Robert VERRUE Directeur général de la DGXIII à la Commission Européenne

J'aimerais axer mon intervention sur trois points précis : la directive européenne actuellement en cours de transposition, les perspectives de son évolution et le contexte général d'évolution du secteur postal.

La directive européenne

La directive date de fin 1997 et est transposable depuis cette date. L'histoire de sa transposition a été particulièrement difficile.

Pour revenir sur son contenu, il s'agit en fait de promouvoir une libéralisation dans l'harmonisation. Il ne s'agit pas en effet d'une directive fondée sur l'article 90 mais sur l'article 100a (numérotation pré-Amsterdam du traité). Par conséquent, elle donne beaucoup d'importance à l'harmonisation et prévoit donc une gestion lente du processus de codécision au niveau européen entre Parlement et Conseil des ministres européens. Il aurait bien sûr été possible de recourir à des décisions ponctuelles de politique de concurrence au lieu de créer une nouvelle directive. Ces décisions auraient été beaucoup plus simples à mettre en oeuvre puisqu'elles ne nécessitent pas l'intervention du parlement et se prennent au cas par cas. Dans la politique de concentration qui semble prévaloir aujourd'hui au sein des grands groupes postaux, de telles décisions seront peut-être nécessaires. La Commission a pourtant choisi une voie plus lente, plus prudente encore que dans le domaine des télécommunications puisque la pression des technologies y est différente et que les postes possèdent un impact non-postal très important en matière d'aménagement du territoire ou de bancarisation par exemple.

Cette directive essaie de tenir compte de l'émergence d'un secteur concurrentiel très dynamique sur certains marchés postaux qui est liée à l'achèvement du marché intérieur et au passage à l'Euro et modifie profondément la stratégie de certains services postaux comme le courrier express et l'acheminement de colis. D'autre part, la directive cherche à prendre en compte le rôle de service universel des postes. Enfin, elle insiste sur la nécessité d'améliorer la qualité des services techniques. Ce dernier souci repose sur la prise en compte de l'intérêt des consommateurs qui se rapproche du souci de service universel.

En ce qui concerne le financement du secteur universel, la directive prévoit, comme celle sur les télécommunications, la mise en place d'un dispositif de fonds de service universel. Il s'agit ainsi de faire financer la charge du service universel à l'ensemble des opérateurs postaux présents sur le marché. Il est également prévu un service minimum réservé défini par le poids et le tarif des envois de manière à ce que les opérateurs historiques puissent continuer à faire face à leurs obligations de service universel. La nature du service universel pourra varier selon les États et chacun pourra tenir compte de ses spécificités géographiques ou démographiques.

Mais cela ne pourra se faire que dans des conditions de transparence et d'identification précise des coûts. Les prix doivent notamment refléter ces coûts, ne serait-ce que pour permettre l'émergence des concurrents durant la période transitoire. Il faudra donc développer une comptabilité analytique précise pour isoler précisément le coût du service universel et calculer les frais réels de l'entreprise. Afin d'assurer le respect de cette condition de la libéralisation, la directive prévoit la mise en place d'un mécanisme de régulation sur le modèle de celui des télécoms. Ce régulateur devra être indépendant puisque, dans la plupart des États, l'opérateur historique appartient au service public.

Une transposition difficile

La directive européenne devait être transposée à la mi-février 1999 mais il existe en réalité trois cas de figures :


• Les États Scandinaves et la Grèce qui ont déjà fidèlement transposé cette directive


• L'Allemagne, Autriche, Royaume-Uni et Espagne où la transposition est encore partielle.


• La France, l'Italie, la Belgique, l'Irlande et le Luxembourg où la transposition est encore en cours.

Il existe en fait deux difficultés majeures : l'interprétation de la directive et le calendrier. Dans ce cas précis, on avait mésestimé ces deux facteurs.

Henri LOIZEAU

Comment analysez-vous la constitution de ces trois groupes ? Pourquoi existe-t-il de telles différences et pourquoi le législateur français a-t-il pris ce retard ?

Robert VERRUE

Les attitudes des différents groupes reflètent assez bien leurs situations sur le plan postal. Certains pays n'ont que peu de mérite à avoir réussi la transposition puisqu'ils étaient déjà dans une logique de libéralisation totale.

Dans le deuxième groupe, certains pays ont fait le choix d'adapter leur opérateur le plus rapidement possible à un cadre réglementaire clair et à une libéralisation rapide. Ceci ne veut pas dire que ces pays ont démantelé le secteur universel : les préoccupations régionales en Allemagne sont au moins aussi vives qu'en France puisqu'il s'agit d'un État fédéral. Mais les allemands et les britanniques ont choisi d'exposer leur opérateur plus tôt à la concurrence en pensant qu'il ne servait à rien de temporiser. En effet, la demande de services concurrentiels ne cesse de croître et de nouvelles alliances se mettent en place. Ces pays ont donc souhaité clarifier aussi vite que possible la situation de leur opérateur historique.

