des sujets clés , comme l'information sur les sols, le régime des ICPE ou encore le financement de la dépollution 100 ( * ) .

a) Consacrer une définition de la pollution des sols

Le code de l'environnement traite largement de la lutte contre les pollutions et les nuisances. Le terme de « pollution » figure notamment à l'article L. 110-1, qui énonce les principes généraux de la législation environnementale.

Il n'est cependant pas défini de manière générique par le droit français : chaque pan de la législation de la protection des milieux a introduit une définition propre de la pollution . Pour l'eau, l'article L. 211-1 du code de l'environnement la définit comme les « déversements, écoulements, rejets, dépôts directs ou indirects de matières de toute nature et plus généralement par tout fait susceptible de provoquer ou d'accroître la dégradation des eaux en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques, qu'il s'agisse des eaux superficielles, souterraines ou des eaux de la mer » . Pour l'air, la pollution atmosphérique est, elle, définie comme « l'introduction par l'homme, directement ou indirectement ou la présence, dans l'atmosphère et les espaces clos, d'agents chimiques, biologiques ou physiques ayant des conséquences préjudiciables de nature à mettre en danger la santé humaine, à nuire aux ressources biologiques et aux écosystèmes, à influer sur les changements climatiques, à détériorer les biens matériels, à provoquer des nuisances olfactives excessives » 101 ( * ) .

La pollution des sols n'est aujourd'hui pas définie par la loi. La caractérisation juridique de l'introduction d'une substance nocive dans les sols ou d'une dégradation de leur qualité est pourtant le préalable à la mise en oeuvre d'une politique de protection de sols et de dépollution. M. Franck Bouché, président de l'UPDS, a ainsi relevé, lors de son audition par la commission d'enquête : « Songez qu'il n'existe même pas de définition officielle d'un sol pollué ; évoquer cette notion est donc déjà risquer un malentendu ! » 102 ( * ) .

La commission d'enquête propose donc d' introduire une véritable définition de la pollution des sols en tête du chapitre VI du titre V du livre V du code de l'environnement, dédié aux « Sites et sols pollués ».

Cette définition, qui pourrait s'inspirer de celle de la pollution des eaux et de l'air -le régime général applicable à l'eau tient notamment compte de la nécessité d'assurer une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau et de prendre en compte les adaptations nécessaires au changement climatique-, ainsi que des dispositions prévues par le projet de directive européenne de 2006 sur la protection des sols 103 ( * ) , pourrait être, au sein d'un nouvel article L. 556-1A, la suivante :

« Art. L. 556-1A. - Les dispositions des chapitres I er à V [relatifs à l'encadrement des ouvrages présentant des risques] du présent titre participent d'une gestion équilibrée et durable des sols. Cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer la protection des sols contre toute pollution par déversements, écoulements, rejets, dépôts directs ou indirects de matières de toute nature et plus généralement par tout fait susceptible de provoquer ou d'accroître la dégradation des sols en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques, qu'il s'agisse des sols ou sous-sols, à l'exclusion des eaux souterraines. Elle veille à prévenir les risques pour la santé et l'environnement. »

Proposition n° 11 : Introduire dans le code de l'environnement une définition législative de la pollution des sols, comme elle existe pour l'eau et l'air.

b) Encadrer les notions de remise en état, de réhabilitation et d'usage

Le principe de gestion du risque par l'usage, qui sous-tend l'approche française en matière de sites et sols pollués, ne peut actuellement s'appuyer sur aucune définition claire des notions d'usage, de remise en état ou de réhabilitation . Toute « loi sur les sols » devra clarifier ces notions clés, sous peine de laisser une marge d'interprétation trop importante à la jurisprudence et aux maîtres d'ouvrage.

(1) Instaurer une typologie des usages en matière de sites et sols pollués

La notion d'usage est désormais omniprésente au sein des quelques dispositions du code de l'environnement ayant trait aux sites et sols pollués. Elle est fondamentale, car elle définit le niveau de risque à prendre en compte, et partant, le niveau de pollution acceptable et les mesures dépollution nécessaire . Cependant, elle ne fait pas l'objet d'une définition spécifique .

