D. DES AIDES ÉCONOMIQUES MAL CALIBRÉES OU TROP PEU SOLLICITÉES PAR LES AGRICULTEURS

1. Des aides aux exploitations en difficultés économiques mal calibrées

Depuis 2018, le dispositif Agridiff (aides aux agriculteurs en difficultés) a été remplacé par l'aide à la relance des exploitations agricoles (Area) ainsi qu'une aide à la réalisation d'un diagnostic technique, économique, financier et social de l'exploitation 103 ( * ) .

a) Une aide à un audit global de l'exploitation agricole

Comme le rappelle l'instruction technique dédiée à cette aide 104 ( * ) , l'objectif du dispositif est, une fois le repérage des exploitations agricoles en situation de fragilités effectué de manière précoce, de leur proposer un audit global de l'exploitation agricole afin d'identifier les causes de leurs difficultés et de les accompagner vers un panel de solutions.

Le diagnostic vise à :

• établir un bilan de la situation technique, économique, financière et sociale de l'exploitation ;

• proposer un plan d'actions permettant de répondre aux difficultés recensées dans le bilan en concertation avec l'agriculteur ;

• orienter, le cas échéant, l'agriculteur vers des dispositifs de soutien adaptés.

L'audit, qui doit respecter un cahier des charges et être mené par un expert habilité par le préfet de département par le biais d'une convention annuelle, dans la mesure du possible une structure non créancière de l'exploitation agricole auditée, peut être subventionné par l'État à hauteur de 80 % de son coût, dans la limite de 800 euros 105 ( * ) . Cette aide peut être complétée par les autres financeurs publics dans la limite d'un montant maximal éligible, tous financeurs confondus, de 1 500 euros. Cette aide ne peut être perçue qu'une seule fois dans un délai de cinq ans, sauf exception en cas de regroupement.

L'instruction technique précise qu' « aucune aide spécifique au montage du dossier de demande d'aide à la réalisation de l'audit n'est octroyée. En cas de facturation d'une mission d'assistance, de conseil et d'orientation auprès de l'exploitant par un expert de son choix, et ce indépendamment de la réalisation de l'audit, l'exploitant doit en régler directement le montant auprès de l'organisme ». Or compte tenu des difficultés financières rencontrées par les exploitants requérant cette aide à l'audit, il est fort probable que cette restriction des dépenses subventionnées les désincite à solliciter ce dispositif.

b) Une aide à la relance de l'exploitation agricole, qui comprend deux volets

À la suite de cet audit global, s'il est établi que l'exploitation agricole est en situation de « difficultés structurelles avec une viabilité pouvant néanmoins être assurée » 106 ( * ) , appréciée au regard d'indicateurs financiers déterminés dans l'instruction technique, l'agriculteur peut bénéficier du dispositif d'aide à la relance de l'exploitation agricole (AREA) 107 ( * ) .

Deux conditions principales sont donc à remplir pour que l'exploitation puisse demander l'aide :

• que l'audit global ait été préalablement réalisé et, le cas échéant, suivi d'une proposition de plan de restructuration par la cellule départementale d'accompagnement des exploitants en difficultés ;

• que le plan puisse rétablir la viabilité de l'exploitation à long terme.

Le cas échéant, le plan comporte deux modalités d'action :

(1) Un plan de restructuration sur 7 ans maximum

Ce plan est signé par les partenaires, l'exploitant, et visé par le préfet après expertise par la cellule d'accompagnement.

Ce plan est composé d'une description des circonstances à l'origine des difficultés de l'exploitation, des dispositions à mettre en oeuvre pour concourir au retour à une situation saine, d'une liste d'engagements de l'exploitant, qui doit concourir à hauteur d'au moins 25 % des coûts totaux de la restructuration de son exploitation, les aménagements consentis par les créanciers, les aides financières de l'État et des collectivités territoriales et une présentation, compte tenu de ces éléments, de résultats prévisionnels.

