VI. LA ROUMANIE : UN LOURD HÉRITAGE

A. UN AUDIOVISUEL ANÉMIÉ MAIS EN VOIE DE RÉNOVATION

1. Un système de régulation moderne mais difficile à appliquer

Le Conseil national de l'audiovisuel (CNA) a été créé par la loi du 21 mai 1992.

Il comprend onze membres nommés par :

- le président de la République (deux membres) ;

- le Sénat (trois membres ) ;

- la Chambre des députés (trois membres) ;

- le Gouvernement (trois membres qui doivent être respectivement professionnels des télécommunications, de la radio et de la télévision).

La durée du mandat est de quatre ans sans précision légale sur la reconduction. La révocation par l'autorité de nomination est possible en cas de non respect de la loi audiovisuelle ou de condamnation pénale. Le président est élu par ses pairs pour un mandat non renouvelable.

Le CNA exerce ses attributions sous le contrôle du seul Parlement auquel il présente un rapport annuel d'activité.

a) Des compétences étendues

Il est le garant de la liberté d'expression et d'opinion et doit veiller à éviter le retour de la censure.

Il dispose d'un pouvoir consultatif à l'égard des autorités publiques, sans bénéficier de l'initiative législative.

Il exerce une activité réglementaire en établissant des normes dans des domaines précis, énumérés par la loi :

- la publicité et le parrainage ;

- le droit de réplique ;

- l'expression des minorités ;

- le pluralisme et l'objectivité de l'information, notamment en matière de campagnes électorales,

- la promotion de la culture nationale et le respect des obligations de production (40 % de diffusion de programmes roumains sont exigés des diffuseurs) ;

- la déontologie et la protection de l'enfance et de l'adolescence.

Le CNA délivre les licences d'émission aux diffuseurs, après qu'une autorisation technique préalable a été donnée par le ministère des Télécommunications.

Les critères d'attribution sont légalement énumérés : diversité des opinions, égalité de traitement, diversité des programmes, protection de la culture et de la production nationale, impartialité et liberté d'expression.

Ont été adoptées par le CNA des conditions de participation strictes assurant l'existence d'un véritable concours entre les candidats et une procédure permettant la transparence des débats.

Le CNA établit et publie chaque année les bilans des sociétés de télévision publiques et privées ainsi que des radios publiques.

b) Des pouvoirs de sanction

Pour mener à bien sa mission de régulation et pour faire appliquer la loi sur l'audiovisuel, les normes qu'il fixe ainsi que les obligations contenues dans les licences d'émissions, le CNA peut :

- adresser des sommations aux radios et télévisions privées :

- adresser des observations au conseil d'administration de la société concernée, en désignant en qualité de rapporteur un membre du CNA qui fixe, avec les organes compétents de la société, les mesures nécessaires pour faire cesser le non respect des obligations légales ou conventionnelles, ces mesures sont rendues publiques ;

- décider d'infliger une sanction administrative, soit pour non-respect des obligations, soit pour non-conformité aux mesures préconisées dans la sommation publique

Les mesures ainsi décidées peuvent être :

- une amende comprise entre 2 % et 5 % du chiffre d'affaires ;

- la suspension provisoire de la licence pour une période de un à trois mois ;

- la réduction de la durée de la licence pour une période qui ne peut dépasser la moitié de la durée totale de la licence ;

- le retrait de l'autorisation.

Ces sanctions sont susceptibles de recours devant les tribunaux administratifs.

Le CNA dispose d'un pouvoir de saisine des instances pénales, avec la possibilité d'ordonner provisoirement la suspension de la licence en cas d'émissions pirates ou diffusées pendant une période de suspension ou en méconnaissance des contraintes techniques, telles que la puissance de l'émetteur.

Une dizaine d'avertissements ont été adressés aux chaînes depuis la création de l'instance jusqu'au printemps 1994.

La loi du 21 mai 1992 précise que le ministère des Télécommunications dispose des mêmes pouvoirs de sanction que le CNA à l'égard des diffuseurs, en cas de non-respect des obligations techniques prescrites dans l'autorisation technique délivrée obligatoirement à tout détenteur de licence.

Le CNA a cependant beaucoup de difficultés à asseoir son autorité dans un pays privé quasiment d'images pendant de nombreuses années et qui tolère mal toute incursion d'une autorité de nature administrative dans un domaine qui relève directement de la liberté expression.

