2. De profondes divergences d'appréciation

Le présent paragraphe se propose d'examiner la position des Etats membres, hormis celle de la France qui fait l'objet d'une analyse plus détaillée.

La réaction générale que suscitent ces propositions de réformes est globalement négative. Néanmoins, si certains Etats les ont rejetées catégoriquement, d'autres ne se sont pas prononcés officiellement, ou n'ont pas émis d'avis sur toutes les propositions de la Commission.

Aussi la mission d'information, tout en procédant à un examen approfondi des déclarations de chaque Etat, a surtout cherché à dégager des orientations générales.

A ce stade de l'analyse, et à moins de quinze jours du sommet Européen de Cardiff, les positions des Etats Européens peuvent faire l'objet d'une répartition -quelque peu simplificatrice, mais nécessaire pour la clarté de notre présentation- en quatre groupes.

Ces positions sont le reflet des contacts pris par la mission sénatoriale lors de ses différents déplacements, ainsi que des informations qu'elle a pu recueillir dans la presse française et étrangère.

La première catégorie de pays regroupe les pays globalement favorables au contenu de la réforme . Ces Etats souhaitent d'ailleurs que la Commission aille plus loin dans la baisse générale des prix. Il s'agit du Royaume-Uni, de la Suède et du Danemark.

La deuxième catégorie comprend les Etats, qui tout en étant plutôt favorables au " Paquet Santer " et aux propositions de la Commission sur la PAC, souhaitent certaines modifications (Pays Bas, Autriche).

La troisième catégorie réunit les pays qui souhaitent utiliser ces négociations pour améliorer leur situation. Alors qu'ils s'étaient fortement opposés à la réforme de la PAC en 1992, ou qu'ils estiment ne pas en avoir véritablement profité, les Etats ne veulent ni rejeter les propositions de la Commission ni les accepter. Ils désirent, sur des domaines très ponctuels et très précis, une amélioration de leur traitement . On pourrait qualifier cette démarche de pragmatique : la Grèce et l'Italie ont adopté cette position.

La quatrième et dernière catégorie rassemble les Etats opposés aux propositions de la Commission : ces pays ne proposent pas pour autant de projet alternatif, mais souhaitent des modifications substantielles au texte présenté. Ce groupe est le plus nombreux : il rassemble notamment la France, l'Allemagne, l'Espagne, le Portugal et l'Irlande.

a) Une " bonne réforme " à accentuer

Le Royaume-Uni, la Suède et le Danemark jugent que les propositions de la Commission vont dans le " bon sens ", même s'ils souhaitent généralement une accentuation du dispositif. Ces Etats estiment que l'Union Européenne doit aller plus loin et plus vite, en mettant en place des aides dégressives et temporaires.

Les performances de l'agriculture danoise 38( * ) , sa dépendance vis-à-vis de l'exportation (les 2/3 de sa production sont exportés, à 50 % vers les pays tiers) et la valorisation du progrès technique conduisent le Danemark à prôner une politique agricole commune orientée vers le marché et un accroissement de la compétitivité. Les priorités du gouvernement danois sont donc :

- le maintien du marché commun agricole et le refus de toute renationalisation de la PAC ;

- le refus de la voie malthusienne (réduction de quotas, gel des terres, ...) ;

- une option favorable à une baisse des prix garantis ;

- un mouvement graduel vers la libre-entreprise pour permettre au secteur agricole de s'adapter ;

- des compensations, totalement découplées , liées à des objectifs environnementaux et structurels ;

- une anticipation des tendances lourdes : rapprochement vers les prix des PECO (impact commercial positif de l'élargissement) ; préparation de la négociation internationale de l'OMC.

Compte tenu de ces priorités, le Danemark a été le premier Etat membre à ce jour à se prononcer fermement en faveur des réformes. Prônant une approche libérale et compétitive pour la PAC, il voit dans les propositions Santer la fin de la limitation de la production.

