2. Une situation favorable à la mise en place d'une relation bilatérale privilégiée

La familiarité des élites congolaises avec la France où elles séjournent régulièrement après s'y être formées explique en partie le caractère affectif, voire passionnel, des relations bilatérales.

Aujourd'hui, contrairement aux augures qui tablaient un peu rapidement sur l'effacement de l'influence française en Afrique centrale, la France dispose d'atouts importants au Congo. Sauf à perdre le bénéfice de sa position actuelle, il lui faut toutefois agir vite.

a) Les atouts

Trois facteurs déterminants ont conduit aujourd'hui à imposer la France comme un partenaire privilégié aux autorités congolaises.

. Le souci de non ingérence

En premier lieu, la France a cherché au moment de la guerre civile à ne pas s'ingérer dans les affaires intérieures congolaises (retrait du détachement français dès l'achèvement des opérations d'évacuation) tout en appuyant une solution pacifique au conflit (soutien à la mise en place d'une force multinationale souhaitée par le Comité international de médiation dirigé par M. Bongo). M. Lissouba a interprété cette position de neutralité comme la légitimation d'une tentative de coup de force. Le parti pris d'hostilité adopté en conséquence à notre encontre par l'ancien chef de l'Etat n'a pu que servir nos intérêts auprès du nouveau pouvoir congolais.

. Le maintien d'une présence française

La France est le seul pays à avoir maintenu, au paroxysme de la crise intérieure congolaise, une présence diplomatique. Il convient de rendre ici hommage à l'action de notre ambassadeur et au courage de l'ensemble des personnels demeurés en poste dans des conditions extrêmement difficiles. Ce maintien n'était pas seulement le gage de la pérennité de la présence française dans le pays mais manifestait aussi notre volonté de ne pas abandonner les Congolais au moment de l'épreuve. Cette préoccupation nous vaut aujourd'hui une large reconnaissance qui va bien au-delà du cercle des élites politiques acquises à M. Sassou-Nguesso.

Enfin, cette présence maintenue a permis à la France de nouer, la première, des contacts avec les nouvelles autorités.

. Des relations avec les nouvelles autorités engagées dans un délai rapide

Après des premiers entretiens bilatéraux avec le président de la République et le secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, lors du Sommet de Hanoï en novembre 1997, le président Sassou-Nguesso s'est rendu en visite privée à Paris du 15 au 21 décembre où il a été reçu par le chef de l'Etat et le premier ministre. Il s'est également entretenu à cette occasion avec le ministre des affaires étrangères et le secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie.

Aujourd'hui le Congo espère beaucoup de la France. S'il est clair que notre pays ne pourra appuyer seul les efforts de reconstruction, il peut et il doit jouer un rôle déterminant dans cette entreprise.

Notre pays saura préserver son influence s'il conjugue trois éléments : une présence française confortée, une coopération adaptée et une action dynamique auprès des autres bailleurs de fonds.

b) Les priorités de l'action française

. Conforter une communauté française éprouvée

L'influence de notre pays a pour relais essentiel l'action de nos compatriotes au Congo. Notre communauté a été gravement éprouvée par les derniers événements. L'opération Pélican conduite avec une efficacité remarquable par notre armée a permis l'évacuation de quelque 6 000 ressortissants étrangers dont 1 800 Français. Brazzaville compte désormais quelque 170 Français (dont 74 religieux) et Pointe-Noire 2 300 immatriculés.

Nos compatriotes commencent à revenir dans l'espoir de ranimer l'activité de leur entreprise ou, du moins, de sauver ce qui peut l'être de leur ancien outil de travail quand tout, comme c'est hélas le cas le plus souvent, n'a pas été perdu, pillé, détruit. Les représentatns des Français de Brazzaville ont fait connaître à votre délégation trois sujets majeurs de préoccupation : la sécurité, les financements et l'encadrement institutionnel.

La sécurité , votre délégation a pu le vérifier, demeure précaire ; beaucoup d'armes circulent encore, l'impunité s'est généralisée : les Français ont souvent le désagrément de voir réapparaître leurs véhicules volés conduits par d'autres mains.

A Brazzaville, les retours n'apparaissent pas encore suffisants pour permettre de recréer par îlot ou par quartier une sécurité de densité. Dans la perspective de retours plus importants à l'automne 1998, les autorités consulaires auront à concevoir et à organiser un dispositif de sécurité (réseau VHF, îlotage, logistique de crise, constitution d'au moins deux zones sécurisables).

Nos compatriotes se heurtent ensuite aux contrôles tatillons d'une administration peu coopérative. A Pointe-Noire en particulier, les chefs d'entreprise réunis au sein de l'organisation patronale Unicongo ont regretté devant votre délégation que les autorités locales ignorent les ordonnances présidentielles relatives à l'exemption de la douane et de la TVA sur certaines importations nécessaires à la reconstruction du pays. Votre délégation a attiré l'attention des autorités sur ces difficultés et souligné tout l'intérêt pour le Congo lui-même et la reprise de l'activité économique d'encourager les entreprises qui ont beaucoup souffert de la crise, par des mesures de compensation sous la forme d'allègements fiscaux ou de simplification des contrôles.