Par ailleurs, et paradoxalement, le poids des dirigeants tout comme la tradition politique d'une télévision étatique, étroitement contrôlée par le Gouvernement, constituent des réalités qui pèsent sur cette institution, pourtant protégée légalement par une loi détaillée, précise et moderne dans sa conception.

2. Un secteur public handicapé par un lourd héritage

Si la télévision roumaine émet depuis le 31 décembre 1956, son développement fut considérablement entravé par la dictature Ceaucescu. La deuxième chaîne de télévision ne couvrait que Bucarest et les environs ; finalement elle fut supprimée en 1985 alors que le volume d'émissions de la première chaîne diminuait. Les programmes étaient consacrés pour l'essentiel au Conducator, à sa famille, et à ses réalisations.

En 1989, la TVR ne diffusait plus qu'un programme hebdomadaire de 27 heures, soit 2 à 5 heures d'émissions quotidiennes.

Symbole du régime en faillite, les émetteurs de la TVR furent les premiers bâtiments officiels contrôlés par les révolutionnaires en 1989.

Aujourd'hui, la nouvelle télévision publique roumaine, handicapée par cet héritage, tente de se développer et de se moderniser. Réorganisée sous forme de service public autonome, elle connaît cependant toutes les difficultés inhérentes à la création d'une véritable télévision publique dans un pays pauvre qui doit faire face à de graves problèmes, particulièrement dans le domaine de la formation de ses cadres.

La menace d'un contrôle par le Gouvernement ainsi que par le président de la République, Ion Iliescu - au pouvoir jusqu'en septembre 1996, est régulièrement au coeur des débats qui animent les intellectuels et une grande partie de la classe politique. Le pluralisme de l'information et la suppression de tout contrôle étatique demeurent encore des questions essentielles pour la télévision roumaine.

La société d'exploitation des deux chaînes de télévision publiques est Televiziunea Romana (TVR), Société Roumaine de Télévision, régie par la loi du 18 juin 1992.

TVR1 et TVR2 proposent 187 heures de programmes par semaine.

TVR1 est la plus ancienne. Sa zone de couverture est nationale. Elle émet de 7 h à 1 h. Il s'agit d'une chaîne généraliste.

TVR2 couvre actuellement 40 % du territoire national. La chaîne émet de 7 h à 1 h. Elle est à vocation plus culturelle et sociale, retransmet des concerts, puise dans les archives nationales pour diffuser des films et des pièces de théâtre roumains. Sept pour cent du temps d'antenne est consacré aux programmes produits par les studios régionaux de Cluj et Iasi. Elle retransmet également les programmes de la République de Moldavie et des programmes étrangers reçus par satellite ; au total 30 % de son temps d'antenne est constitué de programmes étrangers.

Il existe par ailleurs deux studios régionaux de la TVR : TV Iasi et TV Cluj. Les émissions qu'ils produisent sont diffusées dans une proportion de 8 % du programme national de TVR1 et de 7 % de TVR2.

3. De petits opérateurs privés

La télévision publique domine encore largement le paysage audiovisuel roumain, comme l'indique le graphique ci-après :

Audience de 9 heures à 1 heure
Adultes (plus de 11 ans)

Source : CSOP GALLUP October 1994 IP Arbo

Toutefois, des données plus récentes - fin 1995 - font état d'une perte d'audience importante du secteur public qui ferait désormais jeu égal avec les télévisions privées à Bucarest. L 'audience de la télévision publique dominant encore largement les zones rurales, avec près de 85 % de parts de marché.

Il n'existe pas de chaîne privée nationale en Roumanie, une tentative de privatisation de la deuxième chaîne TVR2 au profit du groupe britannique Atlantis TV Ltd ayant échoué en avril 1992. La loi du 21 mai 1992 n'interdit pas cette éventualité mais elle exclut formellement la première chaîne de toute forme de privatisation.

Les progrès du câble et du satellite limitent les perspectives de développement d'une chaîne privée hertzienne nationale.

a) Des chaînes privées uniquement locales

Les télévisions privées demeurent, en Roumanie, des télévisions locales. Beaucoup d'entre elles n'émettent pas plus de douze heures par jour. Elles recueillent un taux d'audience global de 8 %. Les programmes qu'elles offrent constituent une alternative importante à ceux de la télévision nationale. Elles représentent enfin un champ d'investissement important pour la publicité locale.

Au total, le CNA a accordé 68 licences, même si beaucoup de télévisions autorisées n'ont pas dépassé le stade des projets.


