INTERVENTION DE M. PHILIPPE DOUSTE-BLAZY, MINISTRE DE LA CULTURE

M. Philippe Douste-Blazy .- Je voudrais d'abord remercier, à mon tour, le président Jean François-Poncet de nous avoir invités à parler d'un sujet aussi important que celui-là. Je vais m'efforcer de dire en quelques mots les problèmes qui existent aujourd'hui dans la politique culturelle en région. Je dois faire face à plusieurs problèmes. Quand je vais à Bercy, j'ai l'impression de tomber parfois sur des personnes qui ne voient pas très bien pourquoi la politique culturelle de l'Etat est importante.

M. François Bayrou .- Tu n'es pas le seul.

M. Philippe Douste-Blazy . - Quand je vois les élus locaux et que je vais en province, je me rends compte qu'il y a une très importante vie culturelle, un épanouissement culturel des régions et de nos provinces, qui a été décuplée durant les vingt dernières années.

Après l'action de fondation d'André Malraux, après les efforts de déconcentration de Jacques Duhamel, après les efforts de décentralisation de Jack Lang et Jacques Toubon, il y a aujourd'hui probablement une nouvelle réflexion à avoir sur le ministère de la Culture. Nous sommes pratiquement le seul pays au monde à avoir organisé depuis 35 ans un ministère de la Culture ; je crois que nous devons, aujourd'hui, y réfléchir.

Il y a deux sortes de personnes qui rentrent dans le bureau du ministre de la Culture : des hommes et des femmes de culture, qui ont des projets très techniques sur le plan culturel ; ils vous demandent une subvention ; ou bien elle est importante et vous l'accordez, et vous êtes un grand ministre ; ou la subvention que vous accordez est inférieure à ce que qu'ils veulent et vous êtes un mauvais ministre. Pour les élus locaux, c'est souvent la même chose. Il faut que nous sortions de cette dérive, qui est une dérive de subvention, qui est d'ailleurs beaucoup trop souvent une dérive redondante. On s'aperçoit que la région, le département, la commune et l'Etat finissent aussi souvent par payer les mêmes choses.

Vous qui êtes des parlementaires, des élus locaux, des membres du Conseil économique et social ; en premier lieu, vous êtes les acteurs de la vie culturelle de ce pays. Cela remonte au 19ème siècle. Aujourd'hui, on peut dire que depuis trente ans, l'Etat fait un effort très important dans la politique d'investissement culturel.

Je vous donne deux chiffres : les collectivités territoriales consacreront cette année pour l'action culturelle 38 milliards de francs. Les seules communes donneront 30 milliards de francs. Le ministère de la culture disposera de 15 milliards. En 1981, les communes donnaient 15 milliards. Nous ne sommes pas arrivés, pendant ce même temps, à organiser une réflexion commune entre les communes, les départements, les régions et l'Etat. Et cela manque.

Nous devons, aujourd'hui, bâtir une nouvelle politique culturelle qui prend en compte le fait que ce sont les collectivités territoriales qui font le plus gros effort et qui, ensuite, permettent de mieux coordonner l'effort de l'Etat. Il faut donc un schéma national des équipements culturels pour lutter, à la fois, contre l'exclusion sociale et l'exclusion géographique.

Pour répondre directement à la question, je crois qu'il faut raisonner sur le plan des équipements. Il y a aujourd'hui beaucoup plus d'équipements à Paris qu'en province. Le ministère de la culture est resté beaucoup trop longtemps un ministère parisien, en oubliant l'épanouissement culturel de nos provinces depuis quatorze ans. Il y a beaucoup plus d'équipements culturels au centre ville que dans les périphéries, beaucoup plus dans les villes que dans les campagnes. Je crois qu'aujourd'hui nous devons faire porter la réflexion sur une une carte d'équipements culturels qui couvre tout le territoire.

C'est la raison pour laquelle, pour la première fois, le ministère de la culture s'est lancé dans une politique très offensive dans les banlieues et les quartiers périphériques de nos villes. Il y a 19 projets de quartier, plus une cinquantaine qui vont être développés, qui visent à considérer les habitants de ces quartiers plus comme des acteurs que comme des spectateurs. Ce n'est pas la peine d'arriver à 22 heures avec un magnifique spectacle, si c'est pour repartir à deux heures du matin ; on n'aura réglé aucun problème de fond et ce n'est pas ainsi qu'il faut dépenser l'argent de l'Etat en termes culturels.

De même, nous avons des projets quant à la lecture, la lutte contre l'illettrisme, nous avons des projets sur l'expression corporelle, le théâtre et la musique qui, au bout d'un an ou deux, transforment véritablement les habitants de ces quartiers. En termes d'offre culturelle, nous pensons qu'elle doit être une offre de proximité et c'est la raison pour laquelle nous souhaitons mettre en place un véritable réseau culturel, avec les scènes nationales, avec de la musique avec la mise en place de cafés-musique dans les départements, avec les centres dramatiques nationaux.

