RÉFORME DU SERVICE NATIONAL

Suite de la discussion
et adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant réforme du service national.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Dulait.
M. André Dulait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais, au cours de cette discussion générale du projet de loi portant réforme du service national, vous faire part de quelques réflexions que m'ont inspirées mes rencontres avec des jeunes de mon département venus me faire part de leur souhait plus ou moins légitime d'être dispensés de ce qui est encore, pour les classes d'âge nées avant 1979, une obligation légale.
En effet, lequel d'entre nous n'a jamais rencontré un jeune homme qui, malgré les reports d'incorporation, n'avait pu terminer ses études, ou risquait de perdre à son retour du service militaire l'emploi qu'il avait trouvé, ou, encore, allait devoir quitter l'exploitation de ses parents sur laquelle il travaillait comme aide familial, ce qui allait nuire à la bonne marche de la ferme ?
Bien sûr, les textes en vigueur sont clairs et les principaux cas de figure ont été envisagés. Toutefois, personne ne niera l'évolution très sensible des mentalités en ce qui concerne le service national.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais appeler tout particulièrement votre attention sur les commissions régionales de dispense et rendre hommage à leurs membres qui accomplissent avec sérieux un travail difficile, étant donné la situation intermédiaire dans laquelle se trouvent aujourd'hui les jeunes concernés.
Les cas de dispense sont parfaitement codifiés et les commissions ont en charge de les appliquer. Si elles savent bien entendu prendre en compte l'aspect humain des dossiers, elles éprouvent néanmoins, aujourd'hui, de sérieuses difficultés face aux jeunes concernés qui demandent, par anticipation, l'application de la future loi.
J'ajoute que, dans quelques cas particuliers, le recours du ministère face au rejet décidé par la commission régionale, dans le respect des textes, d'une demande de dispense ne peut qu'aggraver le sentiment de malaise des commissaires : ils peuvent en effet se voir désavouer alors qu'ils avaient pris une décision leur paraissant juste et équitable.
Je comprends les arguments plaidant en faveur d'une égalité de traitement des jeunes face au service national et j'y souscris, même si, dans les faits, ces principes d'égalité sont battus en brèche depuis de nombreuses années.
Je souhaiterais d'ailleurs, à ce sujet, connaître les statistiques du ministère de la défense concernant le nombre de dispenses accordées pour chaque classe d'âge au cours des trois ou quatre dernières années.
Il faut ajouter à cela les possibilités offertes à certains jeunes, en nombre limité certes, d'effectuer leur service au titre de la coopération, mais également les autorisations accordées avec facilité à ceux qui sollicitent le statut d'objecteur de conscience, ce qui écarte encore un certain nombre de jeunes du service national.
Il nous est proposé, pour tenir compte des situations particulières des jeunes disposant d'un contrat de travail, d'accorder des reports d'incorporation, tout d'abord pour les heureux bénéficiaires d'un contrat à durée indéterminée puis, plus tard, pour les jeunes ayant un contrat à durée déterminée.
Je m'interroge, comme M. le rapporteur, sur l'impact éventuel des prochaines mesures pour l'emploi des jeunes sur cette disposition qui ne pourra qu'accroître les différences de traitement entre les jeunes d'une même classe d'âge.
Par ailleurs, le report d'incorporation peut également masquer l'éventuelle augmentation du nombre de jeunes qui vont tenter de ne pas effectuer leur service militaire au cours des deux prochaines années. Mais vous nous avez rassurés sur ce point ce matin, monsieur le ministre, en indiquant que ce nombre n'avait pas augmenté.
L'annonce de la suppression du service national pour les jeunes nés à partir du 1er janvier 1979 ne peut que donner le sentiment à leurs aînés d'être nés un peu trop tôt !
Je voudrais, pour conclure ces quelques réflexions, monsieur le ministre, évoquer l'obligation du recensement prévu pour le service national universel.
Selon certaines informations que j'ai pu recueillir auprès des maires et de leurs services, il semblerait que l'annonce prochaine de la suppression du service militaire ait conduit beaucoup de jeunes à négliger le recensement, malgré le caractère obligatoire légal de ce dernier.
Un problème se pose à mon avis à cet égard : à dix-sept ans, le jeune aura l'obligation de se faire recenser et, à dix-huit ans, il sera automatiquement inscrit sur les listes électorales puisque le texte prévoit qu'il n'y a plus d'obligation à se faire inscrire. Nous sommes donc en présence, certes à un an près, d'une ambiguïté qu'il sera certainement nécessaire de lever de façon à accorder soit le caractère obligatoire, soit le caractère facultatif aux deux opérations. Nous devrons débattre de ce point.
Le texte proposé par ce projet de loi pour l'article L. 113-4 du code du service national prévoit d'ailleurs que tous les jeunes doivent être en règle avec l'obligation de recensement pour être autorisés à s'inscrire aux examens et concours soumis au contrôle de l'autorité publique.
Il apparaît donc nécessaire de bien compléter l'information sur ce point précis de la loi afin que l'obligation de recensement ne soit pas négligée volontairement ou involontairement par les jeunes.
