II. FORMATION DES ENSEIGNANTS ET ÉQUIPEMENT DES ÉCOLES : LES PRÉALABLES FONDAMENTAUX

Deux conclusions majeures ressortent des entretiens organisés dans le cadre de cette mission comme des contributions adressées au forum « Apprentic » :

- la nécessité de développer une formation adaptée au bénéfice des enseignants ;

- l'obligation de favoriser l'équipement des écoles, collèges et lycées.

L'un ne saurait précéder l'autre, tant ces deux aspects sont intimement liés. Des professeurs formés ne disposant pas de matériels perdront rapidement le bénéfice de leur formation ; des machines mises à disposition sans professeurs formés, c'est leur « mise au placard » sans délai.

Cette « complainte » commune aux enseignants convaincus de la nécessité de l'entrée des techniques de l'information à l'école, manifeste l'ardente attente de deux initiatives nationales d'incitation non rigide :

- Prévision d'un budget et proposition de directives maîtresses d'une formation pratique, d'une pédagogie appliquée à l'usage de l'ordinateur, de ses accessoires et des réseaux .

- Elaboration d'un plan d'équipement des établissements scolaires de tous niveaux, en partenariat avec d'une part les collectivités locales, départementales et régionales, et d'autre part les fournisseurs de matériels informatiques. La participation des collectivités locales dans l'équipement matériel des écoles, collèges et lycées a permis des réalisations significatives ; les nouveaux équipements ne peuvent être laissés à leur seule appréciation ; ce serait prendre les risques de déséquilibres entre communes, départements et régions, selon l'intérêt porté par les élus à ces NTIC comme des moyens financiers à leur disposition.

Les expérimentations en cours, d'origines spontanées ou suscitées par des autorités administratives, créent des inégalités entre les établissements qui en bénéficient et les autres. A moins de les suspendre, il est fait obligation de les généraliser. Est-ce plus hors de portée que les conséquences, y compris financières, découlant des lois républicaines instituant obligation et gratuité de l'école la
•que a la fin du siècle dernier ?

La difficulté de la formation des maîtres a peut-être une cause psychologique : n'y a-t-il pas crainte d'une perte de valeur et d'une mise en cause de leur autorité par leur maladresse technique face à l'aisance d'usage des élèves pour ces « nouveaux stylos » ? La naissance d'un nouveau rapport à l'autorité et au partage du savoir ne crée-t-elle pas des difficultés d'acceptation et de réorganisation pour la communauté éducative ?

Les possibilités offertes par les NTIC entraînent de profonds changements dans les schémas habituels ancrés dans les esprits et les pratiques, par exemple les répartitions par discipline, les programmes à suivre, les méthodes à appliquer. Les incertitudes, les freins plus ou moins spontanés devant toute innovation pédagogique comme devant l'investissement nécessaire en temps, constituent donc des réflexes qu'il faut pouvoir dépasser.

1. La formation des enseignants

La formation des enseignants nécessite une formation initiale et une formation continue. Ces deux aspects sont indissociables pour une généralisation rapide de l'usage par tous les élèves de l'ordinateur et des possibilités qu'il offre. Former tous les nouveaux enseignants, dans les IUFM ou à d'autres étapes de leur parcours universitaire, devrait être aisé : il est surprenant de constater les disparités d'intention comme de pratiques entre ces établissements de formation des maîtres, et, encore plus, la pauvreté, voire la médiocrité des moyens, en temps comme en matériel, mis au service de cet objectif.

La formation continue -élément indispensable pour assurer aux enseignants en fonction depuis plusieurs années, une compétence en matière d'informatique communicante- s'avère encore mal organisée. Il s'y ajoute les accueils dépendant de l'ancienneté d'exercice professionnel et l'approche du départ en retraite. Les MAFPEN ont à trouver des réponses.

La formation initiale

Le ministre de l'Education nationale, M. François BAYROU, auditionné par l'Office parlementaire dans le cadre de cette mission 43 ( * ) , a apporté des éléments d'information à retenir.