Les pays du troisième groupe se trouvent par contre confrontés à deux contraintes : la difficulté à introduire les dimensions d'aménagement du territoire dans la définition du service universel et le manque de temps des assemblées parlementaires pour assurer cette transposition. C'est le cas en France notamment où un travail législatif très important est en cours.

Gérard LARCHER

C'est exact : le calendrier parlementaire est très chargé. Mais nous avons aussi trop tendance à penser qu'en gagnant du temps, nous parviendrons à nous défendre des réalités inéluctables. Cette théorie de l'attente ne conduit cependant pas au dynamisme nécessaire pour engager les profondes modifications auxquelles nous devons faire face. Je souhaite que la France rejoigne bientôt les pays du deuxième groupe et se montre plus offensive.

Robert VERRUE

La directive européenne prévoyait notamment pour décembre 1998 un rendez-vous pour réexaminer la situation. La Commission devait à cette occasion remettre un dossier sur l'évolution de la transposition et du secteur postal dans son ensemble. La Commission ayant démissionné, aucune proposition n'a pu être adressée malgré la tenue d'un débat d'orientation en janvier 1999. Ce dossier sera donc une des priorités de la nouvelle commission de Monsieur Romano Prodi.

Les perspectives d'avenir

Le débat d'orientation de janvier a été précédé en novembre 1998, à l'initiative de la Commission d'un tour de table au sein du conseil des ministres des télécoms. À l'occasion de leur débat de janvier 1998, les commissaires ont pris acte de la lenteur du processus de transposition, insisté sur la nécessaire fixation d'un délai précis pour une libéralisation partielle (avant 2003-2004), souligné la nécessité de réduire à terme le domaine du service réservé et demandé la fixation d'une date pour la libéralisation totale (avant 2010). Le passage à la libéralisation totale ne signifiera pas la disparition du secteur universel : on pourrait même imaginer comme dans les télécommunications, une définition variable et évolutive de ce secteur.

Dans le domaine des télécoms, en effet, une révision du cadre réglementaire européen a été entreprise qui prévoira sans doute l'accès du grand public à des services de type Internet, ce qui ne faisait pas partie de la définition du secteur universel pour la période 1994-1998. Les dispositions communautaires ne contribueront pas à réduire le service universel mais bien à le développer.

Je ne sais pas si la nouvelle Commission reprendra cette approche ou si elle voudra aller plus vite. Une chose est en tous cas certaine : à l'inverse du discours qui prévalait voici trois ou quatre ans, il paraît aujourd'hui nécessaire de faire évoluer les services postaux aussi vite que les services télécoms. En effet, les données ont changé et la pression technologique et concurrentielle est à présent aussi réelle dans les deux secteurs. Cette situation est probablement liée aux choix et aux ambitions de certains pays qui ont clairement joué la carte de la libéralisation de leur secteur postal.

On voit ainsi apparaître des stratégies très différentes qui risquent d'ailleurs d'être dangereuses pour l'ensemble des acteurs. Certains opérateurs ont ainsi choisi de se positionner parmi les cinq plus grands opérateurs de services postaux intégrés au niveau mondial. Ils seront sans doute responsables de près de 80 % des échanges postaux libéralisés au niveau européen. Dès lors, il faut réfléchir comment La Poste pourra faire face à ces concurrents tout en maintenant son rôle central dans l'aménagement du territoire. Faudra-t-il envisager des alliances stratégiques comme aux Pays-Bas, en Allemagne ou ailleurs ?

Henri LOIZEAU

Vous nous avez parlé d'une période transitoire dont l'échéance n'est pas encore clairement déterminée. Cela ne risque-t-il pas de créer une véritable jungle concurrentielle entre les différentes postes publiques puisqu'il n'existe aucun cadre européen défini ?

Robert VERRUE

C'est un risque évident. Au niveau européen, la transposition n'a pas été achevée, ce qui signifie que les opérateurs français, italiens ou belges ne savent pas comment ils vont devoir se restructurer. Cela risque d'avoir des conséquences stratégiques et financières assez lourdes. D'autre part, nous n'avons toujours pas fixé d'échéance pour l'étape suivante. Cette lacune perdurera sans doute jusqu'à la fin de cette année, le temps pour la nouvelle Commission de faire le point sur la question.

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