IV. COMMUNICATION DE M. CHRISTIAN DE LA MALENE SUR L'APPLICATION DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITE

Le jeudi 28 juin 1996, la délégation a entendu une communication de M. Christian de La Malène sur l'application du principe de subsidiarité.

M. Christian de La Malène a estimé qu'une réflexion sur le principe de subsidiarité était nécessaire dans l'optique de la Conférence intergouvernementale et, à plus long terme, dans celle de l'élargissement de l'Union. Il a tout d'abord rappelé la signification du principe de subsidiarité. Celui-ci, a-t-il relevé, comprend trois aspects : tout d'abord, les compétences et les pouvoirs de la Communauté doivent être interprétés strictement ; ensuite, sauf dans les domaines où elle dispose d'une compétence exclusive, la Communauté ne peut intervenir que si les Etats membres, seuls ou en coopération, ne peuvent pas suffisamment réaliser l'objectif poursuivi, et si la Communauté est mieux placée que les Etats membres pour atteindre cet objectif ; enfin, la Communauté doit agir par les moyens les moins lourds et les moins contraignants possibles, compte tenu des objectifs poursuivis ; lorsqu'elle intervient, la Communauté ne doit pas se substituer aux Etats, mais compléter leur action.

Il a souligné que le principe de subsidiarité laissait une marge d'appréciation très importante. Ainsi, il est difficile de dire ce qu'est la réalisation suffisante d'un objectif, d'autant que les objectifs de la Communauté sont parfois définis par le Traité en termes très vagues, par exemple " l'épanouissement des cultures des Etats membres ", le " développement d'une éducation de qualité ", ou encore " un niveau élevé de protection de la santé humaine ". De même, une marge d'appréciation importante existe sur la notion de " compétence exclusive ". Plusieurs interprétations de celle-ci sont possibles : certes, il existe un " noyau dur " de compétences exclusives que personne ne conteste, celles pour lesquelles le Traité prévoit que la Communauté doit agir en se substituant aux Etats membres : il en est ainsi lorsque la Communauté fixe les captures autorisées pour la pêche, ou qu'elle conclut des accords commerciaux ; mais, dès lors que l'on dépasse ce " noyau dur ", apparaît une controverse juridique sur l'extension exacte des compétences exclusives, dont par exemple la Commission européenne a une interprétation assez large.

Ainsi, a-t-il poursuivi, le principe de subsidiarité est une orientation politique claire, mais sa portée exacte est imprécise : tout dépend de la manière dont il est appliqué. Il s'agit d'un principe plus politique que juridique.

Puis, M. Christian de La Malène a abordé l'application du principe de subsidiarité. Il a tout d'abord rappelé qu'en 1992 la Communauté s'était posé le problème du contrôle de ce principe, et que ce débat s'était conclu par la décision du Conseil européen d'Edimbourg. Schématiquement, deux tendances s'opposaient : d'un côté, se trouvaient la Grande-Bretagne et le Danemark, dont les Gouvernements souhaitaient mettre en avant le principe de subsidiarité pour rassurer leurs opinions publiques. De l'autre côté, l'on trouvait la Commission européenne, le Parlement européen, et les Etats fortement bénéficiaires des interventions de la communauté, c'est-à-dire les pays méditerranéens et l'Irlande : cette tendance souhaitait au contraire réduire au minimum la portée pratique du principe de subsidiarité. La France et les pays du Benelux étaient dans une position intermédiaire, mais plus proches de cette deuxième tendance, tandis que l'Allemagne était à certains égards plus proche de la première. Ainsi, la balance penchait nettement en faveur d'une conception " minimaliste " de l'application du principe de subsidiarité, et c'est une telle conception qui l'a emporté lors du Conseil européen d'Edimbourg. La déclaration d'Edimbourg a retenu en substance deux idées : d'une part, l'inscription du principe de subsidiarité dans le Traité ne doit pas entraîner de modification importante des pratiques communautaires, et, en particulier, le respect de ce principe ne doit pas faire l'objet d'un contrôle particulier ; d'autre part, il incombe à la Commission de faire preuve de vigilance dans l'élaboration de ses propositions. Cette conception a été confirmée par l' " accord interinstitutionnel " intervenu entre la Commission, le Parlement et le Conseil des ministres en 1993. Finalement, les institutions communautaires se sont donc mises d'accord pour donner au principe de subsidiarité la valeur d'une déclaration d'intention sans véritable conséquence pratique sur le fonctionnement de la Communauté.

