COMMERCE ET ARTISANAT

Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi (n° 381, 1995-1996), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat.
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai été très intéressé, voire passionné, par la discussion générale de la nuit dernière. Je salue le travail réalisé, d'abord par MM. les rapporteurs, ensuite par les différents sénateurs qui se sont exprimés.
Je note globalement une très grande adhésion, à l'exception de M. Mélenchon, aux grands principes retenus dans ce texte, en particulier quant à la recherche d'un véritable équilibre entre les différents acteurs économiques.
Je tiens à saluer le travail qui a été accompli, notamment pour instaurer des relations plus équilibrées entre les différentes formes de commerce, les différents acteurs des collectivités territoriales, les aménageurs du territoire, mais aussi entre les différents partenaires du commerce et les consommateurs, ce qui est très important.
Je relève qu'il y a un consensus - sur ce point, je peux même associer M. Mélenchon - pour reconnaître le caractère social du débat qui est aujourd'hui le nôtre. Au fond, il s'agit d'un choix de société pour répondre aux orientations retenues par le Président de la République et le Premier ministre.
Plusieurs d'entre vous l'ont dit, il s'agit, grâce à ce dispositif, de faire en sorte que notre tissu économique soit plus convivial, respecte la dimension humaine des entreprises et fasse du commerce un élément de respiration de nos territoires, aussi bien urbains que ruraux.
Je tiens à dire combien j'ai apprécié que les consommateurs soient au coeur de vos préoccupations. C'était très clair, notamment dans les interventions de MM. Hérisson, Bony et Egu, qui n'ont pas oublié la place du consommateur dans cette recherche d'un meilleur équilibre du commerce et de la liberté de choix du chaland à laquelle nous sommes attachés.
Il va de soi que la liberté de choix impose l'intervention du législateur car, dans un certain nombre de circonstances, la liberté de choix n'existe plus. Quelle est en effet la liberté du consommateur en zone rurale quand il n'y a plus de commerce ? Quelle est sa liberté dans certaines grandes surfaces quand, dès son entrée, son parcours est anticipé, ses actes sont prévus, son circuit programmé jusqu'à la caisse où lui seront faites les dernières offres avec les derniers produits chargés de le séduire pour une dernière fois.
La liberté du consommateur est fondamentale, vous l'avez tous souligné, et je vous en remercie. Il n'est pas question d'oublier la satisfaction du consommateur et c'est pourquoi nous sommes très attentifs à la bataille des prix, certains en ont parlé en évoquant le texte relatif au droit de la concurrence.
Le Gouvernement dit oui à des prix bas, mais des prix loyalement bas dans le respect de la concurrence, et non aux ventes à perte ! Quelle est la liberté du commerçant qui achète aujourd'hui ses produits plus chers que ne les vend son propre concurrent à côté de lui, autour d'un grand parking ? Nous ne voulons pas de cette liberté-là. Oui aux prix bas, oui à la recherche d'une compétition loyale qui permet l'instauration de prix compétitifs sans détruire l'emploi par la dévaluation du travail de ceux qui ont produit les marchandises ainsi vendues.
Je voudrais maintenant saluer les intervenants qui ont placé l'emploi au coeur de leur réflexion, notamment MM. Dussaut, Moinard, Rigaudière et Egu, qui ont insisté sur l'importance de retenir, dans les critères de l'urbanisme commercial, l'emploi.
Je tiens également à saluer ceux qui ont parlé des conditions de travail dans la grande distribution, car il s'agit d'un élément très important de l'équilibre commercial que nous voulons mettre en place.
Le critère de l'emploi sera essentiel dans le choix des commissions départementales au travers du programme du Gouvernement que ce texte engage, mais également, vous l'avez noté, par la présence d'un représentant du ministère du travail au sein de la commission nationale d'équipement commercial. Je pense que c'est là un point de consensus. D'ailleurs, nombre d'intervenants ont souligné son importance.
Je veux dire, notamment à M. Mouly, qui souhaite que l'on protège la liberté des plus faibles, combien je partage son souci : c'est l'inspiration globale du texte et c'est essentiel.
