IV. LA RÉPUBLIQUE. TCHÈQUE : DES TURBULENCES

Lors de la Révolution de velours, en 1989, la disparition du monopole de la télévision publique, formée de trois chaînes, dont l'une fédérale, constitua une priorité pour les nouvelles autorités.

Une concession fut accordée à Premiera TV.

En 1993, lors de la partition de la Tchécoslovaquie, qui entraîna la disparition de la chaîne publique fédérale OK.3, la fréquence et les émetteurs de cette dernière furent attribués à une seconde chaîne privée, Nova TV. Cette décision entraîna la mise en cause de l'autorité de régulation par le Parlement et la démission de ses membres. Le succès fulgurant de cette chaîne s'est accompagné d'un profond bouleversement du paysage audiovisuel tchèque dont les conséquences n'ont pas fini de se développer.

L'expérience tchèque révèle ainsi les contradictions et les ambiguïtés de l'ultra-libéralisme confronté à la défense de l'identité nationale.

A. UN AUDIOVISUEL BOULEVERSÉ

1. Un système de régulation sous l'étroite dépendance Parlement

L'essentiel du dispositif juridique relatif à l'audiovisuel résulte de quatre lois adoptées entre octobre 1991 et février 1992 et donc antérieures à la partition de la Tchécoslovaquie. Celle-ci n'a cependant pas altéré les lignes fondamentales de cet édifice législatif.

a) Un système tripolaire

Le Conseil pour les émissions de radio et de télévision a été crée par la loi du 21 février 1992.

Un Conseil de la télévision et un Conseil de la radio ont été créés par, la loi du 7 novembre 1991, en même temps que celle-ci a consacré l'autonomie de la télévision et de la radio publiques. Ce sont des organes internes de contrôle dont le rôle s'apparente à celui d'un conseil d'administration d'entreprise publique. Toutefois, leurs attributions définies par la loi de 1991 confèrent à ces structures certains pouvoirs qui, en Europe de l'Ouest, appartiennent le plus souvent aux organes de régulation de l'Europe de l'Ouest.

b) Des conseils responsables devant le Parlement

Le Conseil pour les émissions de radio et de télévision est composé de 9 membres élus par le Parlement pour une période de 6 ans renouvelable pour deux mandats. Leur élection doit refléter les différents courants politiques.

Ce n'est toutefois pas le cas actuellement, l'opposition sociale-démocrate n'étant pas représentée.

Il est responsable devant le Parlement, lorsque son rapport d'activité n'est pas approuvé.

Ce cas de figure est arrivé. Après une première alerte en 1993 - son rapport d'activité ayant été approuvé par le Parlement avec une seule voix de majorité -, le rapport pour 1993 a été rejeté le 30 janvier 1994. Le Conseil, mis en place le 1 er avril 1992,a dû démissionner et un nouveau conseil a été nommé en juillet 1994, comprenant trois membres de l'ancien conseil - afin d'assurer une certaine continuité - et six nouveaux membres. Au total, 4 présidents se sont succédé depuis sa création en 1992.

Le rejet du rapport, en 1994, fut le moyen pour la Chambre des députés, d'exprimer son désaccord sur la manière dont le conseil avait attribué des fréquences de télévision et de radio. La loi de 1991 ne définissant pas de manière assez précise les critères d'attribution des fréquences, un sentiment d'arbitraire a pu planer sur les décisions du conseil. Il donnait par ailleurs l'impression aux parlementaires d'avoir une approche trop planificatrice de la régulation audiovisuelle, et pas assez libérale, par exemple en voulant limiter le nombre de diffuseurs régionaux et en prétendant influer sur le contenu des programmes locaux. Selon l'opinion de certains parlementaires tchèques, c'est en réalité la loi de 1991 elle-même qui est relativement dirigiste et ne met pas suffisamment l'accent sur l'autorégulation et le rôle du marché.

La censure du Parlement s'est expliquée par une raison de forme et une raison de fond. Sur la forme, le conseil a accordé la licence à Nova alors que seuls 6 membres sur 9 étaient présents. Sur ce point, le conseil a invoqué la nécessité de mettre en oeuvre un système de télévision privée nationale dans les meilleurs délais. Sur le fond, la composition du capital de la chaîne commerciale a été critiquée. Par ailleurs, la décision de privatiser la fréquence publique émettant sur ondes moyennes au bénéfice de la radio Echo ne fut également pas appréciée du Parlement.

Les rapports avec ce dernier se sont considérablement améliorés à partir du second semestre 1994 et le rapport annuel pour cette année a été approuvé à l'unanimité.