Approuvant globalement les orientations générales de la Commission pour les OCM " grandes cultures " et " viande bovine ", le ministre Paul Ottosen prône l'abolition de l'ensemble des quotas avant 2006 et une réduction des prix institutionnels supérieure aux 15 % proposés actuellement. Il invite la Commission à veiller à ce que les changements apportés aux fonds structurels (y compris le FEOGA- développement rural) n'accroissent pas les lourdeurs administratives. M. Ottosen a, en outre, incité ses collègues à considérer les réformes à long terme en prenant en compte l'élargissement à l'Est et les négociations à l'OMC.

Les organisations agricoles danoises approuvent les propositions de la Commission mais demandent une compensation intégrale de la baisse des prix, qui soit équitable entre les agriculteurs et les pays.

La Suède , dont l'agriculture se caractérise par un élevage principalement laitier, est favorable depuis le début des années 1990 à une réforme libérale de la politique agricole, pour favoriser le consommateur et la compétitivité du secteur agricole.

La Suède a dénoncé à plusieurs reprises les mécanismes actuels de la PAC et notamment :

- son coût pour le consommateur et le contribuable ;

- ses effets négatifs pour l'environnement ;

- son caractère obsolète (réglementation datant des années 1960, promouvant le productivisme sans souci de qualité ni de durabilité) ;

- sa production d'excédents qu'il faut stocker ou brader sur les marchés mondiaux ;

- son injustice (les soutiens vont en majorité aux grandes exploitations) ;

- sa complexité inextricable et son opacité.

La Suède plaide donc en permanence en faveur d'une réforme libérale de la PAC, par la recherche de trois objectifs :

- axer davantage la production agricole et les OCM sur le marché dans les mêmes conditions que les autres secteurs de l'économie ;

- mieux intégrer les objectifs environnementaux dans la PAC et rémunérer les prestations de services correspondants ;

- mieux prendre en compte la demande du consommateur (qualité des produits, bien être des animaux).

Une libéralisation accrue des échanges agricoles entraînée par le prochain cycle de l'OMC est jugée favorable aux exportateurs, aux consommateurs et aux budgets publics. La Suède prône l'ouverture sur les marchés extérieurs (à l'importation et à l'exportation), génératrice de croissance et seule voie d'avenir pour la PAC selon elle. La disparition de la préférence communautaire , voulue par la Suède, lors du prochain cycle de l'OMC, devrait provoquer une baisse des prix intérieurs qui rendrait tout encadrement de la production insupportable ; la boîte bleue du GATT serait supprimée, et imposerait le découplage des paiements compensatoires , ainsi que leur modulation en fonction de la taille de l'exploitation. La Suède considère les paiements compensatoires comme transitoires : ils doivent être à son sens supprimés avant le premier élargissement.

La Suède est un contributeur net au budget communautaire, très attachée à la rigueur budgétaire en matière de dépenses agricoles communautaires. Les propositions de la Commission sont l'occasion pour ce pays d'exprimer la nécessité d'une réforme de la PAC allant dans le sens d'une agriculture orientée vers le marché, compétitive et moins contenue.

C'est pourquoi, la Suède est satisfaite des orientations de la Commission et prône, pour les différents secteurs de la production, le rapprochement progressif vers les prix mondiaux, compensé de manière à éviter toute distorsion de concurrence pour le secteur du lait -signifiant la disparition à terme des quotas-.

Le consommateur (faible niveau des prix à la consommation), la sécurité alimentaire, le bien-être animal, et la protection de l'environnement par l'occupation de l'espace rural restent, parallèlement à une diminution du coût de la PAC, ses quatre principales préoccupations.