TV Soti, un studio indépendant (équipé par les États-Unis), organisé sous la forme d'une association à but non lucratif, émet depuis 1990 , dans un premier temps à partir de 23 heures, puis tous les samedis et dimanches matin sur le canal de TVR2. Elle n'émet plus aujourd'hui que sur le canal qu'elle partage avec Antenna 1. Elle a dû, à la demande du CNA,abandonner, en août 1994, sa diffusion sur TVR2.


Antenna 1 qui a obtenu en 1993 une licence lui permettant d'être diffusée à Bucarest et jusqu'à Brastov.

La chaîne cherche à constituer un réseau régional.

Le capital d'Antenna 1 est détenu à hauteur de 90 % par une société chypriote de commerce international. Les 10 % restant appartiennent à la société roumaine Crescent dont les activités ne sont pas clairement établies. Le président est un ancien employé de la télévision d'État.

Sa programmation est commerciale et propose un format qu'elle voudrait en harmonie avec les dispositions de la directive européenne « Télévision sans frontières ». Elle diffuse cependant des films érotiques après minuit. Elle pourrait constituer une concurrente sérieuse pour le service public.


TL7 ABC, qui a commencé à émettre en septembre 1994, est une télévision généraliste locale. Elle envisage de diffuser ses programmes par voie satellitaire.

La chaîne a été créée par le propriétaire du plus grand quotidien roumain Evenimentul Zilei. M. Mihail Circoig, ainsi que du magazine Infractor, et par une société luxembourgeoise composée d'expatriés roumains vivant aux États-Unis.

Elle retransmet les programmes de la Deutsche Welle.


• TV Sigma, créée en 1991 à l'Université polytechnique de Bucarest, est une chaîne biculturelle franco-roumaine. Elle propose 22 heures de reprise quotidienne des programmes de TV5 Europe et de deux heures de programmes propres en langue roumaine.


Tele America retransmet, dix heures par jour, des programmes roumains et américains.


Europa Nova fédère des télévisions locales indépendantes.


RTI (à Bucarest) et Mediapro (en province), du groupe Central European Media Enterprises de M. Ronald Lauder, par ailleurs propriétaire de la télévision privée tchèque Nova TV, demeurent au stade de projets.

Ces deux chaînes ont obtenu des licences pour diffuser des programmes composés essentiellement d'information. Actuellement, RTI reprend les programmes de CNN et d'Eurosport avec un habillage local pour certaines émissions. Elle devrait produire quatre heures de programmes dans un proche avenir.

b) Les réseaux câblés

Ils se sont considérablement développés depuis 1992 et toucheraient un foyer sur quatre, et même un foyer sur deux à Bucarest.

On compte aujourd'hui 350 opérateurs du câble en Roumanie, pour 525 licences délivrées par le CNA. Le nombre des abonnés avoisinerait 1,5 à 2 millions dans tout le pays - 70 % du territoire national étant couvert -, et 360.000 abonnés pour la seule ville de Bucarest où la pénétration des foyers est évaluée à 36,3 % (juin 1994).

Toutefois, l'augmentation prochaine de l'abonnement au câble pourrait infléchir cette tendance. Le prix moyen de l'abonnement est actuellement de 2000 lei par mois (soit 8 FF). L'absence d'une législation sur les droits d'auteurs permet aux câblo-opérateurs de pratiquer ces tarifs d'abonnement très bas et donc adaptés aux possibilités du marché. M ais la discussion en cours devant le Parlement roumain d'un projet de loi sur les droits d'auteur, inspiré de la réglementation européenne, pourrait signifier, s'il était adopté, un bouleversement considérable du marché du câble. L'adoption de cette loi favoriserait les opérateurs les plus sérieux. Le projet de loi se heurte toutefois à une résistance importante.

Les bouquets proposés dans les abonnements au câble oscillent entre 12 et 24 chaînes.

c) Le satellite

Enfin, les chaînes diffusées par satellite sont reçues par 200.000 foyers équipés d'antennes paraboliques ; 12 % des foyers de Bucarest en seraient équipés (juin 1994).

La montée simultanée sur le satellite EUTELSAT de la télévision publique roumaine, trois heures et demie par jour, d'Antenna 1 et de pro TV devrait induire une nouvelle phase d'évolution de l'audience des trois principaux média roumains.

Jusqu'à présent, en effet, seules les deux chaînes publiques bénéficiaient d'une couverture nationale satisfaisante. Ce nouveau mode de diffusion devrait bouleverser à moyen terme le paysage télévisuel roumain, notamment en province où le secteur public continue de régner sans partage.