L'élection d'un Sénat, prévu par la Constitution, mais dont l'absence de consensus sur le mode d'élection retarde la mise en place, devrait modifier les rapports du Conseil avec le Parlement, puisqu'il est question que le président du conseil soit élu par les deux chambres, et non plus par ses pairs. La nécessité d'obtenir un vote concordant des deux chambres pour rejeter le rapport du conseil rendra ce cas de figure moins réalisable. Au total, c'est l'indépendance du conseil qui devrait en être renforcée.

Le Conseil de la télévision et le Conseil de la radio sont composés, chacun, de 9 membres qui doivent représenter tous les courants régionaux, politiques, sociaux, culturels et d'opinion. Élus pour 5 ans renouvelables une fois, ils peuvent être révoqués par le Parlement.

À la Chambre des députés de la République Tchèque existe en effet un comité parlementaire pour les média, dont peut être membre tout député 16 ( * ). Le comité est composé, à la proportionnelle, de quinze parlementaires désignés par leurs groupes. Il a pour fonction de débattre des questions législatives et budgétaires relatives aux média, de surveiller l'activité des trois conseils, d'examiner - ainsi que la commission parlementaire compétente - le rapport du Conseil pour les émissions de radio et de télévision, dont la responsabilité ne peut cependant être mise en cause que par la chambre entière.

c) Un partage de compétences délicat


Le Conseil pour les émissions de radio et de télévision :

- attribue les licences nationales et régionales pour la radio - pour 6 ans - et la télévision - pour 12 ans - aux diffuseurs privés : la loi n'ayant prévu aucune limite de participation des étrangers au capital d'une chaîne de télévision ou d'une radio privée, un opérateur étranger peut détenir jusqu'à 100 % du capital ;

- contrôle les obligations légales à l'égard du secteur public et du secteur privé (particulièrement les règles en matière de publicité et de parrainage) ;

- veille au respect du pluralisme des opinions ;

- contrôle l'application des conditions spécifiques d'attribution des licences par leurs détenteurs ;

- participe à l'élaboration des principes et des lois du Parlement qui touchent à l'audiovisuel (le Conseil a ainsi préconisé la privatisation de deux des trois chaînes publiques tchèques) ;

L'activité essentielle du conseil - qui occupe 90 % de son temps - est l'attribution des licences. Il supervise en définitive très peu la télévision publique, laquelle dispose de ses propres organes de contrôle.


• Le Conseil de la télévision
et le Conseil de la radio, dans le cadre de leurs compétences respectives :

- nomme pour 6 ans et révoque (à la majorité des deux tiers au moins) des directeurs généraux de la télévision et de la radio publiques (en mars 1993, M. Mejstrik, directeur général de la radio, a démissionné après un an seulement d'activité) ;

- approuve les statuts de la télévision et de la radio proposés par les directeurs généraux ;

- approuve les budgets et les comptes de fin d'année ;

- crée ou supprime les studios télévisés autonomes (à l'exception de ceux de Prague, Brno et Ostrava).

d) Le pouvoir de sanction

Le Conseil dispose d'un pouvoir de sanction à l'encontre des diffuseurs privés et publics qui ne respectent pas leurs engagements légaux ni les dispositions spécifiques des licences accordées aux diffuseurs privés.

La possibilité d'infliger une amende de 2.000 à 400.000 FF est prévue dans le cas où les émissions sont « pirates » ou bien excèdent la portée de diffusion de l'émetteur. Son montant doit tenir compte « de la gravité de l'infraction..., de l'étendue et de la portée de la diffusion, ainsi que de l'importance de l'enrichissement illicite ». Des amendes peuvent également être infligées pour non-respect des obligations légales et conventionnelles.

Le retrait de la licence des diffuseurs privés est également prévu en cas de « violation grave » des obligations ou encore lorsque le détenteur d'une licence n'émet pas dans un délai de 360 jours après sa délivrance.

Le pouvoir de sanction de l'organe de régulation a connu quelques applications. Au mois de novembre 1994, le Conseil avait prononcé trois retraits de licences contre des radios locales, deux amendes contre Nova TV et Premiera TV pour des publicités interdites.

Le Conseil de la télévision et le Conseil de la radio ne disposent pas de pouvoir de sanction spécifique pour les diffuseurs publics, mais le pouvoir de révocation des directeurs généraux constitue une prérogative dissuasive.

2. Un secteur public réduit de trois à deux chaînes

La loi du 30 octobre 1991 a abrogé le monopole d'État sur la radio et la télévision et prévu l'existence de diffuseurs publics indépendants du budget de l'État, dont l'essentiel des ressources provient de la redevance.

