II. LE CADRE JURIDIQUE D'INTERVENTION DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES EN MATIÈRE DE SANTÉ : DES MOYENS D'ACTION LIMITÉS

Si la politique de santé incombe juridiquement à l'État, les collectivités territoriales ne sont pas, en pratique, totalement exclues du champ sanitaire .

Parmi elles, les communes ont certaines compétences en matière de santé et d'accès aux soins (A) tandis que les départements (B) et les régions (C) disposent de moyens d'action plus limités .

Toutes les collectivités peuvent travailler en partenariat avec l'ARS afin de réduire les inégalités territoriales de santé (D).

A. LES COMMUNES ET LEURS GROUPEMENTS : DES COMPÉTENCES LIMITÉES

Les communes et leurs groupements disposent de quelques leviers d'action en matière de santé. Ils détiennent en effet une compétence générale en matière de salubrité publique (1), de la possibilité d'attribuer des aides en matière sanitaire (2) et peuvent créer des centres et maisons de santé (3).

1. La compétence en matière de police de salubrité publique

La compétence du maire se fonde essentiellement sur ses pouvoirs de police administrative générale qu'il tire de l'article L. 2212-2 du CGCT en vertu duquel le maire est habilité à prendre toute mesure pour assurer la « salubrité publique », composante de l'ordre public.

Selon ce même article, il appartient au maire, au titre de son pouvoir de police « de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, (...), les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours ».

Toutefois, la compétence générale de la commune en matière de santé publique est marquée par un paradoxe . En effet, elle se trouve limitée par la disposition législative selon laquelle, rappelons-le, la politique de santé relève de la responsabilité de l'État. Comme l'a très jugement souligné le professeur Olivier Renaudie, en réponse à vos rapporteurs : « La crise a révélé la manière dont a été envisagée l'articulation délicate entre l'exercice par le maire de son pouvoir de police administrative générale, a priori très vaste, et l'existence de très nombreuses polices administratives spéciales venant limiter son exercice. Un auteur en a dénombré plus de 300 , créées par le législateur dans des domaines particuliers dans lesquels il a estimé qu'il était nécessaire de ne pas s'en remettre à la généralité des pouvoirs de police, mais de spécifier des pouvoirs particuliers » 12 ( * ) .

En conséquence de ces pouvoirs de police spéciale, la justice administrative annule régulièrement des arrêtés municipaux de police , dès lors qu'ils portent atteinte aux compétences de l'État en matière sanitaire.

Citons, à titre d'illustrations :

- les arrêtés anti-pesticides ; en 2020, un rapport de notre délégation a souligné que les collectivités territoriales se trouvent en première ligne pour préserver la santé des populations et assurer une alimentation saine et durable. La demande croissante des administrés en matière de santé, traçabilité, qualité et durabilité de l'alimentation dans les cantines scolaires, place les élus locaux en situation de responsabilité politique mais aussi juridique. Pourtant, le Conseil d'État a récemment annulé un arrêté anti-pesticide, jugé attentatoire à la compétence de l'État 13 ( * ) ;

- les arrêtés sur le port du masque pendant la crise sanitaire du Covid. Ainsi, par arrêté du 6 avril 2020, Philippe Laurent, maire de Sceaux, avait rendu obligatoire le port du masque dans le centre-ville de sa commune, au regard de la topographie de cette celle-ci, de sa population et de la configuration des commerces. Le Conseil d'État a suspendu cet arrêté, estimant que la police spéciale de l'urgence sanitaire « fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s'appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l'édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l'efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l'État » (CE, ord. 17 avril 2020).

Lors de son audition, le professeur Olivier Renaudie a fait valoir que le maire de Sceaux « avait eu raison, politiquement et sanitairement, mais juridiquement tort », ajoutant que cette décision « pose problème car elle indique que l'arrêté aurait pu être légal à la condition que le maire fasse la démonstration de circonstances locales très particulières, et à la condition que cette décision ne remette pas en cohérence l'efficacité des mesures de l'État . Quelle est cette idée de remettre en cause la cohérence des politiques de l'État ? (...). Ce n'est pas cela, la décentralisation . »

Vos rapporteurs souscrivent pleinement à cette analyse et regrettent que la compétence du maire en matière de « salubrité publique » soit, en pratique, résiduelle. Ils considèrent que les maires ne sauraient se muer en préfets sanitaires chargés de mettre en oeuvre la politique sanitaire téléguidée depuis Paris .