Plusieurs d'entre vous sont intervenus sur les schémas territoriaux d'équipement commercial, notamment MM. Dussaut, Collard, M. Ambroise Dupont, lui, a évoqué les centres-villes. Je reviendrai sur ce point. Quant à M. Mélenchon, il s'est livré à un développement intéressant sur la place du commerce dans la structure sociale de la ville. Il ressort de ces interventions qu'il existe plusieurs organisations sociales aujourd'hui dans notre pays. Nous ne portons pas les mêmes regards suivant que nous nous situons dans un type d'organisation sociale marquée par une urbanisation maîtrisée et un tissu rural très présent, respectueuse d'une dialectique entre la ruralité et le monde urbain, ou dans de grandes concentrations urbaines où l'on voit d'autres logiques s'affirmer.
S'agissant des schémas territoriaux d'équipement commercial, plusieurs d'entre vous ont souhaité des précisions. Je vous les donne avec la plus grande clarté. Un texte de méthode et de définition vous sera présenté avant la fin de l'année 1997 afin de mettre en place le dispositif en 1998. Je crois qu'il serait imprudent, avant l'application de cette loi, d'en définir dès aujourd'hui les conditions d'application.
En effet, quand on regarde bien les territoires, on voit des différences importantes. Dans un certain nombre de départements, il apparaît clairement que l'échelon départemental est adapté à la réfection de l'urbanisme commercial. Mais, comme le disait hier M. Collard, un certain nombre d'autres cas démontrent la nécessité d'avoir une vision interdépartementale. Il faut donc vraiment introduire de la souplesse dans ce dispositif pour fixer le périmètre du schéma.
L'agglomération constituera sans doute le plus souvent le périmètre le mieux adapté au schéma. Il n'en demeure pas moins que, dans un certain nombre de cas, il faudra choisir des logiques départementales, voire interdépartementales ou régionales, suivant les circonstances, d'ailleurs la solution sera souvent plus interdépartementale que régionale.
Les dossiers que j'ai pu consulter jusqu'à présent concernent la proximité de deux départements et montrent l'intérêt de l'échelon interdépartemental. Peut-être devrons-nous passer, pour un certain nombre de régions urbaines, au niveau régional.
Je vous proposerai, mesdames et messieurs les sénateurs, de mener ensemble à la fois une politique de concertation avec les professionnels et une politique d'expérimentation.
Il serait bon de sélectionner, sur l'ensemble du territoire, une quinzaine de sites sur lesquels nous choisirions des agglomérations, des départements, des cas de coopération interdépartementale, voire des cas régionaux pour expérimenter le dispositif.
Il va de soi - vous avez été nombreux à le dire hier et M. Ostermann a particulièrement insisté sur ce point - que nous voulons des textes rigoureux qui puissent remplacer la loi de 1973, que M. Hyest ne voulait pas appeler « loi Royer ». A ce propos, je m'associe à l'hommage ainsi rendu au Parlement.
Cette loi de 1973 est révisée par notre dispositif et devra être abrogée le jour où nous disposerons des schémas territoriaux.
Le schéma devra avoir une valeur juridique. C'est très important pour que les acteurs économiques sur le terrain connaissent les règles du jeu. Il nous faut donc des règles juridiques d'instruction, d'enquête publique, opposables aux tiers.
Bien entendu, vous aurez à délibérer de ces schémas. Soit nous optons pour des schémas de type consultatif, c'est-à-dire que les commissions départementales continueront de délibérer, soit nous optons pour des schémas ayant une valeur juridique comparable à celle des plans d'occupation des sols, les POS, qui seront opposables aux tiers et applicables avec la transparence nécessaire.
Finalement, les POS ont réussi à être bien perçus par nos concitoyens et leurs procédures d'enquête et leurs dispositifs assurant la transparence sont tout à fait reconnus. Aussi est-il important de développer ces schémas.
En ce qui concerne ces schémas, nous allons procéder à des corrections et à des expérimentations. L'échéance étant fixée à la fin de l'année 1997, nous disposerons d'un contexte de décision éclairé.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez été nombreux à intervenir sur les centres-villes, sur lesquels nous pourrions beaucoup discuter. Visiblement, deux conceptions se dégagent : d'une part, celle des villes à taille humaine, pour lesquelles le centre est le coeur de la ville, le lieu de la respiration économique, administrative, politique, et le lieu où l'activité de la ville s'organise ; et, d'autre part, les formes d'urbanisation différentes, pour lesquelles le centre est éclaté, voire dispersé.
Monsieur Dupont, vous avez évoqué des orientations importantes pour une véritable reconquête des centres-villes sur le plan commercial. Ces orientations me paraissent bonnes. Puisque vous participez au groupe de travail national sur ce sujet, je dois vous dire que j'attends beaucoup des travaux de ce groupe pour répondre à la question que nous nous posons ensemble : qu'est-ce qu'un centre-ville ?