Il existait jusqu'au début de l'année 1994, trois chaînes publiques. Elles ne sont plus qu'au nombre de deux :


• CT1 (anciennement Ceska Télévise, chaîne de télévision tchèque) de format grand public, couvre 98 % du territoire et diffuse 20 heures de programmes par jour, comportant des écrans publicitaires (dans la limite de 2 %).


• CT2 (anciennement OK3, créée pour occuper le réseau destiné à la première chaîne soviétique) a une programmation plus culturelle que CT1, sans publicité et comportant également des programmes locaux. Elle est reçue aujourd'hui par 80 % de la population.

Avant le vote de la loi du 22 décembre 1992, CT2 devait être privatisée en priorité et un appel à candidatures avait même été lancé à l'automne 1992 pour permettre l'attribution du réseau. Ce projet - qui aurait dû aboutir en 1995 - soulève aujourd'hui de vives polémiques.

3. Le secteur privé

a) Deux chaînes hertziennes


• Une licence d'exploitation a été attribuée en février 1993 à Nova TV par le Conseil pour les émissions de radio et de télévision à la société CET21 (Central European Télévision for the 21 st Century). 26 candidats étaient en compétition, dont la SOFIRAD, Canal +, la CLT et CNN.

CET21, devenue Nova TV, est détenue à 66 % par une société américano-canadienne (Central European Development Corporation) dont le siège social est à Berlin. La CEDC est dirigée par Marc Palmer, ancien

Ambassadeur des États-Unis en Hongrie. Les actionnaires américains n'exercent toutefois aucune influence sur la ligne éditoriale de la chaîne. La Caisse d'épargne tchèque est également présente, pour une large part, dans le capital de la chaîne.

La chaîne est devenue opérationnelle le 4 février 1994. Elle émet de 5 h à 0 h 30 et touche 96,2 % de la population.

Nova TV s'est par ailleurs vu attribuer le 1 er juillet 1994 une licence de diffusion satellitaire.

Nova TV, dirigée par Vladimir Zelezny, comprend dans son équipe plusieurs personnalités politiques de l'ancien Forum civique, principal mouvement de la « Révolution de velours » de 1989. Cette origine, et d'avantage encore, la manière dont la licence fut attribuée à Nova, a d'ailleurs entraîné de nombreuses critiques de la part de l'opposition. La chaîne commerciale s'est en effet vu confier 27 émetteurs et 650 réémetteurs qui lui assurent un taux de couverture du territoire de 98 %, alors que l'autre chaîne privée ne couvrait que 54 % du territoire et 78 % de la population.


Premiera TV, première télévision privée de l'ancienne Tchécoslovaquie, s'est d'abord vu attribuer en février 1993 une licence régionale, lui permettant de couvrir Prague et la région de Bohème orientale, soit un bassin de population de 3 millions de personnes environ.

Le 1 er juillet 1994, le Conseil a accordé à Premiera TV une licence de diffusion satellitaire. Le signal est relayé par des stations hertziennes terrestres, ce qui permet à la chaîne de couvrir l'ensemble du pays.

Investivni Banka est désormais l'actionnaire unique de Premiera TV (la famille italienne Marcucci détenait 45 % du capital). À la fin de l'année 1994, elle a proposé d'associer un autre partenaire au capital de la chaîne dans une proportion de 45 %. La décision définitive n'est pas encore prise. La législation limitant à 10 % la part du capital qu'une banque peut détenir dans les média, la cession de 40 % du capital est envisagée. Des négociations sont en cours. Elles semblent difficiles.

Lorsque Nova TV se vit remettre le réseau d'émetteur de l'ancienne chaîne fédérale OK3, et face au succès de ce concurrent, Premiera vit ses recettes publicitaires s'effondrer.

Le 1 er juillet 1994, le Conseil a accordé à Premiera TV une licence de diffusion satellitaire. Le signal, retransmis par Kopernikus, est relayé par des stations hertziennes terrestres, ce qui permettrait à la chaîne de couvrir l'ensemble du pays.

Cependant, la question des droits très élevés exigés par les sociétés américaines empêche toute réception directe pour le moment. Premiera a envisagé de monter sur le satellite Astra, les neuf dixièmes des paraboles du pays étant orientées vers ce satellite. Celui-ci étant complet, elle négocie actuellement avec Eutelsat.

L'existence de la chaîne commerciale est aujourd'hui en question. Selon son directeur général, M. Jiri Mejstrik, « Premiera a le choix entre deux stratégies opposées : soit limiter le temps de ses émissions à cinq heures par jour, soit étendre sa diffusion à tout le territoire ». Elle ne couvre en effet encore que 40 % du territoire de la République Tchèque. Cette situation explique selon M. Mejstrik que les chiffres de l'audience doivent être interprétés avec précaution. Il revendique une part de marché de 2,7 % et des pointes d'audience dans la cible 14 ans et plus de 9 %, soit 20 % en audience initialisée.