M. Christian de La Malène a souligné que, depuis lors, le principe de subsidiarité avait tenu une place réduite dans les débats communautaires. Le Conseil européen s'est borné, lors de chacune de ses réunions, à lui consacrer un paragraphe de ses déclarations. La Commission européenne, quant à elle, s'était engagée à mieux tenir compte du principe de subsidiarité et à publier, chaque année, un rapport sur son application. En réalité, elle a entamé, après le Conseil européen d'Edimbourg, un travail de simplification et de codification de la législation communautaire, qui est en pratique un exercice d'amélioration de la législation. Dans les faits, le rapport annuel de la Commission sur la subsidiarité est principalement consacré à l'état d'avancement de ce travail, fort utile en lui-même, mais qui n'a qu'un lointain rapport avec l'application du principe de subsidiarité. Enfin, le Parlement européen n'est intervenu dans le débat sur la subsidiarité que pour protester contre le retrait de certains projets de la Commission, tel celui sur les zoos. L'" accord interinstitutionnel " de 1993 prévoyait un débat annuel sur la subsidiarité ; jusqu'à présent, il n'a jamais eu lieu.

M. Christian de La Malène a ensuite estimé que le peu d'attention portée au principe de subsidiarité s'était traduit par la persistance des tendances antérieures à l'entrée en vigueur de ce principe. Comme par le passé, a-t-il affirmé, la Commission continue à présenter des propositions dans des domaines où une action communautaire ne paraît pas indispensable, par exemple le programme ARIANE d'encouragement à la lecture, le programme RAPHAEL de protection du patrimoine, ou le programme KALEIDOSCOPE de soutien à la création artistique. Les objectifs de ces programmes, a--t-il poursuivi, sont louables, mais on peut douter que dans de tels domaines la Communauté soit un meilleur échelon de décision que les Etats. Comme ces actions communautaires sont financées par prélèvement sur les budgets des Etats membres, ce type d'action revient à faire gérer une partie des moyens disponibles par un échelon plus éloigné des citoyens, ce qui va à l'opposé du principe de subsidiarité. Il en est de même du programme communautaire de sensibilisation pour favoriser la prévention du SIDA, et du programme communautaire de prévention de la toxicomanie : les objectifs de ces programmes ne sont pas en cause, mais les crédits seraient vraisemblablement mieux gérés par des acteurs plus près du terrain. Il en est également de même du programme " Pauvreté " qui entend lutter à l'échelon communautaire contre l'exclusion, alors que l'échelon national ou local paraît au moins aussi approprié pour mener des actions de ce type. Par ces différents programmes portant sur la culture, la santé, l'exclusion, la Commission semble chercher à améliorer l'image de la Communauté bien plutôt que de viser à l'efficacité. De même, bien que la Communauté ne soit pas compétente en matière de tourisme ou de protection civile, la Commission persiste à proposer des programmes d'action dans ces domaines.

M. Christian de La Malène a cité ensuite le cas des services publics : alors que les Etats membres paraissent le meilleur échelon pour définir les missions de service public, les directives adoptées ou en discussion sur les télécommunications, la Poste, l'électricité, reviennent à faire définir par la Communauté les missions du " service universel ". Même l'aspect tatillon de la législation communautaire, a-t-il poursuivi, n'est pas réellement remis en cause : des règlements ont été pris ou vont l'être sur l'étiquetage des chaussures, le rendement des réfrigérateurs, la béquille des motos, le limitateur de vitesse des tracteurs agricoles. Cette tendance à réglementer les moindres détails n'est pas le problème le plus grave, mais cela traduit le maintien de comportements que le principe de subsidiarité était destiné à remettre en cause.

Puis il a souligné que les propositions d'interventions très variées de la Commission européenne par des programmes d'action avaient été dans l'ensemble bien accueillies par les autres institutions communautaires. Les seules réserves du Parlement européen portent, en règle générale, sur le fait que ces programmes ne vont pas assez loin ; quant au Conseil, son attitude est généralement d'approuver les programmes, mais de réduire les dotations. Dans un seul cas, le Conseil a refusé un de ces programmes d'action : il s'agit du programme " Pauvreté ", bloqué par l'Allemagne qui considérait que ce type d'action était de la compétence de ses Länder. Néanmoins, la Commission a pu commencer à mettre en oeuvre ce programme, car le Parlement européen, qui a le dernier mot sur les dépenses non obligatoires, avait dégagé des crédits à cet effet.

Ainsi, a-t-il conclu, comme il n'existe pas de contre-pouvoirs au sein des institutions européennes, le respect du principe de subsidiarité n'est pas garanti, et la conséquence concrète de cette situation est qu'il n'est pas mieux assuré qu'avant son inscription dans le Traité.

M. Christian de La Malène a jugé que cette situation était préoccupante. Lorsque les Etats s'associent pour constituer une fédération, une confédération, ou une forme intermédiaire de groupement, ils mettent en commun des compétences portant sur des domaines fondamentaux : relations extérieures, défense, monnaie, et ils laissent aux Etats membres une grande autonomie dans les domaines où s'expriment les identités de ceux-ci. Or, les Européens n'ont pas jusqu'à présent réussi à mettre en commun les compétences portant sur les domaines fondamentaux, tandis que les interventions européennes se sont largement développées dans les autres domaines, suscitant un malaise au sein des opinions publiques. L'Union européenne apparaît ainsi comme une pyramide inversée, où les Etats conservent les compétences qu'ils auraient normalement le plus intérêt à mettre en commun, et ont perdu des compétences qu'il n'était pas nécessaire de transférer à la Communauté. Au contraire, la construction européenne devrait être conçue de manière à préserver les identités nationales : son objectif n'est pas de créer un " homo europeanus " par disparition de la diversité des cultures européennes.