L'aide à la restructuration, accordée par l'État, permet la prise en charge, totale ou partielle en fonction des charges visées, des intérêts des prêts, bancaires ou non, des garanties, ou des facilités de paiements accordés à l'exploitant, ainsi que du surcoût induit par une restructuration bancaire.

L'aide est calculée dans la limite d'un plafond qui est fonction du nombre d'unités de travail sur l'exploitation : la clé retenue est un montant plafonné de 10 000 euros pour une unité de travail non salariée auquel s'ajoute, le cas échéant, un relèvement de plafond de 2 000 euros par nombre de salariés en équivalent temps plein.

L'aide de l'État peut être complétée par une aide d'autres financeurs publics dans la limite d'un plafond 108 ( * ) , après déclaration spécifique à l'administration centrale pour respecter le régime européen d'encadrement des aides d'État.

Toutefois, l'instruction technique précise que l'AREA n'entre pas dans le champ des aides relevant de la compétence départementale au sens de l'article 94 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

(2) Un suivi technico-économique

Ce suivi doit durer au minimum trois années et être mené par un expert habilité, au choix de l'exploitant, afin de suivre le bon déroulement du plan de restructuration.

Le financement de ce suivi est porté par l'État à hauteur de 1 000 euros avec un taux de subvention de 80 % du coût de la prestation, soit une subvention maximale de l'État de 800 euros. Cette aide peut être complétée par les autres financeurs publics dans la limite d'un montant maximal éligible tous financeurs confondus de 1 500 euros.

c) Des conditions trop strictes entraînant une sous-exécution chronique de ces enveloppes, en dépit des besoins
(1) Une sous exécution de l'enveloppe, incohérente au regard des besoins

Si l'enveloppe allouée à l'ensemble de ces dispositifs a été revalorisée en 2018 et s'élève à un peu plus de 3,5 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2019, elle reste trop peu mobilisée : chaque année est constatée une sous-exécution massive. La loi de règlement de 2019 fait état de l'engagement d'aides à hauteur de 673 681 euros, et du décaissement effectif de 0 €, soit une sous-consommation sur cette ligne de 2,8 millions d'euros en autorisations d'engagements et de 3,5 millions d'euros en crédits de paiement.

Le rapport annuel de performances annexé au projet de loi de règlement pour 2020 se contente de préciser que les crédits ont été mobilisés en fongibilité par les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) pour combler diverses impasses de faible montant en gestion sur le programme. Ceci peut expliquer pourquoi, en 2020, le Gouvernement a précisé que serait financé, par ces montants non utilisés pour les exploitations en difficultés, l'aide à l'audit pour les exploitations agricoles sortant des zones défavorisées simples dans le cadre du nouveau zonage des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN).

Pour les rapporteurs, il existe donc un très clair décalage entre les besoins constatés sur tous les territoires, et remontés aux services préfectoraux ainsi qu'aux rapporteurs, et l'effectivité des décaissements de cette aide.

Les dialogues avec les services préfectoraux rencontrés, comme celui avec les organismes spécialisés, donnent plusieurs explications à cette sous-mobilisation, essentiellement liée à un calibrage inapproprié et défaillant de cette aide.

(2) Des critères exclusivement comptables, difficiles à remplir pour des exploitants en difficultés

Premièrement, les critères, en reposant sur des données exclusivement comptables, évincent certaines exploitations en grande difficulté, dans lesquelles les agriculteurs ont cessé d'effectuer un suivi comptable fin.

L'exploitation du demandeur doit en effet employer au moins une unité de travail agricole non salariée, au maximum 10 salariés en équivalents temps plein, et répondre à au moins 3 des 4 critères suivants : un taux d'endettement 109 ( * ) supérieur à 70 % ; une trésorerie 110 ( * ) négative ; un indicateur d'efficacité économique (EBE/produit brut 111 ( * ) ) inférieur à un seuil de 25 % ; un revenu disponible inférieur à 1 SMIC par unité de travail non salarié.

Ces critères sont appréciés au regard du dernier exercice comptable clos.