Dans une contre-offensive préparée pour l'automne 1995, Premiera a souhaité jouer la carte de la qualité et donner la préférence aux programmes tchèques et européens, afin de se démarquer de Nova. Cependant, comme le constate le directeur général de la chaîne, « le plus cher des programmes américains est trois fois moins cher que le programme tchèque le moins onéreux, et l'audience est, dans le premier cas, assurée ». Il est possible que soient tentés des décrochages régionaux, prévus par la licence qui a été accordée à la chaîne, mais qui n'ont pas encore été réalisés.

L'avenir de Premiers, même si ses difficultés sont considérable, semble toutefois assuré, pour trois raisons. Il est douteux que les actionnaires qui ont investi dans la chaîne - et les banques qui lui ont consenti 500 millions de couronnes de crédits depuis son lancement - n'essayent pas de sauver leur mise. La survie d'une seconde chaîne privée est par ailleurs une nécessité économique et politique. Économique, afin de permettre aux entreprises tchèques d'accéder au marché publicitaire, les prix des spots sur Nova étant devenus pour beaucoup d'entre elles inaccessibles 17 ( * ) . Politique ensuite, dans la perspective des élections du printemps 1996. Il serait en effet difficilement admissible, pour des raisons de pluralisme, qu'une chaîne de télévision soit en position de monopole et rafle les trois quarts de l'audience.

Les difficultés de la chaîne ont permis au groupe américain Stratton Investments, dirigé par Michael D. Dingman, de racheter, en décembre 1995, à la banque tchèque Investicni a Postovni le tiers des parts qu'elle possédait (15 % sur 45 %). La banque continue toutefois de contrôler le groupe financier qui détient la majorité des actions de cette chaîne. Il s'agit pour le groupe américain d'une simple diversification de ses investissements dans les média : il a, en effet, déjà investi 140 millions de dollars dans six entreprises industrielles tchèques.


• La CLT envisagerait de lancer une chaîne privée.


• Quelques chaînes locales diffusent depuis septembre 1994 trois heures de programmes par jour.

b) Le câble : un développement dynamique

Dans le câble, la République Tchèque bénéficie de la meilleure infrastructure technique et de la plus forte croissance des pays de la région.

En effet, ce pays a immédiatement su drainer les capitaux occidentaux et plus particulièrement américains. Avec moins de 30 % des foyers connectés à un réseau téléphonique, le marché tchèque est un véritable laboratoire d'essais pour le câble. Les enjeux technologiques et financiers sont énormes. L'affrontement entre les opérateurs privés et le monopole public des télécommunications est déjà engagé.

L'actualité du câble fait constamment état de cette confrontation. Ainsi la compagnie américaine de téléphone, US West, est devenue actionnaire du géant Kabel Plus.

Le marché tchèque a, dans le même temps et à l'initiative américaine, développé l'utilisation du MMDS 18 ( * ) . Dans un même quartier, voire dans une même rue, câble et MMDS se combinent pour maximiser le taux de pénétration des grands opérateurs.

Le développement des chaînes du câble a été favorisé par le vote de la loi du 30 octobre 1991. Les sociétés exploitantes et les sociétés d'édition de programmes se sont multipliées durant les deux dernières années et font preuve d'un réel dynamisme.

Trente-sept câblo-opérateurs desservent 500 000 abonnés. Les plus petits opérateurs ont 5 000, voire 1 500 abonnés. Le coût de l'abonnement varie de 60 à 160 couronnes 19 ( * ) par mois, pour 12 à 32 chaînes. Seule Eurosport doublée en tchèque, mais il est question que les chaînes de fiction le soient également. L'éparpillement des opérateurs constitue désormais un frein à leur développement. Le secrétaire général de l'association des câblo-opérateurs estime à cet égard qu'il existe une réelle opportunité pour les entreprises françaises, de nombreux opérateurs tchèques ayant besoin d'une assistance technique et financière.

Kabel Plus est le principal opérateur du câble en République tchèque et en Slovaquie.

Codis est opérateur à Prague et dans le nord de la Bohème et de la Moravie.

La chaîne sportive européenne, Eurosport, a signé en décembre 1994 un accord qui prévoit la distribution d'une version tchèque. Ce sera la première version d'Eurosport dans une langue d'Europe centrale.