Sur ce point, je rejoindrai M. Mélenchon, puisque le centre-ville est un concept qui change, qui n'est pas forcément le concept de l'église ou de la mairie. C'est un concept d'animation économique et, au fond, problablement, de structure sociale, mais aussi de création de richesses.
Nous devons définir ces lieux d'activité, de respiration de la ville, pour lesquels nous devons prévoir des actions d'aménagement territorial. C'est pourquoi nous devons définir un dispositif permettant la reconquête des centres-villes.
Aujourd'hui, il eût été difficile d'envisager des dérogations à la maîtrise de l'urbanisme commercial si nous avions une définition claire des centres-villes. Mais tel n'est pas le cas.
Dans ces conditions, nous avons souhaité élaborer un dispositif équitable reposant sur un seuil applicable dans tous les territoires.
Mais, j'en suis d'accord, une fois que nous disposerons d'une définition précise des centres-villes, nous pourrons fixer des orientations différentes suivant les structures de la ville.
De ce point de vue, nous comptons sur la sagesse de la commission départementale d'équipement commercial pour développer une conception globale de l'urbanisme commercial. C'est un élément très important pour renforcer la ville, notamment pour y créer une dynamique territoriale efficace.
Plusieurs d'entre vous, notamment M. Bony, ont évoqué la nécessité d'envisager la moyenne surface comme une « locomotive ». Je partage leur avis. Notamment en centre-ville, nous avons besoin de grands magasins, tant populaires que spécialisés.
La distribution dite « moderne », quand elle est maîtrisée, peut incontestablement jouer le rôle de « locomotive » commerciale. Il ne s'agit donc pas de porter atteinte à ce rôle de « locomotive », il s'agit de l'intégrer dans un schéma de développement commercial.
A défaut, nous irions vers des dispositifs concurrentiels qui, à un moment ou à un autre, remplaceraient la compétitivité par l'agressivité et déboucheraient sur des processus de destruction.
Il importe de souligner que les commissions départementales d'équipement commercial auront la liberté de choisir des projets d'ouverture dans la logique de la « locomotive », aussi bien d'ailleurs dans le milieu urbain que dans le monde rural.
En ce qui concerne le monde rural, j'ai bien noté les propositions de M. Rigaudière. Pour une politique volontariste fondée sur un certain nombre de dispositifs importants.
Vous savez notamment que, dans cette optique, mon prédécesseur, M. Madelin, avait lancé l'opération « 1 000 villages » qui a donné des résultats très intéressants. Nous en sommes maintenant à près de 1 000 interventions en milieu rural et nous notons une grande pérennité des activités ainsi soutenues, notamment le multiservice.
Le multiservice existait avant le dispositif d'Alain Madelin, mais la direction du commerce intérieur dispose aujourd'hui de moyens pour observer sur une longue durée ce qu'il donne. Nous savons ainsi que les taux de pérennité de plus de cinq ans dépassent les 80 p. 100, ce qui signifie qu'il s'agit d'une action importante.
Dans le même ordre d'idée, je rejoins tout à fait ce que disait M. Ostermann à propos des ORAC, les opérations de restructuration de l'artisanat et du commerce, qui constituent des formes d'intervention très importantes.
C'était un de mes sujets d'interrogation quand j'ai été nommé au Gouvernement : ma connaissance du terrain me faisait reconnaître que ces dispositions étaient parmi les plus efficaces, or elles n'apparaissaient pas dans la politique nationale comme des éléments très stratégiques.
Au fond, ces opérations ont des résultats très significatifs. Elles permettent à un territoire non seulement d'avoir une vision globale de sa politique commerciale, mais aussi de bénéficier d'un effet de levier : par exemple, quand l'Etat met un million de francs, cela peut entraîner de sept à dix millions de francs d'intervention. Des sociétés privées, qui sont ainsi motivées et placées dans une spirale de succès, investissent pour soutenir l'activité commerciale, le tout en cohérence avec l'aménagement du territoire, ce qui nous semble un élément très important à retenir.
Quelques-uns d'entre vous ont souhaité un effort en faveur de l'installation des jeunes. J'ai noté la proposition de la Haute Assemblée tendant à réfléchir à l'instauration d'une charte nationale d'installation des jeunes commerçants et artisans, suivant l'exemple fourni pour l'agriculture par mon collègue M. Philippe Vasseur.