Si la Confédération des agriculteurs suédois (LRF) est globalement favorable à une libéralisation progressive du commerce mondial des produits agricoles et à des réformes supplémentaires, elle ne partage toutefois pas toutes les positions du Gouvernement suédois. La Confédération estime que les prix des produits agricoles doivent couvrir les coûts de production et que la proposition de la Commission ne permet pas d'atteindre cet objectif en Suède. De plus, elle s'oppose à la modulation et au plafonnement, car ces mesures ne favorisent pas la compétitivité des exploitations agricoles. Elle est également opposée à tout système qui " renationaliserait " la politique agricole commune. De même, l'introduction de l'écoconditionnalité dans le système d'aides est vue avec prudence par le LRF. En revanche, le LRF serait favorable à une dotation budgétaire plus importante pour l'environnement et la politique rurale, à condition qu'elle ne pénalise pas les politiques de marché. Par ailleurs, la prime unique pour les grandes cultures n'a pas les faveurs de la Confédération, qui craint que la production d'oléagineux ne disparaisse en Suède. Depuis l'adhésion de la Suède à l'Union Européenne, la production d'oléagineux a déjà diminué de 50 %. En revanche, le LRF voit positivement un certain nombre d'objectifs de la Commission exprimés dans l'Agenda 2000, comme par exemple le soutien du revenu. Toutefois, le LRF plaide pour une compensation intégrale des baisses de prix.

Les fondements de la position du Royaume-Uni concernant la PAC s'expliquent en partie par la prévalence d'une doctrine libérale, par une conception de l'alimentation " bon marché " pour le consommateur, une contribution financière Européenne jugée élevée de ce pays et par la densité de population d'un Etat qui ne craint pas la désertification.

Le Royaume-Uni estime que la PAC coûte cher au consommateur et au contribuable et que le soutien par les prix conduit à une allocation des ressources qui n'est pas optimale. Le Royaume-Uni juge ce système inefficace et coûteux par rapport à un système d'aide directe au producteur.

Le Royaume-Uni regrette que le revenu des agriculteurs n'ait pas augmenté malgré un soutien jugé considérable aux producteurs, et que le nombre d'exploitations ait sévèrement diminué. Il considère que la fraude et la bureaucratie sont les deux maux endémiques de la PAC. Les Britanniques insistent sur le fait que la PAC n'est budgétairement pas supportable à cause de la surproduction qu'elle encourage et de l'élargissement aux PECO, qui figure au programme de l'Union Européenne.

Enfin, les perspectives des prochaines négociations de l'OMC sont extrêmement présentes dans l'argumentaire des britanniques, qui y voient l'argument d'une réforme radicale de la PAC. Ils considèrent qu'en signant les accords de Marrakech, l'agriculture Européenne s'est engagée dans un processus qui lui impose d'être compétitive sur les marchés extérieurs, sans aide à l'exportation. Pour le Royaume-Uni, l'OMC est une contrainte majeure et l'Union Européenne ne saurait imposer son modèle de politique agricole. La libéralisation de la PAC est jugée inévitable et urgente, pour que l'agriculture Européenne puisse avoir une position offensive sur les marchés extérieurs et soit à même de se défendre sur son marché intérieur.

Le contenu de la réforme souhaitée par les Britanniques comprend :

- l'abandon du soutien à l'agriculture communautaire par les prix ;

- l'abolition du contrôle de l'offre (fin du gel des terres et du système des quotas) ;

- des aides directes dégressives , découplées de la production et limitées dans le temps ;

- un renforcement des aides spécifiquement liés à l'environnement ;

- la mise en place d'une politique rurale intégrée .

Le scénario idéal britannique peut être résumé de la manière suivante : les agriculteurs modulent leur production en fonction des exigences du marché. Ils peuvent exporter sans restitutions et les plus productifs (exploitations localisées en Angleterre) ne sont plus bridés par le gel des terres ou par les quotas. De nouveaux marchés sont conquis par l'agriculture et par l'industrie agro-alimentaire britanniques.

La réforme devrait entraîner une diminution de la valeur des capitaux puis, après ajustement, devrait leur assurer un meilleur taux de rendement. A terme, la baisse du nombre d'exploitations agricoles et un usage plus rationnel des intrants doivent assurer un revenu convenable aux agriculteurs désormais compétitifs sans aide directe.

Les différents acteurs britanniques concernés par la PAC (ministère de l'agriculture, organisations agricoles, institut de la consommation, associations de protection de l'environnement) ont une position très convergente. Ils sont unanimement pour une réforme qui fasse évoluer l'économie des produits agricoles vers le marché. Ils réclament donc l'abandon du soutien par les prix, la fin des restitutions à l'exportation et des droits à l'importation, ainsi que l'abolition des mesures de contrôle de l'offre.