J'ajoute que les mairies se trouvent aujourd'hui confrontées à la nécessité d'organiser la recherche de ces jeunes, dont certains ont déménagé, afin de procéder au recensement d'office. De telles recherches, outre le surcroît de travail, représentent un coût négligeable pour les communes.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques remarques que je souhaitais faire sur ce texte. Comme M. le président de la commission et M. le rapporteur, j'adopterai une attitude de vigilance, souhaitant, à l'instar de l'un de nos collègues de la commission des affaires étrangères, que le rendez-vous citoyen, qui ne donnait pas satisfaction au sein de cette assemblée, et l'appel de préparation à la défense ou la Rencontre armées-jeunesse ne soient pas un jour suivis, pour tout contact des jeunes avec l'armée, d'une simple poignée de main citoyenne ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est la quatrième fois depuis moins de deux ans que nous sommes réunis pour un débat consacré à la réforme du service national.
Nous le faisons sans lassitude, car il s'agit d'un problème qui touche de très près tous les Français, d'un changement qui modifie des habitudes acquises enracinées depuis très longtemps dans notre communauté nationale, bref d'une véritable réforme de société, à laquelle la plus grande attention doit être apportée.
Au début de ce siècle, un grand écrivain, qui avait d'ailleurs été bibliothécaire au Sénat pendant quatorze ans, Anatole France, écrivait : « Il faut toucher avec respect aux choses sacrées. Et s'il y a dans la société humaine, du consentement de tous, une chose sacrée, c'est l'Armée ».
Le 22 février 1996, dans une intervention télévisée, puis dans un discours prononcé le lendemain à l'Ecole militaire, le Président de la République s'est très clairement et sans ménagements exprimé sur l'avenir du service national : « Nous n'avons plus besoin d'appelés. Le service tel que nous le connaissons aujourd'hui sera aboli. » En entendant ces déclarations, nombreux ont été ceux, surtout parmi les jeunes, qui en ont conclu, sans doute hâtivement, que toute forme de service militaire serait supprimée.
La réalité est différente. Loin de n'avoir qu'une apparence négative, la réforme projetée présentait un aspect très positif : la professionnalisation de nos armées, le maintien d'une force d'intervention et de combat supposant l'accord et la participation du pays tout entier.
C'est dans cette double perspective que le Gouvernement - les gouvernements successifs - et le Parlement ont travaillé ensemble à l'élaboration des mesures qu'imposait ce changement. Tous deux ont exprimé le souci que la remise en cause du service obligatoire ne conduise pas à supprimer les liens entre la jeunesse et l'armée.
C'est dans cet esprit qu'il a été décidé, premièrement, de maintenir le recensement obligatoire des jeunes ayant l'âge de servir - et même d'y inclure, dans un certain délai, les jeunes filles - puis, deuxièmement, qu'a été instauré ce qu'on a appelé « le rendez-vous citoyen », et, troisièmement, que l'on a établi le principe du volontariat pour remplacer les appelés dont on ne pourrait plus disposer.
Ces trois grands axes, qui figuraient dans le projet de loi présenté par M. Charles Millon - texte que la majorité du Sénat comme celle de l'Assemblée nationale de 1996 ont voté - demeurent présents dans le projet que nous étudions aujourd'hui. Nous n'aurons donc pas à nous déjuger en l'approuvant.
Il existe cependant quelques divergences que nous devrons examiner, et la commission des affaires étrangères et des forces armées nous propose quelques modifications à cet égard.
Les divergences, d'abord, se trouvent dans l'esprit qui sous-tend le projet de loi et dans les raisons que peut avoir le Gouvernement d'inciter au volontariat.
La logique du précédent projet relevait du souci de ne pas se priver de l'héritage du service national et de l'idée - très belle- que le dévouement des jeunes et leur désir de servir pourraient être utilisés dans des missions d'intérêt général comme le soutien scolaire dans les quartiers difficiles, l'aide aux personnes dépendantes, la participation à des tâches de sécurité routière ou citadine et, surtout - point capital pour nous, Français de l'étranger - la coopération au développement international, les aides humanitaires, la contribution à l'action de la France dans le monde.
Alors que le volontariat relevait, selon l'ancien projet, d'une logique de services rendus à la collectivité, le présent projet de loi se fonde en grande partie sur la notion d'emploi. A beaucoup d'égards, il ressemble au projet « emplois-jeunes » que nous avons examiné et, d'ailleurs, considérablement modifié, voilà quelques jours.
Dans cette trop grande ressemblance, le présent projet pourrait faire l'objet des mêmes critiques que certaines de celles qui ont été exprimées ici même la semaine dernière.
Mais il faut aussi souligner les grandes convergences qui existent entre le projet de l'an passé et celui, monsieur le ministre, qui va sans doute porter votre nom. En effet, vous y confirmez la nécessité de maintenir, en le renouvelant, le lien entre l'armée et la nation. A la place du « rendez-vous citoyen », vous proposez l' « appel de préparation à la défense », mais vous n'en changez pas fondamentalement l'économie.