La notion d'usage dans le droit des sites et sols pollués

Article
L. 556-1

Changement d'usage d'un site d'ICPE déjà réhabilité

« [...] sur les terrains ayant accueilli une installation classée mise à l'arrêt définitif et régulièrement réhabilitée pour permettre l'usage défini [...] , lorsqu'un usage différent est ultérieurement envisagé , le maître d'ouvrage à l'initiative du changement d'usage doit définir des mesures de gestion de la pollution des sols et les mettre en oeuvre afin d'assurer la compatibilité [...] au regard du nouvel usage projeté. »

Article
L. 556-2

Projets menés dans des sites situés en SIS

« Les projets de construction ou de lotissement prévus dans un secteur d'information sur les sols [...] font l'objet d'une étude des sols afin d'établir les mesures de gestion de la pollution à mettre en oeuvre pour assurer la compatibilité entre l'usage futur et l'état des sols. »

Article
L. 556-3

Exécution d'office de travaux sur des sites pollués

« En cas de pollution des sols ou de risques de pollution des sols présentant des risques [...] au regard de l'usage pris en compte , l'autorité titulaire du pouvoir de police peut, après mise en demeure, assurer d'office l'exécution des travaux nécessaires aux frais du responsable. »

Articles
L. 512-6-1 et L. 512-7-6

Mise à l'arrêt définitif d'une ICPE (autorisation ou enregistrement)

« Lorsqu'une installation [...] est mise à l'arrêt définitif, son exploitant place son site dans un état tel [...] qu'il permette un usage futur du site [...] .

[À défaut d'accord sur l'usage envisagé] , son exploitant place son site dans un état tel qu'il [...] permette un usage futur du site comparable à celui de la dernière période d'exploitation de l'installation mise à l'arrêt.

Toutefois, dans le cas où la réhabilitation prévue en application de l'alinéa précédent est manifestement incompatible avec l'usage futur de la zone, apprécié notamment en fonction des documents d'urbanisme en vigueur [...] et de l'utilisation des terrains situés au voisinage du site, le préfet peut fixer, après avis des personnes mentionnées au premier alinéa, des prescriptions de réhabilitation plus contraignantes permettant un usage du site cohérent avec ces documents d'urbanisme . »

Article
L. 512-12-1

Mise à l'arrêt définitif d'une ICPE (déclaration)

« Lorsque l'installation soumise à déclaration est mise à l'arrêt définitif, l'exploitant place le site dans un état tel qu'il [...] permette un usage futur comparable à la dernière période d'activité de l'installation . »

Article
L. 512-21

Intervention d'un tiers demandeur

« Lorsque l'usage ou les usages envisagés par le tiers demandeur sont d'une autre nature que ceux définis [par les] articles L. 512-6-1, L. 512-7-6 ou L. 512-12-1, le tiers demandeur recueille l'accord du dernier exploitant, du maire ou du président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'urbanisme et, s'il ne s'agit pas de l'exploitant, du propriétaire du terrain sur lequel est sise l'installation.

Le tiers demandeur adresse au représentant de l'État dans le département un mémoire de réhabilitation définissant les mesures permettant d'assurer la compatibilité entre l'usage futur envisagé et l'état des sols .

Le représentant de l'État dans le département se prononce sur l'usage proposé [...] et peut prescrire au tiers demandeur les mesures de réhabilitation nécessaires pour l'usage envisagé . »

Source : Commission d'enquête

Il en résulte une certaine insécurité juridique . En effet, la notion d'usage est par ailleurs utilisée et définie par le code de la construction et de l'habitation en matière d'immeubles. Il distingue deux types d'usage : l'usage d'habitation, défini à l'article L. 631-7, et, a contrario , les autres types d'usage. La notion d'usage se réfère donc ici à l'utilisation concrète d'un bâtiment par ses occupants.

