B. UN ONDAM HOSPITALIER COMME ENVELOPPE DE RÉGULATION DES DÉPENSES D'ASSURANCE MALADIE

1. Une déconnexion de l'Ondam hospitalier de la dynamique de progression de l'Ondam

Principale raison du mésusage décrit de la tarification à l'activité, la contrainte de la maîtrise des finances publiques et des finances sociales en particulier s'est concentrée sur l'enveloppe la plus pilotable, à savoir celle des hôpitaux. Aussi, si l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), créé en 1996, a pu être respecté depuis près d'une dizaine d'années, c'est bien en partie grâce à la régulation des dépenses hospitalières, comme le constate Pierre-Louis Bras 47 ( * ) : « les dépenses en valeur des hôpitaux publics n'ont pu être contenues à 24,3 % que parce que l'évolution du prix des soins a été très faible sur la période (4,7 %) ».

Ainsi la pratique des baisses tarifaires n'est-elle que le corollaire d'un Ondam des établissements de santé à l'évolution et, surtout, à l'exécution scrupuleusement surveillées.

• Depuis 2005, le sous-objectif dédié aux établissements de santé a quasi systématiquement connu un taux d'évolution sensiblement inférieur à celui de l'Ondam, tous deux presque toujours sous la barre des 2,5 % . Cette forte modération sous ce taux symbolique est particulièrement nette sur la période 2012-2017, avec une progression ramenée à 1,6 % en 2017 .

Si la comparaison de l'évolution depuis 2005 n'est pas aisée du fait des redécoupages entre sous-objectifs et des transferts de crédits hospitaliers au fonds d'intervention régional (FIR) en 2014, les rythmes d'évolution dissociés et la particulière modération des crédits hospitaliers conduisent à un décrochage. Quand l'Ondam a, entre 2014 et 2020, progressé de 15 %, les crédits des établissements de santé n'ont progressé que de 12 % sur la même période. Si ce différentiel n'est pas négligeable en valeur relative, il est d'autant plus révélateur en soulignant qu'il s'agit ici pour l'Ondam et l'Ondam établissements de santé d'agrégats respectifs de près de 200 milliards d'euros et 90 milliards d'euros en 2020.

Ondam et Ondam établissements de santé depuis 2005

Source : Commission d'enquête, d'après les chiffres des projets de loi de financement de la sécurité sociale

Évolution annuelle de l'Ondam et de l'Ondam ES

Source : Commission d'enquête, d'après les chiffres des projets de loi de financement de la sécurité sociale

Note : l'année 2014 marque une baisse en taux non significative, du fait de la dissociation d'une partie des crédits au sein du nouveau sous-objectif dédié au FIR.

2. Des outils de régulation de l'Ondam propres aux dépenses des établissements de santé

Si l'Ondam ne relève pas d'une enveloppe plafonnée, certaines de ses composantes sont bien assimilables à des crédits budgétaires . C'est le cas du sous-objectif relatif au FIR mais aussi du sous-objectif relatif aux établissements de santé.

Alors que l'enveloppe relative aux soins de ville voit ses économies attendues essentiellement sur des évolutions de pratiques de soins et ne fait pas l'objet en cours d'exécution de mécanismes de régulation de la dépense, les crédits dédiés aux établissements de santé se voient appliquer une sorte de « mise en réserve » à travers un coefficient prudentiel minorant les tarifs hospitaliers en vue de garantir le respect de l'Ondam global fixé pour l'année.

Un coefficient prudentiel appliqué aux tarifs hospitaliers

L'article L. 162-22-9-1 du code la sécurité sociale prévoit que les tarifs nationaux des prestations « peuvent être minorés par l'application d'un coefficient, de manière à concourir au respect de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie » ; la valeur de ce coefficient peut être différenciée par catégorie d'établissement. Il en est de même pour la dotation complémentaire relative aux soins critiques.

Un « dégel » est cependant possible « au regard notamment de l'avis » du comité d'alerte de l'Ondam, l'État peut décider de verser aux établissements de santé tout ou partie du montant correspondant à la différence entre les montants issus de la valorisation de l'activité suivant les tarifs minorés ou initiaux.