« Une initiation aux outils est donnée dans tous les IUFM (ainsi tous les futurs enseignants (devraient utiliser ) le traitement de texte pour leur mémoire professionnel en fin de seconde année d'IUFM) et des salles informatiques en libre service sont mises à leur disposition. Le nombre de stages sur ce sujet organisés par les MAFPEN pour la formation continue est constamment réactualisé. [...]

« Pour la formation initiale, [...] deux types de compétences sont visés :

« - Connaissance et maîtrise minimales des différents outils (informatique, audiovisuel et multimédia) connectés ou non aux réseaux ; recherche, tri et analyse de l'information quel que soit le support.

« - Intégration des outils et des ressources dans la pratique pédagogique. »

Ces informations ministérielles, pour précises qu'elles soient, ne se retrouvent pas parfaitement réalisées par les IUFM.

Les compétences suggérées dans le cadre de la formation initiale apparaissent, en pratique, particulièrement sommaires : si les futurs enseignants doivent présenter leur mémoire professionnel tapé, rien ne les oblige à le taper eux-mêmes ni à acquérir un ordinateur, ni même à utiliser ceux qui sont mis à leur disposition par les IUFM ; les formations proposées restent souvent facultatives ; quand elles ont un caractère obligatoire, elles sont optionnelles, en concurrence avec d'autres formations intéressant aussi les futurs enseignants.

- L'exemple de l'IUFM de Lyon 44 ( * )

A l'IUFM de Lyon, des formateurs particulièrement motivés, mettent en évidence les limites d'une formation trop sommaire.

- Les étudiants de première année se voient proposer une formation facultative en libre accès, représentant seulement 12 heures sur l'année. 40 % des futurs professeurs d'école y participent et seulement 10 % des futurs professeurs de collèges et lycée.

- Les étudiants de seconde année, futurs professeurs des écoles, suivent une formation obligatoire ; elle est rendue nécessaire, les programmes de CE et de CM prévoyant d'apprendre « les rudiments d'une culture informatique ». Une seconde formation de 15 heures obligatoires est proposée à ces étudiants, cette seconde formation étant optionnelle : Le choix est offert entre technique documentaire, audiovisuel, ou multimédia.

- Les étudiants de seconde année, futurs professeurs des collèges et lycées n'ont aucune formation obligatoire. Ils peuvent suivre un module facultatif consacré aux NTIC. Les responsables de l'IUFM de Lyon considèrent, non sans une certaine ironie, que cette formation constitue seulement un « clin d'oeil appuyé ».

Les nombreux enseignants qui sortent du système de formation corroborent ces informations peu satisfaisantes. La formation aux nouvelles techniques apparaît trop sommaire, particulièrement limitée dans le temps - en moyenne une quinzaine d'heures sur deux années de formation - et trop peu orientée sur l'intérêt de l'ordinateur dans une finalité pédagogique.

Ce constat devrait inciter à une réétude de la politique de formation prévue dans les IUFM ; c'est d'autant plus nécessaire que 50 % des enseignants actuels partiront en retraite d'ici les dix prochaines années. L'arrivée massive d'une nouvelle génération d'enseignants serait donc une occasion de renouveler profondément et rapidement les pratiques pédagogiques en faisant de l'ordinateur communicant un outil central dès l'enseignement préélémentaire et élémentaire.

Ne serait-il pas en l'occurrence pertinent d'envisager l'allongement de la durée de formation, pour développer la réflexion autour des pratiques pédagogiques, et notamment de l'intérêt du multimédia à cet égard ?. Les futurs enseignants, pendant cette période, seraient à la fois en stage auprès d'élèves et disposeraient de temps pour utiliser les nouveaux outils et élaborer des pratiques pédagogiques rénovées 45 ( * ) .

La formation continue.

