M. le président. « Art. 13. - Pour l'exercice 1996, le produit, hors taxe sur la valeur ajoutée, de la taxe dénommée "redevance pour droits d'usage des appareils récepteurs de télévision" est réparti entre les organismes du secteur public de la communication audiovisuelle de la manière suivante :

En millions
de francs

« Institut national de l'audiovisuel

285,50
« France 2
2 588,80

« France 3

3 342,70
« Société nationale de radiodiffusion et de télévision d'outre-mer
1 054,10

« Radio France

2 117,40
« Radio France internationale
169,20

« Société européenne de programmes de télévision : la Sept-Arte
667,70
« Société de télévision du savoir, de la formation et de l'emploi : La Cinquième
518,20



« Total

10 743,60 »


Sur l'article, la parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. « Le vrai est désormais un moment du faux », disait déjà Guy Debord dans La société du spectacle. On ne saurait mieux dire pour caractériser les budgets de l'audiovisuel public que votent les parlementaires. L'exercice du collectif est habituel, mais cette année il ne s'agit pas d'un simple ajustement budgétaire de 183 millions de francs. C'est une véritable modification des conditions du financement de l'audiovisuel public qui est amorcée. Ce collectif organise à la fois le désengagement de l'Etat et l'étranglement des entreprises.
J'examinerai, d'abord, le désengagement de l'Etat.
Traditionnellement, le collectif budgétaire servait à répartir les excédents de redevance entre les sociétés de l'audiovisuel public. En 1995, la tendance amorcée depuis 1994 est confirmée et l'écart entre les prévisions et les réalisations est extrêmement faible.
Cette année, le but du collectif est non pas de reporter ces quelque 3,9 millions de francs, mais bien d'aboutir à des économies budgétaires.
C'est ainsi que non seulement l'Etat ne répartit pas le très faible excédent de redevance, mais ampute les remboursements d'exonération de 183 millions de francs.
En fait, c'est une modification en profondeur de la structure de financement de l'audiovisuel public qu'organise le projet de loi. En effet, l'Etat procède à d'importants transferts de redevance ou de crédits publics entre les sociétés publiques : France 2 perd 41,2 millions de francs, France 3 perd 195,4 millions de francs, Radio-France perd 4,7 millions de francs, au profit de RFO, de La Cinquième et d'Arte, sans que les budgets de celles-ci en soient augmentés.
Une fois de plus, c'est par des mesures budgétaires que l'on change la nature des entreprises, avec les conséquences que cela peut avoir sur leurs missions, sans qu'il y ait eu un débat au Parlement.
Ainsi, RFO devient essentiellement financée sur fonds publics ; France 2, France 3 et, dans une moindre mesure, Radio France sont condamnées à dépendre de plus en plus de la publicité.
Cette mutation est malheureusement confirmée par le projet de loi de finances pour 1997, et nous en avons dénoncé les conséquences prévisibles au moment de l'examen du budget de la communication, voilà une dizaine de jours.
Il est clair qu'en soumettant ainsi totalement la politique de programmes des chaînes à la contrainte publicitaire, c'est leur légitimité même de chaîne publique que vous risquez de remettre en cause. Est-ce, monsieur le ministre, pour mieux préparer une de ces privatisations dans lesquelles votre Gouvernement excelle en ce moment ?
Le collectif est par ailleurs contraire à toute logique économique et organise l'étranglement du secteur public en sacrifiant son développement.
Le collectif est, d'abord, irréaliste et anti-économique.
En effet, non seulement les chaînes n'ont pas obtenu, en septembre, les ajustements de budget qu'elles demandaient et que leur autorisaient leurs performances publicitaires, mais, de plus, le niveau de rentrées publicitaires au quatrième trimestre, dont on a fait dépendre leur équilibre, risque de ne pas être atteint. Elles seront alors en déficit dès l'exercice 1996. Le marché publicitaire connaît en effet un retournement de conjoncture, d'ailleurs souligné dans cet hémicycle par M. Cluzel et par M. le rapporteur général.
Cette confiscation des recettes publicitaires revient, en fait, à sanctionner et le succès et la bonne gestion.
Les recettes publicitaires ne se décrètent pas. Ainsi, France 3, qui connaît une forte progression d'audience depuis deux ans, avait pu, en 1996, à la fois dépasser ses objectifs de 380 millions de francs et baisser la durée de ses écrans publicitaires pour la plus grande satisfaction des téléspectateurs que nous sommes tous.