Destiné à sensibiliser et informer les jeunes Français sur les questions de sécurité et de défense, cet « appel » est conçu dans la continuité de l'enseignement public et devrait même être introduit prochainement, ce qui est tout à fait nouveau, dans les programmes de scolarité. En même temps, il s'adresse à une population particulièrement jeune, située entre seize et dix-huit ans, alors que le « rendez-vous citoyen » pouvait être accompli entre dix-huit ans et vingt-cinq ans, voir trente ans pour certains cas exceptionnels.
Cette obligation concerne également les jeunes Français résidant à l'étranger, ce qui doit être particulièrement souligné ici, au Sénat, seule assemblée parlementaire où sont représentés nos compatriotes établis hors de France. Le désir du Gouvernement de les placer dans les conditions de droit commun est évident dans la rédaction proposée pour le nouvel article L. 114-7 du code du service national.
Cependant, les difficultés auxquelles pourraient être confrontés nos jeunes compatriotes de l'extérieur vis-à-vis des autorités locales, notamment s'ils sont nés à l'étranger et ont donc, qu'ils le veuillent ou non, la double nationalité, n'ont pas échappé aux rédacteurs du projet : il a été prévu que cet article pourrait être « aménagé en fonction des contraintes de leur pays de résidence ».
Nous constaterons ainsi, lors de la discussion de l'article en question, que la commission propose, par amendement, d'y ajouter, sur la suggestion de plusieurs d'entre nous, cette indication : « ... après avis du Conseil supérieur des Français de l'étranger », ce qui est tout à fait judicieux.
Mais ce n'est pas là le principal changement proposé par notre excellent rapporteur, M. Serge Vinçon. L'expression « appel de préparation à la défense » - en abrégé APD - ne lui a pas plu, pas plus qu'à nous, pour des raisons évidentes. Il propose : « rencontre armées-jeunesse ». Nous préférons cela à APD, bien que le mot « rencontre » ait quelque chose de fortuit, qu'il s'y trouve une idée de hasard.
On pourrait objecter aussi qu'une rencontre peut être un choc, un affrontement, un combat, une bataille. Mais il est vrai qu'une rencontre peut être également une réunion bien préparée, paisible, utile et fructueuse. Nous espérons, bien entendu, qu'il en sera ainsi, et nous en reparlerons au moment de la discussion de l'amendement en question.
Mais, mon temps de parole venant de s'écouler, je dois terminer maintenant mon propos, même si, naturellement, je me réserve la possibilité de reprendre la parole lors de l'examen des articles.
Je conclurai par une citation de Martin du Gard, extraite de Jean Barois, écrit à la veille de la guerre de 1914-1918 : « Aussi différents que soient les opinions et les points de départ, il y a une hauteur où tous les élans se rencontrent et se confondent. » Il faut espérer que c'est à cette hauteur que se produiront les rencontres entre nos armées et les jeunes ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. About.
M. Nicolas About. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet qui nous est présenté aujourd'hui ne remet pas en cause le choix de la professionnalisation des armées, mais il ne répond pas à l'un des nombreux défis qui en découlent, à savoir le maintien d'un lien fort entre l'armée et la nation.
Dans votre lettre analysant le projet de budget pour 1998, vous affirmez, monsieur le ministre, que cette réforme, votée par l'ancienne majorité et contestée à l'époque par la gauche, est « la novation la plus essentielle qui aura touché notre appareil de défense depuis la Révolution ». Ce changement d'opinion de la part du parti socialiste est, me semble-t-il, un ralliement à une idée de bon sens qui donne à la France les moyens de s'adapter aux nouveaux impératifs de sécurité. Cela prouve que l'arrivée au pouvoir offre souvent l'occasion de prendre conscience de certaines données, souvent ignorées dans l'opposition.
En revanche, monsieur le ministre, je dois vous avouer ma déception à la lecture de votre texte dans sa partie consacrée à la diffusion de l'esprit de défense chez les jeunes, mais j'y reviendrai. Dans un premier temps, mes critiques porteront essentiellement sur trois aspects du texte : la suppression du rendez-vous citoyen au profit d'une journée que je qualifierai presque d'inutile ; la fragilisation du processus de la professionnalisation avec la multiplication des reports et des dispenses ; le rôle du Parlement dans cette affaire. Ces trois points révèlent l'état d'esprit dans lequel le Gouvernement aborde les questions de défense : c'est surtout l'état d'esprit d'un expert-comptable.
J'évoquerai tout d'abord l'appel de préparation à la défense.
Une telle révolution de notre outil de défense aurait dû être accompagnée de la mise en place d'un système qui assure la rénovation du lien armée-nation et la refondation de l'esprit de défense.
Le projet de M. Millon comportait, je vous le rappelle, le rendez-vous citoyen d'une semaine, idée qui émanait des travaux des commissions parlementaires. A l'époque, il fut critiqué à gauche et à droite.
Sans répondre à toutes les attentes en la matière, le rendez-vous citoyen venait parachever une instruction civique dispensée à l'école, une sorte de rendez-vous marquant le passage du jeune à la citoyenneté. Une semaine, cela permettait de mener à peu près à bien, sans trop les bâcler, les missions qui lui était assignées : l'information sur la défense nationale, la présentation des volontariats et l'établissement d'un bilan sanitaire et social des jeunes, que je juge toujours indispensable.
