C. SCÉNARIOS D'ÉVOLUTION DE LA MUTUALITÉ : INDÉPENDANCE PRÉSERVÉE OU ABSORPTION PARTIELLE

La transposition très probable dans le code de la mutualité des règles prudentielles de la directive européenne et une certaine banalisation de la fiscalité des " mutualistes " vont accélérer un processus de concentration déjà largement en cours. Cette concentration arrivera-t-elle à se faire, comme le souhaitent vivement les représentants de la mutualité à l'intérieur du monde mutualiste, ou sera-t-elle l'occasion d'un regroupement d'un nombre important de mutuelles autour d'acteurs proches plus puissants, comme les institutions de prévoyance ou les mutuelles sans intermédiaires ?

Il existe une sorte de consensus d'après lequel la concentration du monde de la mutualité va vraisemblablement s'accélérer. Un scénario de restructuration de la mutualité du type " Caisses d'épargne " n'est pas à écarter 229( * ) .

Cette accélération est d'autant moins invraisemblable dans un contexte concurrentiel fortement accru pour des entreprises jusque là protégées par une fiscalité et une réglementation sur mesure ainsi que par des relations budgétaires floues avec les organismes, en particulier les administrations, dont elles sont issues, que leur concentration est déjà en marche depuis longtemps bien avant que ces règles protectrices, et souvent sclérosantes, ne soient appelées à disparaître. Le tableau ci-dessous le montre clairement.

Tableau 73
Evolution du nombre de groupements mutualistes

Années

1973

1982

1991

1995

95-91

Groupements mutualistes

8 635

7 047

6 400

5 780

- 620

dont < 3 500 PP

 
 

5 170

4 500

- 670

Source : Direction de la Sécurité sociale.

Jusqu'où cette concentration se fera-t-elle et comment ? Il est possible de poser quelques jalons :

- les petites mutuelles, en particulier les mutuelles d'entreprises, vont continuer à disparaître et se regrouperont vraisemblablement d'autant plus facilement autour des mutuelles interprofessionnelles qu'elles pourront devenir des sections locales de l'entité absorbante ;

- une fois les petites mutuelles, d'entreprises on interprofessionnelles absorbées ou regroupées au niveau départemental, il est vraisemblable que les regroupements de mutuelles se feront plus par affinité ou proximité au niveau régional ou interdépartemental, plutôt qu'au niveau départemental où prévaut une certaine rivalité gauloise ;

- les unions techniques, juridiquement consacrées ou non sous forme de GIE, conçues pour mettre en commun les moyens, ou pour pouvoir acquérir des équipements adaptés à une gestion performante et compétitive du risque, ou les délégations de gestion ne seront à terme qu'une des modalités pratiques de mise en oeuvre du processus de concentration par fusions ou absorptions.

Le seuil de viabilité que la " profession " s'accorde à considérer comme minimal en régime de croisière futur est de 100 000 adhérents. Un tel chiffre révèle qu'à un horizon de quelques années le nombre de mutuelles pourrait être divisé au moins par 5 ou par 6. Le passage à moins d'un millier de mutuelles dans un proche avenir est donc assez vraisemblable.

Par rapport à ce schéma, le scénario attrayant de mise en réseau des mutuelles proposé par la FNIM (par opposition à l'organisation pyramidale de la FNMF), théoriquement susceptible d'éviter une telle concentration, apparaît plus comme un scénario complémentaire qu'alternatif. La mise en réseau d'un certain nombre de mutuelles n'empêchera pas leur concentration. Mais leur concentration peut aussi les inciter à fonctionner autrement et à privilégier une plus grande indépendance par la mise en réseau.

Au-delà de ces quelques chaînons, la question se pose de savoir si la mutualité va pouvoir préserver son autonomie sur le nouveau marché français et européen unifié de l'assurance, comme la FNMF et la FMF le souhaitent 230( * ) fortement en fonction de l'attachement des élus et des personnels à l'esprit et à " la différence " mutualistes qu'ils sont certains de ne pouvoir retrouver ailleurs (sinon, de manière moins professionnelle, dans le monde associatif) ou si, au contraire, une partie des mutuelles ne va pas souhaiter s'allier à un certain nombre d'acteurs plus puissants.

Parmi ces acteurs plus puissants, susceptibles de devenir des pôles de regroupement, on mentionnera :

- les SAM, qui sont d'une certaine manière les grandes soeurs, juridiquement, des MCM et, quoique centrées principalement sur l'assurance dommages, rentrent elles-mêmes progressivement sur le marché de l'assurance-maladie complémentaire, et qui ont souvent accepté sur le terrain d'être des distributeurs des produits d'assurance complémentaire des mutuelles 45, quand elles ne comprennent pas directement dans leur périmètre d'influence des mutuelles de la mutualité (comme la MAAF) ;

- les groupes d'institutions de prévoyance, qui ont désormais surmonté le choc de l'adaptation aux directives européennes, qui sont engagés eux-mêmes dans la protection sociale complémentaire et qui, parfois, incluent dans leur périmètre un certain nombre de mutuelles 45 (comme le groupe Médéric) mais qui appartiennent au monde étranger du paritarisme plus proche de celui de la sécurité sociale.
Il semble en tout cas peu probable, a priori, que le regroupement de mutuelles soit imaginable autour d'acteurs plus lointains de la mutualité comme les compagnies d'assurance classiques, même si l'on ne peut oublier que le groupe AXA est issu du groupe Ancienne Mutuelle, constitué par André Sahut d'Izarn par regroupement de plusieurs mutuelles régionales de l'Ouest de la France 231( * ) .