Audition de M. Gérard Tendron,
Directeur général du Conseil supérieur de la Pêche
(Jeudi 20 mars 1997)

Sur l'opportunité de la directive 92/43 Habitats, M. Gérard Tendron a fait valoir qu'elle comblait une lacune importante en matière de préservation du patrimoine naturel européen en ajoutant à la conservation des espèces celle de leurs habitats, tout en prenant en compte la légitimité des activités humaines dans le cadre d'un ensemble représentatif cohérent et fonctionnel du territoire européen.

Il a tenu à souligner que cette directive n'induisait pas une protection forte sur les sites, risquant d'y entraver toute initiative mais sollicitait un consensus entre les gestionnaires, les utilisateurs, les propriétaires et l'administration pour conduire une politique de conservation -entretien et gestion- des espèces avec une obligation de résultat clairement définie : le maintien, voire la restauration de la biodiversité par une utilisation durable de l'espace.

Cette directive entendait donc maintenir, voire restaurer des activités abandonnées ou en voie de disparition qui s'étaient révélées jusqu'ici compatibles avec les objectifs affichés, la disparition d'activités traditionnelles pouvant conduire au contraire à une réduction de la biodiversité. A ce titre, il a considéré que la chasse et la pêche entraient dans le cadre d'une gestion durable des espaces naturels.

M. Gérard Tendron a, cependant, jugé que la directive était incomplète en ce qui concerne la protection de certains groupes d'insectes aquatiques ou à larves aquatiques, pourtant très vulnérables et fondamentaux dans l'évaluation de la qualité des milieux aquatiques, de même que pour certains poissons et leurs habitats ; ainsi des habitats d'eau douce sensibles, incontestablement d'intérêt communautaire, comme les prairies inondables des lits majeurs de cours d'eau et une espèce sensible comme le brochet étaient absents des annexes de la directive. Néanmoins, la prise en compte de sites remarquables en raison de la présence d'espèces botaniques d'intérêt communautaire permettait d'assurer la conservation de zones propices à la reproduction du brochet, et de remédier ainsi à cette carence.

M. Gérard Tendron a fait remarquer qu'en raison de la nature particulière des habitats d'eau douce, la conservation reposait souvent sur ce qui vient de l'amont et du bassin versant et nécessitait une gestion intégrée, à l'échelle des bassins fluviaux, notamment pour la protection des grands migrateurs, tels les saumons, lamproies et aloses.

En ce qui concerne la mise en oeuvre de la directive 92/43 Habitats, M. Gérard Tendron a indiqué que le Conseil supérieur de la pêche avait été très largement associé aux travaux des conseils scientifiques régionaux du patrimoine naturel (CSRPN), qui avaient bien rempli leur mission compte tenu de délais et de moyens limités. La contribution au Conseil supérieur de la pêche avait surtout porté sur le recensement et la cartographie détaillée des espèces piscicoles d'intérêt communautaire visées à l'annexe II de la directive.

Plutôt que de parler d'échec, M. Gérard Tendron a préféré mettre en avant le décalage entre la pertinence de l'approche scientifique comme préalable indispensable, et la nécessité d'une campagne d'information et de communication qui aurait dû être menée en parallèle et non a posteriori auprès des élus, des acteurs socio-économiques et des propriétaires. A ce décalage s'est ajouté le sentiment d'être mis devant le fait accompli, des réactions anti-européennes de principe ainsi qu'une méfiance justifiée par le manque de précisions quant à la définition des règles de gestion applicables dans les sites désignés. Les conséquences possibles de l'interprétation de la notion de dérangement des espèces dans les zones à classer a inquiété à juste titre les pêcheurs et les chasseurs.

A propos du déroulement de la deuxième phase de désignation des sites, M. Gérard Tendron a mis en avant le relatif désarroi des CSRPN et à travers eux de la communauté scientifique qui s'était mobilisée bénévolement et dont le travail se trouve de fait très largement remis en cause.

Il a jugé que l'objectif de ne pas dépasser 2,5 % du territoire n'avait aucune justification scientifique sérieuse étant donné que la France était le pays européen le plus riche en habitats et qu'elle comptait quatre domaines biogéographiques sur six. Compte tenu de cette richesse, il a jugé que le nombre de sites proposés lors de la première phase n'était pas excessif, même si les superficies envisagées étaient sans doute trop élevées dans l'attente d'une délimitation plus fine.

M. Gérard Tendron a mis en avant les risques courus par la France si les listes proposées en juillet prochain ne reposaient pas sur des bases scientifiques fiables, notamment le risque de se voir imposer des sites par la commission, ou encore la perte des crédits européens consacrés à l'environnement.

En ce qui concerne la définition des règles de gestion pour les sites intégrés au réseau " Natura 2000 ", M. Gérard Tendron a fait valoir que l'intégration des objectifs de la Directive " Habitat " dans les plans de gestion piscicole initiés par le Conseil supérieur de la pêche ne devrait pas imposer de contraintes fortes, autres que celles déjà en vigueur dans la législation actuelle. Il a jugé que la conservation des habitats et de certaines espèces de poisson visées par la directive ne justifiait pas a priori l'interdiction de la pêche dans les sites " Natura 2000 ", car la législation nationale sur la pêche était déjà suffisamment contraignante à travers les périodes d'ouverture et les quotas de capture, pour assurer le maintien des cycles biologiques piscicoles, d'autant plus que la pression de pêche en eau douce n'était pas, en France, un facteur limitant les populations de poissons, sauf dans le cas de la civelle et de l'esturgeon.

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