Son organisation maintenait en activité douze casernes, pour un coût d'environ un milliard de francs par an.
Ayant critiqué ce projet, les socialistes décident non pas de le supprimer complètement - ce que j'aurais compris - mais de le réduire à une journée, à un ersatz de rendez-vous citoyen. Quand on sait que cette journée mobilisera autant de personnels, répartis dans plusieurs dizaines de centres, pour une économie ridicule, on ne peut que regretter une attitude trop dogmatique sur un tel dossier.
J'en viens à la fragilisation du processus de la professionnalisation, deuxième point de mon intervention.
En offrant la possibilité aux titulaires d'un contrat à durée déterminée de pouvoir repousser de deux ans leur incorporation, l'amendement Quilès ouvre, à mes yeux, la voie à de nombreux abus, accentuant l'aspect inégalitaire du service national moribond et ébranlant la période transitoire qui doit mener à la professionnalisation.
Les armées ont une réforme difficile à mettre en place. Il leur faudra un certain nombre d'appelés pour la réaliser, notamment des diplômés, des ingénieurs, des informaticiens, des étudiants en médecine. Ce n'est pas en l'amputant de plusieurs dizaines de milliers de jeunes qu'on l'y aidera !
Quant aux fumeux emplois de Mme Aubry, les garçons qui les décrocheront seront tout simplement dispensés du service national. Ces petits boulots seront occupés par des diplômés de l'enseignement supérieur, puisque la sélection est rude et qu'il faut avoir bac + 2 ou bac + 4 pour espérer être porteur de serviette. (Murmures sur les travées socialistes.)
M. André Rouvière. C'est excessif !
M. Nicolas About. Il y aura donc deux catégories de jeunes : les diplômés, installés à l'abri dans la nouvelle sous-fonction publique, les sursitaires, les chanceux et les petits malins, et il y aura les autres, moins chanceux, qui n'auront droit ni à ces emplois Aubry ni à la dispense du service national.
M. Josselin de Rohan. Eh oui !
M. Nicolas About. Le message adressé aux jeunes sans qualification est clair : ils n'intéressent pas le Gouvernement.
Monsieur le ministre, quel jeune diplômé préférera un service national rémunéré à 500 francs par mois à un emploi de Mme Aubry à 5 000 francs par mois ? Le choix est évident ! J'aimerais bien savoir comment vous comptez réussir le passage à la professionnalisation en trois ans en enlevant ces appelés aux armées.
La réussite de la transition vers la professionnalisation n'est pas qu'une histoire d'argent ; elle concerne aussi des être humains.
On aurait pu imaginer que les emplois de Mme Aubry ne soient accessibles qu'aux jeunes ayant satisfait aux obligations militaires. Tel n'a pas été le cas.
Ma troisième remarque porte sur le rôle du Parlement. Je tiens à vous dire, monsieur le ministre, combien je déplore l'attitude du Gouvernement à l'égard du travail des parlementaires sur ces dossiers de défense. Non seulement on semble ignorer le travail des commissions sur la réforme du service national, mais vous vous apprêtez même à ne pas respecter la loi de programmation militaire que le Parlement a votée en 1996. Je reconnais que cette attitude ne vous est pas propre.
M. Claude Estier Tout de même !
M. Nicolas About. Mais, lorsque les coupes budgétaires imposées aux armées servent à financer les dérives de la dépense publique, c'est plus qu'intolérable.
Bien sûr, vous avez maintenu le financement de la professionnalisation. Mais que vaut une armée professionnelle sans matériel moderne, sans équipement pour s'entraîner ?
Enfin, le coût social de votre amputation pour les industries de défense ne sera certainement pas compensé par les emplois de Mme Aubry. Les armées et les industries de défense se rappelleront qu'elles ont fait les frais d'un programme gouvernemental qui comportait de nombreuses promesses onéreuses et anti-économiques.
La deuxième partie de mon intervention consiste en une réflexion plus générale sur le lien indispensable qui doit être maintenu entre l'armée, bientôt professionnelle, et la nation, désormais « libérée » de l'obligation militaire. Mon propos s'articule autour de la refondation de notre esprit de défense.
Jusqu'à présent, le système de défense français reposait sur une certaine conception de la nation, celle de la volonté de vivre ensemble, et le partage de valeurs communes. La participation du citoyen à la défense, par le biais du service national, contribuait à son intégration et à cette appartenance à cette communauté nationale. La suppression du service national obligatoire lui ôtera un attribut de sa citoyenneté. Cette disparition remet inéluctablement en cause le lien, déjà fragile, qui existe entre l'armée et la nation.
En France, l'esprit de défense signifie que chaque citoyen, conscient de son appartenance à la communauté nationale et solidaire avec celle-ci, est convaincu qu'elle peut être défendue collectivement. Il est également inséparable de l'éducation du citoyen, car la défense est l'affaire de tous mais sa survie est liée à la conscience des menaces par le citoyen. Qu'adviendra-t-il de cet esprit de défense après la suppression du service national obligatoire ?
La société française vit actuellement une crise morale qui affecte notre esprit de défense et le civisme. Déjà faible, l'implication du citoyen dans la défense risque d'être inexistante dans les années à venir si l'on ne maintient pas un lien entre l'armée et la nation. L'armée serait alors considérée comme un simple service public.