Pour autant, il paraît peu pertinent de transposer à l'identique la notion d'usage du code de la construction et de l'habitation au cas des sites et sols pollués :

- la gestion des sites et sols pollués concerne plutôt le terrain et les constructions que les seuls immeubles s'y trouvant . Par exemple, un parking ou un champ dédié à l'élevage n'entrent pas dans le champ de « l'usage » au sens du code de la construction et de l'habitation, alors qu'ils doivent bien entendu faire l'objet d'une gestion du risque selon l'usage en matière de pollution des sols dès lors qu'une telle utilisation peut présenter des risques sanitaires ;

- la dichotomie entre usage d'habitation et autres usages n'apparaît pas assez fine pour distinguer la diversité des utilisations des sols : logement, bâtiment d'éducation, autre bâtiment accueillant du public de manière temporaire ou prolongée, cultures, activités industrielles, bureaux... Il apparaît donc nécessaire d'utiliser une typologie plus fine ;

- les dispositions relatives à la réhabilitation des ICPE prévoient un examen de la compatibilité manifeste de la réhabilitation avec l'usage futur envisagé pour la zone, « apprécié notamment en fonction des documents d'urbanisme en vigueur ». Cependant, les documents d'urbanisme, et notamment le zonage du règlement du plan local d'urbanisme, sont construits selon une logique de destination et non d'usage . Au nombre de cinq 104 ( * ) , les destinations fixées par le code de l'urbanisme reflètent la finalité de l'édification des constructions ou des aménagements réalisés. En conséquence, un contrôle de la compatibilité entre « l'usage » du site et sa destination telle que définie par le code de l'urbanisme apparaît source de confusion 105 ( * ) .

La commission d'enquête recommande donc de définir précisément la notion même d'usage, ainsi que les différentes catégories d'usage retenues en matière de sites et sols pollués , en fonction du degré de précision pertinent. Ces usages pourraient être calqués sur les cinq types d'usage retenus par le droit de l'urbanisme, afin de faciliter la convergence entre les documents de planification locaux et la politique de gestion des sols pollués . Une alternative pourrait consister à établir une classification plus fine en fonction, par exemple, de l'accueil de publics sensibles ou de la durée d'utilisation journalière des sites, en lien avec les risques d'exposition.

Fixer une telle typologie des usages des sols permettrait en outre de faciliter le travail de contrôle et de prescription de l'administration, tout en clarifiant le référentiel pour les maîtres d'ouvrages . En effet, comme l'a relevé Mme Laura Verdier, entendue par la commission d'enquête, « nous devons donc rentrer dans ces débats au niveau des clauses et des contrats, ce qui génère beaucoup de contentieux : quel site, à quel endroit, quel type de pollution, quel sera l'usage... Nous nous dirigeons aujourd'hui vers un « droit mou » jurisprudentiel, sauf si un texte intervient pour mettre en place un « droit dur » . » 106 ( * )

À titre d'exemple, dans un autre secteur d'application, on peut noter qu'une telle définition d'usages spécifiques a été retenue par les lois sur l'eau . L'article R. 214-5 du code de l'environnement définit par exemple précisément « l'usage domestique » de la ressource en eau.

Proposition n° 12 : Définir dans la loi la notion d'« usage » en matière de sites et sols pollués, en clarifiant son articulation avec l'« usage » au sens du code de la construction et de l'habitation et avec la « destination » au sens du code de l'urbanisme, et en instaurant une typologie précise des types d'usages.

(2) Clarifier les notions de réhabilitation et de remise en état

La législation relative à la police spéciale des installations classées pour la protection de l'environnement se caractérise par une obligation de remise en état du site au moment de la cessation d'activité . Avec la création de nouveaux dispositifs, tels que le tiers demandeur, les références aux opérations et travaux de réhabilitation se sont aussi multipliées.

L'articulation entre ces deux notions de remise en état et de réhabilitation n'est pas explicitée par les dispositions législatives ou réglementaires : la réhabilitation signifie-t-elle une simple amélioration de la qualité du sol, tandis que la remise en état implique d'atteindre un retour à l'état initial ? La réhabilitation entend-elle mettre en compatibilité l'usage prévu pour un site et la qualité du sol, tandis que la remise en état ne tient pas compte de l'usage ?