Cette idée retient toute mon attention, car je la trouve constructive. Je vous présenterai donc prochainement un certain nombre de propositions en la matière.
Vous avez été également plusieurs à intervenir sur les problèmes financiers. Cet urbanisme commercial, quelque fois désorganisé, trouve en effet son origine dans une situation financière ou plus exactement fiscale.
Quand on ajoute, d'une part, le prix du terrain et le coût du parking et, d'autre part, le coût de la taxe professionnelle, on mesure bien qu'un certain nombre de problèmes se posent.
Bien souvent, des élus cherchent naturellement, légitimement, à améliorer « la respiration » de leur commune, à favoriser les créations d'emplois. Pour cela, ils disposent d'une ressource fiscale importante, la taxe professionnelle.
Mais une telle pratique a conduit à un certain nombre d'abus à la périphérie des villes, les collectivités territoriales ont soutenu l'installation des commerces, sans avoir une vision d'agglomération globale, pour favoriser la création d'emplois - on n'a pas vraiment d'informations statistiques réelles sur les emplois créés ou détruits - et pour bénéficier d'une taxe professionnelle sonnante et trébuchante.
Voilà pourquoi j'estime que l'idée défendue par M. André Egu est très importante : seule la péréquation permettra de remédier aux insuffisances des dispositifs passés.
A cet effet, nous devons travailler - cette disposition figure d'ailleurs dans les propositions de M. le Premier ministre - au dispositif de péréquation de la taxe professionnelle afin d'assurer une meilleure cohérence au sein d'un bassin d'emplois et d'éviter les faiblesses des dispositions actuelles qui, en retenant un seuil de 1 000 mètres carrés, permettent l'installation de supermarchés de 990 mètres carrés, la délivrance du permis de construire étant motivée par la perception d'une taxe professionnelle.
Pour répondre aux interventions de MM. Collard, Rigaudière, Dupont et Bony, je dirai quelques mots de l'hôtellerie.
Personnellement, je n'avais pas souhaité que le débat sur l'hôtellerie soit intégré à celui sur l'urbanisme commercial car ces deux sujets me paraissent de nature assez différente. En matière d'urbanisme commercial, une concurrence réelle s'exerce entre des produits voisins, entre ce qui est présenté par un artisan ou un commerçant et ce qui est présenté par une grande surface. Il est possible de discuter la qualité et le prix offerts mais, globalement, les produits sont voisins. En revanche, pour l'hôtellerie, des chaînes bon marché situées à la périphérie des villes et l'hôtellerie traditionnelle de centre-ville répondent souvent à des besoins différents des consommateurs, qu'il s'agisse du travail, des loisirs, du tourisme.
Je comprends donc bien la nécessité d'organiser une politique de l'hôtellerie dans notre pays, mais celle-ci doit relever, selon moi, d'un schéma global en matière de tourisme. A cet égard, M. Pons vous fera prochainement des propositions concernant l'ensemble des dispositifs d'aide au développement de l'hôtellerie, notamment en milieu rural et dans les villes moyennes.
Cela étant dit, nous devons avoir dans ce domaine une vision spécifique, liée à la promotion de l'activité touristique et la réflexion que cela nécessite dépasse un peu, me semble-t-il, le cadre de ce projet de loi.
C'est la raison pour laquelle vous me sentirez sans doute réservé sur ce sujet, non pas que je ne sois pas sensible, comme vous tous, à l'hôtellerie, mais la matière me paraît quelque peu différente.
Quand j'entendais hier le sénateur du Puy-de-Dôme, M. Bony, je comprenais combien seul le tourisme pouvait répondre à des problèmes d'hôtellerie, qu'ils soient liés à l'installation d'un nouveau projet ou à l'utilisation de l'hôtellerie thermale. Or cela ne peut relever que d'une seule logique d'urbanisme commercial, même s'il s'agit d'un élément très important dont je comprends la nécessité. Je pense simplement, pour ma part, que ce sujet devrait pouvoir être traité de manière différente.
Je ne fais d'ailleurs pas la même analyse concernant le multiplex en matière de cinéma qui pose, à mon avis, un problème très difficile, notamment pour un certain nombre de villes moyennes. Nous touchons là au coeur du problème dont nous parlions hier, à savoir cette agora nouvelle que constitue le parking autour duquel de multiples activités seraient créées et qui, tant sur le plan culturel que sur le plan social, me paraît tout de même quelque peu insuffisant.