Que peut la France ? Si le principe même d'une indemnité ne paraît guère envisageable, en revanche, la mise en oeuvre d'un mécanisme de bonification de prêts apparaît comme une solution réaliste. La Caisse française de développement (CFD) paraît favorable à une telle option qui doit encore, toutefois, recevoir l'aval de Bercy. Si l'absence de relais locaux (la Banque centrale ne fonctionnera pas avant fin mars et les banques de dépôt se trouvent souvent dans une situation désastreuse) représente une difficulté, l'obstacle n'est pas insurmontable. Du reste, le nombre de dossiers ne devrait pas être trop élevé, ni d'ailleurs le niveau d'endettement de chaque emprunteur.

Par ailleurs, plusieurs de nos entreprises, pour la plupart importatrices de produits français, ne parviennent pas à obtenir de la Compagnie française d'assurances pour le commerce extérieur (COFACE), qu'elle garantisse leurs opérations. La suspension de la garantie COFACE pour toutes les opérations qui n'entrent pas dans le domaine "humanitaire" se justifie moins aujourd'hui, au moment où la France appelle de ses voeux le succès de la reconstruction du Congo.

Enfin, le renforcement de la présence française suppose, parallèlement, la restauration des services français à Brazzaville . Le volet consulaire apparaît déjà bien avancé (réouverture des immatriculations en décembre, de l'état-civil en février et, sans doute en mars, des visas) et il faut à cet égard saluer l'effort particulier de nos diplomates compte tenu des difficultés particulières de l'action sur place.

Dans le domaine culturel, le lycée Saint-Exupéry et le centre culturel français à Brazzaville ont échappé aux destructions. La réouverture de ces structures -et en particulier de la première, déterminante pour les familles- constitue une priorité.

. Une reprise de l'aide

Avant la crise, la France assurait 80 % des concours reçus par le Congo au titre de l'aide publique au développement (soit 800 millions de francs par an depuis 1987). La succession des crises politiques comme les carences de la maîtrise d'ouvrage congolaise expliquent la faiblesse du taux d'exécution des programmes d'aide. A titre d'exemple, parmi les interventions de la CFD, deux seulement ont pu vraiment être conduites à leur terme : la réhabilitation des locomotives du CFCO (25 millions de francs) et un programme d'urgence en faveur de la société de distribution de l'eau à Brazzaville (14 millions de francs).

Dans le secteur privé, la Caisse avait accordé un prêt de 440 millions de francs à Elf-Congo pour l'exploitation du gisement de N'Kossa et un crédit (160 millions de francs) destiné à la restructuration financière de la filière Eucalyptus en 1996. La faiblesse du système bancaire congolais a constitué un handicap sérieux pour le développement de l'aide accordée habituellement par la CFD, à travers sa filière Proparco, aux PME.

Parallèlement à l'aide-projet, la France a également consenti un soutien financier important dans le cadre de l'ajustement structurel : prêt d'ajustement structurel (PAS) de 400 millions de francs aux lendemains de la dévaluation (destiné principalement à la "sécurisation" de la dette mais aussi, dans une moindre mesure à l'accompagnement des privatisations et aux dépenses prioritaires de santé et d'éducation), PAS de 280 millions accordé en 1996 à la suite du programme d'ajustement avec le FMI conclu au terme d'une nouvelle période d'arriérés et de sanctions 5( * ) .

La crise de juin 1997 a conduit le Congo à suspendre tous ses remboursements et à encourir de nouveau les sanctions du FMI et de la Banque Mondiale. Les échéances dues au premier semestre 1998 représentent un montant de 160 millions de francs dont 130 millions de francs non rééchelonnables.

Les orientations arrêtées dans le domaine institutionnel et économique par M. Sassou Nguesso, la stabilisation politique, enfin, tout invite la France à reprendre une aide, aujourd'hui, peut être, plus indispensable que jamais.

Toutefois, il convient de tenir compte d'une double contrainte.

En premier lieu, les arriérés dus à la Caisse française de développement s'élèvent à 270 millions de francs français dont plus de 230 millions non rééchelonnables. A la fin du mois de juin 1998, ces montants augmenteront encore de 160 millions de francs. Le non-règlement des échéances interdira à la CFD, du moins dans un premier temps, de reprendre le cours normal de ses activités.

Dans son ensemble, la dette bilatérale du Congo à l'égard de la France place notre pays au premier rang des créanciers de Brazzaville. Les échéances dues au cours du premier semestre 1998 représentent 660 millions de francs dont 160 millions de francs non rééchelonnables.