Cette restriction des ressources des chaînes les oblige à sacrifier leurs projets de développement et va avoir de graves répercussions sur l'industrie de programmes.
Alors que le deuxième bouquet numérique français, TPS, a été lancé avant-hier, on va très vite s'apercevoir de la pauvreté de l'offre de nouveaux programmes, si l'on excepte, bien entendu, les séries et films américains supplémentaires qui vont ainsi être déversés sur nos écrans.
Or, France Télévision est obligée de différer ses projets de chaînes thématiques, voire d'y renoncer.
La création de la chaîne « Régions » et celle de la chaîne « Histoire » sont renvoyées à un avenir meilleur.
Plus grave : Arte a déjà annulé 15 % de ses commandes de programmes et ce sont 200 millions de francs que France 2 sera obligée d'économiser sur les productions l'année prochaine.
Ainsi, ces budgets, s'ils restaient en l'état, compromettraient gravement la survie de l'industrie française de programmes.
Notre industrie de programmes est-elle si florissante qu'elle puisse envisager de voir réduire son chiffre d'affaires de montants aussi importants ?
En conclusion, le Gouvernement portera la lourde responsabilité d'avoir organisé le déclin d'un secteur public qui a pourtant prouvé son savoir-faire et su allier respect des missions de service public et succès d'audience.
Les retards pris aujourd'hui, notamment en matière de programmes, non seulement handicaperont le secteur public demain, mais appauvriront la France dans la bataille de la télévision du futur. Comme le disait M. Douste-Blazy dans cet hémicycle en décembre 1995, « La bataille de demain sera celle des contenus. Ne nous trompons pas une nouvelle fois de combat. C'est par nos images que passera notre culture ».
En fait, monsieur le ministre, même en période de restrictions budgétaires, les entreprises du secteur public doivent pouvoir mener une politique au moins à moyen terme. C'est pourquoi nous condamnons le désengagement financier de l'Etat et demandons une stabilisation des ressources publiques du secteur qu'un contrat de plan, par exemple, pourrait garantir sur cinq ans. En l'état, nous voterons contre l'article 13.
M. le président. Par amendement n° 24, Mme Pourtaud, MM. Masseret et Richard, Mme Bergé-Lavigne, MM. Charasse, Lise, Massion, Miquel, Moreigne, Régnault, Sergent et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de supprimer l'article 13.
La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Je viens d'exposer les conséquences du désengagement de l'Etat du financement de l'audiovisuel public : déficit dès 1996, étranglement des entreprises et arrêt de leur politique de développement, enfin et surtout, basculement du financement sur le « tout-publicitaire », ce qui est incompatible avec leur lignes éditoriales actuelles et risque de remettre en cause l'exécution de leur mission de service public.
Je voudrais profiter de l'occasion pour vous poser une question, monsieur le ministre. Tout à l'heure, M. Arthuis a déclaré, si j'ai bien compris le sens de son intervention, que l'objectif du Gouvernement était la privatisation des entreprises publiques du secteur concurrentiel. Pouvez-vous nous préciser si cela vaut également pour l'audiovisuel public ?
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Contrairement à ce qu'indique l'objet de cet amendement, l'article 13 vise non pas à réduire les dotations affectées au service public de l'audiovisuel, mais à répartir différemment les dotations de la redevance. Les excédents publicitaire de France 3, madame Pourtaud, vont permettre aux autres sociétés du secteur audiovisuel public de voir leurs ressources publiques augmenter.
Supprimer l'article, comme vous le proposez, aurait de graves conséquences pour l'équilibre d'exploitation de ces sociétés pour l'année 1996. Aussi, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Le Gouvernement émet, lui aussi, un avis défavorable sur l'amendement n° 24.
J'ai écouté très attentivement l'argumentation développée par Mme Pourtaud et je voudrais lui apporter quelques éléments de réponse.
L'article 13 a pour objet de modifier la répartition du produit de la redevance, qui avait été approuvée par le Parlement en loi de finances initiale, et ce pour tenir compte des excédents de recettes publicitaires qui ont été enregistrés par les sociétés du secteur public audiovisuel, soit 500 millions de francs, et plus particulièrement par France 3 - 350 millions sur ces 500 millions de francs.