Enfin, 17 chaînes - dont 13 internationales, en majorité de langue allemande - peuvent être reçues à Prague, dont TV5 depuis janvier 1993.

e) Une large couverture satellitaire

En raison de sa situation géographique, la République tchèque est couverte par de nombreux satellites. Cette situation privilégiée explique un fort taux d'équipement d'antennes paraboliques, estimé à 20 % à Prague.

Nova TV, Premiera TV - qui diffusent également sur le réseau hertzien - et Art Production TV bénéficient de licences de diffusion satellitaire.

4. La percée de Nova TV : un exemple à méditer pour les chaînes publiques

Le succès de Nova TV a été fulgurant et écrasant. Personne ne s'attendait à un tel succès. Trois ans avant le lancement de la chaîne, la télévision publique lui accordait une part de marché de 6 %. Elle rafle aujourd'hui près de 70 % de l'audience.

La chaîne - qui a débuté ses émissions le 4 février 1994 - totalisait en effet 69,5 % de parts d'audience, à fin 1994, contre 28 % pour le secteur public.

Le graphique suivant (de l'audience adulte) permet de mesurer cette progression qui s'est effectuée au détriment de toutes les autres chaînes :

Audience de 3 heures à 3 heures
Adultes (plus de 14 ans)

Source SKMO-GFK-AISA Media Projekt 1994 (I-IV quarter)

Le « format américain » de la chaîne explique une grande part de ce succès. Nova participe en quelque sorte du « rêve américain » qui anime une grande partie de la population tchèque. Elle offre une image de modernité, de réussite, de dynamisme. Par contraste avec la télévision publique, elle peut se définir comme une chaîne tchèque « à l'occidentale ».

Bien que lourdement endettée - Nova a emprunté 1,35 milliard de couronnes, mais le remboursement des prêts bancaires a débuté onze mois après le lancement de la chaîne -, la chaîne commerciale bénéficie d'une souplesse de fonctionnement qui se traduit par un personnel dix fois moins nombreux qu'à la télévision publique (363 personnes contre 3 650, pour deux chaînes et une activité importante de production). Il faut cependant savoir que la chaîne privée a débauché du personnel particulièrement dynamique de la chaîne publique.

Celle-ci a particulièrement tardé à réagir lors du démarrage de Nova. Pendant les dix-huit premiers mois de l'apparition de la nouvelle chaîne, la grille de programmes de la télévision publique est demeurée inchangée. Elle souhaite désormais contre-attaquer en diffusant davantage de documentaires et de reportages sur CT1 - qui s'affirmerait ainsi comme la chaîne tchèque, par rapport à Nova, perçue comme chaîne « américanisée » -, tandis que CT2 resterait une chaîne plus culturelle.

Comment expliquer ce succès ? Il s'explique d'abord par le caractère peu attractif de la ligne éditoriale de la télévision publique. CT1 est une chaîne grand public et CT2 consacre une partie de ses programmes aux documentaires mais aussi aux « talk show ». En 1992, les deux chaînes publiques proposaient 63 % de programmes nationaux. Les séries américaines y sont en nombre limité (deux par semaine environ) : Nord-Sud, Racines. Dallas.

Nova TV propose en revanche des programmes populaires et de divertissement. Elle produit notamment deux émissions de variétés par semaine. Les séries américaines occupent également une place importante. Elle propose régulièrement des programmes français : Hélène et les Garçons, Tintin, le Gendarme de Saint-Tropez (qui a totalisé un fort taux d'audience).

Ce succès pourrait avoir trois conséquences : sur l'équilibre du marché publicitaire, sur les ressources du secteur public, et sur la production audiovisuelle nationale.

5. Une économie de l'audiovisuel profondément affectée

a) Un marché publicitaire incertain

L'arrivée sur le marché de Premiera TV et surtout de Nova TV ont provoqué une très forte croissance du marché publicitaire de la télévision (+81 % en 1993. +42 % en 1994). Cette progression s'essouffle cependant en 1995 (+ 15 %), le marché ayant absorbé cette nouvelle offre télévisuelle. Si Premiera TV devient une chaîne nationale, il n'est pas assuré que le marché puisse continuer à absorber une telle augmentation de l'offre d'espace publicitaire.

On peut relever la bonne résistance de la presse écrite qui maintient sa position dominante dans le marché publicitaire malgré une érosion régulière.

Parts du marché publicitaire des média tchèques

Source : Conjoncture 95-IP. Document Sénat.

Alors que l'audience globale de la radio diminue, de nouvelles licences sont régulièrement accordées à des radios locales ou régionales. La radio publique aurait perdu 45 % de ses auditeurs au profit des nouvelles radios privées. Le marché publicitaire sur ce média, après une croissance vertigineuse en 1993 (+80 %) et une pause en 1994 (+24,4 %), redémarre en l995 (+46,3 %).