Estimant au total qu'une meilleure application du principe de subsidiarité pouvait apparaître comme un début de remède à cette déviation de la construction européenne, il a plaidé en faveur de la proposition faite par le Gouvernement dans le cadre de la Conférence intergouvernementale de créer un " haut conseil parlementaire de la subsidiarité " à caractère consultatif, qui permettrait aux Parlements nationaux de contribuer collectivement à veiller à un meilleur respect du principe de subsidiarité.

Terminant son propos, M. Christian de La Malène a relevé que certains avaient estimé que l'affaire de l'épizootie d'encéphalite spongiforme bovine devait conduire à une certaine remise en cause du principe de subsidiarité. Après avoir rappelé les dispositions du Traité concernant la libre circulation des marchandises et la politique agricole commune, il a souligné que la Communauté disposait en réalité des pouvoirs nécessaires pour faire face à ce problème et que ces pouvoirs n'avaient jamais été contestés au nom de la subsidiarité. Si la Communauté a réagi avec retard, c'est parce qu'elle avait, semble-t-il, tendance à privilégier le principe de libre circulation sur d'autres considérations. Précisant qu'il ne s'agissait pas pour lui de mettre en cause la responsabilité de tel ou tel dans cette crise, il a estimé qu'en tout état de cause celle-ci n'avait aucun rapport avec le principe de subsidiarité, le problème posé par la gestion de l'ESB ne résidant pas dans une insuffisance des pouvoirs de la Communauté, mais dans l'usage qui avait été fait de ceux-ci.

M. Jacques Genton a estimé que certaines des propositions de la Commission relevaient d'un fédéralisme anticipé. Il a rappelé que, pour Robert Schuman, la construction européenne ne devait pas chercher à harmoniser ce qui fait la vie quotidienne des citoyens.

M. Pierre Fauchon s'est félicité que la communication ait mentionné les différents aspects du problème posé par le principe de subsidiarité. L'accent mis sur celui-ci est parfois l'habillage de convictions anti-européennes qui n'osent pas s'affirmer. Or le problème de la subsidiarité comporte plusieurs dimensions : il doit certes conduire l'Union européenne à éviter un interventionnisme excessif, mais il doit également la conduire à développer ses compétences dans des domaines essentiels, tels que la défense, les relations extérieures, la monnaie, pour lesquels les Etats ne sont plus à la hauteur des problèmes.

Puis M. Pierre Fauchon a estimé que la question de l'application du principe de subsidiarité devait être abordée en tenant compte des exigences de chaque domaine d'action. Dans le domaine de la consommation, les réglementations communautaires sont certes nombreuses, mais il s'agit là d'une nécessité pour le bon fonctionnement du marché unique. Par ailleurs, l'application des décisions européennes sur le terrain suppose des moyens d'exécution et de contrôle : les refuser à la Communauté au nom de la subsidiarité empêcherait l'action communautaire d'être efficace. De même, il serait nécessaire de créer un corps communautaire de douaniers, chaque Etat membre ayant tendance à n'exercer les contrôles que sur les marchandises destinées à son proche marché : ainsi, les contrôles dans le port de Rotterdam sur les marchandises destinées à être réexpédiées sont-ils parfois superficiels, sans que les autres Etats membres puissent y remédier. De même encore, la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue, dans les conditions actuelles, n'est pas d'une efficacité suffisante.

M. Philippe François a indiqué que des douaniers français participaient aux contrôles dans le port de Rotterdam, et a estimé que la coopération entre Etats membres en matière de lutte contre le terrorisme avait fait la preuve de son efficacité.

M. Pierre Fauchon s'est déclaré persuadé qu'il n'y aurait de réelle efficacité dans ce domaine que par la mise en place d'un système unifié. Il a ensuite précisé qu'il partageait les doutes émis par M. Christian de La Malène sur certains programmes d'action communautaire concernant la culture, tout en soulignant que, par exemple, le programme Erasmus visant à stimuler les échanges d'étudiants entre universités européennes était d'un intérêt indéniable. De même, a-t-il poursuivi, la Communauté n'est sans doute pas très bien placée en ce qui concerne la sensibilisation au risque du SIDA ; mais elle peut, en revanche, se montrer utile dans le domaine de la recherche sur le traitement de cette maladie. L'intérêt principal du principe de subsidiarité devrait être de réorienter l'action de la Communauté vers les grands domaines et les types d'intervention où elle se montre la plus utile et la plus efficace.

M. Jacques Genton a rappelé que la délégation avait eu l'occasion d'appuyer le développement du programme Erasmus lors des débats budgétaires.

M. Christian de La Malène a indiqué que sa communication constituait une étape dans la préparation d'un rapport qui serait présenté à l'automne à la délégation.

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