II - EN TANT QUE MACHINE DE SERVICE POUR DE NOMBREUX LABORATOIRES RÉPARTIS SUR TOUT LE TERRITOIRE, UN TRÈS GRAND INSTRUMENT D'UNE NATURE PARTICULIÈRE

Les synchrotrons ont connu en quelques dizaines d'années une évolution considérable de leur place dans la recherche scientifique. Cette évolution, observée dans tous les pays, en fait des grands instruments de service à la communauté scientifique dans son ensemble et donc des très grands équipements " pas comme les autres " .

On peut schématiser cette évolution en trois phases pour la commodité de l'exposé.

Conçus et gérés par des physiciens des particules et des spécialistes des accélérateurs, les synchrotrons ont d'abord fonctionné en vase clos, pendant toute la première phase qui a correspondu à la mise au point de la première génération d'anneaux de stockage.

Mais les synchrotrons ont bientôt, dans une deuxième phase, constitué une base de travail pour des physiciens, des chimistes et des biologistes qui ont développé, sur place et en liaison avec les spécialistes des machines, des méthodes expérimentales pour tirer parti des qualités exceptionnelles des rayonnements électromagnétiques produits par les synchrotrons de première puis de deuxième génération.

La troisième phase correspond à l'ouverture très rapide des lignes de lumière - une fois celles-ci mises au point - à des chercheurs appartenant à des laboratoires extérieurs, ce qui a fait en définitive des synchrotrons des machines de service desservant une communauté très large d'utilisateurs, au plan régional, national et international.

Par nature, un synchrotron est donc un grand instrument particulier, partagé par des utilisateurs de toute discipline et non pas fermé sur une communauté de spécialistes, accessible à tous grâce à une assistance technique et non pas inaccessible de par sa complexité, et, enfin, jouant un rôle formateur pour des chercheurs même au niveau de mémoires de recherche de maîtrise ou de DEA et non pas réservé à des thésards, à des post-docs et à des chercheurs chevronnés

Mais, en France, des contraintes de technique budgétaire mal maîtrisées ont fait ranger les synchrotrons dans la catégorie des très grands équipements. Ceci a été d'autant plus inévitable qu'aucun découplage n'a été opéré à quelque niveau que ce soit, ministère de la recherche, grands organismes et laboratoires, entre les équipements de base - injecteur, anneau de stockage - et les équipements optionnels - dispositifs d'insertion et instrumentation des lignes de lumière -, ce qui aurait dû être fait compte tenu des finalités très différentes de ceux-ci.

Pour autant, les synchrotrons méritent bien d'être considérés comme des grands instruments " pas comme les autres " .

1. Une communauté indissociable d'instruments, de compétences pluridisciplinaires et de formations par la recherche

1. 1. Des compétences multiples de physiciens et de concepteurs au service de la machine et de ses utilisateurs

En raison de leur complexité, les synchrotrons nécessitent que des équipes d'ingénieurs, de techniciens et de physiciens assurent leur fonctionnement par une présence quotidienne. Toutefois, il s'agit dans tous les cas d'une exploitation non pas routinière mais dynamique, car tous les synchrotrons ont des marges de progression importantes, notamment au niveau des dispositifs d'insertion et de l'instrumentation des lignes de lumière.

A titre indicatif, le laboratoire HASYLAB de Hambourg alloue 17 % de ses crédits annuels de fonctionnement au perfectionnement permanent de ses installations.

Le LURE quant à lui est l'auteur d'un nombre important de grandes premières technologiques et méthodologiques qui ont ouvert de nouveaux champs d'application au rayonnement synchrotron.

Dans le domaine de la cristallographie biologique, le LURE a mis en service d'une part la première chambre à rotation pour l'enregistrement des diagrammes de diffraction en 1976, et, d'autre part, des détecteurs de type chambre à fils construits avec M. Georges CHARPAK au CERN en 1984. En outre, grande première mondiale, la première structure d'une protéine inconnue a été résolue au LURE en 1985 par la méthode de diffusion anormale multilongueurs d'onde (MAD).