Il en résulte une confusion et une incertitude juridique, les deux notions étant parfois utilisées en référence à une même situation. À titre d'exemple, l'article L. 512-21 du code de l'environnement relatif à l'intervention d'un tiers demandeur, vise la réalisation de « travaux de réhabilitation », tandis que l'article d'application R. 512-39-4 renvoie lui à « la remise en état du site effectuée par le tiers demandeur » en même temps qu'à la « réhabilitation réalisée par lui » .

Alors que la détermination de la chaîne des responsabilités et du champ des obligations en matière de gestion des sites et sols pollués s'avère déjà complexe , la commission d'enquête considère que la distinction entre la réhabilitation et la remise en état devrait être clarifiée.

Proposition n° 13 : Clarifier les notions de « réhabilitation » et de « remise en état » selon leurs objectifs respectifs et l'étendue des actions qu'elles impliquent, en harmonisant la terminologie utilisée au sein du code de l'environnement.

c) Renforcer les moyens d'action transversaux

Au-delà du cadre général de la gestion des sites pollués et de la définition de notions clefs, une grande « loi sur les sols » devrait également compléter et restructurer les dispositifs existants , afin de renforcer la transversalité du droit. Il s'agit là d'un enjeu de lisibilité pour les acteurs économiques, permettant de dépasser les approches en « silos administratifs » qui se traduisent via des régimes distincts. Surtout, pour une plus grande efficacité, l'action de l'État en matière de prévention des pollutions des sols doit porter sur la totalité des activités susceptibles d'engendrer des contaminations .

(1) Apporter de nouvelles précisions sur la responsabilité

La loi ALUR a permis de clarifier la « chaîne » des responsabilités en matière de remise en état et de réhabilitation des sites pollués. Elle a confirmé, à l'article L. 556-3 du code de l'environnement, une logique de responsable principal -le dernier exploitant- et de responsable subsidiaire -le propriétaire négligent- . Si cette avancée est bienvenue et entend faciliter la recherche de responsables par l'administration, la démarche amorcée en 2014 n'est toutefois pas aboutie .

Dès 1997, le Conseil d'État avait jugé que le propriétaire ne saurait, « en cette seule qualité », être tenu responsable de la remise en état du site 107 ( * ) , selon le principe dit du « propriétaire innocent » qui exclut sa responsabilité en l'absence d'élément intentionnel . En matière d'IPCE, une décision du Conseil d'État de 2005 avait exclu toute responsabilité, même subsidiaire, d'un propriétaire, même négligent 108 ( * ) . En revanche, la jurisprudence avait admis sa responsabilité subsidiaire au titre de la détention de déchets , « notamment s'il a fait preuve de négligence à l'égard d'abandons sur son terrain », le maire pouvant alors intervenir 109 ( * ) .

En 2014, la loi ALUR a consacré cette responsabilité subsidiaire du propriétaire en matière de pollution des sols -et non plus seulement de déchets-, précisant que cette responsabilité joue « en l'absence de responsable [dernier exploitant] » et « s'il est démontré qu'il a fait preuve de négligence ou qu'il n'est pas étranger à cette pollution ». La charge de la démonstration de cette négligence ou de ce lien pèse ainsi sur l'administration 110 ( * ) .

La formulation soulève cependant plusieurs interrogations , notamment le caractère « étranger » du propriétaire à la pollution, ou encore les critères permettant de caractériser une négligence . En matière de gestion des déchets par exemple, certains critères de négligence ont été dégagés par la jurisprudence, tels que l'absence d'initiative pour sécuriser les déchets dangereux, l'absence de surveillance et d'entretien du terrain ou encore l'absence d'accès pour les services de secours.

Pour autant, le décret d'application prévu au III de l'article L. 556-3 du code de l'environnement n'est pas venu détailler les critères applicables en matière de pollution des sols pour l'établissement de la responsabilité du propriétaire. En l'absence de disposition d'application réglementaire, la détermination de la responsabilité du propriétaire est à nouveau renvoyée à la jurisprudence , maintenant à cet égard une incertitude juridique.

Ce risque juridique n'est pas uniquement théorique : il peut conduire à une frilosité dans l'acquisition ou la gestion de sites, qui aurait pour effet de « figer » certains sites industriels. D'ailleurs, il convient de noter que de nombreuses collectivités territoriales sont propriétaires de friches industrielles dont les derniers exploitants ont disparu.

