II. ASSURER LES PRISES EN CHARGE HOSPITALIÈRES AU PLUS PRÈS DES BESOINS DES PATIENTS

Avec 3 000 établissements de santé en fonctionnement sur le territoire, la bonne structuration de l'offre hospitalière, son adéquation avec les besoins de santé et l'optimisation des moyens humains, matériels et financiers qui lui sont consacrées constituent des enjeux très importants.

Les patients, quel que soit leur lieu de vie, doivent pouvoir bénéficier d'une prise en charge appropriée à leur situation et chaque établissement doit trouver sa place dans une gradation aussi cohérente et complète que possible de l'offre de soins.

Le secteur public, qui représente 45 % des établissements, est désormais engagé, avec les groupements hospitaliers de territoire (GHT) , dans une démarche de coopération et de structuration qui n'a pas encore produit de résultats probants en termes d'amélioration de l'organisation territoriale des soins hospitaliers . L'inclusion des établissements privés, lucratifs ou non, dans une logique de complémentarité, a par ailleurs pour l'instant été laissée de côté.

En revanche, le rôle désormais dévolu aux hôpitaux de proximité paraît constituer une bonne réponse à la question du maillage du territoire en structures hospitalières de premier recours, à condition qu'ils disposent de capacités adaptées à cet effet et bénéficient d'une bonne articulation avec la médecine de ville.

A. DES GROUPEMENTS HOSPITALIERS MAL CALIBRÉS ET AU BILAN DÉCEVANT

1. Un dispositif encore récent pour des résultats hétérogènes

Les communautés hospitalières de territoire créées par la loi HPST, avec une coopération à caractère facultatif, n'ont, comme le rappelle le ministère des solidarités et de la santé 263 ( * ) , « pas reçu le succès escompté », raison de la mutation de ce dispositif à l'occasion de la loi de modernisation de notre système de santé qui a créé les groupements hospitaliers de territoire (GHT).

Les communautés hospitalières de territoires et groupements hospitaliers de territoire

Créée en 2009 par la loi HPST, et abrogée en 2016, la CHT constituait une modalité de coopération non obligatoire pour les établissements publics de santé visant à mettre en oeuvre une stratégie commune et gérer en commun certaines fonctions et activités, grâce à des délégations ou des transferts de compétences entre établissements.

Cette modalité de coopération non obligatoire n'a pas rencontré un réel succès. En effet, à la fin 2014, seules 55 CHT avaient été constituées.

Le législateur, afin de pallier l'insuccès des CHT, a créé, en 2016, le GHT, modalité de coopération obligatoire des établissements publics de santé, poursuivant deux objectifs :

- mettre en oeuvre une stratégie de prise en charge commune et graduée du patient grâce à un projet médical partagé ;

- assurer la rationalisation des modes de gestion par une mise en commun de fonctions ou par des transferts d'activités entre établissements.

Il existe aujourd'hui 136 GHT sur le territoire national.

Source : Réponses du ministère au questionnaire de la rapporteure

Tantôt critiqués sur leur capacité à faire émerger un projet médical cohérent et opérationnel sur le territoire , tantôt sur les difficultés à réaliser de réels gains d'efficience sur les fonctions support , force est de constater que, plus de cinq ans après leur mise en oeuvre, le bilan des 136 groupements existants est pour le moins contrasté et, surtout, très différent d'un groupement à l'autre .

Évaluation récente des GHT, le rapport de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a présenté un bilan relativement décevant de ces nouvelles structures de coopération 264 ( * ) .

Les députés rapporteurs se montrent ainsi assez critiques sur les apports de ces structures , considérant que dans le champ des fonctions support « les bénéfices se font attendre » et qu' en matière d'accès aux soins « les résultats sont encore modestes , malgré quelques succès ».

• La question du périmètre des GHT est une des premières avancées en matière d'évaluation de ce dispositif, Francis Saint-Hubert, président de la conférence nationale des directeurs de centres hospitaliers 265 ( * ) , évoquant « des GHT souvent mastodontes et, simultanément, pour partie "coquille vide" ».

Entendu par la commission d'enquête, le professeur Francis Michot 266 ( * ) constatait d'ailleurs la grande hétérogénéité des GHT actuels : nombre d'hôpitaux, taille, contraintes géographiques, services spécialisés existants, population desservie, personnel médical . Il mettait en outre en avant la nécessité d'une évaluation et d'un éventuel remodelage.