Dans son audition devant l'Office parlementaire, le ministre de l'Education nationale a précisé les éléments de la politique suivie en ce domaine :

« Pour la formation continue, le développement de centres de ressources permet d'alterner sensibilisation des enseignants, formation et soutien sur site, regroupements, formation à distance..., plus efficaces que les stages classiques de plusieurs jours en continu, trop souvent hors établissement.

« Un plan massif de formation de formateurs est prévu pour les IUFM et les MAFPEN. Il devrait associer des partenaires variés y compris du secteur privé. » 46 ( * )

Les multiples informations recueillies ne corroborent guère ces intentions. Les plans de formation, sans doute difficiles à mettre au point, sont très insuffisants en nombre. Seul un tout petit pourcentage d'enseignants choisit, à titre individuel, ou parfois collectivement, un stage consacré aux NTIC dans un panel de formation étendu. Dans ces conditions, une politique tendant à généraliser les usages aux NTIC s'avère difficile à mener.

Pour M. NESPLAZ, chef de mission à la MAFPEN de Lyon, une solution pour favoriser le développement de stages de formation au multimédia repose sur une inscription de cette approche dans tous les programmes. A partir de ce moment là, les enseignants se sentiront plus « obligés » de suivre des formations adaptées ; afin d'assurer une plus grande efficacité à cette formation, il estime que, à son issue, les enseignants devraient disposer du matériel adapté. « Cela doit se pratiquer tous les jours » pour être parfaitement appris et compris.

Le Centre Paris Informatique 47 ( * ) , organisme mis en place en partenariat entre la ville de Paris et l'Education Nationale, contribue à la formation des enseignants par une approche originale méritant d'être signalée et soulignée. L'équipement d'un établissement scolaire sur Paris implique l'envoi d'un formateur (« brigade ») durant une semaine, pour tous les enseignants de l'établissement. Cette façon de procéder présente un mérite : les enseignants sont formés à utiliser les matériels qui seront effectivement à leur disposition. Ils évitent ainsi tous les problèmes liés à l'usage d'autres logiciels, d'autres ordinateurs aux configurations différentes. En terme d'efficacité, cette approche singulière peut paraître pertinente.

Enfin, devant l'insuffisance des moyens, certains IUFM, dont celui de Lyon, organisent également des stages de formation continue :

Dans ce cadre, 25 instituteurs lyonnais suivent une formation de 120 heures (sur cinq semaines) intitulée : « Du traitement de texte au multimédia » . A relever également dans le cadre d'une formation de 120 heures consacrée à « l'utilisation des documents en histoire » que, 18 heures sont consacrées aux produits multimédia.

Dans l'académie de Grenoble, des stages d'un mois sont organisés pour 30 enseignants : pendant 15 jours, une moitié d'entre eux découvre le traitement de texte, la réalisation des liens et la rédaction d'hypertexte ou document; l'autre moitié travaille sur l'image et vice versa les 15 jours suivants. Application scolaire : apprivoiser la souris dès l'âge de 2-3 ans, puis dès 5 ans utilisation de l'image et du texte avec logiciel adéquat.

Toutes ces initiatives, intéressantes, singulières, fonctionnent encore trop souvent par le fait de « mordus » des techniques de l'information : enseignants, formateurs, inspecteurs d'académie.

Que conclure sur la question de la formation ? Un embryon de formation obligatoire est réalisé dans les IUFM ; cela est manifestement insuffisant. Quant à la formation continue, elle semble n'être qu'une intention : Les enseignants sont-ils incités à acquérir une formation à l'usage de ces nouveaux outils ? Sont-ils efficacement aidés ensuite dans les établissements scolaires ? Peuvent-ils percevoir la pertinence de ces équipements dont ils ne disposent que trop rarement ?

Cette situation, aléatoire, embryonnaire et fragmentaire, ne répond pas à une des préoccupations exprimées par la Commission européenne ; Mme Édith CRESSON, commissaire européen chargé de l'éducation et de la formation, estimait, qu'en 1996, « année de la formation tout au long de la vie » , il fallait« faire un effort particulier en direction de la formation des enseignants qui est notoirement insuffisante dans l'ensemble des pays de la communauté. C'est probablement par ce biais que l'on lèvera les obstacles les plus nombreux au recours aux TIC à l'école » 48 ( * ) .

