4. Exposé de M. Martti AHTISAARI, Président de la République finlandaise (Mercredi 24 janvier)

M. AHTISAARI prend la parole en ces termes :

" Madame la Présidente, je vous remercie, vos prédécesseurs et vous-même, de m'avoir invité ici devant cette instance, première Assemblée parlementaire présidant au processus d'intégration européenne.

" La charte ne donne à l'Assemblée parlementaire qu'un rôle consultatif. Pourtant, j'ai constaté qu'étant donné le savoir-faire propre aux parlementaires, elle a pu jouer un rôle bien plus éminent, qui s'est manifesté avant tout par l'art avec lequel vous avez piloté le Conseil de l'Europe dans un véritable esprit paneuropéen.

" Il y a plus de cinquante ans, alors que la seconde guerre mondiale faisait encore rage, Winston Churchill disait qu'il faudrait créer après la fin de la guerre un Conseil qui "englobe finalement toute l'Europe et où les principaux membres de la famille européenne soient un jour représentés". Aujourd'hui, nous sommes bien prêts de ce but.

" Quand la Finlande a adhéré au Conseil de l'Europe, il y a un peu plus de six ans, après environ trente ans d'étroite collaboration avec lui, elle en est devenue le vingt-troisième pays membre. Aujourd'hui, il y a déjà trente-huit Etats membres et, d'ici à la fin de cette session, j'espère que ce chiffre sera de trente-neuf.

" Cette augmentation considérable des effectifs a posé de nouveaux défis au Conseil de l'Europe. Elle a exigé une mobilisation extrême de ses ressources, mais elle lui a aussi donné l'occasion de revenir à sa tâche originelle : étendre à tout notre continent les valeurs européennes de démocratie, de prééminence du droit et de droits de l'homme.

" Demain, alors que le Conseil examinera la candidature de la Russie, je suis convaincu qu'il sera conscient de l'importance historique de sa décision. Nous avons tous suivi avec consternation le drame de Pervomaïskaïa et les morts tragiques qui en ont résulté. Rien ne peut justifier la prise d'otages et le terrorisme. Mais il faut protéger les civils innocents en toute circonstance et éviter tout recours immodéré à la force. La crise de Tchétchénie ne peut être résolue que par des moyens pacifiques. Elle demande un règlement politique et non une solution militaire.

" Nous savons qu'en Russie la société civile a été détruite dans une large mesure pendant l'ère communiste. Il est manifeste qu'il faudra du temps pour que le processus démocratique prenne racine. La Russie connaît des changements déchirants. Les récentes élections, marquées par une bonne participation, ont renforcé le processus démocratique.

" Dans sa forme de l'après guerre froide, le Conseil de l'Europe est devenu élément à part entière de la structure européenne de sécurité. L'appartenance de la Russie au Conseil de l'Europe fera progresser la démocratie en Russie et la stabilité en Europe. Ce n'est pas en excluant la Russie qu'on se rapprochera de ces objectifs.

" Je me félicite de l'intérêt que les Etats-Unis ont manifesté à l'égard du Conseil de l'Europe. L'octroi du statut d'observateur aux Etats-Unis est un fait important et, nous l'espérons, prometteur.

" L'Europe a changé et continue de le faire. La notion traditionnelle de sécurité souligne les facteurs militaires. Aujourd'hui, il faut que l'on considère la sécurité en termes plus larges pour y inclure ses aspects démocratiques et sa relation avec les droits de l'homme. La sécurité doit d'abord se fonder sur la coopération et non sur l'affrontement.

" Le développement politique révolutionnaire de l'Europe a ouvert la voie d'un nouveau mode d'action préventive. Nous ne devons plus nécessairement nous borner à résoudre les crises une fois qu'elles ont éclaté, mais nous efforcer d'empêcher qu'elles n'apparaissent.

" La notion de sécurité démocratique adoptée comme principe directeur du Conseil de l'Europe lors du Sommet de Vienne n'est pas un vœu pieux, mais bien une réalité dont il faut encore enrichir le contenu. Les programmes du Conseil grâce auxquels la démocratie, le principe de la prééminence du droit et la mise en œuvre des droits de l'homme sont soutenus dans les pays membres constituent la meilleure forme possible de démocratie préventive. En créant une zone où prévalent les valeurs représentées par le Conseil de l'Europe, nous bâtirons un avenir stable pour l'Europe.

" La directive "Halonen", élaborée dans le cadre de l'Assemblée parlementaire, joue un rôle central particulier dans ce contexte. En vous félicitant d'avoir pris cette initiative, je reconnais qu'elle a véritablement incité le Comité des ministres à créer son propre système de suivi. Les systèmes de suivi instaurés sous les auspices du Conseil sont uniques au monde. Ils donnent l'occasion de mettre en œuvre un dialogue réel avec les pays membres, un dialogue qui permet d'influencer l'évolution de la situation et d'accomplir des changements réels.

" Il faudrait non pas craindre cette occasion de transformer les systèmes de suivi en de véritables instruments de changement, mais en profiter. La possibilité unique qui existe actuellement d'aménager une zone européenne de valeurs communes ne se représentera peut-être plus. Je ne veux pas dire par là que nous devrions créer une culture commune unique, mais plutôt une zone où prévaudront la démocratie et les droits de l'homme, où l'on respectera les différences et où l'on se comprendra les uns les autres - une zone où tous, majorités et minorités, trouveront leur place au soleil.