Au total, le marché publicitaire - tous média confondus - tend à s'assagir (+43,7 % en 1993, +16,3 % en 1994, +15 % en 1995).

b) Le budget de la télévision publique

Le budget des chaînes publiques s'élevait en 1993 à 460 millions de francs, dont 360 millions de francs en provenance de la redevance et 100 millions de francs de ressources publicitaires. Il se pourrait que ces dernières diminuent fortement en raison de la baisse de l'audience.

Le montant de la redevance est inscrit dans la loi de 1991. De 25 couronnes par mois depuis 1969, elle est passée à 50 couronnes à cette date. Le taux de fraude à la redevance a considérablement diminué en raison de l'instauration de sanctions importantes en cas de non paiement ; 3 à 400 000 foyers qui ne la payaient pas l'acquittent désormais. La redevance est de 25 couronnes pour la radio.

La Poste tchèque, qui assure la perception de la redevance, opère un prélèvement pour frais de perception de 2,6 couronnes par mois, ce qui entraîne un coût annuel de 110 millions de couronnes pour la télévision publique et 90 millions pour la radio publique. Une perception trimestrielle ou annuelle pourrait diminuer ce prélèvement, mais cette réforme n'est pas envisagée pour l'instant.

Le Parlement ne souhaite pas modifier la loi pour augmenter la redevance qui a déjà doublé en 1991. En outre, la télévision publique apparaît comme une société riche. Aucun parti politique n'éprouve de la sympathie pour elle. Elle souffre également de l'hostilité des télévisions privées.

L'autre source de financement de la télévision publique, la publicité, est limitée dans son volume à 1 % du temps d'émission - 24 minutes par jour pour 44 heures de diffusion de CT1 et CT2, cette dernière ne diffusant pas de publicité, c'est CT1 qui bénéficie de la totalité du quota ouvert -Il ne peut y avoir plus de six minutes de publicité par heure. Les films ne peuvent être interrompus par la publicité. La télévision commerciale peut en revanche diffuser jusqu'à 12 minutes de publicité par heure et interrompre les films.

Le parrainage et le sponsoring sont autorisés, mais la télévision publique ne bénéficie d'aucune subvention d'État, même pour compenser les exonérations de redevance.

Dans ce contexte, les difficultés financières de CT apparaissent inévitables.

c) Les programmes

Pour ce qui concerne la production, la législation tchèque sur l'audiovisuel n'a pas prévu de quotas.

Les candidats à l'attribution de fréquences doivent, en application de la loi du 30 octobre 1991, « produire ou faire produire une importante partie des émissions diffusées de façon à sauvegarder et développer l'identité culturelle... et à soutenir la promotion de la création audiovisuelle nationale et européenne ».

De plus, la loi prévoit que les sociétés avec participations étrangères (100 % de capitaux étrangers éventuellement) peuvent se voir attribuer des licences à la condition de participer au « développement de la création locale ou régionale ».

C'est donc l'instance de régulation qui définit les quotas, dans des conditions imposées lors de la délivrance des licences.

Ainsi, Nova TV doit assurer la production de 25 % de programmes nationaux jusqu'en 1997, date à laquelle ce chiffre sera porté à 40 % (60 % des programmes doivent être européens).

La production propre de la télévision publique est de 69 %, dont 6 % seulement est issue de producteurs indépendants, ce qui montre la faiblesse de ce secteur. La production extérieure - 31 % - se répartit de façon équilibrée entre les États-Unis (37 %), la France (16 %) et les autres pays européens. Malgré des efforts importants de productivité de la chaîne publique (-35 % d'employés, pour un volume de production ayant augmenté de 35 %), les productions tchèques restent 25 à 30 fois plus coûteuses qu'un programme américain. Peu de productions nationales trouvent preneur sur le marché international.

La République Tchèque se déclare prête à adhérer à la Convention sur la télévision transfrontière du Conseil de l'Europe. Elle se déclare toutefois hostile aux quotas, qu'elle considère comme un instrument inefficace.

Au regard de la coopération avec l'Union européenne, la République Tchèque est intéressée par le programme Média 2, alors qu'elle ne l'était pas par Média 1, seules 5 actions sur 19 de ce programme lui auraient été utiles. Elle est déjà membre des programmes Eurêka et Eurimages.