La question des compensations ou de l'aide à l'ajustement suscite plus de divergences dans la réponse proposée. Mal nécessaire toléré de manière transitoire pour certains, ou complément indispensable de la réforme pour d'autres, tous se rejoignent cependant pour appeler de leurs voeux un système d'aides directes découplées de la production.

Les divergences de position entre Britanniques portent essentiellement sur l'utilisation des économies réalisées par la fin du soutien par les prix.

Le ministère de l'agriculture (MAFF) est satisfait des propositions faites dans Agenda 2000. Il souhaiterait que les mesures soient plus radicales et plus rapides, dans le sens d'une forte évolution libérale, surtout dans le domaine du lait et de la viande bovine. D'une manière générale, il souhaite que les paiements directs soient découplés de la production et compensent partiellement la baisse du prix d'intervention. Il souhaite que les taux des aides soient fixés pour trois ans. En outre, le ministère souhaite une réforme de l'OCM ovine avec une baisse de 40 % sur cinq ans des prix de base, compensée par une prime découplée, à taux unique.

Le MAFF est très réservé sur la modulation des aides proposée par l'Agenda 2000. Il est tout à fait opposé au plafonnement individuel de l'ensemble des aides directes, qui serait hautement discriminant et contraire à l'esprit de la réforme qui consiste à encourager les agriculteurs à être compétitifs. La proposition selon laquelle les Etats pourraient introduire une modulation au niveau national, dans le cadre de règles communément admises, pourrait être à son sens envisagée.

La dernière déclaration du secrétaire d'Etat britannique confirme cette démarche très " libérale ". Il s'est notamment déclaré favorable aux propositions de baisse des prix, préconisant une diminution de 30 % pour les produits laitiers, et la création d'enveloppes budgétaires nationales. Il a réclamé des aides directes temporaires et moins élevées, ainsi qu'une date d'expiration du régime des quotas laitiers.

Pour la National Farmers' Union (NFU), principal syndicat agricole regroupant 1.200.000 membres, il est indispensable de réformer la PAC dans la perspective des prochaines négociations de l'OMC. Il n'y aurait pas d'alternative à la baisse des prix communautaires pour s'aligner sur des cours mondiaux.

La NFU souhaite que la prochaine réforme de la PAC anticipe cette évolution vers une agriculture compétitive en diminuant le soutien par les prix et en supprimant les mesures de contrôle de l'offre (quotas et gel des terres).

Elle estime que des aides directes compensatoires doivent aider les agriculteurs dans la période de transition vers une agriculture plus compétitive. A terme, la baisse de revenu des agriculteurs sera compensée par la diminution du nombre d'exploitations. Cette concentration des exploitations, déjà largement commencée au Royaume-Uni, apparaît comme inéluctable pour la NFU et va de pair avec la modernisation de l'agriculture.

Les agriculteurs britanniques s'estiment prêts à affronter la concurrence et pensent pouvoir prendre des parts de marché là où la demande de produits agricoles est croissante (Asie, Amérique du Sud).

Face au projet de l'Agenda 2000, la NFU salue l'effort de diminution des prix d'intervention. Elle s'oppose au plafonnement des aides qui est à son sens contraire à l'évolution vers des grandes exploitations compétitives (cinq adhérents de la NFU, dont deux particuliers, reçoivent déjà plus de 1 million de livres d'aide directe). De plus, elle est contre le conditionnement des aides (" cross compliance ") au respect de normes environnementales. Elle estime qu'il faut avoir une politique environnementale spécifique et ne pas donner deux objectifs différents à une même politique. Enfin, elle pense que la dégressivité des aides directes ne pourra être envisagée que dans le cadre d'un accord multilatéral avec les principaux pays tiers exportateurs.

Enfin, une priorité de la NFU est de faire en sorte que la réforme de la PAC ne pénalise pas les filières économiques britanniques liées à l'agriculture. La NFU n'envisage qu'une seule alternative aux propositions de la Commission : la maîtrise de la production, (augmentation de la jachère, diminution des quotas), qui, selon elle, freine le rapprochement vers les prix de marché.

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