L'une des leçons principales des rencontres des rapporteurs avec des exploitants en difficultés et des professionnels de l'aide à ces exploitations est que le non-suivi de sa comptabilité par un exploitant agricole durant plusieurs mois voire plusieurs années est un des éléments d'alerte les plus fiables pour détecter la détresse d'un agriculteur. Au reste, si l'exploitation est en difficultés, les centres de gestion sont en droit de suspendre leur activité comptable faute de paiement.

Bien qu'il faille des éléments objectivables pour accorder des subsides publics, faire reposer la seule éligibilité de ces deux aides spécifiques aux exploitations en difficultés sur des seuils comptables est dès lors peu opérationnel, et fait sortir du dispositif de nombreux agriculteurs qui en auraient besoin.

L'instruction technique reconnaît d'ailleurs cette difficulté en prévoyant une possibilité, pour les exploitations sans comptabilité certifiée, de reconstituer une comptabilité dans une annexe spécifique afin de vérifier que la situation de l'exploitation réponde aux critères d'éligibilité. Cette reconstitution se réalise après classement des factures, relevés de banque sous un an et recensement de l'ensemble des tableaux de remboursement et des courriers de contraintes.

La contrainte est jugée, par des exploitants, décourageante. D'autant que le cadre déterminé par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation prévoit explicitement qu'« aucune aide spécifique au montage du dossier de demande d'aide à la réalisation de l'audit n'est octroyée. En cas de facturation d'une mission d'assistance, de conseil et d'orientation auprès de l'exploitant par un expert de son choix, et ce indépendamment de la réalisation de l'audit, l'exploitant doit en régler directement le montant auprès de l'organisme. »

Recommandation n° 35 : rendre éligible à l'audit spécifique l'aide à la reprise d'une comptabilité nécessaire au montage du dossier de demande d'aide.

Deuxièmement, les services préfectoraux estiment que les dispositifs subventionnés sont trop complexes pour le montage des dossiers et leurs instructions au sein des DDT.

Ce constat est partagé par les exploitants rencontrés. Beaucoup préfèrent abandonner, d'aucuns allant jusqu'à estimer que cette complexité est volontairement dissuasive.

Du côté des DDT, selon plusieurs témoignages, il faut de solides compétences en analyse des compatibilités agricoles pour réaliser le travail sérieusement et les formations pour les agents instructeurs de ces dossiers ne sont pas suffisantes.

Troisièmement, les critères d'éligibilité sont trop restrictifs et ne permettent d'accompagner que des structures déjà en très grande difficulté.

Le critère de taux d'endettement à 70 % exclut, dans certains départements, près des 2/3 des demandes, alors que des exploitations en difficultés nécessiteraient de bénéficier d'un plan de restructuration.

Surtout, ces critères déclencheurs ne permettent, quand ils sont remplis, que de lancer un dialogue sur des exploitations en très grandes difficultés, qui, dès lors, pourraient ne plus remplir le critère de viabilité de l'exploitation. Autrement dit, la complexité et la rigidité des critères d'éligibilité est source de perte de temps, période durant laquelle les difficultés financières, qui requièrent pourtant une intervention rapide, s'accroissent.

À bien des égards, il serait donc utile que cette aide puisse permettre la prise en charge précoce des exploitations, pour lesquelles les difficultés sont prévisibles mais non encore visibles dans la comptabilité de l'exploitation. Tout se passe comme si actuellement, la politique agricole ne proposait que des aides à l'investissement pour les exploitations en situation dynamique, ou des aides à la cessation de l'activité, lorsque leur situation est insoluble et dramatique.

À l'inverse, les rapporteurs estiment qu'il est urgent de développer une politique plus anticipatrice d'aides aux difficultés des exploitations avant qu'il ne soit trop tard. L'assouplissement des critères d'éligibilité au diagnostic et, le cas échéant, au plan de restructuration, permettrait de démarrer un accompagnement plus précoce et plus utile, avant qu'il ne soit trop tard.