Le développement des multiplexes à la périphérie des villes moyennes, notamment des villes universitaires, risque de priver le centre-ville de sa jeunesse. La logique conduira, en effet, à installer près des campus, à la périphérie des villes, un dispositif culturel, auquel on ajoutera un dispositif de loisir.
En revanche, il existe un certain nombre de projets de multiplex très mobilisateurs ; j'en citerai deux qui sont implantés dans la région Poitou-Charentes.
Ainsi, à Angoulême, a été installé un multiplex en centre-ville, il y apporte cette dynamique qui fait que les jeunes participent à la vie locale. Il y a ainsi toute une activité qui vit grâce à la participation des jeunes.
A La Rochelle - je le dis en présence de M. Belot - il y a en quelque sorte plusieurs centres-villes, notamment un centre de ville nouvelle où le cinéma a constitué l'élément structurant de la politique d'urbanisme.
Je ne sais quelles sont les motivations des décideurs en cette matière ; ce que je sais, c'est que le cinéma multiplex doit naturellement être intégré à la réflexion générale sur l'urbanisme. C'est pourquoi je suis très attentif aux propositions qu'a faites le Sénat sur ce point et qui me paraissent tout à fait importantes.
D'autres questions se posent en matière de commerce, et, avant de passer à l'artisanat, je ferai quelques commentaires à leur sujet.
Monsieur Rigaudière, nous allons proposer des mesures visant à faire évoluer le FISAC - fonds d'intervention pour la sauvegarde, la transmission et la restructuration des activités commerciales et artisanales - vers une plus grande déconcentration.
Monsieur Leyzour, j'ai noté avec intérêt les réserves que vous avez émises en ce qui concerne l'action de la grande distribution sur la baisse des prix. Sur ce point très important, je suis en désaccord fondamental, mais cordial, avec M. Mélenchon.
J'ai en effet été surpris, monsieur le sénateur, de votre soutien au maxidiscompte. Ce me semble être une maxi-erreur que de soutenir le maxidiscompte, qui est, sur le plan commercial, extrêmement destructurant. Ce dispositif me paraît plus inquiétant que celui qui est organisé avec les grands de la distribution, parmi lesquels certains font des efforts de qualité et d'animation. En revanche, le hard discount, comme il s'appelle, hélas ! en anglais...
M. Pierre Hérisson, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Il faut dire le maxidiscompte.
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. Vous avez raison, monsieur le rapporteur, mais le terme « maxidiscompte » employé comme traduction ne me paraît pas tout à fait adapté. En effet, le hard discount est souvent le fait des structures de petite dimension, alors que le mot « maxidiscompte » donne une impression de grande structure. Ce qui me préoccupe, ce sont les petites structures de 300 mètres carrés, 350 mètres carrés, 400 mètres carrés, voire 450 mètres carrés, qui sont liées à des réseaux internationaux et ne jouent ni la carte de l'emploi ni celle de la qualité. Sur le plan économique, ces structures provoquent un certain nombre de déséquilibres graves. Si bien que, sur ce point, exceptionnellement, je serais plutôt dans le camp de M. Leyzour que dans celui de M. Mélenchon. (Sourires.)
Reste une proposition de MM. les rapporteurs concernant la commission départementale d'équipement commercial.
Monsieur Hyest, j'ai apprécié la qualité de votre intervention, mais je tiens à vous dire que je ne partage pas votre avis s'agissant du nombre de membres de la commission. En effet, avec les commissions actuellement en place, qui sont composées de sept membres, entre 800 000 et 1 million de mètres carrés de grandes surfaces ont été créées par an, voire 1,2 million de mètres carrés en 1994.
Nous avons essayé de maîtriser cette évolution par un certain nombre d'interventions, par des recours, mais 800 000 mètres carrés ont tout de même été créés en 1995. Le dispositif ne peut donc nous satisfaire.
Je pense qu'il faut modifier la composition de la commission. Pour cela, on pouvait augmenter le nombre de ses membres. C'est un choix que nous n'avons pas voulu faire. On a vu dans le passé combien pouvaient être néfastes les luttes d'influence. Or plus on multiplie le nombre d'intervenants, plus on multiplie les sources d'influence.
Puisqu'il fallait revenir à un équilibre entre les élus et les socioprofessionnels, nous avons préféré retenir le chiffre de trois représentants pour chaque catégorie plutôt que quatre ou cinq.
