B. DES PARAMÈTRES ÉCONOMIQUES DONT L'ÉVOLUTION SUR LA DURÉE EST INCERTAINE

L'équilibre des contrats de concession et des avenants prend en compte un ensemble de paramètres économiques soumis à des aléas non négligeables à moyen et long termes. Il intègre les risques dont le concédant doit, par principe, supporter les conséquences, qu'il s'agisse des évolutions du trafic, du coût des travaux ou des coûts de financement et de gestion de la dette.

Lors de la privatisation de 2006, la valorisation des titres a été établie à partir d'un ensemble de paramètres et d'orientations stratégiques. Les experts ont en particulier pris appui sur les plans d'affaires des sociétés jusqu'à l'expiration des concessions. Ils ont éventuellement revus ces plans en fonction de leurs propres anticipations d'évolution du trafic, des tarifs et des investissements. Les offres des groupes candidats ont pris appui sur les informations comptables disponibles et des informations confidentielles communiquées en salle d'information ( data room ).

1. Un trafic sensible à la situation économique

Les recettes des sociétés autoroutières résultent à titre principal des péages 131 ( * ) dont le produit est lié à l'intensité du trafic.

Historiquement, la circulation sur le réseau autoroutier concédé, évaluée en kilomètres parcourus (véhicule.km 132 ( * ) ), a progressé à un rythme soutenu, de l'ordre de 3,7 % par an entre 1990 et 2008. Cette croissance résultait tout à la fois du développement du réseau, dont le linéaire a augmenté de 2,4 % par an sur la même période, et de la circulation d'un nombre croissant de véhicules 133 ( * ) .

La demande de transports autoroutiers est toutefois soumise aux aléas de l'activité économique , comme l'a montré la crise financière de 2008 ou, plus récemment, la crise sanitaire sur les premiers mois de l'année en cours dont les conséquences sur l'activité économique ne sont pas pleinement mesurables 134 ( * ) . Le trafic poids lourds en particulier est en effet très sensible à la situation économique.

Les hypothèses de trafic reposent sur des projections macroéconomiques (croissance du PIB, taux de chômage, poids des importations et des exportations dans l'économie). Une réduction de l'activité dans les secteurs de la construction, de l'industrie et de l'agriculture impacte en effet négativement le trafic poids lourds, en particulier le trafic international.

Celui-ci a ainsi chuté de 15 % en 2008, en raison de la crise économique et n'est revenu à son niveau de 2007 qu'en 2017, à périmètre constant. En raison de ce fort décrochement, les prévisions de trafic retenues en 2006 sont loin d'avoir été atteintes sur cette période, ainsi que le rappellent régulièrement les SCA historiques.

S'agissant du trafic des véhicules légers , ce sont essentiellement les évolutions du pouvoir d'achat et du coût du carburant (y compris la fiscalité associée) qui impactent son évolution, négativement ou positivement, selon le cas.

Des évolutions comportementales et technologiques sont également susceptibles d'avoir des conséquences sur le trafic autoroutier.

Il en est ainsi, par exemple, du développement du télétravail ou des circuits courts de production, que la crise sanitaire a semblé encourager et dont les effets sur le trafic futur sont pour le moins incertains en l'état. En tout état de cause, ces évolutions n'avaient pas pu être anticipées lors de la privatisation ni, plus récemment, lors de la négociation des avenants mettant en oeuvre le PRA ou le PIA .

Quant à la réduction des déplacements motorisés ou le développement des motorisations alternatives , dans le cadre de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, leurs conséquences potentielles sur le trafic n'ont pas non plus été prises en compte en 2006 et leur impact sur le trafic futur reste également difficile à apprécier 135 ( * ) .

On n'oubliera pas de mentionner, enfin, l' impact temporaire potentiel de certains mouvements sociaux comme celui des gilets jaune apparu en octobre 2018, à la suite de l'augmentation du prix des carburants automobiles résultant de la hausse de la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques), qui a entravé le trafic des véhicules légers au cours de l'hiver 2019-2020.

Les sociétés autoroutières insistent particulièrement sur le risque trafic qu'elles supportent, compte-tenu de l'encadrement tarifaire, et font valoir que les prévisions de trafic retenues lors de la privatisation de 2006 sont loin d'être atteintes.