Les fondements de notre esprit de défense sont remis en cause puisque l'idée même d'une nation de citoyens égaux en droits et en devoirs est ébranlée par la crise économique et certains discours politiques. La menace de voir les citoyens français se désintéresser totalement de la défense des intérêts nationaux et des questions militaires est donc latente et comporte le risque d'une nation fragilisée par la disparition du sentiment de l'appartenance à une communauté de valeurs et d'intérêts qu'ils seront incapables de défendre, soit par désengagement soit par égoïsme.
Devant un tel défi, il est à craindre que l'institution d'une journée d'information ne soit pas suffisante pour remplir la mission civique du service national. L'Etat doit désormais penser à associer davantage les citoyens, hommes et femmes, à l'esprit de défense ; c'est un impératif démocratique.
Il serait malsain de laisser se creuser le fossé qui existe potentiellement entre l'institution militaire et la société civile. Elles doivent rester ouvertes l'une sur l'autre et multiplier les ponts, par exemple en développant les journées « portes ouvertes » dans les casernes. Tous les moyens possibles seront bons pour essayer d'assurer le maintien de l'attachement à l'idéal républicain au sein des armées. De son côté, la société civile doit se sentir investie de responsabilités en matière de défense nationale.
C'est à ce prix que l'on maintiendra cet indispensable lien entre la nation et l'armée, sans lequel la défense de la France n'offrirait pas toutes les garanties. Quel pays peut en effet assurer la défense de son territoire, de son patrimoine et de ses intérêts économiques vis-à-vis de l'extérieur si, en son sein, il n'y pas cohésion nationale ?
L'instauration du rendez-vous citoyen pour chaque jeune homme et chaque jeune fille allait dans le bon sens ; c'était en effet offrir aux autorités politiques et militaires un instrument au service de la refondation de notre esprit de défense. Cette refondation implique une meilleure participation de la nation à notre politique de défense.
Cela exige également un travail important de pédagogie de la défense auprès des citoyens, en particulier des jeunes. L'école doit redevenir la machine à fabriquer des citoyens telle que l'avait conçue Jules Ferry. La défense de la République et de ses valeurs faisait partie intégrante de son éducation civique ; le patriotisme en fut le plus beau des symboles. Jean Jaurès, neveu d'officiers, en avait si bien conscience qu'il considérait que l'école et le régiment remplissaient les mêmes missions civiques, au service du patriotisme républicain. L'école a perdu aujourd'hui cette fonction. Quant à la notion de patrie, elle a été diabolisée par la gauche, qui en a oublié le sens républicain (Exclamations sur les travées socialistes), abandonnée par la droite et récupérée par l'extrême-droite.
Des cours d'initiation et d'information sur la défense, portant sur son organisation, ses missions en France et dans le monde, et l'analyse des différentes menaces pour notre sécurité doivent être dispensés dans les collèges et les lycées dans le cadre d'un enseignement civique plus général. Sur ce point, je trouve votre intention louable, monsieur le ministre, mais je crains certaines résistances chez les enseignants.
M. Michel Caldaguès. Bien sûr !
M. Nicolas About. Pour ma part, je pense que l'on devrait associer les officiers à cette instruction à l'école. Enseignants et militaires doivent se rencontrer, mieux se connaître et oeuvrer ensemble à l'édification d'un nouveau modèle républicain de citoyenneté. Il faut généraliser les protocoles d'accord défense-éducation nationale, comme y encourage le recteur de l'académie de Nice, M. Dumont, à la suite de son expérience.
Le soldat-citoyen du xxie siècle ne pourra plus correspondre à celui de Valmy ou au « Poilu ». C'est à l'école, désormais, que se construira cette citoyenneté ; les militaires y ont donc toute leur place. Si l'on veut faire de notre armée professionnelle une armée ouverte, elle doit avoir des contacts avec l'école de la République.
Je tiens, enfin, à souligner mon soutien à la proposition de notre rapporteur, que je félicite pour son rapport, sur l'instauration d'un Haut Conseil pour assurer le suivi de cet enseignement de la défense à l'école. Refuser cette participation parlementaire serait montrer trop peu de considération pour notre travail.
Cette initiation doit être spécialisée au niveau supérieur en mettant l'accent tout particulièrement sur les nouveaux enjeux en matière de défense que constituent l'intelligence économique et les nouvelles technologies.
L'étude récente de M. Breton, chargé de recherche au CNRS, sur les systèmes de valeur des informaticiens montre combien cette communauté n'a même pas conscience des dangers que peut représenter l'outil informatique pour une entreprise.
Les futurs cadres dirigeants français doivent être initiés à certaines notions comme la sécurité informatique et l'intelligence économique. La nouvelle bataille que se livrent actuellement les grands ensembles régionaux est de nature économique et technologique. Il importe donc que la France sensibilise ses citoyens à la défense de ses intérêts vitaux.
