CONCLUSION

Alors que le commerce international s'accroît à un rythme soutenu et que la France en est un des acteurs les plus dynamiques, l'activité du secteur portuaire français apparaît en stagnation. Depuis plus de vingt ans, le trafic global oscille autour des 300 millions de tonnes du fait d'une lente décroissance du trafic des hydrocarbures, amorti par une progression des marchandises diverses. Une partie des marchandises en provenance ou à destination des marchés français transitent par d'autres ports européens, notamment Anvers et Rotterdam. Il convient toutefois de relever un très récent progrès avec un trafic en hausse de 13 % pendant le premier semestre 1997.

Cette stabilité des trafics dans une économie maritime en croissance appelle des explications. Les plus communément avancées sont les suivantes :

- l'insuffisance des infrastructures de desserte des hinterlands et le désintérêt apparent des opérateurs ferroviaires pour le trafic émergent des conteneurs transitant par les ports français.

- les modalités d'organisation de certaines professions qui ont un impact sur l'image des ports : en premier lieu, la manutention, malgré la réforme de 1992 que beaucoup d'observateurs jugent incomplète, mais aussi les monopoles de fait de certaines professions, comme le pilotage ou le remorquage ;

Dans une moindre mesure, d'autres difficultés ont également été évoquées dans un passé récent, mais elles ont été largement résolues dans les derniers mois. Il s'agit des rigidités administratives dans le passage portuaire (douanes) ou les possibilités insuffisantes de location du domaine public en vue de favoriser l'implantation d'opérateurs privés ou d'industriels.

Ces explications sont-elles suffisantes ? L'analyse attentive du secteur conduit à une appréciation plus complexe de la situation. Globalement, le système portuaire français se trouve dans une situation économique et financière plutôt saine. Les établissements portuaires que constituent les ports autonomes et les ports d'intérêt national présentent des comptes à peu près équilibrés ; leur endettement s'est amélioré depuis quelques années. Par ailleurs, l'État contribue de moins en moins aux dépenses de fonctionnement et d'investissement - de l'ordre de 600 millions à l'heure actuelle -, après il est vrai avoir fait un effort important de mise à niveau au cours des décennies 60 et 70. Les collectivités territoriales, toujours plus impliquées dans la promotion du développement local, compensent ce désengagement en participant de plus en plus au financement, ce qui est légitime dans la mesure où la plupart des ports ont essentiellement une influence régionale ou locale.

Soumis aux effets de la concurrence, les ports français sont grandement tributaires des environnements économiques national et international. Les marchandises maritimes ont suivi et suivent les évolutions structurelles du commerce international : le recentrage des échanges extérieurs sur les pays de l'Union européenne, le développement de l'énergie nucléaire, le repli de la sidérurgie, les inflexions de la politique agricole commune. Tout cela a un effet défavorable sur les volumes de combustibles liquides et solides, de produits industriels, de céréales, essentiellement transportés par bateaux..., avec, en contrepartie, la montée des marchandises diverses, et notamment des conteneurs, du fait de la mondialisation des échanges.

Le deuxième grand déterminant de l'activité portuaire réside dans la situation géographique des ports, qui conditionne la taille de leur zone d'attraction, ou hinterland. La France est située un peu à l'écart de la grande dorsale industrielle de l'Europe de l'ouest et ne bénéficie pas d'une densité démographique comparable ; la région d'Île-de-France constitue l'hinterland le plus attractif que se disputent plusieurs ports de la Manche et de la mer du Nord.

Enfin, le troisième déterminant résulte de la politique commerciale suivie par les armateurs de lignes régulières, qui organisent les grands courants de trafic de marchandises conteneurisées. Le contexte économique de cette activité fait qu'il y a de moins en moins de ports touchés en direct par les grands porte-conteneurs intercontinentaux et que se développent les trafics de transbordement par feeders. Le choix des ports touchés directement dépend en premier lieu du potentiel de trafic à transporter, d'où une aspiration de beaucoup d'acteurs à élargir les hinterlands, mais il est également très sensible à la fiabilité et à la qualité de service offertes par les ports. Les questions de coûts portuaires ne sont pas sans influence notamment concernant la manutention, mais ne viennent qu'en troisième rang et sont en définitive moins importantes. Symétriquement, les chargeurs recherchent en priorité les ports qui offrent les choix les plus larges en destinations et fréquences de desserte. Une spirale de concentration s'enclenche : les trafics se regroupent de plus en plus sur des sites en nombre très limité. Dans ce contexte, le port du Havre bénéficie d'atouts indéniables : premier et dernier port touché, port en eau profonde, en dépit d'un hinterland limité à la région parisienne. Cela n'empêche pas que d'autres catégories de ports remplissent une fonction économique (trafics spécialisés, dessertes régionales). Les différentes vocations des ports appellent de la part des pouvoirs publics des stratégies différenciées.