Le LURE a également été pionnier pour la mise au point des onduleurs dont l'importance est capitale pour les synchrotrons de 3 ème génération et pour la démonstration des lasers à électrons libres.

Dans le domaine des techniques expérimentales d'application, un synchrotron comme le LURE a été également à la base de nouveaux développements, comme pour la microscopie infrarouge, les UV à polarisation ajustable ou les microsondes X par fluorescence.

On ne peut donc considérer un synchrotron comme un outil figé, condamné à l'obsolescence dès la fin de sa construction. Au contraire, il s'agit d'une machine qui connaît une évolution permanente pour améliorer ses performances, développer de nouvelles techniques d'imagerie et perfectionner les services rendus aux utilisateurs.

Au reste, un autre trait important des synchrotrons est l'assistance très rapprochée donnée aux utilisateurs, permanents ou visiteurs, par les concepteurs et les gestionnaires de la machine.

La complexité du synchrotron en est la cause première. Mais il s'agit aussi d'une question de philosophie de la recherche conduite autour des synchrotrons, dont les responsables mettent la pluridisciplinarité au premier rang de leurs préoccupations.

De fait, l'histoire du rayonnement synchrotron est par essence pluridisciplinaire.

C'est évidemment une partie très importante du travail des physiciens que de concevoir des instruments pour les mettre au service des autres disciplines scientifiques. Il se trouve que sur un site de synchrotron, l'interaction est permanente et productive grâce au nombre et à l'importance des contacts entre les spécialistes de la machine et ses utilisateurs.

1.2. Un rôle dans la formation à la recherche

Le rôle des synchrotrons dans la formation des jeunes chercheurs fait également partie intégrante de leur mode de fonctionnement, quel que soit le pays considéré.

Ainsi, le LURE assume un rôle important dans la formation universitaire. Il est le siège de 2 DEA et le laboratoire d'accueil de 6 écoles doctorales. Le LURE accueille en outre chaque année, une quarantaine de stagiaires de niveau licence, maîtrise ou DEA.

En outre, chaque année, le LURE reçoit les 60 doctorants de la formation doctorale européenne HERCULES. Une quarantaine de chercheurs préparent leur thèse de doctorat au LURE. En 1999, 386 doctorants ont utilisé les faisceaux du LURE en tant que chercheurs visiteurs.

Aux Etats-Unis, selon le rapport Birgeneau, 100 doctorats (Ph.D.) par an ont eu pour base des recherches conduites sur les synchrotrons SSRL de Stanford University (Stanford, Californie) et NSLS du Brookhaven National Laboratory (Upton, New York). Le même rapport indique qu'avec le démarrage de la recherche sur l'ALS du Lawrence Berkeley National Laboratory (Berkeley, Californie) en 1993 et sur l'APS de l'Argonne National Laboratory (Argonne, Illinois) en 1996, ce nombre de thèses est appelé à s'accroître considérablement.

De même, les étudiants présents au Deutsche Elektronen-Synchrotron (DESY) de Hambourg qui possède les synchrotrons DORIS III et PETRA II, sont au nombre de 1130 personnes, en maîtrise, en doctorat ou en contrat de " post-doc " .

2. Créant un effet de communauté et une fertilisation croisée , un grand instrument pas comme les autres

L'une des caractéristiques essentielles des synchrotrons est qu'ils desservent un nombre très important de laboratoires extérieurs au site de la machine. De fait, un synchrotron irrigue l'ensemble d'un territoire, d'une région, voire d'un continent.

Ainsi, les statistiques du LURE pour 1999 montrent que les laboratoires du site n'ont reçu que 22 % des projets acceptés, les 78 % restant ayant été utilisés par les autres laboratoires d'Ile de France (36 %), de province (21 %), et de pays étrangers (21 %), ainsi que l'illustre la figure suivante.

Figure 5 : Répartition de l'utilisation des synchrotrons DCI et Super-ACO entre les laboratoires " maison " du LURE et les laboratoires extérieurs en 1999

Le nombre d'expériences effectuées au LURE s'élève à plus de 600 par an et le nombre d'utilisateurs à plus de 2000. Quant à l'ESRF, il a reçu 2640 utilisateurs sur la période juillet 1997-juillet 1998.