C'est dans cette optique que l'on doit aussi envisager le développement des activités de l'IHEDN - l'Institut des hautes études de défense nationale, notamment au niveau régional, afin qu'il fasse bénéficier de son enseignement un public plus élargi qu'aujourd'hui. L'IHEDN peut devenir un précieux outil pour la formation de ces futurs citoyens-soldats dont les meilleures armes seraient le civisme et la responsabilité.
Depuis qu'il a été élu à la présidence de la République, Jacques Chirac a su tirer judicieusement les leçons de la nouvelle donne géostratégique en lançant la plus grande réforme que notre outil de défense ait jamais connue.
Il reste désormais à entreprendre la refondation de notre esprit de défense afin qu'il remplisse à nouveau sa mission première : la formation civique du citoyen, dans un contexte de mondialisation et de mutations sociales internes.
Pour conclure, je résumerai mon propos en quatre questions, monsieur le ministre.
Pourquoi avoir supprimé le rendez-vous citoyen pour le remplacer par une journée qui n'a aucun intérêt et quel sera le coût réel d'une telle organisation ?
Avez-vous la volonté d'associer le Parlement au travail de mise en place de ce nouveau service national et de l'instauration de l'enseignement de la défense à l'école ?
Pourquoi, au risque de mettre en échec la transition vers la professionnalisation, renforcer le caractère inégalitaire du service national dans ses dernières années d'existence ?
Enfin, pensez-vous réellement que l'esprit de défense sera diffusé par l'éducation nationale alors que celle-ci n'est même plus capable de dispenser l'instruction civique et la morale ? (Exclamations sur les travées socialistes. - Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Delanoë.
M. Bertrand Delanoë. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons marque un passage obligé sur la voie de la professionnalisation, sujet dont nous avons déjà largement débattu.
C'est la conséquence directe de la décision prise par M. le Président de la République en février 1996, ce qui relativise, d'ailleurs, un certain nombre de critiques que je viens d'entendre.
Pour ma part, je n'avais jamais contesté l'objectif. En revanche, dès ce moment-là, j'avais exprimé des inquiétudes et des réserves sur la méthode employée.
Toutefois, je comprends parfaitement que le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui soit logiquement en conformité avec la décision prise par le Président de la République.
En outre, il m'apparaît légitime qu'en période de cohabitation les questions de défense nationale soient abordées dans un esprit qui tende vers le consensus. Or, les décisions antérieures laissent peu de marge de manoeuvre.
Je prends donc acte, ici, du fait que le Gouvernement, par souci républicain et par sens de l'équilibre démocratique, a eu le courage d'assumer la continuité.
Ainsi, l'appréciation que je vais porter s'intègre dans le cadre réel que je viens de décrire et qui s'impose à nous tous, moi compris.
L'examen de ce projet de loi n'a effectivement d'intérêt que dans le cadre général des objectifs de la défense.
Votre texte, monsieur le ministre, a le mérite de partir d'une approche globale de la question. Le souci de garantir la possibilité d'une reconstitution des forces et la place promise à la réserve en témoignent.
En effet, à partir des connaissances que nous avons actuellement du contexte stratégique, nul ne peut contester des éventualités selon lesquelles, dans les vingt prochaines années, pourraient apparaître de nouvelles menaces, menaces extérieures majeures, proches du territoire européen, ou graves crises intérieures. Vous avez su tirer les conséquenes de ces possibles évolutions et prendre les mesures conservatoires nécessaires.
Des progrès ont incontestablement été accomplis par rapport à l'approche de votre prédécesseur. En effet, une remontée en puissance des effectifs demanderait des délais et ne pourrait être improvisée au dernier moment. C'est pourquoi nous approuvons la mise en place, en temps de paix, d'une préparation militaire pour un grand nombre de jeunes, ainsi que la constitution d'une réserve importante. Cette réserve doit reposer sur une organisation adaptée, mise en état de veille et susceptible d'être facilement et rapidement activée.
Ainsi, monsieur le ministre, le fait même d'avoir abordé la question de la réserve dès le débat sur le service national prouve que, dans l'élaboration de votre projet de loi, c'est bien de manière globale que vous avez traité les besoins de la défense.
Parmi ces besoins, je veux particulièrement insister sur le concept de défense du territoire national, qui doit, selon moi, demeurer une priorité de notre politique de défense.
Dans une société moderne et démocratique comme la nôtre, l'armée a des missions importantes. Au-delà de ses missions classiques de défense du territoire, elle doit toujours être en mesure de mener des missions de service public : la mise en place de sections en armes du type de celles qui sont utilisées par Vigipirate, mais celle aussi des unités qui en cas de catastrophe pourraient assumer un certain nombre de missions, par exemple de secours d'urgence, ou des opérations de génie. Les réservistes doivent être susceptibles, dans ce même cadre, de rendre des services à la collectivité.
Autre éventualité : une menace terroriste organisée, sur notre territoire, assimilable à une menace militaire. La gendarmerie est-elle en mesure, à elle seule, de remplir la mission de défense du territoire qui lui a été assignée ? En a-t-elle réellement les moyens ? Ce sont des questions importantes auxquelles il nous faudra répondre rapidement.
