N° 31

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès verbal de la séance du 21 octobre 1998.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1),

sur


le financement et l'organisation de la politique de lutte contre le cancer

Par M. Jacques OUDIN,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier,
Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.

Santé publique. - Cancer.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le cancer est en voie de devenir la première pathologie et la première cause de mortalité des Français. A ce titre, il constitue le principal défi lancé à notre système de santé.

Or, nul ne sait exactement quelle est la part des dépenses d'assurance maladie consacrée à la lutte contre le cancer, ni si ces sommes sont efficacement employées. Cette lacune de l'information financière est, en soi, révélatrice d'un défaut d'organisation.

Le scandale de l'ARC a jeté un doute durable dans l'esprit des Français sur le financement de la politique de lutte contre le cancer. L'effort financier en faveur de cette politique est pourtant inévitablement appelé à s'accroître, en raison du coût des innovations thérapeutiques.

Par ailleurs, les insuffisances de la politique de lutte contre le cancer sont révélatrices des dysfonctionnements plus généraux du système de soins.

Faiblesse de la prévention, qualité des soins non garantie, lacune des systèmes d'information médicaux, cloisonnement des structures, effets pervers des modes de tarification : autant d'insuffisances qui affectent également le traitement des autres pathologies, et qui ne trouveront de solutions que dans la réforme d'ensemble du système de soins engagée par le Gouvernement de M. Alain Juppé.

Ces considérations désignent le financement et l'organisation de la politique de lutte contre le cancer comme un domaine de réflexion prioritaire pour le Parlement, qui est convié à se saisir des questions de santé dans le cadre nouveau des lois de financement de la sécurité sociale.

I. LE CONSTAT : UNE ABSENCE DE RÉSULTATS SIGNIFICATIFS

A. LA PROGRESSION DE LA MORTALITÉ PAR CANCERS

a) L'évolution des différentes causes de mortalité

L'évolution comparée des différentes causes de mortalité depuis 1950, fait apparaître une progression relative de la mortalité par cancer 1( * ) .

Cette évolution s'inscrit dans un contexte de baisse globale de la mortalité. Le nombre de décès n'a guère varié en France au cours du dernier demi-siècle : 534.000 en 1950, contre 520.000 en 1994. Dans le même temps, la population s'est accrue de quelque 40 %, passant de 42 à 58 millions, et le nombre de personnes âgées a considérablement augmenté : les personnes âgées de 70 ans ou plus sont deux fois plus nombreuses en 1994 qu'en 1950, 6 millions contre 3 millions. Ainsi, la constance du nombre annuel de décès recouvre en fait un formidable recul de la mortalité.

Le taux comparatif de mortalité, c'est-à-dire le taux corrigé de l'effet structurel du vieillissement de la population, a diminué de moitié en cinquante ans : 14 pour mille en 1950, contre 7 pour mille en 1994. Quant à l'espérance de vie, elle a gagné 12 ans, progressant de 66 à 78 ans.

Les statistiques de l'INSERM identifient sept grands groupes de causes médicales de décès. Le tableau ci-après retrace l'évolution des taux comparatifs de mortalité pour chacun d'entre eux depuis 1950.

Taux comparatifs de mortalité, par causes de décès, en 1950 et en 1994

 

Taux comparatif pour 1.000 personnes

Nombre de décès en 1994

Cause de décès

Taux en 1950

Variation 1950-70

Variation 1970-90

Variation 1990-94

Variation totale

Taux en 1994

Avant 65 ans

Après 65 ans

Tous âges

Maladies infectieuses (a)

3,25

- 2,20

- 0,47

- 0,02

- 2,69

0,57

8.967

35.383

44.350

dont sida

-

-

+ 0,05

+ 0,04

+ 0,09

0,09

4.994

164

5.158

Cancers et autres tumeurs

2,21

+ 0,14

+ 0,03

- 0,09

+ 0,08

2,29

45.305

106.417

151.723

Maladies cardio-vasculaires

5,80

- 1,41

- 1,97

- 0,27

- 3,65

2,15

17.761

162.163

179.924

dont cardiopathies

3,37

- 0,97

- 0,95

- 0,14

- 2,05

1,32

11.395

97.473

108.868

mal. vasculaires cérébrales

1,89

- 0,32

- 0,92

- 0,11

- 1,35

0,54

3.897

43.478

47.374

autres mal. cardio-vascul.

0,54

- 0,12

- 0,11

- 0,02

- 0,25

0,29

2.469

21.212

23.682

Maladies appareil digestif et alcoolisme (troubles mentaux)


0,64


+ 0,18


- 0,36


- 0,06


- 0,23


0,40


9.577


18.444


28.021

Anomalies congénitales et affections périnatales


0,40


- 0,16


- 0,16


- 0,01


- 0,33


0,06


2.849


165


3.014

Autres maladies (b)

0,82

+ 0,03

- 0,01

- 0,06

- 0,03

0,78

8.145

56.149

64.295

Traumatismes

0,79

+ 0,24

- 0,22

- 0,08

- 0,06

0,73

26.169

22.469

48.638

dont accidents de

 
 
 
 
 
 
 
 