Un projet de décret aurait été à l'étude en 2015 111 ( * ) , prévoyant de définir les contours de la responsabilité subsidiaire du propriétaire. Cinq ans plus tard, la commission d'enquête constate qu'aucun décret n'a pourtant été pris. La commission d'enquête appelle donc à la publication rapide du décret d'application de l'article L. 556-3 du code de l'environnement, afin de poursuivre l'effort de clarification de la chaîne des responsabilités, en précisant les critères de détermination de la responsabilité du dernier exploitant et de la responsabilité subsidiaire du propriétaire de sites pollués, et d'accélérer la dépollution des friches industrielles.

(2) Renforcer les obligations de diagnostic préalable aux projets

Le défaut de connaissance des sols est l'un des obstacles majeurs à la définition d'une politique globale des sites et sols pollués . Sans information sur l'état des sols, l'aménagement des territoires n'intègre pas suffisamment cette problématique, et la mise en oeuvre de mesures de gestion de pollution s'en trouve ralentie . Les représentants de la Coprec ont notamment rappelé qu'« il faut se préoccuper très en amont de cette question. Lorsque l'on découvre la pollution en cours de terrassement, après une transaction, le timing ne permet que l'excavation et l'élimination [...] . Aujourd'hui, le sujet n'est pas central [...] , il intervient très tardivement dans le processus, quand nous n'avons plus le temps de bien faire » 112 ( * ) .

La commission d'enquête recommande à ce titre d'étendre les obligations transversales de diagnostic préventif des sols aux projets de construction et d'aménagement . Elles ne sauraient couvrir la totalité des projets, sous peine de représenter des coûts et délais colossaux, mais pourrait se concentrer sur un certain nombre de bâtiments dont l'usage implique une importante exposition à d'éventuels risques .

Afin de poursuivre les efforts de prévention vis-à-vis des établissements dits « sensibles » 113 ( * ) , la commission d'enquête recommande d'instaurer une obligation transversale de conduite d'un diagnostic des sols préventif pour tout projet de construction d'un établissement accueillant des enfants et adolescents 114 ( * ) . Cette obligation pourrait également être étendue à d'autres types d'établissements accueillant des publics vulnérables ou dont l'usage implique une exposition prolongée des risques, comme les habitations, les hôpitaux ou les établissements sociaux et médicosociaux.

(3) Renforcer les obligations de gestion des pollutions et de réhabilitation
(a) Uniformiser les obligations de réhabilitation applicables aux anciens sites d'ICPE

L'article L. 556-1 du code de l'environnement a instauré, pour les maîtres d'ouvrage de projets de construction et d'aménagement situés sur les terrains d'emprise d'anciennes ICPE, des obligations de gestion de la pollution des sols en fonction du nouvel usage envisagé. Un certain nombre des personnes auditionnées ont cependant alerté la commission d'enquête sur la portée restrictive de la rédaction de l'article, qui limite ces obligations aux terrains ayant accueilli une ICPE « mise à l'arrêt définitif et régulièrement réhabilitée pour permettre l'usage défini ».

Dans le cas d'un manquement aux obligations de l'exploitant de l'ICPE en matière de réhabilitation du site, c'est-à-dire lorsque l'installation n'a pas été « régulièrement réhabilitée », le maître d'ouvrage du nouveau projet n'est actuellement aucunement tenu de mettre en oeuvre des mesures de gestion . Pourtant, à défaut de réhabilitation et donc de mise en oeuvre de mesures de gestion, le risque n'en est que plus important. Quelle qu'ait été la qualité de la réhabilitation, la priorité est d'assurer que le nouvel usage n'emporte pas de risque.

La commission d'enquête recommande donc de supprimer au sein de l'article L. 556-1 du code de l'environnement la référence à une installation « régulièrement réhabilitée », afin de garantir une application homogène des obligations des maîtres d'ouvrage pour les projets de changement d'usage d'un ancien site d'ICPE , que sa réhabilitation ait été conduite de manière satisfaisante ou non au moment de la cessation d'activité.