Pourtant, cette notion de défense du pays, de la collectivité nationale et de ses valeurs doit être réintroduite de manière primordiale dans les objectifs de défense, qui ont pu être perçus, à un certain moment, comme trop exclusivement orientés vers la projection. Elle pourrait, en outre, constituer un élément de réponse non négligeable aux doutes des militaires, qui se questionnent parfois sur le sens de leur mission.
En effet, si nous n'y prenons garde, nous serons confrontés à un vrai problème de motivation de l'armée, problème qui risque de se répercuter sur la qualité du recrutement.
Pour y remédier, au coeur de la motivation des futurs militaires, au coeur du rôle de l'armée et de l'officier, il doit y avoir la défense du territoire national et de nos intérêts vitaux.
En confiant de nouvelles missions aux forces armées - telles que l'organisation de l'appel de préparation à la défense, des préparations militaires, mais aussi de la réserve - vous allez dans cette direction. Vous leur permettez de s'impliquer, malgré la suspension de la conscription dans la vie collective.
Poursuivant notre réflexion sur l'évolution de la société dans l'ensemble économique, politique, culturel européen, nous sommes tous amenés à préciser notre pensée. Pour ma part, j'adhère complètement aux propos tenus par le Premier ministre lors de la session de l'Institut des hautes études de défense nationale, l'IHEDN, le 4 septembre dernier, selon lesquels « l'intensification de la coopération en matière de sécurité et de défense s'impose dans la construction européenne. Des pays qui vont jusqu'à battre ensemble monnaie ne sauraient avoir durablement des politiques de défense disjointes ».
C'est pourquoi, partageant ce sentiment, je souhaite que nous puissions traduire ces principes, dès ce projet de loi, par des amendements que je proposerai et que la commission a retenus à l'unanimité, portant à la fois sur l'enseignement des objectifs de défense à l'école et sur ce que nous diffuserons comme message au cours de la journée de préparation à la défense.
Bien sûr, élaborer un nouveau projet de loi relatif au service national part des objectifs tels qu'ils sont évalués pour les années à venir. Mais, au-delà, la fin du service militaire obligatoire provoque nécessairement chez nous une autre interrogation. Pendant des décennies, nous avons vécu sur le fait que le lien armée-nation était constitué essentiellement par la période que chaque jeune Français passait sous les drapeaux. Il s'agit donc maintenant de réinventer la relation entre les préoccupations de défense et l'ensemble des membres de la collectivité nationale.
Dans une société moderne, dès lors que nous avons une armée de professionnels, quels rapports existera-t-il entre la nécessité de prévoir des menaces, de se défendre, et la conscience qu'aura chaque citoyen que cette défense est assurée pour lui, pour sa sécurité, pour la sécurité de sa famille, pour la sécurité de la collectivité nationale, mais aussi pour la défense d'un certain type de société, une société qui porte des valeurs démocratiques ? Cette exigence est d'autant plus importante que la France, comme les autres grandes démocraties européennes, souffre déjà d'une crise d'identité.
Il faut donc recréer un nouvel esprit de défense, car celle-ci ne s'opère pas uniquement les armes à la main. Elle est globale et dépasse le simple cadre militaire pour concerner les domaines culturel, économique ou social. Elle doit demeurer la préoccupation de l'ensemble de nos concitoyens et être le fruit d'une adhésion collective. Chaque Français doit prendre conscience que, même avec une armée de professionnels, la sécurité du pays est l'affaire de tous.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n'ai pas été très enthousiaste à l'idée de supprimer complètement l'obligation militaire. Je disais d'ailleurs lors du précédent débat, au mois de mars de cette année, que ce service n'était pas parfait dans sa composante militaire et qu'il devait être réformé.
Mais puisque nous supprimons un service inadapté, non rénové, au moins profitons de cette occasion pour tenter de créer chez les jeunes, un nouveau sentiment, un sentiment qui casse l'idée selon laquelle la défense serait quelque chose d'inutile ou qui ne les concerne pas. N'est-ce pas le moment de modifier l'image que l'armée avait à leurs yeux ?
A cet égard, je me réjouis de l'élaboration d'un nouveau protocole « éducation-défense », que j'avais d'ailleurs appelé de mes voeux, destiné à sensibiliser l'ensemble de la jeunesse à ces questions. Je reste persuadé qu'il s'agit là d'un des moyens privilégiés pour refonder le lien armée-nation.
Pour autant, nous pouvons nous demander s'il n'est pas possible d'aller plus loin que ce qui est prévu dans le projet de loi et d'imaginer que, dans un avenir relativement proche, l'essentiel des objectifs de l'appel de préparation à la défense puissent être atteints dans le cadre scolaire. Vous-même, monsieur le ministre, le 20 août dernier, vous n'avez pas exclu que, dans l'avenir, cet appel soit davantage intégré au système éducatif.
A ce moment de mon propos, je tiens à aborder, quitte à déranger un peu - et je sais que ce sera le cas - un sujet qui semble encore faire problème dans certains milieux dont parfois je me sens très proche. Les militaires peuvent-ils aller dans les établissements scolaires pour contribuer à cette formation de défense ? Peuvent-ils venir expliquer les cycles de préparation militaire, la possibilité de souscrire à un volontariat ou encore l'adhésion à la réserve ? Personnellement, j'y suis favorable.