Certains proposaient de faire entrer les forces sociales et syndicales dans le dispositif. Nous avons opté pour la simplicité : à savoir trois élus et trois représentants du monde socioprofessionnel, avec une logique de majorité à quatre-deux.
Ce dispositif a quelque rigueur, certes, mais il impose, ce qui correspond à l'esprit même du texte, un consensus territorial. Oui, nous sommes favorables à l'ouverture de grandes surfaces quand apparaît un consensus territorial. Le collège des élus doit alors pouvoir trouver un allié parmi l'un des partenaires socioprofessionnels. Il peut s'agir du consommateur, du commerçant ou de l'artisan.
Monsieur le rapporteur, je vous dirai respecteusement et amicalement que je suis, moi aussi, un ardent défenseur de l'agriculture. Je serais bien ingrat si je n'écoutais pas le message de l'agriculture.
Mais je ne pense pas que l'agriculture ait sa place dans la commission départementale. Force économique, l'agriculture doit avoir avec la distribution son propre rapport de force. La loi de la concurrence est faite pour elle. Que devient le rapport naturel des forces quand on est conduit, sur le terrain, à autoriser une ouverture ici, à en interdire une autre là ? Dans le monde économique, cela peut avoir des conséquences. Ainsi, j'ai vu qu'un recours avait été formé par un artisan qui s'était vu mettre en difficulté par une grande surface parce qu'il avait voté contre elle dans une commission départementale. Il faut éviter que certains ne soient juges et parties dans ces commissions.
Ainsi, l'agriculture doit garder toute sa liberté dans ses relations avec le commerce. Elle ne doit pas entrer dans le jeu de l'urbanisme commercial car elle est fournisseur du commerce. Nous avons beaucoup à faire pour valoriser l'agriculture dans toutes les formes de distribution, et le mieux est de la mettre à l'écart des discussions qui concernent l'urbanisme car sa logique est économique.
C'est le seul point, monsieur le rapporteur, sur lequel notre appréciation diverge, mais je connais la sagesse du Sénat et j'attends avec impatience le déroulement du débat qui nous permettra de trouver un terrain d'entente.
En ce qui concerne l'artisanat, vous avez été nombreux à souligner combien il était utile de jouer la carte de la pérennité de l'entreprise artisanale.
M. Bernard Plasait, qui a parlé avec la voix du praticien sur ces sujets, nous a montré le chemin en formulant le souhait que la qualification de l'entrepreneur soit en fait la qualification du projet et serve avec force la pérennité de l'entreprise. C'est là, je pense, un élément très important qu'il nous faut renforcer.
Vous m'avez interrogé à plusieurs reprises sur les prêts bonifiés à l'artisanat. C'est en effet un point très important.
Nous avons dégagé une enveloppe de prêts bonifiés qui s'élève à un peu plus de 1 milliard de francs. Nous l'avons mise à la disposition des réseaux bancaires à la suite d'un appel d'offres et d'adjudications. Je souhaite que ces crédits puissent être distribués aux artisans dans les conditions que nous avons définies, c'est-à-dire à 3,5 p. 100, et pour répondre à deux priorités, à savoir l'installation et la mise aux normes d'hygiène et de sécurité. Nous devons, par une action significative, manifester notre soutien aux artisans qui ont des contraintes lourdes.
C'est pourquoi je n'approuve pas une certaine attitude visant à vouloir mêler ces prêts bonifiés à d'autres formes d'intervention. Nous avons, vous avez, mesdames, messieurs les parlementaires, décidé au mois de juillet dernier qu'une enveloppe de CODEVI de plus de 3 milliards de francs serait mise à la disposition des PME et des artisans.
Le taux de ces prêts est naturellement à peu près le double de celui du prêt bonifié. Je ne souhaite donc pas qu'on puisse mêler ces deux enveloppes pour atteindre un taux moyen de 5 p. 100 ou 6 p. 100. En effet, un taux à ce niveau ne constitue pas une aide pour l'artisan confronté à un investissement contraignant.
Je suis donc à la disposition des sénateurs qui constateraient dans leur département des applications défectueuses du dispositif. Nous examinerons avec les partenaires bancaires et les chambres de métiers comment améliorer les choses.
Au mois de septembre, avant la discussion du projet de loi de finances, je ferai le bilan de la première application du dispositif avec les professionnels. Ensemble, nous en tirerons les conséquences.