(b) Faire en sorte que l'obligation de réhabilitation ne reste plus l'exception mais s'impose bien comme la norme

Dans le droit actuel, l'obligation de réhabilitation, même en fonction du seul usage, reste l'exception plutôt que la norme. Pour un projet conduit en dehors des anciens sites d'ICPE et en dehors des secteurs d'information sur les sols, un maître d'ouvrage ne se voit imposer aucune obligation de diagnostic préalable ou de réhabilitation.

Entendue par la commission d'enquête, Mme Anne-Gaëlle Dazzi, cogérante de la société Envisol, a signalé que « dans la vallée de l'Arve, par exemple, la plupart des sites de décolletage ne sont pas classés, alors qu'il s'agit pourtant d'activités polluantes. De même, de nombreuses friches urbaines ne sont plus classées. Même si les personnes sont sensibilisées, dès lors que l'on quitte le cadre des ICPE, la dépollution des sols relève d'une démarche volontaire du vendeur ou de l'acquéreur du terrain. » 115 ( * ) M. Abdelkrim Bouchelaghem, directeur général de la société Brownfields, a également indiqué que « lorsqu'il n'y a pas d'installation classée pour la protection de l'environnement, tout se fait sous la responsabilité du maître d'ouvrage, y compris la recherche des bureaux d'études, la définition des travaux de dépollution, l'obtention d'une attestation de bureau pour déposer les autorisations d'urbanisme... » 116 ( * )

Les découvertes fortuites de pollution sont pourtant nombreuses. La commission d'enquête note ainsi que la pollution aux solvants chlorés du site du collège Saint-Exupéry de Vincennes n'a été découverte que grâce à des analyses de sol facultatives menées par le département. De même, M. Bernard Plisson, directeur de la stratégie et du développement durable du port atlantique de La Rochelle, a indiqué à la commission d'enquête que « quelques années plus tôt, nous nous en tenions à la démarche réglementaire : nous réalisions des diagnostics dès lors que nous avions des occupants exploitants d'installations classées pour la protection de l'environnement. À la suite d'une déconvenue en particulier qui date d'une petite dizaine d'années, nous avons décidé de revoir notre stratégie. Ainsi, aujourd'hui, nous réalisons un diagnostic systématique de sol pollué dès lors que nous effectuons des travaux d'aménagement, au-delà des obligations réglementaires. » 117 ( * )

A contrario , de nombreuses opérations de construction ou d'aménagement sont aujourd'hui probablement conduites sur des sols pollués, sans que ne soit imposée aucune étude préalable. La réalisation d'un diagnostic relève aujourd'hui de « bonnes pratiques » et de la bonne volonté du maître d'ouvrage, y compris dans des territoires au passif industriel important et où des pollutions des sols ont déjà été constatées. La problématique du voisinage de sites pollués ou celle des anciens sites industriels figurant sur Basias , notamment, ne sont pas prises en compte par le code de l'environnement.

Ce constat général renvoie aux insuffisances du cadre législatif actuel en matière de pollution des sols et à la valeur juridique de la méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués, mais aussi à un manque de sensibilisation et d'accompagnement des maîtres d'ouvrages . Mme Christine Lafeuille, directrice adjointe « Stratégie et opérations foncières » et responsable de l'unité fonctionnelle « Stratégie foncière » de la Métropole européenne de Lille, collectivité précurseur en matière de gestion des friches polluées, a ainsi indiqué avoir dû composer avec des opérations dont ils ne maîtrisaient initialement pas les tenants et aboutissants : « nous avons très vite été confrontés au fait que la plupart de ces friches étaient hors du champ [...] des installations classées. De ce fait, le maître d'ouvrage devenait responsable du changement d'usage. Nous avons donc eu à mener des études de pollution ou sanitaires. Nous avons dû apprendre ce que nous devions faire lors du passage d'un zonage industriel à un zonage mixte. » 118 ( * )