" La Commission et la Cour européennes des Droits de l'Homme jouent un rôle capital dans les travaux du Conseil, car elles défendent et font avancer les droits des personnes. Cependant, l'élargissement du Conseil pose de nouveaux défis que le Conseil doit relever. Le développement du système, c'est-à-dire la fusion de la Commission et de la Cour en une nouvelle juridiction, contribuera sans aucun doute à son efficacité. On peut néanmoins se demander si cela suffira, étant donné les nouveaux enjeux.

" Il y a juste un peu plus de cinq ans, alors que nous entrions dans une nouvelle décennie, la population totale des pays membres du Conseil de l'Europe dépassait quelque peu les 400 millions. Avec l'adhésion de la Russie, ce chiffre sera près de doubler pour atteindre plus de 750 millions d'habitants. Je comprends que l'on s'inquiète à la Commission et à la Cour. Peut-on réellement supposer que le système pourra faire face à un élargissement de cette nature sans qu'il faille recourir à des mesures extraordinaires ? Ne devrait-on pas après tout examiner sous un autre angle de nouveaux moyens et solutions ? Le temps est peut-être venu de relancer la question d'un médiateur du Conseil qui œuvrerait en coopération étroite avec les nouveaux pays membres. Je sais que, par le passé, l'Assemblée parlementaire a examiné cette question à plusieurs reprises.

" Les événements de Bosnie n'ont certainement laissé aucun d'entre nous indifférent. La purification ethnique et les tueries ne devraient pas appartenir à l'Europe d'aujourd'hui.

" Le Conseil de l'Europe est une organisation qui s'est attachée à élaborer des instruments juridiques pour régler ces problèmes. Ses résultats en la matière sont considérables. Il subsiste néanmoins la question des minorités, domaine dans lequel les résultats obtenus à ce jour restent insuffisants.

" L'Europe a toujours été un lieu où différents peuples et cultures se rencontrent, un havre pour la création et pour des échanges empreints de franchise. La diversité et la multiplicité des expressions que l'on rencontre en Europe a toujours été une cause de fierté. Elle se retrouve aussi dans tous les pays membres du Conseil. Il n'existe aucun pays d'Europe dont la culture n'est pas le fruit d'influences diverses et opposées, et l'on ne peut guère trouver de pays qui n'abrite une minorité ou une autre.

" C'est pourquoi, j'en suis convaincu, nous sommes tous attachés à ce que l'on reconnaisse l'importance de résoudre les questions de minorité. Je ne pense pas qu'il soit exagéré de dire que l'avenir de l'Europe dépend de la manière dont nous saurons résoudre ce problème. Il faut que nous puissions montrer que des citoyens parlant différentes langues ou appartenant à divers groupes ethniques peuvent vivre ensemble dans le même Etat.

" La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et la convention-cadre pour la protection des minorités nationales, élaborées toutes deux par le Conseil, et les principes touchant aux minorités énoncés par l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe sont des mesures importantes pour créer une Europe qui soit sûre pour tous. Mais cela ne suffit pas, car ni les droits des minorités ni la manière dont ils doivent être protégés n'ont été définis simplement, avec assez de clarté ou avec suffisamment de détails. Il faut que nous nous efforcions d'assumer la tâche que les chefs d'Etat ont donné au Conseil à Vienne en 1993 : rédiger un protocole sur les droits culturels des minorités.

" Si je me suis permis d'évoquer assez longuement la question des minorités, c'est que je pense que nous en savons quelque chose en Finlande. Il y a aussi des problèmes dans notre pays, mais nous avons réussi à les résoudre. Notre pays est bilingue. Pour nous, il va de soi que la population de langue suédoise jouisse des mêmes droits que celle qui parle le finnois. Et nous pensons que c'est là une richesse pour nous. Nous avons résolu la question des îles Åland en leur accordant une autonomie considérable, qui a montré sa vitalité ces soixante-quinze dernières années. Nous avons accordé à la population des Samits de Laponie le droit d'utiliser sa langue dans l'éducation et dans l'administration. La Constitution protège les Roms et leur culture. Toutes ces solutions parlent d'elles-mêmes et indiquent qu'il est possible de résoudre des problèmes touchant aux minorités et qu'il est dans l'intérêt de l'Etat de le faire. Seule une minorité qui se sent en sécurité et qui pense qu'elle est acceptée comme élément constitutif de la nation peut participer pleinement à la construction de la société.

" Je sais que l'Assemblée parlementaire -donc vous tous- est préoccupée par la manière dont le Conseil de l'Europe relèvera les défis auxquels il est confronté. Les tâches du Conseil sont énormes, alors que les ressources disponibles pour ce faire sont, il faut le reconnaître, modestes. Je partage votre préoccupation. Bâtir une nouvelle Europe sûre exigera des ressources. J'espère que nous les trouverons pour exécuter le mandat approuvé à Vienne.

" La Finlande est membre de l'Union européenne depuis le début de l'année dernière. Un débat animé a précédé chez nous la décision d'adhérer. On ne peut soutenir que l'on pouvait préjuger de son résultat, bien que j'aie moi-même compté parmi les partisans d'une décision positive. Un point qui n'a jamais été mis en question pendant le débat est notre engagement en faveur d'une Europe unifiée.

" Le Conseil poursuit le même but. Il faut donc que nous nous efforcions de bâtir une Europe qui ne soit pas divisée, mais sûre et ouverte, qui respecte ses citoyens et leurs droits et qui assume la responsabilité de notre avenir commun. "

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