Sur la question des périmètres retenus pour les GHT, l'inspection générale des affaires sociales estimait en 2019 malgré des réserves qu'une « démarche de révision générale des périmètres de GHT serait inopportune », constatant cependant que « certaines situations contrecarrent les objectifs assignés aux GHT : nombre d'établissements trop réduit et offre de soins fragile, velléités de dissidence, dérogations accordées aux établissements publics de santé mentale (EPSM) ou GHT exclusivement psychiatriques » 267 ( * ) .

Comme les membres de la commission d'enquête ont pu le constater lors d'échanges avec les responsables du CHU de Nancy, les GHT qui « fonctionnent bien » sont ceux dont le périmètre correspond le mieux à un territoire de vie et de recours et dont la gouvernance est très intégrée .

Aussi, la commission estime que des révisions de périmètre sont à envisager : sans remise à plat général, une « mise à jour » apparaît aujourd'hui nécessaire, sur la base des expériences évaluées et des blocages parfois constatés localement.

Recommandation : revoir le périmètre des GHT pour renforcer leur cohérence territoriale et la stratégie médicale portée.

2. Un pilotage médical et une gouvernance encore lacunaires

Les GHT ont souvent été critiqués pour s'être concentrés sur les économies de fonctionnement , avec sur ce sujet une réussite plus ou moins marquée. Ainsi, concernant la gestion des fonctions supports et principalement des politiques d'achats , si les GHT ont fait montre à leur démarrage de rigidités importantes et d'une centralisation parfois excessive , il semble que les établissements parties aient depuis trouvé des marges de souplesse pour des solutions locales plus rapides et économiquement profitables, selon un principe de subsidiarité revendiqué.

La montée en puissance de la prise en charge coordonnée et la bonne répartition des moyens à cette fin ont cependant été plus difficiles à atteindre.

Pour ce qui est du pilotage médical, dès 2019, l'inspection générale des affaires sociales dressait dans son rapport précité un bilan d'étape mitigé des GHT. Ainsi, sur le coeur du dispositif, si « les projets médicaux partagés (PMP) adoptés en 2017 sont globalement de qualité », « la mission a relevé des limites à la portée de ces projets » et, surtout, « l'articulation avec les projets de soins partagés (PSP) est insuffisante », les rapporteurs de l'IGAS voyant dans les PMP un bilan qui « reste contrasté ».

Le docteur Jean-Yves Grall, président du collège des directeurs généraux d'agences régionales de santé, soulignait en outre que « la création des groupements hospitaliers de territoires (GHT) avait pour principal objectif de mettre en place une gradation des soins entre établissements publics , et en permettant l'association du secteur privé et du secteur médico-social. Cela peut être le gage du maintien d'un accès à des soins de qualité, puisque la seule justification est un projet médical partagé entre les territoires , prenant en compte cet aspect. » 268 ( * )

À ce titre, il soulignait que « les équipes médicales de territoire au sein des GHT constituent à cet égard une bonne idée à encourager », précisant que « l'établissement siège fédère, pour une discipline donnée, l'ensemble des acteurs sur le territoire, dans une perspective de gradation des soins définie par les professionnels , seuls à même de connaître les conditions nécessaires à un égal accès de tous les patients à des soins de qualité ».

En matière de gouvernance, l'IGAS considérait par ailleurs en 2019 l'adaptation de la gouvernance comme encore en devenir : « les GHT devront se saisir des possibilités données par la loi du 24 juillet 2019 de fusion et de substitution des instances avec celles des établissements membres ».

Sur ce sujet, des évolutions ont bien été apportées au dispositif des GHT en 2021. Ainsi, comme le souligne le Gouvernement, « afin de conforter la prise en charge commune et graduée du patient grâce à un projet médical partagé », chaque GHT doit comporter, depuis le 1 er janvier 2022, une commission médicale de groupement , mettant fin à l'option qui existait entre collège médical et commission médicale. En outre, en matière de simplification du fonctionnement, il est dorénavant possible de fusionner les différentes instances médicales des établissements du groupement en une commission médicale unifiée de groupement 269 ( * ) et les modalités de mise en oeuvre de dispositifs optionnels de mutualisation ont également été apportées.

Devant la commission d'enquête, Jean-Yves Grall prenait également pour exemple le GHT constitué autour du centre hospitalier de Valence, « qui fonctionne d'autant mieux qu'il a mis en place des directions communes, même si les établissements demeurent autonomes, a su créer grâce à un corps médical particulièrement dynamique une véritable subsidiarité dans l'organisation des soins hospitaliers sur le territoire ».

La commission d'enquête estime qu'il faut être plus incitatif dans la démarche intégratrice des GHT. À ce titre lui a aussi été relayé l'exemple du GHT Meuse, qui a mis en place une direction commune et une politique de ressources humaines commune de tous ses établissements ; sans fusion d'établissements, il y a ainsi, dans la pratique, une vraie cohérence du GHT .