2. Des produits de péages assis sur des bases de calcul optimisées et des hausses compensant des travaux supplémentaires

Le niveau des tarifs de péages est un autre facteur déterminant des revenus des SCA. Ces tarifs connaissent une augmentation annuelle, par sections et par classes de véhicules, en application de formules d'évolution tarifaires contractuelles qui s'appliquent presque mécaniquement à des bases largement figées depuis la suppression de l'adossement et du foisonnement , sous réserve de la réduction des écarts de variation entre les différentes sections d'autoroutes 136 ( * ) .

Ces évolutions sont indexées sur l'inflation hors tabac à hauteur de 80 % , en application des cahiers des charges. S'y ajoutent des hausses supplémentaires sur quelques années destinées à compenser , selon des taux fixés par les avenants, une partie des travaux supplémentaires résultant du PRA et du PIA et le rattrapage du gel des tarifs intervenu en 2015 137 ( * ) . Ces augmentations restent intégrées dans la base de calcul des augmentations ultérieures .

Concrètement, il résulte de ces éléments que la progression annuelle des revenus de péages des SCA historiques est toujours positive depuis la privatisation, même en cas de baisse du trafic.

3. Des revenus d'activités annexes contractualisés

Les activités annexes (distribution de carburant, activités de restauration et d'hébergement ...) sont exercées dans le cadre de sous-concessions attribuées à l'issue d'appels d'offres , pour lesquelles les titulaires versent un loyer aux sociétés d'autoroute dont le montant est déterminé par les contrats de sous-concession.

Le risque de fréquentation de ces installations est supporté par les sous-concessionnaires. Dès lors, sauf défaillance d'un sous-concessionnaire, la prévisibilité de ces recettes pour les SCA est forte et le risque de non versement faible.

En outre, depuis la privatisation, le niveau de service des installations annexes a été renforcé. L'augmentation de chiffre d'affaires qui en résulte a été prise en compte par les SCA dans les appels d'offres et leur permet de bénéficier de loyers plus élevés.

4. Des coûts d'investissements évalués en fonction des index de travaux publics

Les coûts prévisionnels de construction ou de travaux nouveaux sont évalués dans le cadre de la négociation des contrats et de leurs avenants . Les montants effectifs peuvent s'avérer moins élevés qu'initialement prévus en cas d'offres plus avantageuses des entreprises de travaux publics, le concessionnaire bénéficiant alors du différentiel . Les coûts peuvent également s'avérer sous-estimés ; le différentiel est alors à la charge du concessionnaire.

Les coûts peuvent en effet s'écarter des prévisions, en montant comme en délais de réalisation, sous l' effet d'éléments exogènes comme le coût des matières premières et le coût du travail (en cas de hausse du salaire minimum ou des charges sociales par exemple) ou encore en cas de renforcement des prescriptions techniques (par exemple en matière de prévention des risques d'inondation) ou de découverte a posteriori de difficultés supplémentaires (par exemple dans la structure des sols). Les surcoûts en résultant n'ayant pas été pris en compte dans les coûts des travaux prévus par les avenants, ils sont in fine supportés par le concessionnaire.

Des index de travaux publics prévoient les évolutions des coûts de travaux et de maintenance avec, là encore, des marges d'incertitude, d'autant qu'il faut pouvoir prendre appui sur un index pertinent, tenant compte de la nature des travaux à réaliser (terrassements et enrobés ou travaux environnementaux comme, par exemple, l'aménagement de bassins de rétention), étant observé que les coûts varient fortement en fonction des conditions techniques de réalisation des travaux.

Il est à noter que l'ART est en train de constituer une base de données précieuse sur les coûts des travaux qui fournira pour l'avenir au concédant des éléments documentés dans les négociations avec les SCA.

5. Des charges opérationnelles maîtrisées
a) Une automatisation des péages toujours en cours

Avec la prise en charge de la gestion des autoroutes par des opérateurs privés, les charges opérationnelles d'exploitation des concessions prises en compte lors de la privatisation devaient logiquement faire l'objet d'une maîtrise renforcée de nature à améliorer la marge brute d'exploitation.