Depuis 2010, ces mises en réserves sont appliquées à hauteur de 0,3 % des dotations. Elles ont été étendues en 2013 à l'ensemble des crédits hospitaliers, quand elles concernaient auparavant les seules Migac.

Donnée non négligeable, ce coefficient était en 2018 et 2019, avant la crise sanitaire, de 0,7 % pour les seuls établissements de santé .

Cependant, comme le soulignait en 2019 la commission des affaires sociales du Sénat 48 ( * ) , « ce mécanisme s'est révélé, pendant plusieurs années, comme un dispositif “perdant-perdant” pour l'hôpital :

- certaines années, comme entre 2011 et 2014, la sous-exécution globale de l'Ondam hospitalier ou le dépassement de certaines de ses composantes (avant mobilisation des mises en réserve) se sont accompagnés de la non-délégation, en fin d'exercice, de tout ou partie des crédits mis en réserve, ce qui a conduit dans tous les cas à une sous-exécution au regard du sous-objectif voté et de l'Ondam total ;

- d'autres années, comme en 2015 et 2016, le dépassement de l'enveloppe des soins de ville a conduit à des annulations de dotations aux établissements de santé ou médico-sociaux initialement mises en réserve afin de garantir le respect de l'Ondam total ».

Mises en réserves et dégels

(en millions d'euros)

2017

2018

2019

2020

2021

Mises en réserves

Part tarifs MCO ex DG

219

237

239

243

259

Part tarifs MCO ex OQN

60

65

65

66

72

OQN PSY/SSR/DMA

20

21

22

23

23

DAF/DMA/MIGAC

96

92

88

93

126

Total

395

415

415

426

479

Dégels

Part tarifs MCO ex DG

83

237

239

243

259

Part tarifs MCO ex OQN

23

65

65

66

72

OQN PSY/SSR/DMA

7

21

22

23

23

DAF/DMA/MIGAC

37

92

88

93

126

Total

150

415

415

426

479

Source : Ministère des solidarités et de la santé, en réponse au questionnaire de la rapporteure

Comme le montrent les chiffres transmis par le Gouvernement, les mises en réserves pratiquées sur les cinq dernières années ont été intégralement dégelées, à l'exception notable de l'année 2017 . Cette situation rompt avec la pratique constatée sur les cinq années précédentes d'une mobilisation régulière et parfois intégrale des mises en réserve .

3. Une maîtrise des dépenses par l'enveloppe hospitalière

L'analyse de l'évolution mais aussi de l'exécution des dépenses d'assurance maladie est particulièrement éclairante.

L'Ondam, norme de dépenses, n'est respecté - « sous-exécuté » - que depuis 2010. Comme cela est visible sur le graphique, l'exécution constatée est très proche de l'objectif voté en loi de financement de la sécurité sociale de l'année.

Évolution dans le champ de l'Ondam depuis 2004

Source : Annexe 7 du PLFSS 2022

Cependant, cet apparent respect de la prévision cache des dynamiques sensiblement différentes entre sous-objectifs et particulièrement entre les deux plus importants que sont celui dédié aux soins de ville et celui consacré aux établissements de santé. Denis Morin remarquait à ce titre que « la Cour a mis en avant dès 2018 que le respect des enveloppes votées chaque année en loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) est systématiquement passé par des gels budgétaires des dotations versées aux hôpitaux, et non par une régulation des dépenses de soins de ville » 49 ( * ) .

Ainsi, l'Ondam « soins de ville » demeure très régulièrement dépassé, parfois de manière très importante, quand l'Ondam « établissements de santé » montre, sauf à de rares exceptions, une sous-exécution sensible.

Évolution des dépenses relatives aux établissements de santé depuis 2004

Source : Commission des comptes de la sécurité sociale, juin 2020

Évolution des dépenses des soins de ville depuis 2004

Source : Commission des comptes de la sécurité sociale, juin 2020

Note de lecture : les bulles sont d'autant plus grandes que l'écart à l'objectif initial est important, d'autant plus hautes que le taux d'évolution des dépenses est élevé et d'autant plus à droite que le montant de l'Ondam réalisé est élevé. Les boules rouges représentent un dépassement de l'objectif initial tandis que les boules vertes représentent un niveau inférieur à cet objectif.