Un constat partagé également par le docteur Thierry Godeau, président de la conférence des CME des centres hospitaliers qui appelait à recentrer les GHT sur leur vocation première : « Ne refaisons pas entre les GHT et les établissements de santé ce qui a été fait entre les pôles et les services. Oui les GHT sont un levier pour les hôpitaux publics, mais pour ce qu'ils partagent, pour leur stratégie commune, la gradation des soins . Le principe de subsidiarité doit rester la règle. Par exemple, les relations ville-hôpital, qui sont primordiales, relèvent avant tout des établissements » .

Appelant à plus de souplesse et de démocratie, les députés recommandaient d'ailleurs fin 2021 dans leur rapport de « consacrer un principe législatif de subsidiarité dans l'action des GHT , en vertu duquel ils se concentreraient sur les filières et mutualisations pour lesquelles leur valeur ajoutée peut être démontrée » et de « recentrer les GHT sur le niveau de proximité , en lui donnant la priorité en termes d'organisation, de stratégie et de moyens ».

Recommandation : valoriser une gouvernance territorialisée au niveau des GHT par des regroupements d'instances d'établissements selon un principe de subsidiarité et soutenir la structuration des équipes médicales de territoire permettant de définir une feuille de route médicale territorialisée.

3. Une structure exclusivement hospitalière à ouvrir et coordonner avec d'autres formes de coopération

Si pour Sophie Beaupère, déléguée générale d'Unicancer 270 ( * ) , « le bilan des GHT est positif, parce qu'il a permis à l'hôpital public de se structurer », Jacques Léglise, représentant les établissements privés non lucratifs considérait que « les GHT n'ont aucune dimension territoriale puisqu'ils ne regroupent que les hôpitaux publics, quand les autres acteurs hospitaliers, privés non lucratifs ou commerciaux, n'y participent pas ». Sur la même ligne, Frédéric Chéreau, représentant l'Association des maires de France, déplorait ainsi devant la commission d'enquête que « dans leur état actuel, ils sont strictement hospitaliers et n'intègrent ni l'hospitalisation privée, ni la médecine de ville. Ils ont peut-être des tailles trop importante » 271 ( * ) .

Lors de son audition par la rapporteure, le professeur Francis Michot soulignait d'ailleurs les limites d'un modèle de GHT dont la conception relève exclusivement du secteur public débouchant sur des liens distendus avec les établissements privés.

Toujours à ce sujet, la commission des affaires sociales du Sénat estimait en 2020, dans un rapport appuyé sur une enquête commandée à la Cour des comptes, que les GHT étaient « un outil mal adapté à la territorialisation du soin » 272 ( * ) .

La commission soulignait ainsi que le « degré de coopération avec les GHT demeure préoccupant » pour le secteur médico-social , « en marge de la réforme des GHT » mais aussi pour le lien avec les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui n'est jamais mentionné par la loi ou les textes réglementaires régissant les GHT. Selon la Cour : « le lien avec les acteurs de ville est totalement absent du schéma constitutif des GHT ». Pire, constatait alors la commission : « Lorsqu'ils figurent au sein des PMP, à la discrétion totale des GHT, ces liens sont qualifiés par la Cour de “ fragiles, faute d'une gouvernance prévue par la loi ”. »

Ainsi, « la question de l'association des partenaires externes au GHT est, aux yeux de votre commission, absolument centrale pour la réussite des missions qui lui ont été confiées . Les avantages de la stratégie de groupement ne manqueront pas d'être neutralisés par le maintien du cloisonnement entre hôpital, soins de ville et médico-social, aggravé d'un creusement de l'opposition privé/public. »

Le GHT pourrait se consolider dans sa dimension de service public . La délégation de la commission d'enquête qui s'est rendue au CHU de Strasbourg a constaté l'étroite coopération que celui-ci a nouée avec un Espic, le groupe hospitalier Saint-Vincent. Les responsables de ce dernier ont paru envisager favorablement une intégration au GHT dont le CHU de Strasbourg constitue l'établissement support.

• Aussi, la rapporteure partage ces préoccupations et estime nécessaire d'envisager l'intégration des établissements de santé privés d'intérêt collectif au sein des GHT, dans une approche consolidée du service public hospitalier au niveau des territoires , et alors que ces établissements partagent avec l'hôpital public des missions et modèles de financements communs.

Cependant, concernant les acteurs de la médecine de ville, la commission d'enquête estime difficilement envisageable que leurs relations avec les établissements passent nécessairement par une participation au GHT, compte tenu du périmètre couvert par la structure . Ainsi, il apparaît plus pertinent que ce lien GHT-médecine de ville demeure bien du ressort des établissements et, surtout, relève des priorités des hôpitaux de proximité.