Pour France 3, les excédents de recettes publicitaires constatés sont très importants puisqu'ils représentent 7 % du budget initialement approuvé par le Parlement.
Le secteur public audiovisuel représente pour les contribuables une charge de 13 milliards de francs par an si l'on ajoute ce qui est payé à travers la redevance et les crédits budgétaires complémentaires. Le Gouvernement considère donc qu'il ne serait pas raisonnable de priver le contribuable d'une réduction, même limitée, de ce coût à travers une réduction des crédits budgétaires qui sont allouées à ce secteur lorsque les recettes publicitaires se révèlent en définitive supérieures aux prévisions initiales. D'où la proposition qui est faite, dans cet article, de réduire d'environ 210 millions de francs la part de redevance attribuée à France 3.
Ces 210 millions de francs seront redistribués aux autres organismes du secteur. Ainsi, 175 millions de francs permettront de compenser les réductions de crédits budgétaires décidées par le Gouvernement et 35 millions de francs seront attribués à RFO pour compenser l'effet des décisions prises par le Gouvernement en début d'année en faveur du pluralisme de la communication audiovisuelle dans les départements d'outre-mer.
Enfin, je voudrais préciser que la suppression de cet article, si l'amendement était voté, n'entraînerait pas le rétablissement des crédits budgétaires annulés, mais empêcherait le Gouvernement de compenser cette annulation pour les sociétés qui n'ont pas enregistré d'excédents de leurs ressources propres. Donc, en réalité, la suppression de cet article se traduirait par la mise en déficit de la plupart des sociétés du secteur public audiovisuel.
M. Guy Fischer. Voilà, ce sera notre faute !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. C'est, pour le Gouvernement, une raison supplémentaire de s'opposer à cet amendement.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 24.
M. Guy Fischer. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. L'article 13, tel qu'il nous est proposé, modifie la répartition du produit de la redevance et retire, au passage, la somme de 209 millions de francs à France 3.
Curieuse conception que celle qui consiste à récompenser la chaîne publique France 3 pour ses bons résultats en amputant son budget d'une part qui pèsera très lourd, à n'en pas douter, sur la qualité de la programmation de cette chaîne !
L'amputation que vous prévoyez se répercutera, en outre, sur le travail régional réalisé par la chaîne, et cela est inacceptable du fait même des missions particulières de France 3.
Gager, dans le contexte économique qui est le nôtre, l'avenir de l'audiovisuel public sur l'accroissement des recettes publicitaires illustre l'intérêt que vous accordez à notre télévision publique.
Non seulement nous ne pouvons pas dire aujourd'hui ce que seront les recettes publicitaires de demain, mais il y a fort à parier que la multiplication de nouvelles chaînes numériques réduira un marché publicitaire déjà bien essoufflé.
La logique de financement publicitaire élargie à l'audiovisuel public est synonyme de dégradation de la programmation. La recherche du meilleur résultat d'audimat garant de profits publicitaires, est-ce cela l'avenir de l'audiovisuel public ?
La logique comptable de l'article qui nous est proposé portera atteinte au fonctionnement d'un service public qui déploie de multiples efforts pour améliorer la qualité des programmes proposés.
C'est pourquoi nous voterons contre le projet de répartition de la redevance qui nous est proposé.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je voudrais simplement demander à M. le rapporteur général de réfléchir, à l'occasion, sur la question suivante.
En ce qui concerne la redevance, lorsque nous votons l'autorisation de la percevoir, nous approuvons également sa répartition ; les deux votes sont liés. Or, quand on nous demande, en cours d'année, sans nous prononcer de nouveau sur l'autorisation de percevoir, de modifier la répartition qui était la condition de notre autorisation et que c'est non pas pour répartir des plus-values supplémentaires - ce qui serait logique - mais pour modifier, en la réduisant dans certaines cas, la répartition initiale, je ne suis pas sûr que nous ne soyons pas en présence d'un détournement de procédure. C'est pourquoi, malgré les explications de M. le ministre, je voterai l'amendement de suppression.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 24, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 13.

(L'article 13 est adopté.)

Article 13 bis