LA CONSTRUCTION NAVALE

1 - Les forces à l'oeuvre sur le marché mondial de la construction navale

Dans un premier chapitre, le rapport rappelle les principales caractéristiques du marché mondial de la construction navale. Il s'agit ainsi d'un marché où :

- la demande reste soutenue sur certains créneaux (porte-conteneurs, vraquiers secs, navires à passagers, navires citernes) ;

- l'offre est globalement excédentaire (excédent avoisinant 40 % autour de l'an 2000) en raison de l'expansion des capacités de production disponibles et surtout de l'arrivée de nouveaux concurrents (Chine) et de la reconversion de l'industrie navale militaire des pays de l'ex-bloc soviétique et des États-Unis ; néanmoins, compte tenu de la forte segmentation qui caractérise le marché de la construction navale, l'offre n'est pas excédentaire sur tous les créneaux ;

- la concurrence est forte, tirant les prix vers le bas, ce qui se traduit par une dégradation de la situation financière des entreprises.

Le rapport constate par ailleurs le déplacement de la production vers la zone asiatique : ainsi, alors que l'ensemble Japon-République de Corée représentait en 1980 près de 45 % de la production mondiale, il compte en 1995 pour plus de 60 % de cette production ; sur la même période, l'Europe de l'ouest est passée de 31 % de la production mondiale à 22,5 %.

Au nombre des atouts dont bénéficient les pays concurrents de la France, le rapport relève :

- le faible coût du travail des pays en développement qui leur permet d'entrer sur le marché des navires en grandes séries (le coût du travail représente de 30 à 40 % du coût total selon le type de navires) ; néanmoins, la segmentation de plus en plus forte du marché de la construction navale entre navires à faible technologie et navires à forte valeur ajoutée permet de trouver des niches commerciales pour lesquelles la concurrence par le coût du travail ou les taux de change est moins forte ;

- la sous-appréciation du taux de change : En Finlande, en Espagne ou en Italie, les commandes sont souvent déterminées par l'évolution du taux de change ;

- la très forte intégration qui existe entre les chantiers navals japonais et leurs équipementiers : cela permet de substantielles économies compte tenu du poids des équipements dans le prix de revient d'un navire (jusqu'à 70 % pour un navire de guerre). Le Japon est ainsi autosuffisant en équipements à 80 % contre environ 40 % pour la Corée du Sud. Par ailleurs, les efforts japonais consentis dans la rationalisation des méthodes de construction ont compensé le handicap du Japon en termes de niveau des salaires et de taux de change ;

- les importants efforts de recherche et développement japonais et américains : un milliard de dollars ont ainsi été dépensés annuellement de 1988 à 1993 par le gouvernement japonais en aides à la R&D, soit 56 % des dépenses publiques du secteur ; à titre de comparaison, ce chiffre n'est que de 0,47 % en France et de 2,5 % en Italie. Aux États-Unis, un plan de revitalisation en trois volets de la construction navale prévoit un certain nombre d'aides directes, technologiques et financières destinées à améliorer la compétitivité des chantiers américains et, en particulier, à favoriser l'intégration des chantiers et des équipementiers et le transfert des technologies entre la défense et le secteur commercial.

- l'adossement à un marché intérieur civil et militaire : l'adéquation entre la spécialisation de la flotte contrôlée et la spécialisation de la construction navale au sein d'un pays (Italie) renforce la part des commandes nationales (effets de filière) et l'importance du marché militaire assure, pour les constructeurs nationaux, un volant de charge de sécurité. La France souffre à ce titre de la faible corrélation structurelle entre la construction navale, très polarisée, et la flotte de commerce, au contraire très diversifiée. En revanche, le Japon, premier importateur de gaz naturel liquide au monde (65 % des achats) est aussi le premier constructeur de méthaniers (58 % du carnet de commandes). De même, la Corée du Sud, 2 ème acheteur de GNL, compte associer les armateurs et les constructeurs nationaux.

- l'importance des sociétés de classification : certains pays (États-Unis) imposent leur société de classification aux navires devant fréquenter leurs eaux territoriales ; la forte incitation financière de la société japonaise NK attire les armateurs internationaux vers les chantiers japonais.

Enfin, le rapport observe les importantes restructurations qui ont caractérisé le marché de la construction navale depuis vingt ans : les effectifs mondiaux ont ainsi diminué de près de 70 % dans les pays de l'OCDE, passant de 550.000 personnes en 1976 à 170.000 en 1994.

2 - La vulnérabilité de la construction navale française

La construction navale privée française s'est également restructurée et spécialisée avec l'aide de l'État : depuis 1976, les effectifs sont passés de 32.500 à 5.800 personnes (- 80 %).

L'ensemble des dépenses engagées par l'État depuis 1983 s'élève à environ 2,7 milliards de francs (90 % de cette aide s'est concentrée sur 3 chantiers : la Normed, aujourd'hui disparue, les Chantiers de l'Atlantique et les Ateliers et Chantiers du Havre).