Recommandation n° 36 : faire de l'aide à la relance des exploitations agricoles un dispositif précoce d'aide à la prévention des difficultés en assouplissant réellement les critères d'éligibilité à l'aide à l'audit global et à l'AREA.

(3) Intégrer des considérations extra-économiques dans les critères d'éligibilité

En outre, il est regrettable que l'éligibilité à ces exploitations en difficultés ne soient basée que sur des critères économiques fixes, au demeurant contestables, et alors même que de nombreux autres facteurs sont en cause.

Il est indispensable de faciliter l'accès à l'audit et à l'aide à la relance en élargissant la nature des critères d'éligibilité aux problématiques de santé, de relations humaines, à l'exposition aux aléas climatiques ou sanitaires, à l'appréciation de la commission d'examen des dossiers. Laisser des marges de manoeuvre locales aux comités d'accompagnement sur des critères objectivables non exclusivement économiques est de nature à mieux cibler les exploitations en difficultés et à leur proposer des aides adaptées à leur besoin, tout en respectant les exigences définies par le droit européen.

Recommandation n° 37 : élargir les critères d'éligibilité à l'AREA à des considérations non économiques pour apprécier plus globalement la question des difficultés rencontrées sur une exploitation.

(4) Accroître les montants allouables en cas d'octroi de l'aide

La profondeur de l'aide, ne couvrant en général que les charges d'intérêt d'emprunt et une partie des dettes sociales, est, au reste, questionnée par certains professionnels contactés, notamment au regard des besoins des exploitations éligibles, qui ont beaucoup de dettes à rembourser et des difficultés importantes de trésorerie.

La commission pourrait, dans certains cas, apporter des aides à la trésorerie des exploitations en finançant une partie du besoin en fonds de roulement des exploitations.

En outre, les commissions de type AREA pourraient disposer, dans certains cas, de moyens supplémentaires qui leur donneraient des prérogatives proches des commissions de surendettement, ces dernières disposant, par exemple, de la faculté d'imposer un rééchelonnement de la dette, de réduire le taux d'intérêt voire de suspendre une partie des dettes par négociation avec les créanciers, afin de limiter l'aggravation des situations.

Recommandation n° 38 : doter les commissions AREA de pouvoirs spéciaux à l'image des commissions de surendettement.

Enfin, la quasi-intégralité des témoignages recueillis par les rapporteurs déplorent un reste à charge trop élevé pour l'exploitant déjà en grandes difficultés. Devoir s'acquitter de 20 % du montant de l'audit et d'au moins 25 % du plan de restructuration est un frein massif à la sollicitation de ces aides pourtant utiles.

Cela est d'autant moins compris par les exploitants que certains experts mobilisés pour l'audit facturent au-delà des montants indemnisés, augmentant ainsi le reste à charge.

Au regard des montants invoqués, il conviendrait de réduire ce reste à charge à une portion congrue. Certaines chambres d'agriculture, comme dans le département des Hautes-Pyrénées, ont d'ailleurs choisi de ne pas faire payer cette prestation, prenant en charge le coût résiduel qui incombe aux exploitants.

En outre, il est regrettable que les mesures d'accompagnement s'arrêtent à l'audit global et que, compte tenu de leur montant, elles ne permettent pas de financer des études de faisabilité détaillées sur des possibilités d'évolution de l'exploitation. L'audit global pourrait, avec un montant accru, aller plus loin qu'un simple état des lieux et proposer, ainsi, une vraie réflexion prospective sur l'exploitation.

Recommandation n° 39 : augmenter les plafonds des aides accordées pour le diagnostic global et l'AREA.

2. Une éligibilité à d'autres dispositifs de soutien en cas de difficultés financières
a) Les caisses de MSA ont la faculté de différer voire d'annuler le paiement de certaines cotisations sociales pour des agriculteurs en difficultés

L'agriculteur en difficultés peut aussi bénéficier d'aides à la trésorerie par divers moyens.