2. L'équipement des établissements scolaires49 ( * )

Les informations en matière d'équipement fournies par le ministère font état d'un parc informatique « constitué d'environ 500 000 micros. En moyenne, un micro pour 45 élèves à l'école primaire, un pour 28 au collège, un pour 12 au lycée, et un pour 8 au lycée professionnel 50 ( * ) . » Ces chiffres ne tiennent pas compte de la vétusté des équipements ni de leurs capacités, multimédia ou non, ni toujours de leur fonction, administrative ou pédagogique.

L'objectif du ministère n'est pas de « relancer un plan d'équipement massif du type « informatique pour tous ». (...) Ainsi l'Etat veillera avec les collectivités territoriales à augmenter le parc des micros dans les écoles et les collèges ; pour les lycées, il convient de renouveler le parc. Le développement du réseau interne qui permet de connecter l'ensemble des ordinateurs d'un établissement constitue un objectif prioritaire pour les collèges et les lycées. Le pilotage de l'état repose sur l'affichage d'orientations nationales, l'incitation forte à l'élaboration de projets académiques élaborés avec les collectivités territoriales. [...] » 51 ( * )

Les récentes déclarations du Président de la République tendent à accréditer une accélération dans le processus de l'équipement des établissements scolaires : « Je veux que pour l'an 2000, c'est à dire dans trois ans, tous les établissements d'enseignement secondaire soient connectés au réseau. Et ça le sera . » 52 ( * )

Cette déclaration importante fait peu de cas des établissements primaires. Une réflexion sur la pertinence de l'usage des NTIC dès le primaire, voire dès le préélémentaire est nécessaire. (cf. III du présent chapitre).

La difficulté réelle de la réalisation de l'équipement ne saurait être ni un obstacle majeur, ni un prétexte pour ne pas l'entreprendre. Elle devra être accompagnée d'un service de maintenance des matériels mis à disposition, d'un recours à des « sachant-faire » spécifiques pour une bonne « gestion de la panne » 53 ( * ) . Un corps de personnel capable d'assurer ce travail est indispensable. L'enseignant généreux ne peut consacrer des heures hors temps de travail à entretenir un parc de machines, vieilles ou récentes, comme certains le font depuis quelques années.

Enfin, le coût des communications, dans le contexte actuel, est tout à fait décisif 54 ( * ) . Une tarification à la durée dans un cadre pédagogique est pénalisant. Une négociation globale avec France Télécom s'avère indispensable. Les efforts déjà réalisés (notamment par des systèmes relais afin de rapprocher les fournisseurs d'accès locaux) n'éliminent pas la pratique actuelle d'une tarification à la durée totalement inappropriée à la mission de l'école.

* 43 Audition du 19 mars 1996.

* 44 Déplacement du 10 Mars 1997. Entretien avec MM Jumantier, Jaffard et Subtil.

* 45 Réflexion suggérée par Mme Bardi, inspectrice d'Académie, responsable des nouvelles technologies pour l'académie de Créteil. Entretien du 27 novembre 1996.

* 46 Note remise par le ministre au rapporteur. 19 mars 1996.

* 47 Entretien du 26 février 1997 avec M. Jean-François Liska.

* 48 Conférence Ecsite. Déc 1996. Cité des Sciences et de l'Industrie.

* 49 Nous renvoyons, pour plus de précisions sur cette question, aux rapports MM. Alain Gérard et René Trégouët (à paraître).

* 50 Note remise par le ministre au rapporteur. 19 mars 1996

* 51 Ibid.

* 52 Jacques Chirac, entretien télévisé du 11 mars 1997.

* 53 Expression empruntée à M. Yves Lasfargues, CFDT.

* 54 Déjeuner « Collectivités locales - M. Dominique Azam Région midi Pyrénées.

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