Aussi convient-il sans doute d'envisager dans l'immédiat, en l'absence d'un accord entre le Congo et le FMI, préalable à une aide financière de la France, de concevoir des relais aux instruments financiers habituels.

Dès la fin des combats, la France a accordé une aide humanitaire d'urgence de l'ordre de 6 millions de francs (hôpital de campagne à Brazzaville mis en place par une équipe médicale de la sécurité civile, programme d'aide à la production vivrière, rétablissement des services publics de base -eau, électricité, télécommunications, navigation aérienne). Toutefois, au-delà de la situation d'urgence, l'aide française doit maintenant chercher à mettre en oeuvre des orientations plus durables. L'exercice doit satisfaire à une double contrainte en partie contradictoire. Il s'agit en effet de répondre rapidement aux attentes des congolais, alors même que la France, dans un premier temps, se trouve condamnée à agir seule en raison du régime de sanction que subit ce pays.

Dans cette perspective, M. Hervé Bolot, notre nouvel ambassadeur à Brazzaville, a présenté en mars 1998 une première évaluation des besoins du pays. Une double priorité s'attache aujourd'hui, d'une part, à la restauration d'un Etat efficace et démocratique et, d'autre part, à la satisfaction des besoins essentiels des populations. L'appui à l'Etat de droit a pour condition première un retour à l'ordre public et une réorganisation de l'administration. Une fois les structures solidement établies, il sera possible de développer la formation aux règles du droit et aux principes démocratiques. Aussi convient-il, dès maintenant, d'apporter une assistance technique et de conseil à la réforme de la fonction publique sous la forme de missions de quelques semaines axées sur des objectifs précis (statuts, grilles, émoluments, contrôle de gestion). Dans l'immédiat, la mise à disposition d'uniformes pour la gendarmerie représenterait à la fois un geste peu coûteux mais très apprécié dans le cadre de la restauration de l'ordre public.

Dans le domaine économique et social , trois secteurs en particulier pourraient être distingués. La production vivrière bénéficie du programme Agricongo initié par la CFD. Celui-ci contribue à l'alimentation de Brazzaville en vivres frais et dans le même temps à l'emploi de jeunes travailleurs. Il apparaît donc nécessaire, dans l'attente de la reprise des décaissements de la caisse, que le FAC prenne le relais des financements nécessaires. En second lieu, il est impératif que la France relance dans le secteur de la santé où les besoins sont immenses, différents projets déjà engagés tels que la transfusion sanguine, la lutte contre la tuberculose et contre le sida. Enfin, le développement des villes, et, en particulier, leurs infrastructures, constitue une autre priorité. Si la situation de Brazzaville appelle une action urgente, le cas de Pointe-Noire, où les infrastructures urbaines souffrent de longue date de nombreuses insuffisances ne peut être négligé. Aussi, les programmes de la Caisse -une aide de 68 millions de francs pour Pointe-Noire décidée en 1996 mais non exécutée et un projet d'assainissement à Brazzaville- demeurent-ils plus que jamais à l'ordre du jour.

Il est certain, toutefois, que pour les projets de dimension plus ambitieuse, la France devra s'adjoindre le concours d'autres bailleurs de fonds et au premier chef, de ses partenaires européens.

La reprise de la coopération avec le Congo fournit l'occasion de revoir dans le sens d'une plus grande efficacité nos modalités d'aide et, ainsi, de concrétiser les nouveaux principes qui inspirent la réforme actuelle de notre politique de coopération.

La France, il convient de le rappeler, dispose d'intérêts importants au Congo, comme l'atteste d'ailleurs l'importance de notre communauté dans ce pays. Le rôle d'Elf -qui produit depuis la mise en exploitation du gisement de Nkossa, 8 millions de tonnes de pétrole sur une production totale de 12 millions en 1997 et emploie 700 agents dont 107 expatriés- apparaît évidemment essentiel dans la vie économique du pays. En outre, les perspectives de développement du groupe apparaissent importantes avec un important programe d'exploration orienté vers les grands fonds. En effet, en complément du permis haute mer dont le potentiel reste élevé et doit être reconnu avant l'an 2000, Elf Congo a obtenu en 1996 et 1997, deux permis en tant qu'opérateur en mer profonde et négocie également son entrée sur deux autres. La société pourra ainsi être présente sur tout le grand offshore congolais.

Les enjeux économiques ne se limitent pas cependant à l'exploitation des gisements pétroliers. Quelque 200 entreprises françaises (Bolloré, Vilgrain, Bouygues...) animent le tissu économique du pays et assurent les deux tiers des emplois du secteur privé.

Par ailleurs, en 1996, 40 % des parts du marché congolais revenaient à la France et les exportations avaient beaucoup progressé entre 1995 et 1996 (de 1 233 millions de francs à 4 872 millions de francs) sans toutefois dépasser le montant de nos importations (512 millions de francs).

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