Du côté fiscal, répondant au cas de crise conjoncturelle, les exploitants peuvent, après une perte de récolte sur pied à la suite de grêle, gelée, inondation, incendie ou autres événements extraordinaires, bénéficier d'un dégrèvement, sur réclamation, de la taxe foncière sur les propriétés non bâties 112 ( * ) .

Du côté des cotisations sociales, les caisses de la MSA peuvent permettre de limiter le poids de ces charges sociales des exploitants, sur leur demande. Des modulations voire des remises de cotisations sociales peuvent être accordés par les caisses de MSA concernées aux exploitants qui en font la demande.

Les non-salariés agricoles qui en font la demande peuvent quant à eux, dans un premier temps, modifier leur assiette de calcul de cotisations afin de soulager leur trésorerie en optant pour l'assiette de cotisations sociales de leurs revenus professionnels afférents à l'année précédente au lieu de l'assiette triennale (la moyenne des revenus des trois derniers exercices).

Une modulation, pour tout agriculteur le demandant, ou un différé du montant des cotisations et contributions sociales, peuvent également être accordés par la caisse de la MSA lorsque l'agriculteur est empêché de les régler dans les délais prescrits, et qu'il dispose d'une « exploitation viable » 113 ( * ) . Lorsqu'il ne peut pas les acquitter, il peut demander à la MSA d'en prendre une partie en charge 114 ( * ) , par le biais des crédits de son fonds d'action sanitaire et sociale, ces aides étant plafonnées à hauteur de 3 800 euros (jusqu'à 5 000 euros dans des cas exceptionnels, cf. infra ).

Si la prise en charge n'inclut pas les pénalités et les majorations de retard, celles-ci peuvent être annulées en cas de retard de paiement, si les exploitants concernés formulent une demande écrite et motivée auprès de la caisse de la MSA dans le délai de six mois suivant le paiement de la totalité des cotisations ayant donné lieu à des pénalités.

Aux termes de l'article R. 726-1 du code rural et de la pêche maritime, la MSA peut ainsi « accorder aux cotisants des régimes agricoles de protection sociale momentanément empêchés de régler les cotisations légales et les contributions de sécurité sociale par suite de circonstances exceptionnelles ou d'insuffisance des ressources de leur ménage ou de trésorerie de leur société, des aides sous forme d'échéanciers de paiement d'une durée maximale de trois ans ou de prise en charge totale ou partielle des sommes dues à ce titre ».

Il semble pourtant que cette durée maximale de trois ans soit trop courte dans un nombre non négligeable de cas, la situation financière de l'exploitation - viable, au demeurant - nécessitant une période plus longue.

Les rapporteurs recommandent donc de prévoir la possibilité, sur instruction ministérielle, de doubler la durée maximale à six ans, lorsque les circonstances l'imposent (filière particulièrement touchée, département faisant face à des difficultés spécifiques). Le cas échéant, il conviendra de veiller à ce que l'impact de cet allongement sur le taux de « reste à recouvrer » de la MSA, à propos duquel elle doit rendre des comptes, soit neutralisé.

Recommandation n° 40 : prévoir un allongement à six ans, sur instruction ministérielle, de la durée maximale des échéanciers de paiement pouvant être accordés par la MSA.

Par ailleurs, le plafond de la prise en charge partielle des cotisations sociales pouvant être accordée par la MSA semble inadapté dans les cas où une exploitation, viable économiquement par ailleurs, présente des difficultés conséquentes.

Les rapporteurs recommandent donc que le président de la MSA puisse accorder une prise en charge partielle des cotisations au-delà de ce plafond exceptionnel de 5 000 euros.

Recommandation n° 41 : augmenter à 10 000 euros le plafond de prise en charge partielle et exceptionnelle des cotisations sociales par la MSA.