Ce dispositif obéit à une logique qui nous semble très importante à respecter même si nombreux sont ceux qui, sur le terrain, ont du mal à l'accepter. C'est pourtant un élément essentiel, notamment sous l'angle de la pluriactivité.
L'un des problèmes que nous rencontrons dans le cadre de la pluriactivité repose sur le fait que les agriculteurs, les commerçants et les artisans ne bénéficient pas des mêmes conditions financières. Cela provoque des déséquilibres. Nous proposons donc une voie pour rapprocher les statuts des uns et des autres et pour permettre le développement d'activités plus ouvertes au sein des différentes professions. Je crois qu'il s'agit d'une étape importante qui mérite d'être développée.
Vous êtes intervenus à plusieurs reprises sur le statut des conjoints. Sur ce sujet, je crois qu'il nous faut aller plus loin.
M. Ostermann a développé une argumentation que je retiens. Je vais mettre en place un groupe de travail pour réfléchir sur ce problème. Des initiatives ont déjà été prises dans le cadre de la parité, mais nous devons aller plus loin. En ce qui concerne le statut des conjoints, nous avançons. Ainsi, le Parlement a adopté récemment un texte sur les congés de maternité du conjoint collaborateur dans l'artisanat pour donner à celui-ci les mêmes droits que le, ou la, chef d'entreprise. Voilà un élément important de progrès.
Toutefois, il y a encore d'autres avantages à étendre, et nous devons faire des efforts pour mieux équilibrer les différents dispositifs et favoriser leur intégration.
Plusieurs d'entre vous ont cité les chiffres de l'emploi, notamment M. Vidal. C'est vrai que la lecture des chiffres de l'emploi laisse apparaître des créations d'emplois dans le commerce s'il s'agit d'emplois salariés. Mais, si l'on considère les conjoints collaborateurs ou l'ensemble de ceux qui sont aujourd'hui dans l'activité commerciale, on constate au contraire des disparitions d'emplois.
M. Jean-Luc Mélenchon. Et les chiffres de l'INSEE ?
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. Mais les chiffres de l'INSEE portent sur l'emploi salarié ; aussi la boulangère, si elle est conjointe collaboratrice, n'y est-elle pas prise en compte. Pourtant, le jour où la boulangerie ferme, la boulangère se retrouve, avec le boulanger, sur le carreau !
Et, souvent, il y a non seulement le boulanger et la boulangère mais aussi souvent un apprenti, dont les statistiques ne tiennent pas toujours compte.
En ce qui concerne l'artisanat, monsieur Collard, vous me permettrez de ne pas prendre position sur un des sujets que vous avez abordés, car il dépasse largement le champ de mes compétences ministérielles ; je veux parler de la TVA et de son évolution. Sachez que c'est un thème sur lequel M. le ministre de l'économie et des finances travaille.
En revanche, je peux vous dire toute ma détermination en ce qui concerne la réforme du code des marchés publics. Il s'agit, par cette réforme, de faire en sorte que les marchés publics, qui représentent chaque année 700 milliards de francs, soient beaucoup plus accessibles aux petites et moyennes entreprises et à l'artisanat qu'elles ne le sont aujourd'hui.
Prenons garde, au fur et à mesure de la mise en place de la réforme, à ne pas oublier cette préoccupation de départ. Le rapport de M. Trassy-Paillogues est tout à fait clair sur ce point.
Le Gouvernement a d'ores et déjà engagé la concertation interministérielle pour vous proposer un texte rapidement. Nous voulons aller dans le sens du « mieux-disant », mais il est difficile de définir le « mieux-disant ». Beaucoup d'entre nous sont également responsables d'exécutifs territoriaux et nous savons bien que le « moins-disant » est souvent ce qu'il y a de plus protecteur pour le décideur.
Mais il nous faut essayer d'aller vers une offre plus qualifiée, peut-être par l'élimination des offres anormalement basses. C'est d'ailleurs la voie que nous ont montrée un certain nombre de pays. J'irai plus loin avec, notamment, la promotion de l'allotissement, qui est sans doute le meilleur moyen de faire en sorte que le lot de peinture aille à des peintres, que le lot de menuiserie aille à des menuisiers. C'est probablement par l'allotissement que nous pourrons le mieux faire en sorte que se développe l'intervention des petites et moyennes entreprises et de l'artisanat sur les marchés publics.
J'ai perçu l'inquiétude des professionnels qui ont manifesté récemment dans la rue, qu'il s'agisse des artisans de la confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment, la CAPEB, ou des entreprises de la fédération nationale du bâtiment, la FNB. Nous avons été attentifs à leur inquiétude.