Je souhaite tout simplement que l'on défende le service public culturel. Je souhaite qu'avec vous, avec les élus locaux, nous puissions signer des conventions entre l'Etat et les communes, l'Etat et les départements, l'Etat et les régions.

J'ai commencé il y a cinq mois avec les orchestres nationaux, avec les scènes nationales, avec les centres dramatiques nationaux. De quoi s'agit-il ? Il s'agit, par exemple, d'un orchestre national, que l'Etat subventionne. C'est l'orchestre national de Toulouse ; mais il doit aussi irriguer les villes de moins de 50 000 habitants de la Région Midi-Pyrénées. Toulouse, Lyon, Marseille et Lille ne peuvent pas se considérer comme Paris l'a fait pendant longtemps vis-à-vis de la province. Je souhaite qu'il existe un grand orchestre national de Toulouse, mais je voudrais qu'on le voie à Cahors ou Mazamet ; c'est comme cela qu'on défendra, véritablement, un réseau culturel et un aménagement culturel du territoire.

Il ne faut pas refaire au niveau régional les erreurs faites au niveau national. On met en place des cahiers des charges. Le véritable rendez-vous, c'est le jour ou ce cahier ces charges ne sera pas respecté. Ce jour-là, il faudra diminuer les subventions de l'institution culturelle en question.

Un mot sur l'enseignement artistique : on ne pourra pas développer l'aménagement culturel du territoire si on ne développe pas l'enseignement artistique. Là aussi, il faut une politique de convention. Tout le monde dira que l'Etat diminue ses prestations ou son financement des écoles de danse, des conservatoires et des écoles de musique. Je ne demande pas mieux que de consacrer plus d'argent aux conservatoires, aux écoles de musique et aux écoles de danse dans la mesure où, en contrepartie, je suis sûr que tous les enfants de la commune ou du département puissent être initiés à un instrument.

Nous devons apprendre à travailler ensemble. Vous donnez encore plus que l'Etat, vous, les collectivités locales, et c'est maintenant à nous d'organiser une politique de contrats et de conventions.

Un mot sur les grands projets en région. Cette année le budget du ministère de la Culture montre que 2/3 des investissements iront en province. C'est la première fois depuis longtemps. Nous avons profité du fait de l'extinction des grands projets parisiens, et nous avons gardé la même somme pour investir en province. C'est ainsi que cette année il y aura un grand auditorium à Dijon, le centre de Reims des archives de la cinquième République et aussi le musée d'art contemporain de Toulouse.

M. Charles Pasqua .- Bravo.

M. Philippe Douste-Blazy .- Je voudrais ajouter un dernier mot puisque j'ai la chance de vous avoir devant moi.

Demain, au Sénat, je vais présenter un projet de loi qui me paraît très important pour l'aménagement culturel du territoire. En France, il existe 40 000 monuments historiques qui sont rénovés et entretenus par l'Etat. A côté, il existe 400 000 monuments ou sites non protégés, non inscrits, non classés, qui sont aujourd'hui une richesse considérable patrimoniale pour notre pays. Il n'y a pas un seul village dans ce pays qui n'ait pas une église, une chapelle, un rempart, un lavoir qui doit être entretenu ou rénové. Aujourd'hui, le budget des petites communes ne permet pas la rénovation et l'entretien de ces monuments. Nous fondons, dès demain au Sénat, la Fondation du Patrimoine. C'est une véritable révolution culturelle dans ce pays, car c'est une fondation privée, comme les Anglais l'ont fait avec le National Trust, où toutes les grandes entreprises publiques, privées, et tous nos concitoyens pourront participer avec des avantages fiscaux identiques à ceux que l'on a pour la Fondation de France.

Nous allons proposer des conventions, département par département, en faisant d'un côté la liste de tous les monuments et sites non protégés du département, en face la liste des entreprises de travaux publics spécialisées dans ce type de métier, et nous allons demander aux entreprises, en contrepartie, de l'augmentation du volume de travaux, l'embauche de chômeurs qui pourront être formés à des emplois de rénovation après six mois de formation.

Nous avons là une réponse à la question : un aménagement culturel du territoire, en pensant à tous les villages de ce pays, en faisant un programme national d'entretien et de restauration du patrimoine, et en montrant que la culture et l'emploi sont deux notions qui ne sont pas contradictoires, mais au contraire complémentaires.

M. François-Michel Gonnot .- Pour vous interpeller, M. Gouteyron, Sénateur de la Haute Loire et Président de l'importante commission des Affaires culturelles du Sénat.

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