C. PRÉVENIR ET ACCOMPAGNER

Les situations de décrochage et les ruptures de parcours peuvent trouver leur origine dans des vulnérabilités ou des situations de fragilité, liées au contexte familial ou à des facteurs d'ordre psychologique ou de santé, auxquelles ni l'entourage, ni l'institution scolaire n'ont été en mesure de répondre.

Parmi ces situations, certaines enclenchent un accompagnement spécifique (prise en charge sanitaire ou médico-sociale, aide sociale à l'enfance, protection judiciaire de la jeunesse), alors que d'autres, lorsqu'elles ne sont pas identifiées et prises en compte, risquent d'accentuer les difficultés de l'enfant, de l'adolescent ou du jeune adulte, avec des conséquences durables sur son parcours futur.

Face à ces vulnérabilités, des actions de prévention et d'accompagnement sont nécessaires, mais leurs modalités ne sont pas évidentes à définir. Elles supposent en effet que les jeunes concernés acceptent de s'engager dans une telle démarche, sans se sentir contrôlés ou stigmatisés, ce qui n'est pas toujours acquis. Elles ne relèvent pas, en l'état actuel de la législation, d'une compétence clairement confiée à une institution, un service ou un échelon de collectivité déterminé. Enfin, elles font intervenir un ensemble diffus d'interlocuteurs, généralement associatifs, dont les missions ne sont pas toujours bien connues, ni reconnues, alors que leurs moyens, tributaires des engagements très variables des financeurs, demeurent précaires.

1. Un ensemble composite d'intervenants

Le soutien à la parentalité constitue un premier moyen pour prévenir les risques pesant sur les parcours des enfants et des jeunes. Comme l'a constaté la rapporteure à l'occasion de l'audition des structures spécialisées, de multiples situations témoignent d'un besoin d'accompagnement des parents, particulièrement dans les familles monoparentales qui représentent près d'un quart des foyers et concernent des mères pour 85 % d'entre elles. Une stratégie nationale de soutien à la parentalité pour les années 2018-2022 a été établie il y a trois ans. Elle définit un périmètre d'action très large, avec des objectifs assez généraux en termes de partenariats à mettre en oeuvre, de garantie de soutien financier plus pérenne aux structures et de formation des intervenants.

La Caisse nationale des allocations familiales paraît devoir jouer un rôle de premier plan dans le pilotage de ces actions, puisqu'elle apporte des financements essentiels au fonctionnement de nombreux dispositifs tels que les réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents (Reaap), les lieux d'accueil enfants parents (Leap), la médiation et les espaces de rencontres ou les contrats locaux d'accompagnement à la scolarité (Clas).

À ce stade, ces multiples outils de soutien à la parentalité paraissent encore insuffisamment connus des familles et des responsables des politiques publiques locales . Ils sont en outre davantage orientés sur la petite enfance et l'enfance que sur l'adolescence, période où les besoins d'accompagnement des jeunes et de leurs parents sont pourtant particulièrement importants.

Certaines structures sont spécifiquement destinées à l' accompagnement des adolescents et des jeunes adultes en situation de fragilité, les points d'accueil écoute jeunes (Paej) et les maisons des adolescents.

Environ 350 points d'accueil écoute jeunes accueillent, de façon inconditionnelle, gratuite et confidentielle des jeunes en situation de mal-être, ainsi que leurs parents. Les jeunes suivis sont le plus souvent en situation de fragilité psychologique ou de conflit familial. Ils sont écoutés, accompagnés et éventuellement orientés vers d'autres dispositifs. Une grande majorité des Paej sont gérés par des associations, et quelques-uns par des collectivités locales. Leur répartition sur l'ensemble du territoire est assez inégale, avec une concentration dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et des zones moins bien couvertes, notamment certains départements ruraux. Le pilotage de ce réseau, jusqu'alors assuré par le ministère des solidarités et de la santé, vient d'être transféré à la Caisse nationale des allocations familiales.

Les maisons des adolescents , au nombre d'environ 120, sont quant à elles destinées à des actions d'information et de prévention en matière de santé. Elles assurent une fonction d'accueil, d'écoute, de soutien des adolescents et peuvent leur proposer un parcours d'accompagnement personnalisé sollicitant différentes compétences du réseau de professionnels avec lesquelles elles travaillent. Les maisons des adolescents sont pilotées par les agences régionales de santé et reçoivent également des financements des conseils départementaux.

Une autre forme d'action est celle des associations ou services de prévention spécialisée . Elle aussi vise les jeunes et les familles en difficulté. Elle repose sur une présence dans l'espace public et un travail de rue, avec des éducateurs allant à la rencontre des jeunes pour établir avec eux, sur la base de leur libre adhésion, une relation et un accompagnement, afin de prévenir les ruptures ou d'engager une démarche dans une optique d'insertion sociale. Par sa conception même, la prévention spécialisé prend des formes très diverses, avec des modes d'intervention variés et peu normalisés, adaptés à la réalité et aux besoins des territoires où elle est mise en oeuvre. En zone urbaine, il s'agira d'aller au contact des jeunes dans les moments de la journée où ils y sont présents, c'est-à-dire le plus souvent à des horaires très décalés par rapport à ceux des services qui leur sont destinés, ou de réaliser des animations en pied d'immeubles. En zone rurale, la relation s'établit plutôt à proximité des collèges, dans les intercours ou à l'occasion des transports.