Pourtant, la garantie d'une réhabilitation adaptée des sites est garante d'une gestion durable et équilibrée des sols, et permet de stopper la dynamique de dégradation progressive de leur qualité au fil des usages. À défaut de dépollution, les terrains seront condamnés à des usages de plus en plus restrictifs, limitant les marges de manoeuvre des maîtres d'ouvrage et amoindrissant la compétence d'aménagement des collectivités territoriales. Comme l'a rappelé M. Frédéric Ogé, ancien chercheur au centre national de la recherche scientifique, « il y a une vingtaine d'années, 60 000 à 70 000 hectares de terres par an devenaient des parkings ou des routes, alors qu'elles pouvaient être cultivées ou affectées à d'autres usages. On ne peut plus continuer ainsi à long terme. Il faut donc réoccuper de façon intelligente ces terrains définis comme des friches industrielles, commerciales ou des zones minières. » 119 ( * ) À long terme, à défaut de gestion durable des sols, la France pourrait faire face à un risque de pénurie des sols , évoqué par M. Thierry Lebeau, directeur de l'observatoire des sciences de l'univers de Nantes-Atlantique de l'université de Nantes, lors de son audition 120 ( * ) par la commission d'enquête.


* 75 Audition du 16 juin 2020.

* 76 Ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des déchets.

* 77 Article 21 de l'ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010.

* 78 L'article 32 de la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages a intégré en 2003 les sites et sols pollués au sein d'un dispositif relatif à la police des déchets, à l'article L. 541-3 du code de l'environnement.

* 79 Se référer au 2 du A du I de la présente partie pour une présentation détaillée et un bilan du dispositif des secteurs d'information sur les sols.

* 80 Décret n° 2015-1353 du 26 octobre 2015.

* 81 Décret n° 2015-1004 du 18 août 2015 portant application de l'article L. 512-21 du code de l'environnement.

* 82 En revanche, la procédure du tiers demandeur ne présente pas nécessairement un avantage financier pour l'exploitant. En effet, soit, dans un premier type de cas, le tiers demandeur rachète le site, le dépollue et le valorise : mais il est probable que, dans ce cas de figure, l'exploitant ait cédé son site à un prix inférieur au marché. Soit, dans un second type de cas, la charge de la dépollution est transférée de l'exploitant au tiers demandeur contre rémunération au titre d'une prestation assurée par le tiers demandeur dans le cadre d'un contrat.

* 83 L'article 32 de la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages a intégré en 2003 les sites et sols pollués au sein d'un dispositif relatif à la police des déchets, à l'article L. 541-3 du code de l'environnement.

* 84 Se référer au 2 du d du 3 du présent B pour davantage de précisions sur la responsabilité.

* 85 À titre d'exemple, les dispositions relatives aux SIS figurent à la fois aux articles L. 125-6 et L. 125-7, mais aussi à l'article L. 556-2.

* 86 Les articles L. 514-20 (ancien site ICPE) et L. 125-7 (SIS) prévoient tous deux une obligation d'information des acquéreurs qui se superposent en partie.

* 87 Jean-Pierre Hugon et Pierre Lubek, Rapport d'expertise et de propositions sur le dispositif juridique et financier relatif aux sites et sols pollués , rapport du conseil général des mines et de l'inspection générale des finances, avril 2000.

* 88 Deux circulaires « thématiques » coexistent avec cette nouvelle méthodologie : une circulaire du 14 décembre 2005 traitant du cas particulier des stations-services en changement d'usage ou en cessation d'activité, et une nouvelle circulaire du 8 février 2007 relative à l'implantation sur des sols pollués d'établissements accueillant des populations sensibles, comme les collèges, écoles et crèches.

* 89 Consultable en ligne à l'adresse : http://ssp-infoterre.brgm.fr/sites/default/files/upload/documents/methodo_ssp_2017.pdf .

* 90 Note du 19 avril 2017 relative aux sites et sols pollués - Mise à jour des textes méthodologiques de gestion des sites et sols pollués de 2007.

* 91 Ibidem .

* 92 Ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des déchets.

* 93 Consultable en ligne à l'adresse : http://ssp-infoterre.brgm.fr/sites/default/files/upload/documents/guide_du_donneur_d_ordre_v0.pdf .

* 94 Audition du 10 juin 2020.

* 95 Audition du 16 juin 2020.

* 96 Audition du 19 mai 2020.