Ainsi l'enveloppe relative aux établissements de santé s'est-elle progressivement installée comme la variable de régulation de l'Ondam et se trouve de fait dénoncée comme régulièrement vouée à éponger les dépassements du sous-objectif « soins de ville » . La maîtrise des dépenses d'assurance maladie et la quête du respect de l'Ondam passent pour beaucoup par une stricte régulation des dépenses des établissements de santé, faute de capacités de pilotage développées sur les soins de ville.

Comme le soulignait le rapport de 2019 sur l'Ondam, « pour la première fois dans le cadre du PLFSS pour 2019, le Gouvernement a indiqué appliquer, de manière symétrique, une réserve prudentielle sur l'enveloppe “soins de ville”, à hauteur de 120 millions d'euros. Cette décision répond à des intentions louables en termes de répartition de l'effort. Cependant, elle a de quoi laisser vos rapporteurs sceptiques, en l'absence d'outils de régulation opérationnels aux mains de l'assurance maladie . »

Il convient ainsi de souligner que les établissements de santé participent pour une part non négligeable aux économies attendues dans les constructions des Ondam successifs. Ainsi, de 2019 à 2021, c'est en moyenne un quart des économies qui sont portées, dans les « mesures de régulation » par l'Ondam établissements de santé. Si une part ressort des économies sur le médicament par la liste en sus, le montant et la proportion des économies hors liste en sus a progressé sur les trois dernières années , hors dépenses de crise et dépenses Ségur.

Mesures de régulation dans la construction de l'Ondam en PLFSS

(en milliards d'euros)

Source : Commission d'enquête, d'après les chiffres du ministère des solidarités et de la santé

Note : pour 2021, les montants sont hors crise - hors Ségur.

Si l'hôpital doit contribuer comme l'ensemble du système de santé aux économies permettant la maîtrise des dépenses publiques, la question du juste financement de celui-ci, sans obérer le niveau des soins, se pose cependant cruellement . La sans doute trop stricte régulation des dépenses des établissements de santé apparaît aujourd'hui comme responsable de retards dans la modernisation et la transformation de ceux-ci et de décrochages multiples dans leurs capacités de soins.

Ainsi, il apparaît nécessaire de considérer les efforts que l'hôpital doit consentir uniquement au regard de ses propres objectifs, sans que les établissements de santé n'aient à compenser les dynamiques des dépenses de soins de ville.

Recommandation : appréhender les efforts de maîtrise des dépenses hospitalières de manière séparée des autres dépenses d'assurance maladie et indépendamment de la dynamique des soins de ville.

Ce constat malheureux semble même partagé y compris par le Gouvernement qui se vantait dans la présentation 50 ( * ) du PLFSS 20222 qu'« exceptionnellement cette année aucune économie n'est demandée aux établissements de santé », estimant qu'« après une crise qui a mis à rude épreuve nos établissements de santé, l'année 2022 sera celle d'une respiration ». Une revendication en forme d'aveu d'échec.

La rapporteure estime qu'après la crise sanitaire et alors que de nouveaux modèles de financement sont en phase d'amorce ou doivent encore être engagés, ce n'est pas une « année de respiration » dont l'hôpital a besoin, mais bien d'une phase de transition longue. Aussi, durant les prochaines années, il convient de formuler un engagement clair sur l'absence de mise en réserve de crédits.

Recommandation : durant les cinq prochaines années, suspendre les mises en réserve des crédits hospitaliers.


* 47 Pierre-Louis Bras, Comment le covid transforme le débat sur les dépenses de santé , Terra Nova, 25 mars 2021

* 48 Rapport d'information n° 40 (2019-2020) de Mme Catherine Deroche et M. René-Paul Savary, fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des affaires sociales, déposé le 9 octobre 2019.

* 49 Audition du 3 février 2022.

* 50 Dossier de presse du PLFSS 2022.

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