Un fonds de soutien au cinéma, alimenté par un prélèvement d'une couronne par place de cinéma et par les droits d'auteur des films d'État réalisés entre 1965 et 1990, dispose d'un budget annuel de 60 millions de couronnes pour couvrir jusqu'à 50 % des dépenses d'un film. Il finance entre 15 et 20 longs métrages par an. Le cinéma tchèque manque encore d'auteurs. Les salles de cinéma doivent être rénovées. Les distributeurs américains acquièrent à bon marché d'anciennes salles. Les distributeurs français sont malheureusement absents de ce secteur.

d) Quel pourrait être l`équilibre de l'audiovisuel tchèque ?

Comme le propose le directeur général de Nova, M. Zelezny, les chaînes publiques pourraient se voir interdire l'accès aux ressources publicitaires, à tout le moins en prime time, afin que Premiera puisse survivre. Cette position apparemment désintéressée s'explique en réalité par la conscience qu'il a que Nova a besoin d'une concurrence privée, afin de ne pas être accusée de monopole. En réalité, les ressources publicitaires du marché tchèque ne permettent sans doute pas la survie de deux chaînes commerciales.

Avec une part de marché d'environ 70 % pour une chaîne commerciale, un concurrent infiniment plus faible, une télévision publique qui ne détient plus que 25 % de parts de marché, c'est tout le secteur audiovisuel qui est déséquilibré. Nova « assèche » progressivement le marché publicitaire en privant notamment la télévision publique de ressources commerciales, alors que, dans le même temps, la rigidité de la législation induisait une baisse tendancielle des ressources de la redevance.

Même si Nova se défend d'être une chaîne américaine, sa contribution à la production audiovisuelle nationale ou à la diffusion d'oeuvres européennes n'est pas évidente. Selon la chaîne, elle diffuse 42 % de « programmes autonomes » - émissions de plateaux -, 7 % de films tchèques, 34 % de films américaines et 17 % de films du reste du monde. Elle achète des films français anciens, assurés de succès, mais a renoncé à l'achat de documentaires, ceux acquis auprès de la BBC n'ayant pas une forte écoute. Les documentaires tchèques réunissent cependant une audience égale à trois fois et demie celle des autres programmes.

Alors que le divertissement et la fiction ont été, dans un premier temps, le point fort de la chaîne commerciale, les programmes d'information de Nova sont devenus les plus suivis. Selon son directeur général, « No va façonne l'opinion publique. Cela pourrait constituer un problème dans la perspective des élections législatives du printemps 1996 ». Aucune disposition spécifique n'est en effet prévue en matière de propagande électorale sur les chaînes privées. Nova ne semble pas disposée à prêter gratuitement son temps d'antenne aux formations politiques et aucune disposition législative ne garantit l'égalité d'accès des candidats à la télévision.

La configuration actuelle du paysage audiovisuel tchèque rend aléatoire tout projet de télévision payante. Le prix de l'abonnement serait trop élevé et le public, privé d'images de l'occident pendant 35 ans, ne peut pas encore faire la différence entre une production ancienne et une production récente, ce qui est la clé du succès d'une chaîne payante.

Avec six programmes en langue tchèque - quatre diffusés par voie hertzienne et deux diffusés sur le câble -, la diversité des programmes semble assurée et un point d'équilibre est sans doute atteint.

B. LA RADIO EN RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

La République Tchèque comptait, au 31 janvier 1995, 103 radios autorisées, dont quatre stations régionales. Ce dernier chiffre est susceptible d'évoluer, le Conseil pour la radio et la télévision procédant au renouvellement des licences depuis le 1 er janvier 1996.

La radio publique cherche un nouvel essor tout en devant faire face, à Prague comme dans le reste du pays, à la concurrence féroce des radios privées dont la floraison et le dynamisme rappellent les années 80 en France. Les émissions à caractère culturel (littéraires notamment) gardent une importance certaine, aussi bien sur les stations régionales que nationales. À Prague, les équipes de production sont constituées selon les genres de programmes et interviennent indifféremment sur les trois radios nationales.

1. Un secteur public diversifié

On recense cinq stations publiques de radio :

Radio Zurnal : information (FM et OM)

Praha : généraliste (OM)

Regina : généraliste et régionale (FM)

VItava : culture et musique classique (FM)

Radio Prague internationale : programmes en langues tchèque et étrangères.

2. De nombreuses radios privées

Elles se sont multipliées après 1989.

Plus de 50 stations locales privées émettent actuellement sur le territoire tchèque. La notion de réseau n'existe pas légalement mais une radio locale peut reprendre pour partie le programme d'une autre radio et fonctionner ainsi selon un système d'abonnement.

Prague compte 16 radios sur la bande FM dont deux ont réalisé une percée remarquable, comparable en ampleur à celle de Nova pour la télévision, mais moins rapidement.