Néanmoins, la spécialisation des chantiers navals dans la construction de navires à haute technologie, et en particulier des navires à passagers ou des méthaniers, s'est opérée sans logique de filière affirmée et n'a pas conduit à une gestion globale et intégrée permettant d'assurer des gains sur l'ensemble des chaînons de la filière. Ainsi, l'absence presque totale de complémentarité entre constructeurs et fournisseurs conduit ces derniers à promouvoir leur industrie à l'extérieur plutôt que sur le marché national. En outre, en dépit d'une place longtemps dominante sur le marché des méthaniers et d'une avance technologique importante, la France s'est laissée distancer de 1975 à 1995 par le Japon, la Norvège ou le Royaume-Uni. Elle garde néanmoins des atouts grâce à la maîtrise de la technique « membrane ».

Par ailleurs, la France se distingue de ses concurrents par la cloison étanche qui sépare la construction civile (une soixantaine de chantiers) de la construction militaire (direction des constructions navales ou DCN). Ainsi, alors que l'étude des plans de charge des principaux chantiers mondiaux souligne les gains que retirent les constructeurs d'une synergie entre construction civile et construction militaire, en France, à part le contrat de 6 frégates construits par les Chantiers de l'Atlantique en 1986, la construction de navires militaires de plus de 1800 tonnes ne concerne que les arsenaux publics (DCN).

Cette dichotomie est source de gaspillages : ainsi, alors qu'à la suite de la crise de la construction navale civile, les Chantiers de l'Atlantique possédaient des capacités de production largement excédentaires, la DCN a réalisé dans les années 1980 des investissements lourds à Brest ou à Lorient. Rappelant que cette dichotomie résulte essentiellement de la différence entre les statuts du personnel et de la nécessité de préserver la confidentialité des systèmes d'armes intégrés dans un navire militaire, le rapport juge souhaitable une plus grande collaboration entre les deux secteurs .

Le secteur privé (construction, réparation, plaisance) regroupe environ 100 entreprises de plus de 20 salariés pour un chiffre d'affaires de 12,5 milliards de francs. La production de navires marchands (hors pêche et plaisance) se concentre principalement sur 4 groupes (Chantiers de l'Atlantique, Ateliers et Chantiers du Havre, Constructions mécaniques de Normandie et groupe Leroux et Loz) alors que les petits navires sont construits dans des chantiers plus petits et souvent polyvalents. L'industrie de la réparation navale connaît depuis 1992 une baisse sensible de son activité compte tenu de la concurrence des pays à bas salaires présents sur les routes de navigation Est-Ouest et surtout Nord-Sud.

Enfin, le marché de la plaisance semble marquer le pas, en dépit de la mise en place de la loi Pons, en raison de l'étroitesse du marché intérieur, de la mise en place de permis pour les bateaux à moteur et de la remise en cause des avantages fiscaux aux métiers de la location.

Observant qu'il ne resterait que 12 mois de charge à la fin de 1997 et 6 mois de charge à la fin du premier semestre 1998, le rapport estime très préoccupante la situation à court terme des chantiers civils .

S'agissant des arsenaux, l'effectif total de la DCN est de 19.365 ouvriers et cadres. Le plan de charge résultant de la loi de programmation 1997-2002 prévoit une diminution draconienne des études et constructions neuves : ces derniers ne représenteraient en 1999 que 47 % de charge de 1996. La DCN n'a commencé à procéder aux réductions d'effectifs rendues nécessaires par cette baisse de charge que depuis 1990, soit cinq ans après nos principaux concurrents en Europe. Aujourd'hui, confrontée à la rigidité qui caractérise la gestion de ses effectifs et à la contraction de ses moyens financiers qui l'empêche de mener une stratégie offensive à l'exportation, la DCN a entrepris un projet de refonte de son système de gestion qui devrait toucher directement 5.000 à 7.000 personnes.

Au total, faute d'une réelle synergie entre construction navale et marine marchande, entre constructeurs et fournisseurs, entre construction civile et construction militaire, faute d'une politique de change appropriée, la spécialisation sur quelques créneaux porteurs est insuffisante pour asseoir la construction navale française sur des bases solides.

3 - La construction navale française est moins aidée que dans le reste du monde

S'agissant des politiques publiques d'aide à la construction navale, le rapport met en évidence deux phénomènes :

- la construction navale est le secteur industriel le plus aidé dans l'ensemble des pays de l'OCDE si l'on considère les montants budgétaires des aides distribuées ; bien que le niveau d'aide ait baissé de moitié entre 1989 et 1993, le secteur est subventionné quatre fois plus que l'aéronautique.

- la France a un des dispositifs d'aide les moins généreux et parmi les plus vulnérables . Ainsi, le niveau d'aide est passé de 52 % de la valeur ajoutée sur la période 1988-90 à 11 % de la valeur ajoutée sur la période 90-92 (contre 69 % au Portugal ou 31 % au Danemark). Le niveau de subvention est néanmoins de 115.000 F/emploi (48.000 F si l'on prend en compte les emplois induits) contre 93.600 F/emploi dans l'aérospatiale.