4. L'économie de l'audiovisuel

L'évolution des ressources de la télévision publique reste soumise à de forts aléas. La redevance, qui représente 40 % des recettes des chaînes publiques, pourrait être portée de 11 francs à 16 francs par an. Les subventions budgétaires représentent 11 % des ressources, la publicité. 30 % et enfin le parrainage 10 %.

Le marché de la publicité est, en revanche, en pleine expansion. Les dépenses dans ce secteur, qui constituent une source non négligeable de revenus pour les média privés, sont estimées à 26 millions de dollars en 1994, dont 10 millions pour la télévision. 8 pour la presse et 4 pour la radio, et à environ 50 millions de dollars pour 1995, soit le double.

5. Les programmes

Sur TVR1, les émissions de divertissement et les jeux représentent environ 19 % de la programmation, les informations politiques et sociales 13 %, les fictions (films, séries, dessins animés) 25 %

Les minorités nationales, notamment hongroise et allemande, ont un accès à TVR1 (dans une proportion de 3 % environ du programme) et à TVR2 (5 % environ).

Sur les chaînes publiques, 70 % des programmes sont roumains contre 30 % de programmes étrangers Cinq pour cent seulement du budget des chaînes publiques sont consacrés à l'achat de programmes. L'origine des oeuvres achetées est relativement équilibrée avec 52 % pour l'Amérique du Nord, 48 % pour l'Europe de l'Ouest. Cependant, les séries américaines connaissent des records d'audience : Dallas comptabiliserait 80 % d'audience. Quelques séries et films français trouvent leur place dans les grilles, comme Le Château des Oliviers.

Il n'existe pas de quotas sur un plan légal, mais la loi du 11 mai 1992 a érigé en critère une notion qui devrait permettre l'attribution de licence : « la promotion de la culture nationale et l'encouragement de la création et de la p roduction audiovisuelle nationales ».

Le CNA demande pour sa part aux diffuseurs de respecter un pourcentage de 40 % de diffusion de programmes roumains.

De grandes difficultés subsistent cependant pour créer une production nationale moderne. Toutefois, les studios régionaux de la télévision (Iasi et Cluj) produisent 14 heures environ de programmes par semaine, retransmises sur les deux chaînes publiques.

Alors que les téléspectateurs roumains sont plus souvent francophones qu'anglophones, les Français figurent loin derrière les Britanniques sur la liste des opérateurs audiovisuels qui ont profité de la libéralisation des ondes depuis 1990.

B. LA RADIO EN ROUMANIE

Il existe trois chaînes de radios publiques nationales dépendant de Radio Romania.

- Romania Actualitati (en FM), créée en 1949, se consacre à l'information. En juin 1994, elle arrivait en tête des indices d'audience à Bucarest avec 52,4 % ;

- Romania Cultural (en FM) propose des émissions culturelles. Médiamétrie indique un taux d'audience cumulé de 3,8 % en juin 1994 pour Bucarest ;

- Romania Tineret (en FM stéréo), créée en 1949, offre essentiellement des émissions pour la jeunesse. L'indice d'audience cumulée à Bucarest en juin 1994 est de 2 % (Médiamétrie).

De nombreuses stations privées locales ont également vu le jour.

Les plus connues de ces stations sont Radio Contact (jumelée avec IP, du groupe Havas, 20 % d'audience), Radio Pro FM (du groupe Médiapro, 16 à 20 % d'audience), Uniplus Radio, Fun Radio, société musicale créée par une société mixte franco-roumaine dont l'audience est estimée à Bucarest à 5 % - en juin 1994 - Antenna 1 Radio, Radio Total qui diffuse en roumain et en anglais, Radio 1 Ténérama qui émet en allemand et roumain.

Enfin, le Studio-école de l'Université de Bucarest, Radio Delta est un projet conçu par Radio France Internationale à l'image de ce qui s'est fait entre TV5 Europe et l'Université polytechnique de Bucarest pour TV Sigma. Implantée à Bucarest, Radio Delta diffuse de la musique pour les jeunes générations, des émissions culturelles, ainsi qu'un journal chaque heure.

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L'Europe balkanique ne connaît pas encore un pluralisme réel de l'offre audiovisuelle hertzienne. Les télévisions privées roumaines essentiellement locales, sont faibles, sauf dans les grandes villes où elles disposent d'une audience relativement importante.

Mais le développement du câble et du satellite montre, si besoin est, l'attrait croissant du public dans cette région pour des programmes plus diversifiés et sans doute plus divertissants.

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