M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Heinis, pour explication de vote.
Mme Anne Heinis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de l'examen en deuxième lecture de la proposition de loi portant sur l'épargne retraite, je dirai que nous touchons à notre but, après des discussions importantes au sein de chaque assemblée.
Mettre en place un troisième étage au système de retraite apparaît bien, malgré les dénégations entendues sur certaines travées de cette assemblée, indispensable, voire inéluctable. Je rappelle que c'est grâce à la détermination de M. Thomas, député des Vosges, que cela se fera.
Si nous laissions en l'état le dispositif des retraites tel qu'il existe actuellement, nous exposerions les futurs retraités à des déboires certains, ce que nous voulons éviter. Alors, le système par répartition serait réellement en danger. Cela a été démontré avec force lors des débats.
Cependant, mes collègues et moi-même avons clairement rappelé notre attachement au régime de répartition. Il n'y a aucune ambiguïté sur ce point.
Ecartons bon nombre des arguments qui ont été opposés au texte et rappelons pêle-mêle que les fonds de pension existent dans la fonction publique depuis longtemps, que les risques de capitalisation liés au support boursier ne sont pas ceux que l'on dit.
Malgré les krachs boursiers, les placements en actions ont été les plus rémunérateurs depuis cent ans. L'AGIRC et l'ARRCO, pour faire fructifier leurs réserves, les placent en bourse.
La dimension économique de la proposition de loi, élément auquel nous devons attacher la plus grande importance, tient à l'enchaînement vertueux qu'elle pourrait installer. Plus de fonds sur le marché financier pour les entreprises, c'est une économie plus prospère et évidemment, ce qui est primordial, plus d'emplois, donc plus de cotisations aux régimes de retraite par répartition. La boucle est bouclée !
Le texte que nous allons voter a bien évolué au cours de son examen et le Sénat a beaucoup contribué à cette construction.
Je tiens à rappeler le dispositif voté sur l'initiative de la commission des affaires sociales et de son président, M. Fourcade, visant à limiter le montant des abondements patronaux exonérés. Cela devrait, fort légitimement, rassurer ceux qui craignaient pour l'avenir des régimes complémentaires. Ce sont eux d'ailleurs, ne l'oublions pas, qui ont souhaité, en décembre 1996, voir la disposition adoptée.
Les points de divergences restant en deuxième lecture entre les deux assemblées et le Gouvernement ont été surmontés en partie ou le seront à l'issue de la commission mixte paritaire.
Reconnaissons que le souci de sécurisation extrême du système recherché tout au long des travaux, notamment par M. le rapporteur, est à saluer. Cependant, prenons garde à ce qu'il ne freine pas le bon développement de l'épargne retraite, qui est attendue et qui devrait être profitable à nos concitoyens et à notre économie.
Pour toutes ces raisons, mes collègues du groupe des Républicains et Indépendants et moi-même voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'issue de la deuxième lecture de la proposition de loi dont le Sénat vient d'achever l'examen, nous tenons, nous aussi, à rappeler le profond attachement de notre groupe à la mise en place des fonds d'épargne retraite en France.
Mis en oeuvre à partir d'un engagement pris par le Président de la République devant nos compatriotes, les fonds d'épargne retraite constituent un troisième étage pour notre système de retraite. Il ne s'agit en aucun cas de substituer un système de retraite par capitalisation aux régimes de retraite par répartition obligatoire, auxquels nous réaffirmons avec force et détermination notre attachement, comme vient de le faire notre collègue M. Hamel.
Ceux qui annoncent que ce texte aurait pour conséquence de procéder à une telle substitution en France ne disent pas la vérité.
La faculté ainsi ouverte aux Français de s'occuper activement de leur retraite est, à coup sûr, un acte responsable. C'est aussi un acte de justice envers le secteur privé, puisque de telles possibilités existaient déjà dans le secteur public, ce dont nous n'avons d'ailleurs pas beaucoup parlé.
Je tiens à rendre hommage au rapporteur de notre commission des finances, M. Philippe Marini, qui, par sa connaissance aiguë de ce dossier et la qualité de son rapport, a contribué d'une manière décisive aux travaux du Sénat.
Gardons à l'esprit pour l'en féliciter, et sans vouloir nous engager dans une recherche des filiations et des droits d'auteur, que c'est bien notre collègue Philippe Marini qui, le premier, a engagé une réflexion approfondie sur les fonds de pension. Je tenais à le rappeler en cet instant.
Cette deuxième lecture nous a permis de trouver un équilibre souhaitable sur des points importants. Ainsi, pour les conditions d'adhésion aux plans d'épargne retraite, le Sénat a rappelé la nécessité de privilégier la négociation collective avant qu'un salarié ne puisse adhérer à un plan déjà existant, lorsque sa propre entreprise ne propose pas un tel plan. Le délai d'un an, sur lequel nous nous sommes entendus, nous semble procéder d'un bon équilibre.