En outre, nos concurrents européens et américains ont développé des systèmes complexes d'aides au financement qui leur ont permis de s'affranchir du passage par les aides directes à la construction navale (fortement encadrées par la 7 ème directive européenne depuis 1989 qui limite à 9 % de la valeur du navire le montant admissible des aides), alors que la construction navale française repose essentiellement sur des aides directes visibles (elles figurent dans la loi de finances) qui risquent d'être remises en cause par l'éventuelle ratification de l'accord OCDE. Elle se situe donc au coeur de la cible de cet accord.

Dans le cadre des négociations sur cet accord, la France a obtenu la possibilité de mettre en oeuvre un plan d'adaptation de ses chantiers à hauteur de 2,6 milliards de francs, applicable sur les trois années suivant l'entrée en vigueur de cet accord. Le rapport estime cependant probable la disparition à très court terme de la construction navale française en cas de ratification de l'accord OCDE . En effet, il juge indispensables à la survie du secteur les masses budgétaires engagées chaque année, qui ont atteint 5,3 milliards de francs en 1996 (86 % de ces crédits sont inscrits au budget de la défense et 13 % au ministère de l'industrie, soit 705 millions de francs en 1996 et 850 millions de francs pour 1998). Il rappelle en outre que l'aide de l'État a parfois été décisive, comme dans le cas de la filière du gaz où une aide financière en R&D pendant 10 ans a permis le développement du procédé membrane.

Relevant l'avantage détenu par les pays dont les systèmes de soutien public sont concentrés sur les aides au financement (États-Unis) ou sur des politiques d'aide à la R&D très ambitieuses (Japon), le Commissariat au Plan considère que la situation serait encore plus grave si les pays ne respectaient pas l'esprit de l'accord. En outre, les pays possédant un fort marché intérieur peuvent fausser l'accord et inciter à des comportements non coopératifs. Enfin, l'accord OCDE ne couvre qu'environ 80 % du marché mondial de la construction navale, le Brésil, la Chine, la Pologne, la Russie et l'Ukraine demeurant à l'écart de son champ d'application. Le rapport conclut en considérant que les États-Unis ne manquent pas de réalisme en obligeant les autres pays à appliquer restrictivement l'accord OCDE tout en gardant leur système de crédit export (bonification des prêts). De surcroît, l'accord ne remet pas en cause le Jones Act américain qui réserve aux armateurs américains le trafic de cabotage aux États-Unis.

Le rapport souligne par ailleurs la faiblesse et la dispersion des aides à la R&D en construction navale (15 MF environ soit 100 fois moins que pour les transports terrestres) et le déficit d'image dont soufre cette recherche en France, au contraire de la plupart des pays industrialisés. Ainsi, seules 2 écoles d'ingénieurs enseignent l'architecture navale ou le génie océanique (ENSTA et _ECN). En outre, les collaborations européennes sont jugées insuffisantes.

4 - Les pistes de réflexion

Le rapport émet trois recommandations :

- développer l'effort de R&D . Quatre arguments militent en faveur de cet axe : la stratégie de niche adoptée par la France requiert en effet un travail incessant d'innovation et une remise en cause permanente ; la pression des armateurs pour des navires toujours plus rapides confère au marché des navires rapides un statut de plus en plus stratégique ; dans la course à la haute technologie, la R&D doit permettre à la France de rester compétitive aussi bien en termes de coût que de technologie dans la conception des navires ; en accroissant les efforts de R&D, la France peut espérer voir ses constructeurs coopérer, non seulement entre eux, mais aussi avec leurs fournisseurs, ce qui permettrait la fin du gaspillage des moyens civils et militaires.

- développer la filière pétrochimique . Observant que la France maîtrise les deux techniques de fabrication les plus performantes, le rapport considère que la maîtrise intégrale de la filière gaz par un rapprochement entre GDF et les chantiers navals n'est pas perdue. Par ailleurs, le savoir-faire français dans le domaine du béton armé doit lui permettre de se positionner favorablement dans la filière de l'offshore, où la construction de 50 navires de gros tonnage de type « Floating Production Storage Offloading » (FPSO) est envisagée dans les 10 ans à venir. Enfin, les chantiers français sont activement présents sur le marché des navires à grande vitesse (NGV) qui se développe considérablement, notamment pour des bateaux de plus de 80 mètres, depuis 1992. Il s'agit d'un marché mondial d'une quinzaine d'unités par an.

- rapprocher la construction navale civile et les arsenaux militaires .

Certes les statuts et les métiers sont différents. Les chantiers civils sont particulièrement performants pour la construction de coques propulsées alors que la DCN consacre 80 % de sont temps de construction à la conception et à l'intégration du système d'armes. Néanmoins, des complémentarités objectives existent (et notamment la proximité géographique des chantiers) qui pourraient être mises à profit pour rapprocher les efforts de R&D, pour regrouper les équipements et les fournisseurs et pour mettre en commun les réseaux commerciaux de prospection. En outre, il est parfaitement envisageable de mettre aux enchères les coques.

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