Les actions de la MSA demeurent toutefois contraintes par ses capacités budgétaires et salariales. Par conséquent, les rapporteurs recommandent que la renégociation en cours de la convention d'objectifs et de gestion (COG) de la MSA envisage une augmentation des budgets dédiés à ces actions, notamment afin d'accroître le niveau de modulation voire d'annulation des cotisations sociales en cas d'absence de revenu de l'agriculteur.

De façon générale, les rapporteurs soulignent que la hausse des moyens dédiés de la MSA doit trouver sa contrepartie dans la production d'un effort accru de soutien aux agriculteurs en difficultés, conformément aux constats et propositions formulés dans le présent rapport.

Recommandation n° 42 : à l'occasion de la négociation en cours de la Convention d'objectifs et de gestion de la MSA, prévoir un financement suffisant des actions de la MSA en matière de modulation et d'annulation des cotisations des exploitants en difficultés, notamment lorsqu'ils n'ont pas de revenu.

b) Un faible recours du monde agricole au RSA et à la prime d'activité

En outre, les agriculteurs sont éligibles à la prime d'activité ainsi qu'au revenu de solidarité active (RSA).

Les foyers qui disposent de faibles ressources, à savoir si l'ensemble de leurs revenus, y compris les prestations familiales, est inférieur à un montant forfaitaire, sont éligibles au RSA et peuvent ainsi percevoir une aide correspondant à la différence entre le montant forfaitaire du RSA et la moyenne mensuelle de leurs revenus. L'article D. 262-17 du code de l'action sociale et des familles dispose que le droit au RSA est ouvert aux non-salariés agricoles, qu'ils soient imposés au régime du forfait ou au régime du réel dès lors que leur dernier bénéfice agricole connu n'excède pas 800 fois le montant horaire du salaire minimum de croissance (SMIC) en vigueur au 1 er janvier de l'année de référence (8 200 euros, sur la base d'un montant horaire de 10,25 euros en 2021). Ce montant est majoré de 50 % lorsque le foyer se compose de deux personnes et de 30 % pour chaque personne supplémentaire. L'article R. 262-18 prévoit un aménagement pour les exploitations au micro-bénéfice agricole 115 ( * ) .

Ces foyers sont également éligibles à la prime d'activité, qui vise à compléter les ressources des exploitants aux revenus modestes en améliorant ainsi leur pouvoir d'achat 116 ( * ) .

Au total, 157 377 foyers relevant du régime agricole bénéficient de la prime d'activité à fin 2020, dont 44 000 foyers de non-salariés agricoles pour un montant moyen de 227 euros. Concernant le RSA, la MSA dénombre près de 37 400 bénéficiaires relevant du régime agricole, dont 14 700 non-salariés agricoles, pour lesquels le droit moyen est de 423 euros.

Ces chiffres font état d'une sollicitation relativement faible du RSA dans le milieu agricole. Alors que le taux d'allocataires du RSA dans la France métropolitaine est de 4,4 %, il ne bénéficie, selon des estimations, qu'à 3,7 % des non-salariés agricoles, alors même que, selon les chiffres de l'Insee, 19 % des agriculteurs n'avaient aucun revenu, voire ont été déficitaires en 2017 117 ( * ) .

Si cette situation peut s'expliquer par le cumul avec d'autres activités salariées du ménage notamment, il convient de rappeler qu'il est parfois difficile, pour un exploitant, d'accepter d'avoir besoin de vivre d'aides publiques, voire, plus généralement, de demander de l'aide. Pourtant, les rapporteurs rappellent que le RSA est un droit pour tous les citoyens, si leur revenu ne leur permet pas de vivre.

Certains témoignages recueillis lors de la consultation en ligne font état, au-delà d'un éventuel refus de solliciter de l'aide, d'une absence de questionnement sur ce sujet, comme s'il était évident que les agriculteurs n'y avaient pas le droit : « il vivait en dessous du RSA, auquel il avait le droit, mais pour lequel il ne s'était même pas posé la question d'en faire la demande ».