En effet, même si les pouvoirs publics sont loin de décider à eux seuls du devenir des ports, il est de leur rôle de créer les conditions permettant d'envisager des évolutions favorables. À cet égard, quelques orientations apparaissent prioritaires.

Sur le plan des investissements, tout d'abord, l'essentiel est assuré. En matière de conservation de l'existant, les besoins en termes de rétablissement des profondeurs, ainsi que la vétusté de quelques infrastructures souvent très anciennes nécessitent un effort de rattrapage, mais celui-ci reste limité et globalement l'outil est en bon état de marche. Pour les années à venir l'opération importante consistera à mettre en oeuvre au Havre le projet « Port 2000 » de réorganisation des terminaux à conteneurs permettant de faire face à l'augmentation du trafic, à la massification des flux dans des navires de plus en plus gros, et de regrouper des terminaux géographiquement dispersés de manière à faciliter les pré et post-acheminements terrestres, sachant que cette opération pourrait constituer un exemple d'ouverture vers des opérateurs privés, en incitant ceux-ci à prendre à leur compte une partie des équipements.

Ensuite, le pouvoir d'attraction des ports français pourrait être accru si l'on complétait la réforme de la manutention en supprimant les exemptions au droit commun du travail et en aidant les entreprises de manutention à améliorer la performance de la profession et sa productivité, qui, malgré les progrès importants effectués depuis 1992, apparaît encore nettement inférieure à celle des principaux concurrents. Parallèlement, les pouvoirs publics pourraient encourager des expériences tendant à revoir la situation des grutiers dans la perspective d'accroître l'efficacité de l'ensemble de la filière et d'inciter les opérateurs privés à investir dans l'outillage.

En ce qui concerne la desserte terrestre des hinterlands des ports français, il apparaît que l'effort engagé dans le cadre du schéma directeur des autoroutes permettra d'ici peu d'années d'effacer les quelques lacunes qui subsistaient pour desservir correctement les ports. La voie navigable joue un rôle mineur en France, et la perspective de construire un canal Seine-Nord à grand gabarit est parfois ressentie comme défavorable aux ports du Havre et de Rouen, mais il est vrai que sa rentabilité du point de vue de la collectivité est probablement meilleure que celle des projets concurrents. La desserte ferroviaire fait l'objet de nombreuses attentes. Les opérateurs et gestionnaires portuaires qui voient leur salut dans une extension de leur hinterland grâce à ce mode, estiment que les établissements publics nationaux (SNCF et RFF) ne les favorisent guère en investissant peu en infrastructures nouvelles et en ne proposant pas de tarifs suffisamment attractifs. Ils reprochent aux pouvoirs publics de se montrer réticents à développer les corridors de fret est-ouest à l'instar de ce qui se fait en Europe du nord. Les opérateurs ferroviaires estiment, non sans raison, que le potentiel de trafic n'est pas suffisant pour se lancer seuls dans des investissements lourds ou pour justifier la mise en circulation de trains insuffisamment remplis. Le débat reste ouvert car il semble, à ce stade, que l'on ne peut espérer que des accroissements limités du trafic des hinterlands éloignés. À court terme, l'objectif est de résorber les goulots d'étranglement dans la région Rhône-Alpes et l'Ile-de-France.

Redresser une image de fiabilité inférieure au standard européen, comprimer tous les coûts qui peuvent être réduits, créer les conditions d'un trafic terrestre efficace : telles devraient être les orientations des politiques publiques dans une économie du transport devenue très concurrentielle, mais où les pouvoirs publics peuvent créer un environnement favorable

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