b) Une procédure collective réservée aux particuliers

Afin d'éviter que le débiteur défaillant n'ait à assigner séparément chacun de ses créanciers sur le fondement de l'article 1244-1 du code civil pour obtenir du juge d'instance autant de moratoires, la loi de 1989 rompait avec cette démarche bilatérale pour instaurer un dispositif original offrant une vue d'ensemble de la situation du débiteur et des possibilités de traitement global.

· L'économie du dispositif : elle reposait sur un mécanisme à deux degrés, avec le souci de privilégier la voie de la conciliation .

Était ainsi créée une commission , en principe départementale , constituée de cinq membres et présidée par le préfet ou son représentant, dont le secrétariat était assuré par la Banque de France.

Investie d'un rôle de conciliation, cette commission administrative devait tenter de parvenir, dans un délai bref, initialement fixé à deux mois, à une solution négociée, c'est-à-dire à un plan amiable de règlement du passif accepté par le débiteur et ses créanciers. La commission avait la possibilité de demander au juge de suspendre les poursuites individuelles engagées par les créanciers.

En cas d'échec de cette phase conventionnelle négociée , le juge pouvait être saisi par le débiteur ou les créanciers d'une demande de redressement judiciaire civil . Le plan établi à l'issue de cette procédure était imposé aux intéressés, le juge ayant la faculté d'opérer des réductions de taux d'intérêt, d'imposer des reports ou des rééchelonnements de paiement des dettes sur une durée toutefois limitée (cinq ans ou la moitié de la durée restant à courir des emprunts en cours), ou encore de décider d'imputer les paiements en priorité sur le capital. Il n'avait cependant pas la possibilité d'imposer des remises de dettes, sauf dans le cas où le prix résultant de la vente du logement principal ne permettait pas d'apurer la créance du bénéficiaire d'une sûreté sur l'immeuble considéré.

L'objectif poursuivi par ce dispositif à double détente étant à la fois de privilégier les solutions amiables et d'éviter un afflux de dossiers vers les juridictions, la logique sous-jacente voulait que les créanciers, informés de la situation d'endettement global de leur débiteur, préféreraient les solutions négociées dans un cadre multilatéral aux plans d'apurement imposés par le juge.

Cette procédure collective avait vocation à appréhender très largement le phénomène du surendettement, cette notion étant définie de façon extensive comme l'impossibilité manifeste, pour une personne physique de bonne foi, de faire face à l'ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles ou à échoir . Elle était susceptible de bénéficier à un particulier comme à un ménage d'époux ou de concubins, les dettes prises en compte correspondant à celles résultant des emprunts contractés, mais également les dettes locatives, les dettes fiscales, les dettes d'électricité, etc.

Son champ d'application géographique était cependant délimité. En effet, la loi imposait comme condition la domiciliation du débiteur sur le territoire national ou, pour les débiteurs français domiciliés hors de France, l'existence de dettes contractées auprès de créanciers établis en France. Elle s'appliquait donc à des particuliers demeurant dans les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, où le régime de droit local de la faillite civile résultant de la loi du 1er juin 1924 demeurait simultanément en vigueur.

· Après une phase d'acclimatation relativement difficile , la procédure novatrice instaurée en 1989 a produit des résultats globalement positifs tout en révélant certaines limites qui ont conduit à la réforme de 1995.

La loi de 1989 s'est heurtée, au début de sa mise en oeuvre, à certaines difficultés d'ordre à la fois psychologique et pratique.

Les créanciers, en particulier les établissements de crédit, se sont montrés peu coopératifs, contestant fréquemment la recevabilité des dossiers, mettant en cause la bonne foi des débiteurs et s'opposant aux propositions de règlement amiable des commissions. Ainsi, en 1990, le bilan d'activité des commissions de surendettement établi par la Banque de France révèle que la proportion de dossiers ayant abouti à l'adoption d'un plan conventionnel par rapport à ceux ayant débouché sur un constat de non accord s'est élevée à 45 %. Ce ratio a cependant connu une progression rapide les années suivantes (58 % en 1991, 62 % en 1992) pour atteindre 63 % en 1993 et 1994, témoignant d'une meilleure acceptation de la procédure par les créanciers, acquise grâce aux actions de concertation menées au sein du comité consultatif du Conseil national du crédit et des groupes de travail constitués à l'initiative de la Banque de France et de la profession bancaire.

La procédure a par ailleurs connu une période de " rodage ", néanmoins relativement brève, nécessaire à l'organisation des travaux des secrétariats des commissions et a souffert de la lourdeur de certaines formalités imposées par les décrets d'application, telles que la multiplication des envois de lettres recommandées avec demande d'avis de réception.

L'entrée en vigueur du dispositif a en outre créé un effet d'appel provoquant d'emblée un engorgement des commissions, avec un nombre de dossiers déposés en 1990 excédant d'environ 20.000 celui enregistré au cours de chacune des quatre années suivantes.

Malgré les difficultés caractérisant cette phase d'adaptation, somme toute relativement courte, et un nombre cumulé de dossiers déposés ayant franchi dès 1992 le seuil des 200.000 annoncé en 1989, le dispositif s'est révélé efficace : le taux de conclusion de plans amiables par rapport aux constats d'échec s'est régulièrement accru et, en dépit d'un rythme soutenu de dépôts, le stock des dossiers restant à traiter en phase amiable en fin d'année est passé de plus de 44.000 en 1990 à moins de 18.000 en 1994, ce qui témoigne d'importants gains de productivité dans le travail accompli par les commissions.

· Toutefois, ce bilan globalement positif doit être nuancé .

Avec la nette dégradation de la conjoncture économique à partir de la fin de l'année 1992, les procédures instaurées en 1989 ont été confrontées à un changement de nature du surendettement liée à la fragilisation de la structure financière des ménages : les situations de surendettement ont dès lors davantage résulté d'une contraction brutale des ressources perçues que d'une consommation excessive de crédits. Les dossiers " à dominante sociale ", caractérisés par une incapacité à faire face aux dépenses de la vie courante, se sont multipliés.

Les limites du dispositif sont en outre apparues :

- le plafonnement, à partir de 1993, du taux de réussite de la phase amiable aboutissant à l'adoption consensuelle d'un plan d'apurement ;

- le refus quasiment systématique des créanciers d'accepter des abandons de créances, ceux-ci préférant consentir des moratoires dans les cas où la solvabilité du débiteur est presque inexistante, voire négative ;

- le non-respect du délai de deux mois imparti aux commissions pour traiter les dossiers ;

- l'absence d'organisation d'un suivi de l'exécution des plans et le constat de difficultés éprouvées par un certain nombre de débiteurs pour honorer leurs engagements ;

- des délais souvent excessifs pour l'établissement des plans de redressement judiciaire civil, recouvrant des disparités considérables d'un département à l'autre. Cette dernière observation fut formulée, dès 1991, par M. Roger Léron, député de la Drôme, chargé par le Gouvernement de procéder à une évaluation de l'application de la loi du 31 décembre 1989 3( * ) . L'allongement des délais correspondant à la phase judiciaire, dû en partie à la nécessité pour le juge de réitérer l'instruction des dossiers ayant généralement évolué depuis leur examen par la commission, ainsi que le rythme soutenu des flux annuels de dépôts de dossiers ont abouti à un engorgement des tribunaux, justification essentielle de la réforme de 1995.

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