CHAPITRE III - L'URGENCE DES DÉCISIONS POLITIQUES

Dans un monde postal en mutation accélérée, la lenteur des mouvements d'adaptation est un handicap sérieux car, plus le temps passe, plus les « fenêtres d'opportunité » rétrécissent.

Quand les homologues les plus dynamiques de notre poste auront achevé leur mue, l'espace économique qu'ils lui laisseront en Europe et dans le monde, si elle n'a pas réagi à temps, risque d'être bien restreint pour pouvoir assurer l'emploi des enfants de nos postiers et une grande ambition de service public.

Les étrangers le disent souvent : les Français ne sont pas pragmatiques. Pourtant, quand l'intérêt national est en jeu, nous savons tourner le dos à nos querelles idéologiques et avancer ensemble.

Le dossier postal pourrait en être l'occasion. Ses enjeux, pour nos emplois, nos entreprises et nos valeurs de service public sont considérables. Or, nous ne pourrons pas consolider les uns et les autres au prochain siècle si nous adoptons une attitude frileuse. Pour avoir une poste conquérante, il nous faut regarder la réalité en face et agir en conséquence.

Livrée à elle-même, notre poste se trouve fort dépourvue eu égard au poids de ses boulets financiers. C'est pourquoi, il est urgent de prendre les décisions politiques permettant, d'une part, de la « rétablir dans la course » en position honorable et, d'autre part, de remettre en ordre l'environnement dans lequel elle évolue.

Ces décisions devront avoir pour priorité centrale d'assurer le meilleur avenir à notre service public et à l'aménagement postal du territoire.

I. NOUER DES ALLIANCES STRATÉGIQUES

Ce que le rapport de 1997 réclamait pour notre Poste, la poste allemande l'a fait, seule, en acquérant une part substantielle de DHL il y a plus d'un an. Notre champion national lui est toujours sans grand partenaire dans la messagerie transfrontière 50 ( * ) , alors que plus que jamais le temps presse. Comme le reconnaissait avec clairvoyance M. Claude Bourmaud, Président de La Poste, lors de son audition par votre commission et votre groupe d'études : « sur ce sujet, à la fin de 1999, la messe et les vêpres seront dites ».

Par ailleurs, l'urgence des décisions à prendre face à la force des faits dans le domaine de la messagerie ne doit pas amener à négliger la nécessité de construire des positions solides sur un segment apparaissant singulièrement porteur d'avenir : le commerce électronique.

A. UNE ALLIANCE INTERNATIONALE DANS LA MESSAGERIE

1. L'impératif de l'alliance

Sur ce point, les événements survenus ces vingt derniers mois ont validé tant le diagnostic dressé par le Sénat que les conclusions qu'il en tirait. Pour exister sur le marché postal du 21 ème siècle, celui de la messagerie et de la logistique transfrontière, La Poste n'a aujourd'hui d'autre choix que celui de s'associer avec un grand intégrateur de taille mondiale avant que les rapports de force ne se trouvent figés pour longtemps. La faiblesse de ses moyens lui interdit, en effet, toute politique d'acquisition ambitieuse.

Les mariages envisageables sont moins nombreux qu'il y a vingt mois. La poste allemande et DHL ayant déjà convolé ensemble, ne restent « épousables » que deux autres grands européens, la poste néerlandaise qui contrôle TNT ou la poste britannique, et deux grands logisticiens internationaux : UPS et Fedex.

L'avantage d'une alliance européenne est qu'elle permet de disposer d'une base territoriale solide pour s'avancer sur le marché mondial. Un partenariat européen à deux n'interdit d'ailleurs pas un partenariat mondial à trois.

Dans cette perspective, TNT Post Group (TGP) -la très dynamique poste néerlandaise- paraît présenter un intérêt indéniable. Deuxième opérateur européen du transport express et du colis entre entreprises 51 ( * ) , c'est la poste du Vieux Continent qui a le plus avancé dans la voie des réformes. TNP est donc l'un de ceux les mieux à même de faire bénéficier notre poste d'un esprit d'entreprise adapté aux nouvelles réalités mondiales, sans qu'elle ait pour autant à se départir de ses traditions les plus positives.

Quoique son marché intérieur soit restreint, TPG dispose -au travers du réseau de TNT, l'intégrateur australien qu'elle a absorbé- d'une implantation internationale de premier plan -quoique peu présent aux Etats-Unis- dans le domaine du colis et de l'express 52 ( * ) . La situation de La Poste étant inverse (grand marché intérieur, faible présence internationale), des complémentarités peuvent jouer. Parallèlement, TPG est encore d'une taille qui laisse supposer des possibilités d'associations équilibrées. Elle s'avère aussi une entreprise de forte cohésion sociale où a pu être établi un dialogue constructif 53 ( * ) .

Beaucoup d'atouts, somme toute !

Quoiqu'il en soit, le choix de l'allié relève d'une décision entrepreneuriale. Ce qui est indispensable et relève de l'impulsion politique, c'est la réalisation d'une alliance et l'appui nécessaire à son succès.

2. Les moyens de la réussite

Il y a vingt mois, bien peu proclamaient que l'activité internationale était un enjeu majeur pour notre opérateur postal et qu'au moment où « les marchés des courriers et colis internationaux sont dopés par le mouvement de mondialisation des échanges » 54 ( * ) , il se devait « de suivre ses grands clients à l'étranger, ne serait-ce d'ailleurs que pour ne pas les perdre sur le marché domestique » 55 ( * ) . Aujourd'hui, les observateurs perspicaces l'ont compris.