Dans la mesure où il permet de substituer au système de péage actuel des portiques communicants installés le long du trajet sur autoroute et de dématérialiser totalement le paiement, le « free flow » , qui est en cours d'expérimentation en France , devrait également réduire ces charges s'il parvient à être sécurisé pour éviter la fraude.

b) Le redéploiement des salariés

L 'automatisation des péages a permis de réduire progressivement les charges de personnel.

Les SCA ont précisé que la réduction des effectifs découlant de l'automatisation des péages avait été progressive, qu'elle s'était effectuée sans licenciement, à travers des départs volontaires et le redéploiement des personnes concernées sur d'autres fonctions.

Les partenaires sociaux, en particulier la CFDT 138 ( * ) dans un courrier adressé au rapporteur, ont indiqué que cette transition a entraîné une évolution de la pyramide des âges. Le non-remplacement des départs s'est en effet traduit par un vieillissement des effectifs .

Ils estiment par ailleurs que la formation aux nouveaux postes aurait été dans certains cas insuffisante .

L'État concédant ne saurait se désintéresser de la gestion par les sociétés concessionnaires de leurs personnels. Il devra en particulier s'assurer que les SCA respectent à court et moyen termes les engagements pris dans le cadre de la responsabilité sociale d'entreprise (RSE) et que le dialogue social reste de bonne qualité .

6. Un refinancement de la dette et des fonds propres facilité par l'évolution des taux d'intérêts

Lorsque les sociétés d'autoroutes historiques ont été privatisées, elles étaient porteuses d'un fort endettement résultant du financement des travaux de construction, d'aménagement et d'entretien du réseau concédé, dont on a vu qu'il devra avoir été intégralement remboursé à l'échéance de la concession.

L' acquisition des actions par les groupes dont les SCA historiques sont devenues des filiales a en outre été financée par un endettement supplémentaire qui est venu s'ajouter à cette dette.

La part de la dette figurant au passif reflète en principe le niveau de risque de la structure (du projet quand il s'agit des avenants). Plus le risque est élevé, plus il faut mettre en regard des fonds propres dont la dette constitue le complément du financement.

L'évaluation du coût de l'ensemble de ces dettes et des fonds propres prise en compte dans la valorisation des titres lors de la privatisation a été calculée en fonction d' hypothèses d'évolution des taux d'intérêt jusqu'à l'échéance des concessions.

Or, la structuration initiale de la dette peut être modifiée dans la durée en fonction de l'évolution des taux d'intérêts . Lorsque ceux-ci baissent, et compte-tenu des conditions des prêts qui ont financé cette dette, celle-ci peut alors être refinancée à un coût inférieur au coût initial tandis que l'endettement de la SCA, dont les intérêts sont fiscalement déductibles, est maintenu à un niveau élevé, ce qui lui permet de verser des dividendes importants à la société mère, y compris grâce à un endettement supplémentaire, afin de rembourser la dette d'acquisition.

Dans les faits, on le sait, l'évolution des taux d'intérêts, dont la référence retenue en 2006 lors de la valorisation des SCA était le taux de l'OAT à 10 ans (4 %), a suivi une pente descendante à partir de 2009 pour atteindre des taux très bas.

Cette évolution favorable des taux d'intérêt a permis aux SCA de refinancer leur dette à des conditions avantageuses . En choisissant de rester très endettées, elles optimisent leur coût du capital.

Cette optimisation financière, qui n'avait pas pu être prévue lors de la privatisation, a permis aux SCA et aux groupes qui les détiennent de dégager des marges financières que la déductibilité des intérêts d'emprunts a encore améliorées.


* 131 Elles constituaient ainsi 98 % du chiffre d'affaires d'ASF en 2006. Le président des concessions françaises d'Eiffage a indiqué à la commission d'enquête que 97 % des revenus de ces concessions en résultaient.

* 132 Il s'agit du nombre de véhicules multiplié par la distance moyenne parcourue sur le réseau considéré.

* 133 La progression à réseau constant a atteint 1,3% par an sur la même période.

* 134 Voir Quatrième partie, I.

* 135 Voir sur ce point le rapport précité de l'Autorité de régulation des transports, Économie des concessions autoroutières, publié le 30 juillet 2020.

* 136 Voir infra Troisième partie.

* 137 Voir supra, Première partie.

* 138 Plus précisément le SAOR, Syndicat CFDT autoroutes et ouvrages routiers.

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