* 97 Prévue par l'article R. 512-72-1 du code de l'environnement.

* 98 Prévue par l'article R. 556-5 du code de l'environnement.

* 99 Audition du 26 mai 2020.

* 100 Ces améliorations législatives et règlementaires sont traitées dans les parties dédiées à ces sujets dans le rapport.

* 101 Article L. 220-2 du code de l'environnement.

* 102 Audition du 9 juin 2020.

* 103 Article 9 de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil définissant un cadre pour la protection des sols et modifiant la directive 2004/35/CE - COM/2006/0232 final - COD 2006/0086 : « limiter l'introduction intentionnelle ou non de substances dangereuses dans le sol, à l'exception de celles qui sont déposées par l'air et de celles qui sont dues à un phénomène naturel exceptionnel, inévitable et incontrôlable, afin d'éviter l'accumulation de substances risquant de compromettre les fonctions des sols ou d'entraîner des risques importants pour la santé humaine ou pour l'environnement » ; et article 10 de la même proposition de directive : « présence de substances dangereuses découlant de l'activité humaine, dans des concentrations telles que les États membres considèrent qu'il en résulte un risque important pour la santé humaine ou pour l'environnement ».

* 104 Exploitation agricole et forestière, habitation, commerce et activités de service, équipements d'intérêts collectifs et services publics ; définies par l'article R. 151-27 du code de l'urbanisme.

* 105 Ce, d'autant que d'autres dispositions applicables aux ICPE utilisent, elles, la notion de « destination » et non celle d'usage, pour une finalité qui apparaît pourtant similaire, comme à l'article L. 514-20 : « [...] si une pollution constatée rend le terrain impropre à la destination précisée dans le contrat [...] ».

* 106 Audition du 10 juin 2020.

* 107 Conseil d'État, 21 février 1997, n° 160250, SCI Les Peupliers.

* 108 Conseil d'État, 8 juillet 2005, n° 247976, Société Alusuisse-LonzaFrance.

* 109 Conseil d'État, 21 juillet 2011, n° 328651, Wattelez.

* 110 Cette disposition a fait débat lors de l'examen au Parlement de l'article 173 de la loi ALUR, une version initiale de l'article prévoyant que le propriétaire doive démontrer l'absence de négligence, de connaissance des pollutions et de lien avec ces pollutions.

* 111 Naïma Belarbi, La loi ALUR et la chaîne de responsabilité des débiteurs de l'obligation de remise en état , mémoire de master 2 « Droit public » - mention « Droit de l'environnement », 2015 : selon ce mémoire, aurait été négligent le propriétaire qui « [étant] informé d'une pollution de ses sols et de sa possible migration hors site susceptible de présenter un risque [pour l'usage] », se serait « abstenu de mettre en demeure [l'exploitant] d'agir dans des délais raisonnables » ou « abstenu d'informer l'autorité de police compétente », ou le propriétaire qui « ayant eu la jouissance matérielle du terrain, [...] n'a pas pris les mesures de gestion nécessaires pour prévenir une migration future en provenance de son terrain susceptible de présenter un risque [pour l'usage] », qui « a délibérément refusé l'accès à son terrain au responsable ou à l'autorité de police compétente pour la réalisation de diagnostics de sols, des mesures de gestion ou de l'enlèvement des déchets ». Le propriétaire qui n'est pas étranger à la pollution aurait été défini comme « le propriétaire de l'assise foncière des sols dont l'autorité de police compétente peut établir qu'il a exploité l'installation [...] à l'origine de la pollution et a lui-même contribué à cette pollution de manière significative pendant sa période d'activité ».

* 112 Audition du 3 juin 2020.

* 113 Circulaire du 17 décembre 2012 relative aux diagnostics des sols dans les lieux accueillant les enfants et les adolescents.

* 114 Voir la proposition n° 4, au d du 3 du B du I de la présente partie.

* 115 Audition du 3 juin 2020.

* 116 Audition du 17 juin 2020.

* 117 Audition du 2 juillet 2020.

* 118 Audition du 16 juin 2020.

* 119 Audition du 23 juin 2020.

* 120 Audition du 23 juin 2020.

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