L'association des départements de France, entendue par le groupe de travail, a par exemple estimé que pour le département de la Corrèze, sur les 4 500 agriculteurs, 2 000 seraient éligibles mais seulement 70 en sont bénéficiaires, faute de demandes, les exploitants estimant qu'une tel recours au RSA pourrait mettre en péril leur patrimoine (ce qui n'est pas le cas).

Au-delà de ces barrières psychologiques, des difficultés techniques se posent, en pratique, pour le calcul du bénéfice agricole retenu comme condition à l'éligibilité au RSA.

Sauf délégation donnée à la MSA, le président du Conseil départemental peut arrêter les modalités de l'évaluation des revenus professionnels des non-salariés agricoles nécessaires au calcul du RSA. En principe, l'évaluation des revenus s'effectue en retenant le bénéfice agricole de l'avant-dernière année précédant celle au cours de laquelle le droit au RSA est étudié, ou du bénéfice de la dernière année s'il est connu. Sous certaines conditions, le président du conseil départemental peut tenir compte du chiffre d'affaires ou du revenu disponible.

Le manque d'harmonisation de ces critères entre départements pourrait, selon plusieurs personnes entendues, nourrir des incompréhensions chez les agriculteurs, certains départements prenant en compte des définitions différentes dans la composition des revenus agricoles.

Certes, si la situation exceptionnelle de l'exploitant agricole au regard de son insertion sociale et professionnelle le justifie, l'article L. 262-8 du code de l'action sociale et des familles dispose que le président du conseil départemental peut déroger par décision individuelle à l'application de ces conditions particulières d'accès au RSA.

Toutefois, comme le rappelle la réponse du Gouvernement à une question écrite, « le recours à cette procédure dérogatoire peut s'avérer difficile à mettre en oeuvre lorsqu'il s'agit d'estimer les ressources d'agriculteurs confrontés à une baisse de leurs revenus. À ce titre, les conseils généraux, ou les organismes de mutualité sociale agricole ayant reçu délégation du président du conseil général, doivent s'attacher à étudier tous les éléments d'appréciation qui leur sont fournis pour arrêter l'évaluation des revenus professionnels des agriculteurs en grande difficulté afin de leur permettre l'accès au RSA » 118 ( * ) .

En outre, l'association Solidarité paysans, qui accompagne notamment les agriculteurs le plus souvent dans la gestion administrative de leurs difficultés financières, a constaté que des exploitants, concernés par des procédures de redressement ou de sauvegarde judiciaire, étaient exclus de l'éligibilité à ces dispositifs en raison la non-prise en compte des montants de remboursement des dettes et annuités des plans de redressement et de sauvegarde dans le calcul du revenu disponible.

De même, le mode de calcul du revenu professionnel pourrait exclure du droit au RSA des agriculteurs bénéficiant d'indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) 119 ( * ) . Le ministère de l'agriculture et de l'alimentation s'était engagé, en 2019, « s'agissant de la prise en compte des ICHN pour le calcul du droit au RSA et à la prime d'activit é » à « mener une expertise sur cette question en lien avec les services de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole pour déterminer le régime social applicable à cette aide » 120 ( * ) .

Force est de constater que le flou demeure, au détriment de nombreux agriculteurs.

Enfin, comme tous les bénéficiaires du RSA, les agriculteurs doivent effectuer une déclaration trimestrielle de ressources. Il est vrai que cette déclaration semble bien contradictoire avec la saisonnalité inhérente à l'activité agricole. Le risque de cette surcharge administrative est de lasser les exploitants, qui refuseraient, dès lors, à leurs droits. L'instabilité de l'éligibilité d'un trimestre à l'autre (en fonction de la fluctuation des revenus), et les délais pour toucher le RSA, freinent les demandes selon une étude 121 ( * ) .

Compte tenu de ces difficultés paramétriques liées à la non-prise en compte des particularités de l'activité agricole dans les conditions d'éligibilité au RSA, il apparaît nécessaire, pour les rapporteurs, de mener un travail de réflexion spécifique sur cette question, associant l'ensemble des parties prenantes afin d'élaborer un système harmonisé, simplifié pour les départements comme pour les agriculteurs, et plus juste.