Une telle évolution a d'ailleurs été condamnée par Mme Véronique Besse, co-présidente de la commission santé de l'association des maires de France, lors de son audition par votre délégation le 11 mars 2021 : « La crise actuelle nous montre que les maires appliquent les décisions du gouvernement dans l'urgence, et dans une certaine cacophonie. Souvent, nous recevons des circulaires à 18 heures le vendredi pour une application dans les écoles le lundi matin. Je pense que nous sommes de bons soldats.

Personne ne se préoccupe pourtant de nos difficultés pour mettre ces mesures en oeuvre sur le terrain. »

2. La possibilité d'attribuer des aides en matière sanitaire

Comme le souligne l'étude d'impact du projet de loi dit « 3DS », « la commune et les groupements de communes ont la possibilité d'attribuer des aides en matière sanitaire , par exemple pour l'installation ou le maintien de professionnels de santé dans les zones déficitaires en offre de soins , pour financer des structures participant à la permanence des soins . » 14 ( * )

En d'autres termes, la loi laisse aux communes la possibilité d'attribuer des aides destinées à lutter contre les déserts médicaux.

Nous verrons plus loin comment cette compétence, qui existe aussi pour les départements et les régions, est exercée en pratique : création de maisons de santé pluri-professionnelles, de télécabines, d'actions d'éducation à la santé, de dispositifs de santé itinérante...

3. La création et la gestion des centres et maisons de santé

Dernière compétence reconnue à la commune en matière de santé : la création des centres et des maisons de santé.

Les centres de santé sont des structures sanitaires publiques chargées de pratiquer principalement des soins de premier recours 15 ( * ) . Ces centres emploient des médecins salariés et se distinguent ainsi des maisons de santé pluri-professionnelles (MSP), qui sont, elles, des structures privées au sein desquelles les médecins exercent une activité libérale.

Les centres de santé sont plus largement déployés en milieu urbain , tandis que les maisons de santé sont le plus souvent situées en milieu rural (à 80 %).

Si les MSP sont des structures privées, elles sont souvent fortement soutenues financièrement par les communes et leurs groupements (construction des locaux, prise en charge des moyens logistiques pour libérer du « temps médical »...).

Quant aux centres de santé , ils comprennent du personnel recruté et salarié par la commune ou l'EPCI (professionnels médicaux, auxiliaires médicaux et personnels administratifs). Cette compétence est reconnue par l'article L. 6323-1-3 du CSP, et ce au titre de la clause de compétence générale 16 ( * ) . Cette dernière leur donne la capacité d'intervention sur toutes les « affaires de la commune », sans qu'il soit nécessaire que la loi procède à une énumération, dès lors que la loi n'a pas attribué la compétence à une autre collectivité. L'exercice de cette compétence, qui repose sur l'intérêt public local , suppose toutefois que la commune démontre la carence de l'initiative privée en matière de santé 17 ( * ) .


* 12 Table-ronde du 11 mars 2021 : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20210308/dct_bulletin_2021-03-11.html#toc2

* 13 « Si les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales habilitent le maire à prendre, pour la commune, les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, celui-ci ne peut légalement user de cette compétence pour édicter une réglementation portant sur les conditions générales d'utilisation des produits phytopharmaceutiques qu'il appartient aux seules autorités de l'État de prendre » (arrêt du Conseil d'État, 31 décembre 2020, commune d'Arcueil).

* 14 Étude d'impact disponible à cette adresse : http://www.senat.fr/leg/etudes-impact/pjl20-588-ei/pjl20-588-ei.html

* 15 Autrefois dénommés « dispensaires », les centres de santé sont définis à l'article L. 6323-1 du code de la santé publique (CSP). Outre les soins de premier recours, ils peuvent pratiquer des soins de second recours et peuvent dispenser des activités de prévention et de diagnostic.

* 16 Article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales.

* 17 Le Conseil d'État a ainsi jugé légale l'ouverture d'un cabinet dentaire municipal dès lors que le maire avait entendu « permettre à la population locale, composée en grande majorité de salariés modestes, de ne pas renoncer aux soins dentaires malgré la carence de l'équipement hospitalier et le nombre insuffisant de praticiens privés, alors que ceux-ci pratiquaient en fait, pour la plupart du moins, des tarifs supérieurs aux tarifs de responsabilité de la Sécurité sociale ». Le Conseil d'État en conclut que « cette initiative répondait, dans cette ville et à l'époque envisagée, à un besoin de la population et, par la suite, à un intérêt public local » (Conseil d'État, Section, 20 novembre 1964, Ville de Nanterre, requête numéro 57435).

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