Recommandation : mieux articuler l'offre privée répondant à une offre de service public au sein de la structuration des GHT.

Recommandation : mieux ouvrir les GHT sur des coopérations avec la médecine de ville, en particulier à travers les hôpitaux de proximité.

En revanche, si le secteur privé non lucratif peut être amené à se rapprocher des GHT, la commission d'enquête considère s'agissant du privé commercial ou des médecins de ville, qu'il est nécessaire de conserver davantage de souplesse et recourir préférablement à des conventions d'association .

La commission d'enquête n'estime ainsi pas pertinent à ce stade d'ouvrir la voie à la participation des établissements privés à but lucratif aux GHT , alors que ceux-ci ne sont pas encore un modèle stabilisé de coopération et que d'autres formes de collaborations peuvent exister, comme les groupements de coopération sanitaire.

Les groupements de coopération sanitaire

Créé par les ordonnances de 1996, le GCS a connu de nombreuses évolutions juridiques, jusqu'à devenir un des outils de coopération privilégié des établissements de santé.

Il sert de cadre non seulement à des coopérations entre les secteurs public et privé, mais également entre la ville et l'hôpital . Doté de la personnalité morale , de nature publique ou privée, il apparaît que les structures de droit public constituent un peu plus de la moitié des GCS de moyens.

Le GCS a pour particularité de devoir inclure au minimum un établissement de santé, quelle que soit sa nature juridique et d'être ouvert à tout acteur concourant à la réalisation de son objet.

Le GCS de moyens permet de mutualiser des moyens de toute nature (moyens humains en vue de constituer des équipes communes de professionnels médicaux ou non médicaux, équipements, moyens immobiliers, systèmes d'information, etc.). La mise en commun de moyens peut concerner les fonctions administrative, logistique, technique ou médico-technique, ainsi que les activités d'enseignement et de recherche mais elle peut également être au service de l'exploitation d'autorisations.

Les GCS de moyens érigés en établissement de santé (dès lors que le GCS de moyens est doté d'une autorisation d'activités de soins), pour leur part, sont restés numériquement très limités, compte tenu du degré d'intégration requis.

Le GCS a fait l'objet d'un examen approfondi dans le cadre du Rapport au Parlement sur les recompositions hospitalières (2017). Un nouveau millésime de ce rapport doit être réalisé en 2022.

Source : Réponses du ministère des solidarités et de la santé au questionnaire de la rapporteure

Dans son rapport de 2020, la commission des affaires sociales du Sénat se disait d'ailleurs « très favorable à ce que les outils de groupement mis à la disposition des différents acteurs de santé ne renforcent pas des cloisonnements regrettables » et s'inquiétait d'autant plus « des impacts dommageables du GHT en la matière que d'autres formes de groupements, plus élargies et non contraignantes, s'en trouvent inopportunément concurrencées ».

• En matière de coopération entre établissements, il ne semble aucunement opportun de remettre à plat une nouvelle fois les deux dispositifs ou d'en créer un nouveau qui s'ajouterait ou se substituerait à ces deux formes de coopération. Alors que l'hôpital a besoin de stabilité normative, l'enjeu est bien de mobiliser les outils existants .

Aussi, la commission partage ce constat et considère qu'il conviendrait de trouver, sur la base de l'évaluation qui doit être produite en 2022, les moyens d'améliorer les coopérations entre établissements publics et privés, et particulièrement avec les établissements privés autour des GHT, via les groupements de coopération sanitaire.

Recommandation : évaluer les apports tirés des groupements de coopération sanitaire et redynamiser des mécanismes incitatifs à ce dispositif de coopération étendue entre établissements et acteurs publics et privés.


* 263 Réponses au questionnaire de la rapporteure.

* 264 Rapport d'information déposé par la commission des affaires sociales en conclusion des travaux d'une mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale sur les groupements hospitaliers de territoire, n° 4814 , le mercredi 15 décembre 2021.

* 265 Audition du 18 janvier 2022.

* 266 Audition rapporteure.

* 267 IGAS, Bilan d'étape des groupements hospitaliers de territoire (GHT) , 2019-034R, décembre 2019.

* 268 Audition du 3 février 2022.

* 269 Ordonnance du 17 mars 2021 et décret du 27 mai 2021.

* 270 Audition du 9 décembre 2021.

* 271 Audition du 18 janvier 2022.

* 272 Rapport d'information n° 22 (2020-2021) de M. Alain Milon, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 8 octobre 2020, sur l'enquête de la Cour des comptes relative aux groupements hospitaliers de territoire.

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