On retrouve les mêmes ordres de grandeur au Hasylab de Hambourg, avec plus de 2100 utilisateurs par an. En Suède, les installations du MaxLab sont utilisées annuellement par environ 500 personnes.

La notion de service rendu par les synchrotrons est évidemment aussi présente aux Etats-Unis, avec, par exemple, un ensemble de 4500 utilisateurs sur les 4 synchrotrons du DOE et une influence régionale de chaque machine.

Il n'est donc pas abusif de dire que, d'une manière générale, les synchrotrons sont des " super laboratoires " de service aux autres laboratoires. Les chercheurs visiteurs se relaient sur les lignes de lumière afin de procéder aux expérimentations prévues dans les projets de recherche acceptés par les comités de programme.

Il faut d'autre part remarquer qu'un nouveau marché se développe pour les synchrotrons, celui des accès payants et sous délai réduit que les grandes entreprises souhaitent obtenir en cas d'urgence ou pour assurer une confidentialité totale à leurs travaux. L'ESRF devrait ainsi vendre en 2000 environ 4500 heures de temps de faisceau, pour des recettes de l'ordre de 10 millions de francs.

A cet égard, l'automatisation des manipulations préalables à la réalisation des clichés ainsi que la récupération des données par voie informatique sont en projet à l'ESRF, de façon à réduire, si nécessaire, les temps de présence des utilisateurs voire même de leur permettre d'envoyer leurs échantillons et de récupérer les données à distance. Les voies du libre-service sinon du service à distance figurent ainsi dans les évolutions envisagées pour certaines expérimentations, confirmant bien la vocation des synchrotrons d'être au service de toute une communauté de chercheurs.

" Super laboratoire " pluridisciplinaire de service aux autres laboratoires, un synchrotron n'est donc pas un très grand instrument comme les autres qui sont le plus souvent au service d'une seule discipline.

Le LURE qui a la responsabilité des machines Linac, DCI, Super-ACO et CLIO, possède ainsi 7 sections et groupes scientifiques : atomes et molécules, biologie, chimie de la matière condensée, diffusion-diffraction, optique et faisceaux d'électrons, physique du solide et surfaces.

La pluridisciplinarité des équipes du LURE existe depuis les origines. Une même situation s'observe dans les autres centres de rayonnement synchrotron.

3. Un bilan substantiel en termes de découvertes et d'inventions

Le bilan scientifique des grands instruments est à l'heure actuelle un thème de discussions d'autant plus vives qu'elles sont reprises dans les médias.

S'agissant des synchrotrons, il est aisé de démontrer leur intervention dans un grand nombre de découvertes, puisque la citation de l'instrument ou celle des équipes du synchrotron qui ont collaboré à celles-ci, est systématiquement faite.

On trouvera ci-après un bilan des publications d'un centre de rayonnement synchrotron comme le LURE sur 5 ans.

Tableau 2 : Publications du LURE sur la période 1995-1999

1995-1999

nombre

Alert papers dans Structure

458

dont :

- Articles dans Science

3

- Articles dans Nature

7

- Articles dans Physical Review Letters

44

- Articles dans Cell

3

Au plan qualitatif, on peut citer, parmi les grandes premières mondiales réalisées grâce aux synchrotrons l'élucidation de la structure complète d'un virus, la structure du nucléosome, l'étude de l'hydrogène et de la glace à des pressions très élevées (1 à 2 Mbars) et l'imagerie en lumière cohérente. On peut aussi signaler les études temporelles à l'échelle de 100 picosecondes (10 -12 s) dont celle de l'action du CO sur la myoglobine.

En outre, le rayonnement synchrotron a joué un rôle essentiel dans la mise au point des antiprotéases du VIH, dans celle de médicaments contre le glaucome, l'hypertension, la grippe ou le cancer.

Les synchrotrons, en tant que fournisseurs de nouvelles techniques d'analyse, ont bien ouvert de nouveaux champs de connaissance, de découverte et d'invention. Leur apport d'information en chimie, en physique, en science des matériaux, en sciences de la vie, en géo-sciences et en science de l'environnement, continuera d'être capital dans l'avenir.

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