 

véhicules à moteur

0,09

+ 0,17

- 0,08

- 0,04

+ 0,06

0,15

7.376

1.693

9.069

autres accidents

0,50

+ 0,06

- 0,19

- 0,06

- 0,18

0,32

7.254

16.938

24.193

suicides

0,19

+ 0,01

+ 0,04

+ 0,01

+ 0,06

0,24

10.735

3.743

14.478

Toutes causes

13,91

- 3,17

- 3,16

- 0,60

- 6,93

6,99

118.774

401.191

519.965

Les maladies infectieuses décroissent fortement jusqu'au milieu des années quatre-vingt ; le sida et l'hépatite virale font alors remonter la courbe. Malgré ce retournement, leur taux comparatif de mortalité a diminué de 83 % entre 1950 et 1994. Les anomalies congénitales et causes périnatales connaissent une réduction d'ampleur comparable. Les maladies cardio-vasculaires ont également beaucoup décliné : moins 63 % de 1950 à 1994. La chute s'est accélérée à partir de 1970, et plus encore depuis 1985. Le recul de ces maladies a modifié le cours de la baisse séculaire de la mortalité : jusqu'en 1970, celle-ci a surtout concerné les jeunes ; depuis, elle concerne majoritairement les personnes âgées.

La mortalité par les autres grandes causes a augmenté de 1950 jusque vers 1970, voire 1987. Les cancers sont dans ce dernier cas. Ces mouvements contrastés ont bouleversé la hiérarchie des causes de décès. De 1950 à 1994, selon les taux comparatifs de mortalité, les maladies cardio-vasculaires sont passées du 1er rang au 2ème, les maladies infectieuses du 2ème au 5ème rang, et les cancers du 3ème rang au 1er rang. Les autres maladies et les traumatismes sont passés, respectivement, des 4ème et 5ème rangs aux 3ème et 4ème rangs.

b) La mortalité par tumeurs

La France se caractérise par une mortalité encore excessive avant 65 ans : 119.000 décès sur 520.000 en 1994, soit près d'un quart. Sur ces 119.000 décès prématurés, 45.000 sont dus au cancer, qui est le facteur majeur de cette surmortalité des adultes .

Nombre de décès par cancers et autres tumeurs en 1994

Siège du cancer ou type de tumeur

Avant 65 ans

Après 65 ans

Tous âges

Bouche, pharynx, larynx et oesophage

7.946

7.521

15.467

Estomac

1.173

5.127

6.300

Intestin et rectum

3.296

14.052

17.347

Foie et vésicule biliaire

1.766

4.741

6.508

Pancréas, rein et vessie

3.371

11.242

14.613

Poumons

9.330

14.764

24.094

Sein et organes génitaux

7.314

21.183

28.497

dont prostate

700

90.38

9.738

sein (femmes)

4.339

6.978

11.317

utérus

1.032

2.217

3.249

ovaire

1.039

2.331

3.370

Peau, os, tissu conjonctif et système nerveux

3.250

4.050

7.300

Tissus lymphatiques et hémato- poïétiques

3.140

8.719

11.859

Autres tumeurs

4.720

15.019

19.739

dont cancers de siège mal défini

2.987

9.254

12.240

Toutes tumeurs

45.305

106.417

151.723

Les 45.000 décès par cancers avant 65 ans survenus en 1994 sont d'abord dus au tabac et à l'alcool : poumon, bouche, pharynx, larynx, oesophage, pancréas, rein, vessie, foie et vésicule biliaire. L'alcool n'est sans doute pas étranger aux décès précoces par cancers de l'intestin et du rectum. Les cancers des organes génitaux provoquent 7.300 morts prématurées, surtout féminines.

Dans le passé, l'augmentation de la mortalité par tumeurs, en dépit des progrès thérapeutiques, résultait de l'augmentation de l'incidence, c'est-à-dire de la fréquence des personnes atteintes chaque année. Celle-ci est actuellement estimée à 221.000 cas par an. L'explosion des cancers bronchiques est directement liée à l'augmentation de la consommation de tabac dans les années 1960 et 1970 .

Le tassement de la mortalité tumorale observé depuis 1988 est lié aux progrès de la médecine et aux facteurs comportementaux : stabilisation du tabagisme masculin, baisse de l'alcoolisme, changement des comportements alimentaires, meilleure autosurveillance.

Les progrès diagnostiques expliquent une part de l'accroissement apparent de la mortalité par cancer, auparavant sous estimée. Ainsi, la multiplication par trois en dix ans du nombre des tumeurs intracrâniennes résulte surtout des progrès de l'IRM.

Mais, globalement, l'accroissement relatif de l'incidence du cancer est une conséquence inévitable de l'allongement de la durée de vie et de la diminution de l'incidence des autres pathologies . En effet, il s'agit d'une maladie dégénérative, qui ne peut que progresser à mesure du vieillissement de la population et du recul des autres causes de décès.

En dépit de sa part dans la mortalité prématurée avant 65 ans, le cancer est d'abord une maladie de personnes âgées. En l'an 2000, un cancer sur deux se déclarera chez des personnes âgées de plus de 70 ans. Mais la comorbidité est fréquente et nombre des personnes atteintes du cancer décèdent d'une autre maladie avant que l'évolution de leur tumeur ne devienne fatale.

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