Il en va de même pour l'accord intervenu avec le Gouvernement concernant l'interdiction faite aux fonds d'épargne retraite de servir des prestations définies en fonction du salaire de l'adhérent.
Certains points sur lesquels un accord n'a pas pu intervenir restent néanmoins en discussion. Nous formons le voeu que, à l'occasion de la commission mixte paritaire qui sera réunie sur ce texte sur l'initiative du Gouvernement, il soit possible de parvenir à un consensus avec nos collègues de l'Assemblée nationale et que souffle, sur les travaux de cette décisive CMP, l'esprit de sagesse qui est propre à notre Haute Assemblée ou, du moins, dont nous nous targuons.
Certains ont, d'ores et déjà, annoncé leur intention de remettre intégralement en cause le dispositif des fonds d'épargne retraite en cas d'alternance politique. La discussion un peu surréaliste intervenue sur le titre de cette proposition de loi a bien montré l'arrière-pensée qui sous-tend cette affirmation. Outre que cette éventuelle alternance politique est bien loin d'être d'actualité, c'est une déclaration choquante et peu réaliste. Je fais le pari que si, par malheur, les conditions d'un tel retour en arrière étaient réunies, il n'aurait pas lieu pour autant !
Comme le Gouvernement et la commission des finances, nous voulons que l'épargne soit mobilisée en faveur de la création d'entreprises et de l'emploi. Le groupe du Rassemblement pour la République votera donc ce texte, qui représente une chance indéniable pour l'avenir de nos systèmes de retraite et pour l'intérêt des salariés, lequel a été notre souci dominant pendant tout ce débat. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Je ne voudrais pas prolonger ce débat qui a été d'une très grande qualité et qui nous a permis d'aller au fond des choses sur un sujet difficile mais tout à fait essentiel dans la perspective de la modernisation de notre économie et de l'avenir de nos retraites.
Je rappellerai que ce texte a été bâti sur l'inspiration de M. Jean-Pierre Thomas et de M. Philippe Marini, dont on vient de dire quelle avait été la part, mais aussi de M. Jacques Barrot ; je pense que personne ne l'a oublié.
Tout a été dit et très bien dit par M. le rapporteur et, à l'instant, par mes collègues Anne Heinis et Yann Gaillard.
J'ajouterai simplement, sans surprendre personne, que mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même nous voterons sans état d'âme cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Au terme de cette deuxième lecture du texte relatif aux plans d'épargne retraite, nous sommes contraints de poser une question légèrement différente de l'objet initial de la proposition de loi mais bien en rapport avec le sujet : les entreprises de notre pays ont-elles besoin de fonds propres ou de débouchés ?
Poser cette question consiste en fait à revenir aux leçons de l'histoire et à la situation réelle actuelle des entreprises de notre pays.
Dans les années soixante et soixante-dix, le niveau de la croissance était sensiblement plus élevé qu'aujourd'hui et le niveau de chômage sensiblement plus faible, alors même que le niveau des fonds propres des entreprises était particulièrement faible.
Nous sommes, depuis 1993, dans une situation assez paradoxale ; année après année, la capacité d'autofinancement de nos entreprises s'est très sensiblement renforcée au point qu'elles ont pu se désendetter et constituer, pour les plus florissantes d'entre elles, de véritables trésors de guerre. Dans le même temps, les taux d'intérêt baissent, du fait, en partie, de la moindre demande de nouveaux crédits résultant de cet accroissement de l'autofinancement.
Pour autant, le niveau de chômage n'a jamais été aussi élevé dans notre pays depuis de très longues années, en tout cas depuis la Libération.
Dans le même temps, nous constatons que la consommation stagne et que cette situation pèse à la fois sur les entreprises qui instaurent des plans de restructuration et de licenciements et sur les recettes publiques, toujours plus étroitement dépendantes des actes de consommation.
Avec cette proposition de loi sur l'épargne retraite, va-t-on inverser la tendance ? Telle est la question.
Nous assistons ni plus ni moins à la mise en place d'une épargne captive, puisqu'elle sera bloquée jusqu'à l'âge de soixante ans pour chaque salarié et qu'il n'y aura aucune possibilité de déblocage anticipé, même en cas de chômage prolongé. Bref, on ajoute une couche supplémentaire, si je puis dire, à des fonds qui vont alimenter les marchés financiers sans possibilité pour les salariés, qui en auraient besoin d'anticiper sur leur retraite.
On nous propose donc, ni plus ni moins, de geler et de distraire du circuit de la consommation, du développement et de la protection sociale - on parle ainsi de 6 milliards de francs de pertes sèches sur les trois caisses de la sécurité sociale - des sommes de plus en plus importantes et donc d'accroître encore les phénomènes macroéconomiques récessifs que j'évoquais à l'instant. Ce serait une bonne raison de rejeter cette proposition de loi.