Il y a vingt mois, seul le Sénat osait dire que ce constat et les décisions qu'il devait emporter amenaient à poser la question du statut de notre poste : pour s'adapter à un environnement de plus en plus capitalistique, l'absence de capital n'est-elle pas une infirmité dramatique ?

A l'époque, votre rapporteur excluait toute privatisation de La Poste. Cela ne lui apparaissait ni économiquement nécessaire ni constitution-nellement autorisé. Il n'a pas changé d'opinion sur ce point.

Dans le même temps, il considérait que la question de la sociétisation de La Poste -c'est-à-dire sa transformation en société anonyme à capitaux publics- devait être posée. Il concluait toutefois que « la négociation et la conclusion d'alliances au travers de filiales n'apparaissait pas une mauvaise solution » 1 .

Aujourd'hui, il a la conviction profonde qu' un statut de société anonyme publique serait le choix le plus garant d'avenir pour La Poste , mais qu'un tel choix n'est pas envisageable pour l'instant car les postiers et l'opinion, en l'état actuel de leur connaissance du dossier, ne paraissent pas encore à même de le comprendre.

Dans ces conditions, l'urgence commande de souscrire une alliance solidement étayée par un échange de capitaux dans le cadre d'une filiale ; la sagesse exige d'expliquer à tous, parallèlement et sans relâche, qu'une translation vers la société anonyme de l'opérateur lui-même constituerait une meilleure garantie du maintien de son unité économique et sociale.

La stratégie préconisée sur ces bases pourrait reposer sur le processus suivant :

Ouverture du capital de Coelo, le holding colis et logistique, à un grand partenaire international au moyen d'un échange croisé de capital avec ce partenaire ou par création d'une filiale commune.

Cette ouverture du capital d'une filiale ne serait pas une nouveauté dans l'histoire de La Poste. Aujourd'hui, l'Aéropostale est détenue pour une moitié par La Poste et pour l'autre par Air France. Il n'y a pas si longtemps, TAT, la compagnie aérienne privée, était actionnaire de Chronopost.

La seule nouveauté qu'introduirait cette proposition serait le caractère étranger et conséquent de la participation prise. Mais quand l'Union européenne se construit et que l'économie se globalise, qui pourrait encore s'en offusquer au regard de l'importance des intérêts en jeu.

Renforcement du capital de Coelo, pouvant au besoin s'appuyer sur une titrisation 56 ( * ) d'une partie des avoirs fonciers et immobiliers de La Poste.

Développement des activités transfrontières de messagerie à partir de ce pôle capitalistique de moyens et de compétences.

Ouverture du débat sur une sociétisation de La Poste garantissant les droits de ses personnels et permettant éventuellement l'ouverture de son capital à des collectivités territoriales pour mieux enraciner son ancrage dans les régions.

Traditionnellement très faiblement consommateurs de capitaux, les métiers postaux sont en train, dans leurs nouvelles excroissances (fret express, monocolis d'entreprise à entreprise, logistique...) de se rapprocher des autres industries de réseau. Ils exigent une intensité capitalistique de plus en plus forte (systèmes informatiques de suivi des envois, flotte aérienne...). Dans le même temps, leur rentabilité, hier modeste, tend à devenir orgueilleuse.

Or, ce phénomène produit des effets rapides. Qu'on en juge. Entre 1993 et 1997 , le chiffre d'affaires de TNT Post Group a été multiplié par près de 300 %. Dans le même temps, la part de l'express et de la logistique est passée de 21 % du résultat total à 53 %. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, sans la croissance réalisée dans ces secteurs, les revenus du groupe seraient deux fois moindres. Cela signifie aussi que si cette croissance avait été concentrée sur une seule filiale, cinq ans après sa création, cette filiale pèserait plus lourd que la maison mère en termes de résultats !

Mieux qu'un long exposé, cet exemple résume les inconvénients qui pourraient résulter, à terme, d'une trop forte disparité statutaire entre notre opérateur historique ancré dans ses métiers de longue date et ses filiales accrochées aux vagues économiques les plus porteuses. N'y aurait-il pas là le risque d'un décrochage, voire d'une rupture ?

La question mérite au moins d'être posée dans le cadre d'un grand débat parlementaire de fond sur l'avenir de La Poste que permettrait, par exemple, la discussion de la loi d'orientation postale. Telle est l'exigence de votre commission et de votre groupe d'études.

* 50 Rappelons que, dans la terminologie postale, la messagerie désigne les expéditions jusqu'à 300 kilos. Ceci englobe en particulier le fret express (livraison à J + 1 avant 12 heures) et le colis (c'est-à-dire le monocolis de 0 à 30 kilos).

* 51 Avec 17 milliards de francs (en incluant Jet Services). La première est la poste allemande (25 milliards de francs depuis l'achat de DHL). La Poste est cinquième (4,5 milliards de francs).

* 52 La Poste -par l'intermédiaire de Chronopost- et d'autres postes européennes sont d'ailleurs liées à ce réseau jusqu'en 2001, par des accords commerciaux et opérationnels.

* 53 Ainsi qu'en atteste l'histoire de sa transformation en société anonyme qui a été rappelée précédemment (ch. II.II.C.2).

* 54 « Sauver La Poste : devoir politique, impératif économique », page 229.

* 55 Rapport précité, page 144.

* 56 La transformation en valeurs mobilières d'éléments immobiliers inscrits à l'actif du bilan, par exemple sous forme de parts ou d'actions de sociétés gérant ces actifs.

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