La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a consacré en 2017 un rapport d'information très documenté sur la prévention spécialisée 163 ( * ) . Il en ressort que les moyens financiers qui lui sont consacrés avaient nettement diminué au cours de la dernière décennie, malgré des besoins sociaux toujours aussi importants, en raison notamment du désengagement de certains conseils départementaux, provoquant de très fortes disparités territoriales.

Les auditions menées par la mission d'information ont confirmé ce constat de fragilisation globale de la prévention spécialisée, avec toutefois des situations très contrastées selon les politiques départementales. Celles-ci vont d'un engagement minimal à un soutien beaucoup plus consistant, en passant par des solutions originales comme dans les Yvelines où le département a confié à une association, l'IFEP, l'ensemble des actions de prévention spécialisée qu'il finance, en concentrant les moyens sur un certain nombre de quartiers prioritaires.

2. Des missions à mieux valoriser et articuler

La « valeur ajoutée » des différentes structures actives dans la prévention et l'accompagnement des jeunes en situation de fragilité est indéniable. Aux côtés de l'application des politiques publiques nationales ou locales et des dispositifs en direction des jeunes qui leur sont attachés, elles mettent en oeuvre des approches très individualisées. Ce travail de proximité, permis par un fort engagement des professionnels, et parfois des bénévoles, qui s'y consacrent, n'est pas toujours quantifiable ou évaluable. Il est néanmoins essentiel pour « raccrocher » certains jeunes et leur redonner toutes leurs chances. À titre d'exemple, la rapporteure a ainsi pu constater, à Sarcelles, tout l'intérêt de l'implication d'une association de prévention spécialisée, en lien avec la mission locale, dans le plan régional d'insertion des jeunes.

Ces structures jugent le plus souvent leurs moyens insuffisants pour donner plus de portée à leur action. Par exemple, les points d'accueil écoute jeunes voudraient pouvoir déployer des équipes mobiles pluridisciplinaires pour aller à la rencontre des publics et lutter contre l'éloignement psychologique, géographique et économique, tout en maintenant la permanence d'un accueil dans les meilleures conditions.

Le financement de ces actions est d'autant plus fragile qu'elles ne présentent le plus souvent qu'un caractère facultatif.

Au-delà d'un renforcement des moyens financiers , qui est souhaitable pour autant que la contrainte budgétaire sur les collectivités territoriale soit moins forte, il paraît nécessaire d' accroître leur visibilité . Elles pâtissent du cloisonnement des politiques sociales et sont ainsi peu connues et reconnues en dehors des instances directement concernées par leur domaine d'intervention. A fortiori , elles sont mal identifiées par les publics auxquels elles s'adressent.

Il est également nécessaire de mieux articuler ces structures de prévention et d'accompagnement qui interviennent dans des champs distincts mais néanmoins contigus. À titre d'exemple, la Caisse nationale des allocations familiales observe que seuls 36 % des points d'accueil écoute jeunes disposent d'un partenariat formalisé avec une maison des adolescents, alors que les dispositifs sont proches. L'extension progressive des responsabilités confiées à la CNAF, avec le pilotage de nombreux dispositifs concernant la jeunesse et la parentalité, est un pas dans cette direction.

L'élaboration d'orientations stratégiques pour les politiques sociales locales doit être l'occasion de rapprocher ces acteurs.

On peut noter par exemple que le conseil départemental de la Somme a élargi à la prévention son schéma départemental de la protection de l'enfance et qu'à ce titre, il y mentionne aussi bien le soutien à la parentalité que la prévention spécialisée, avec l'objectif de développer la connaissance mutuelle des acteurs de la prévention et de la protection de l'enfance au sein d'un réseau territorial dont il assure l'animation.

Initialement axés sur la petite enfance, les schémas départementaux des services aux familles gagneraient à systématiquement comporter un volet jeunesse, celui-ci devant incorporer les politiques de prévention à l'égard des adolescents et jeunes adultes.

Il pourrait en être de même, dans certains cas, des conventions territoriales globales conclues entre les caisses d'allocations familiales et les intercommunalités.

Recommandation : mieux valoriser et articuler les interventions des structures de prévention et d'accompagnement des jeunes en situation de vulnérabilité et de leurs familles en décloisonnant les politiques sociales locales en direction des enfants et des jeunes.


* 163 Rapport d'information n° 4429 (14 ème législature) sur l'avenir de la prévention spécialisée, M. Denis Jacquat et Mme Kheira Bouziane-Laroussi, 1 er février 2017.

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