Il en est d'autres.
Je n'insisterai pas sur la mise en place des fonds de pension au regard de la négociation collective, le débat ayant montré que, en fin de compte, le dirigeant d'entreprise a la possibilité d'imposer ses choix de façon unilatérale.
Je n'insisterai pas plus sur le fait que les plans d'épargne retraite s'adressent d'abord aux salarés en activité, ce qui revient à placer « hors jeu » les très nombreux chômeurs qui existent dans notre pays.
Je n'insisterai pas davantage sur le fait qu'ils s'adressent à ceux des salariés qui ont suffisamment de capacités d'épargne pour laisser sur un fonds de pension, au moins jusqu'à l'âge de soixante ans, des sommes de plus en plus élevées.
Je dirai simplement que cette proposition de loi porte en germe, certes non pas pour aujourd'hui, mais à terme, l'affaiblissement de l'importance donnée à la retraite par répartition. Elle fait moins de place à l'esprit de solidarité et renforce dans l'idée de nos concitoyens, notamment des jeunes, le sentiment que l'avenir est une affaire individuelle et que les retraites se constituent individuellement.
Nous ne voterons donc pas ce texte, parce que nous le considérons comme socialement injuste, économiquement inutile et culturellement inadapté au comportement de nos compatriotes.
M. le président. La parole est à M. Massion.
M. Marc Massion. En fait, notre explication de vote, nous l'avons faite depuis ce matin tout au long du débat, mais, s'il me fallait trouver maintenant une formule plus ramassée, je serais tenté de dire que je suis au moins d'accord avec M. le rapporteur lorsqu'il dit que nous sommes dans deux logiques différentes qui procèdent de deux philosophies différentes.
Pour nous, l'application de cette proposition de loi aura de nombreux effets négatifs : une perte de recettes pour les régimes de retraite de base et complémentaire, ce qui constituera une menace pour leur équilibre financier ; l'institution de disparités entre salariés d'une même entreprise ou d'entreprises différentes selon les initiatives patronales quant à l'abondement des fonds de pension ; l'établissement d'une inégalité croissante entre assurés sociaux et donc d'une inégalité encore plus forte au moment de la vieillesse ; au bout du compte, l'instauration d'une retraite à plusieurs vitesses, avec un système par répartition minimum.
Au demeurant, ce n'est pas d'un gonflement de l'épargne que notre économie a besoin, c'est d'une relance de la consommation.
Sur le plan financier, la soumission partielle des plans d'épargne retraite et de leur évolution aux aléas de la conjoncture fait prendre un très grand risque aux assurés et à eux seuls.
Pour toutes ces raisons schématiquement rappelées parmi bien d'autres, le groupe socialiste votera contre cette proposition de loi.
M. Philippe Marini, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur. Je voudrais réparer un oubli. Lors de l'examen de l'article 23, j'ai en effet omis de reprendre l'amendement qu'avaient déposé nos collègues MM. Laffitte et Joly et qui était relatif aux placements en parts de fonds communs de placement pour l'innovation, les FCPI.
Ces instruments, qui ont été d'ailleurs améliorés par la loi de finances pour 1997, permettent aux particuliers, par le biais d'incitations fiscales, d'abonder les fonds propres des entreprises innovantes.
Nos collègues proposaient qu'une certaine fraction des actifs du fonds d'épargne retraite puisse être constituée de parts de FCPI.
Nous nous sommes exprimés longuement sur les ratios prudentiels, et je souhaite que soit conservée une approche cohérente de ce sujet.
Néanmoins, monsieur le ministre, je pense que cette idée, même si la rédaction proposée n'était pas tout à fait satisfaisante, est très intéressante et qu'elle mérite d'être étudiée. Peut-être conviendrait-il que, dans un futur texte portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, par exemple, la question ayant été examinée de manière plus approndie, soient prévues des dispositions allant dans le sens qui était souhaité par MM. Laffitte et Joly.
Je veux maintenant remercier tous ceux de nos collègues qui ont participé à ce débat.
J'estime que la commission des finances, dans le court laps de temps qui lui a été donné, a bien travaillé. Mais elle a été bien appuyée par tous les groupes du Sénat, quelles que soient leur position sur le fond, car nos discussions ont permis de traiter les différents aspects du sujet, de sorte que les spécialistes de ces questions et les praticiens pourront disposer, le moment venu, d'éléments précis quant à la volonté du législateur.
Je tiens également, monsieur le ministre, à vous exprimer ma gratitude pour le sens du dialogue dont vous avez su faire montre, ainsi que M. Jean Arthuis. Nous sommes parvenus, sur certains points, à dégager des solutions qui tenaient compte de nos approches respectives.
Je n'ai aucun doute quant à la poursuite de ce processus au sein de la commission mixte paritaire, puis lors de l'examen des conclusions de celle-ci dans les deux assemblées.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

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