La crise actuelle est telle que plus l'activité se resserre, plus les grandes entreprises se rabattent sur les marchés les plus modestes, qu'elles auraient délaissés auparavant. Il en résulte des tensions plus fortes sur ces marchés, et c'est pour moi un sujet de préoccupation.
J'ai été sensible à l'ouverture qu'a faite l'Assemblée nationale par rapport au texte initial du Gouvernement, ouverture que prolonge votre rapporteur, en ce qui concerne la qualification préalable dans le bâtiment. C'est un premier message d'espoir qui est ainsi adressé à ces professions en difficulté.
J'ai également noté la proposition que vous avez formulée, monsieur Collard, concernant les garagistes.
Monsieur Egu, je sais que la simplification administrative est un thème gouvernemental ancien.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. On crée même des commissions pour cela !
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. Un certain nombre d'actions dans ce sens ont effectivement été engagées.
Je sais aussi que le RDS n'est pas un exemple de simplification, dont on pourrait se vanter.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis. Pas vraiment !
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. Mais chacun a tout de même pu noter les progrès qui sont accomplis en matière de déclaration sociale unique...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis. C'est vrai !
M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat. ... et de déclaration unique d'embauche.
S'agissant de l'artisanat, je citerai la déclaration pour le contrat d'apprentissage : désormais, en la matière, un seul formulaire remplace les trois liasses précédemment prévues.
M. Moinard a évoqué la taxe de 6 p. 100 sur les garanties de prévoyance. J'ai apprécié, monsieur le sénateur, votre connaissance juridique du sujet, que vous avez traité d'une manière extrêmement précise, à tel point que je ne suis pas, pour l'heure, en mesure de vous répondre avec une précision égale. Je peux seulement vous assurer de la volonté du Gouvernement de mettre les petites entreprises à l'abri de cette disposition.
Le Premier ministre l'a affirmé et il m'a chargé de préparer un dispositif permettant aux petites et moyennes entreprises d'échapper au paiement de cette taxe, qui a pour objet de faire participer les entreprises au financement des déficits sociaux. Nous y travaillons actuellement. Le Parlement sera conduit à arbitrer ce débat lors de la discussion du projet de loi de finances.
Quoi qu'il en soit, les orientations définies par M. le Premier ministre sont suffisamment précises pour conclure à la suppression rapide de cette taxe de 6 p. 100 en ce qui concerne les petites entreprises.
En conclusion, je tiens à remercier tous ceux qui sont intervenus dans ce débat et à dire à M. le rapporteur pour avis, notamment, qu'il ne doit pas envisager l'avenir avec crainte, qu'il s'agisse d'un meilleur équilibre de notre commerce ou d'une meilleure qualification de notre artisanat.
M. Hyest a dénoncé une certaine inefficacité de la loi Royer. Plusieurs orateurs ont bien montré que, si la loi Royer, dans les dix premières années de son application, a contribué à résoudre nombre de nos difficultés, un certain nombre de problèmes se sont ensuite posés ; il nous faut les corriger.
Je crois qu'une commission adaptée, recentrée, permettra, avec une vraie majorité, d'affirmer une volonté plus grande de maîtrise de l'évolution de la distribution dans notre pays et de remédier à la saturation en hypermarchés que nous connaissons.
Le rappel des préoccupations de Le Chapelier était nécessaire, en effet, dans ce débat, où les questions de liberté sont fondamentales.
Mais j'ai la conviction profonde que ce serait vraiment une erreur d'aborder ce débat dans un esprit de retour nostalgique aux traditions. Si nous soutenons l'artisanat, c'est parce que c'est une forme d'expression professionnelle qui épanouit la personne et parce qu'il faut répondre aux menaces d'isolement que connaissent aujourd'hui beaucoup d'entrepreneurs dans ce pays. Les réseaux de solidarité, la cohésion sociale qui caractérisent ces secteurs doivent être encouragés.
Face aux problèmes de développement économique que nous devons affronter, il nous faut trouver des structures plus humaines, adaptées à l'épanouissement de l'individu, et non des structures qui imposent aux individus leur logique de grande dimension et finissent par les écraser.
C'est pourquoi ce choix de la PME ou de l'entreprise artisanale est fondamentalement, comme plusieurs d'entre vous l'ont dit hier, un choix d'avenir. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier

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Article 1er