Radio Régie Music (RRM)

Ce réseau, construit autour d'Europe 2, l'une des deux stations d'Europe Développement, est le seul à correspondre au concept de réseau : il propose un tronc commun de programmes. Dans la majorité des cas, les stations signataires s'engagent à reprendre 19 heures d'émissions d'Europa 2 ; il leur reste environ 5 heures de programmes propres constitué notamment d'informations locales. Fin 1995, le réseau était constitué de 5 stations affiliées et couvrait les deux tiers de la Bohème. Radio Régie Music comprend aussi la régie publicitaire de Fréquence 1 et de Radio Golem (radio présente dans le capital de Fréquence 1).

En 1995, RRM représentait 20 % de l'audience radio en République Tchèque.


Le réseau SUN

Ce réseau est géré par Multimédia Praha qui appartient en totalité à IP Praha (Information et Publicité), proche de la CLT, qui assure par ailleurs la régie publicitaire de la télévision publique.

Il se contente d'offrir la régie publicitaire à ses 16 stations adhérentes et d'élaborer un embryon de programme commun au réseau.

En outre, deux filiales d'Europe 1, dirigées par un francophone, animateur de France-Culture de 1981 à 1990, rencontrent un succès important :


• Europa 2
(filiale à 95 % du groupe Europe 1) est une radio musicale qui propose environ 10 % de variétés françaises, 15 % de variétés tchèques et 75 % de musique anglo-saxonne. Elle a développé un réseau de radios abonnées en province (Radio Plzen, Radio Most, etc.) et couvre ainsi toute la Bohème et la majorité de la Moravie. La station occupe la première place des radios musicales depuis cinq ans.


• Fréquence 1,
dont le capital est partagé entre la société privée Radio Golem, une compagnie d'assurances, Europe 1 et sa filiale Europe 2, est une radio généraliste comportant 60 % de programmes musicaux et des bulletins d'informations. En deux ans, elle a réussi à égaler, en audience, les radios du secteur public (16,3 % d'audience pour ces dernières, contre 16,2 % pour Fréquence 1 au premier semestre 1995 ; c'est la radio la plus écoutée de la tranche d'âge 20-50 ans). Alors qu'elle se voulait radio de divertissement, elle est devenue, un peu malgré elle, la station de référence pour l'information. Elle emploie 44 personnes, contre 1150 dans les radios publiques.


• Sur les grandes ondes, le seul concurrent sérieux d'Europa 2 - Fréquence 1 est Radio Alfa qui dispose de l'ancienne fréquence de RFI. L'instance de régulation a refusé en novembre 1994 une participation étrangère à son capital.


• Émettent également sur la bande FM en République tchèque Radio Fun Europe, RFI - depuis août 1993 -, BBC World Service et Voice of America.


• Enfin, Echo a été autorisée à émettre en ondes moyennes. Il s'agit d'une radio généraliste nationale financée à 100 % par Investicni Banka.

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À l'approche des élections législatives de juin 1996, l'opposition relève que le Premier ministre est très présent dans les média alors qu'elle ne dispose pas d'un droit d'accès équivalent, notamment sous la forme d'un droit de réponse : bénéficiant déjà de deux chroniques hebdomadaires dans des journaux, M. Vaclav Klaus participe également depuis l'automne 1995 à une émission télévisée hebdomadaire de cinq minutes sur la chaîne privée Nova.

En cas de cohabitation politique, l'autorité de régulation de l'audiovisuel, responsable devant le Parlement, pourrait se trouver en situation critique.

La prédominance de Nova TV au sein du paysage audiovisuel tchèque pourrait-elle être remise en cause à l'issue de ces élections législatives ? La réponse à cette question dépendra sans doute du comportement de cette chaîne, qui reste avant tout commerciale, pendant la campagne.

En tout état de cause le succès de Nova TV est riche d'enseignement. Sans conteste, le format américain de cette chaîne exerce un puissant attrait sur le public d'Europe centrale et orientale.

Cet exemple est à méditer pour les opérateurs audiovisuel désirant investir sur le marché tchèque, mais également sur les marchés des pays voisins...

* 16 Ce comité permet de contourner la règle, posée par la règlement intérieur de la Chambre des députés, selon laquelle tout député ne peut être membre que d'une seule commission permanente.

* 17 Le prix d'un spot de 30 secondes en prime lime serait de 360 000 couronnes, soit environ 76 00 francs, tarif que seules les entreprises américaines, allemandes ou françaises peuvent acquitter.

* 18 Le MMDS est une technique de diffusion combinant le transport de signaux sur des fréquences hertziennes, dans des bandes de fréquence élevées, et leur distribution finale par câble, d'une antenne collective à chaque appartement.

* 19 2 100 couronnes = 18,5 francs environ.

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