Recommandation n° 43 : mettre en place un groupe de travail avec l'ensemble des parties prenantes (ministère, départements, associations compétentes, centres de gestion, MSA...) afin d'harmoniser et de faciliter le recours au RSA par les agriculteurs en difficultés en rendant les critères d'éligibilité davantage compatibles avec la réalité du travail agricole, tout en reposant la question du financement de ce dispositif social.


* 103 Les conditions d'attribution de ces aides sont prévues aux articles D. 354-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime.

* 104 Instruction technique DGPE/SCPE/SDC/2018-325 du 24 avril 2018.

* 105 Ce montant a été augmenté en 2018, le précédent plafond étant de 300 euros.

* 106 Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, fiche explicative modalités AREA, 6 janvier 2021

* 107 Approuvé par la Commission européenne le 12 mars 2019

* 108 L'instruction technique précise que « les autres financeurs publics ont la possibilité de compléter l'aide de l'État dans la limite d'un plafond global identique, à l'exclusion notable de la déduction du montant des aides accordées par la MSA. Toutefois, le Conseil départemental ne peut pas intervenir ».

* 109 Ratio entre les dettes totales et le passif.

* 110 Somme des disponibilités et des créances à laquelle sont soustraites les dettes à court terme de moins de deux ans à la fois auprès des banques, des fournisseurs et des dettes sociales et fiscales.

* 111 Le produit brut étant le produit d'exploitation - l'excédent brut d'exploitation.

* 112 Dans les conditions prévues à l'article 1398 du code général des impôts.

* 113 Fiche explicative du 12 juillet 2017 des échéanciers de paiement des cotisations sociales - Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation.

* 114 Le champ est plus restreint que le dispositif de lissage : seules les cotisations personnelles assurance maladie et maternité, assurance invalidité, assurance vieillesse, prestations familiales, accidents du travail, retraite complémentaire obligatoire, cotisations indemnités journalières, cotisations sociales patronales et appels fractionnés en cas de crise sont éligibles (fiche explicative sur la prise en charge de cotisations sociales - Ministère de l'agriculture et de l'alimentation).

* 115 Pour les travailleurs indépendants qui en font la demande, le calcul prévu à l'article R. 262-7 prend en compte le total des recettes du trimestre précédant l'examen ou la révision du droit, en lui appliquant le taux d'abattement forfaitaire de 87 % dès lors que le total des recettes des douze derniers mois n'excède pas le montant de 85 800 euros et sous réserve d'un accord du président du conseil départemental.

* 116 En 2020, les plafonds maximaux (sans forfait logement ni aide au logement ni autres ressources) étaient, selon la MSA : pour une personne seule sans enfant : 1 787 € par mois ou 21 446 € par an de bénéfices agricoles si la personne est exploitant(e) agricole ; pour une personne seule avec un enfant : 2 794 € net par mois ; pour un couple avec deux enfants : 3 754 € net par mois avec deux salaires égaux ou 3 342 € s'il n'y a qu'un seul salaire.

* 117 Insee première, n° 1781, paru le 7 novembre 2019 - Les revenus d'activité des non-salariés en 2017.

* 118 Réponse du ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, publiée dans le journal officiel du Sénat du 1 er novembre 2012, à la question écrite n° 01918 de M. Alain Fauconnier.

* 119 Ce que semble confirmer la réponse du ministère de la jeunesse et des solidarités actives, publiée dans le journal officiel du Sénat du 11 novembre 2010, à la question écrite n° 12168 de M. Alain Fauconnier.

* 120 Réponse du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, publiée dans le journal officiel de l'Assemblée nationale du 19 février 2019, à la question écrite n° 15943 de M. Dominique Pottier.

* 121 Lucie Chartier, avec la collaboration de Pierre Chevrier - GREP « Pour » n°225 (2015) - Les agriculteurs : des précaires invisibles.

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