Mais, pour y parvenir, il faut à tout prix réussir à vaincre les préventions des uns et des autres, d'autant plus que je ne suis pas sûr que le débat soit très bien orienté. Ce qui est parfois ressenti comme une intrusion du militaire dans l'école et dans la vie quotidienne permettrait, en fait, un meilleur contrôle citoyen sur une armée professionnelle. Une « ghettoïsation » de l'armée, un enfermement de cette dernière sur elle-même serait ô combien plus néfaste pour l'ensemble de la société.
M. Jean-Luc Bécart. Très bien !
M. Bertrand Delanoë. Mais je crois que cette idée commence à faire son chemin. En témoigne la déclaration de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, estimant qu'il pourra être envisagé qu'à un certain niveau d'enseignement des officiers viennent faire des exposés sur tel ou tel sujet.
Je pense même que le protocole « éducation-défense » devrait concerner aussi les études supérieures. Il nous faut, en effet, réfléchir au lien entre l'armée et les futurs décideurs dans la société. Il ne serait pas mauvais que ceux-ci possèdent de sérieuses connaissances en matière de défense. De la même manière que les élèves des cycles supérieurs de l'université ou des grandes écoles vont faire des stages en entreprise, serait-il aberrant qu'ils aillent en faire au sein de l'armée ?
Je ne pense évidemment pas à une obligation, mais c'est un champ nouveau qu'il me paraîtrait intéressant d'explorer.
Autre remarque : lorsque les jeunes Français passaient au moins dix mois sous les drapeaux, il n'était pas du tout choquant que l'institution militaire, dans le cadre de la défense nationale, se charge de leur bilan de santé et de l'évaluation de leurs connaissances scolaires. Mais à partir du moment où ils n'y passent plus qu'une journée, ces missions, tout à fait importantes, ne peuvent plus être de la responsabilité de l'armée, selon moi. La médecine scolaire et l'éducation nationale doivent y pourvoir. C'est pourquoi je souhaiterais que la journée d'appel de préparation à la défense soit recentrée essentiellement sur les questions de défense.
Malgré sa durée limitée, cet appel constitue une occasion de sensibiliser la jeunesse à son devoir de défense. Il contribuera ainsi à lui rappeler l'implication de tous les citoyens dans la défense du pays. Toutefois, une attention particulière devra être apportée à sa mise en oeuvre : au niveau des modalités de son organisation, dans la définition du contenu des enseignements et du choix des intervenants. Lorsque l'expérience aura duré suffisamment, je crois que nous devrions procéder à une évaluation de ses résultats, puis les comparer aux objectifs que nous nous étions fixés.
Au-delà de toutes les innovations que nous venons d'évoquer - mais qui ne concernent que les jeunes de notre pays - et parce que les citoyens dans leur totalité ne passeront plus une longue période sous les drapeaux, la refondation du nouveau lien armée-nation doit concerner les Français de tout âge et, donc, se concevoir au moyen d'un dispositif beaucoup plus large.
A l'ère de la communication et dans un esprit démocratique, le sentiment de défense peut être nourri par de grands moments d'information, de sensibilisation, d'échange sur les besoins et les moyens de notre sécurité.
Pourquoi ne pas créer aussi des occasions de rencontre entre les citoyens, l'armée et les préoccupations de défense ? Par l'organisation de manifestations comme des journées « portes ouvertes » dans les casernes, à l'instar de ce qui se fait lors des journées du patrimoine ; par la mise en oeuvre de démonstrations de matériels militaires ou de manoeuvres ; mais aussi par un ensemble d'initiatives qu'il nous reste à inventer. Le but est, en effet, d'établir un contact direct et profond entre la nation et l'armée.
D'ailleurs, la possibilité est donnée aux femmes d'accéder aux préparations militaires, à la réserve et aux volontariats, mais aussi l'obligation de participer à l'appel de préparation à la défense, y contribueront pleinement.
Cette ouverture de l'armée professionnelle sur l'ensemble de la société doit s'accompagner, en toute logique, de la recherche d'un cadre adapté et spécifique afin que les militaires puissent s'exprimer. Mais je suis conscient que je touche là à un autre débat, difficile, qui méritera que l'on y revienne plus longuement ensemble.
Le lien armée-nation est un des grands chantiers qui attendent la société française à l'aube du troisième millénaire. De la façon dont nous réussirons à relever ce défi dépendra pour longtemps l'organisation de notre défense et la sécurité du pays.
La réforme en cours est suffisamment importante pour que nous prenions le temps, au fur et à mesure de sa réalisation, de l'adapter, à la fois pour que les objectifs de notre défense nationale correspondent bien aux besoins de sécurité et pour que cette professionnalisation ne conduise pas à couper l'armée du pays.
Monsieur le ministre, votre projet de loi nous fait franchir une nouvelle étape. C'est une nouvelle étape pour que, dans la définition des missions de nos armées, au-delà de la mobilité, de la souplesse, de l'efficacité, la défense du territoire national et de nos intérêts vitaux restent bien au centre de notre préoccupation de défense. C'est une nouvelle étape pour adapter l'armée aux besoins de notre sécurité. C'est une nouvelle étape pour la refondation du lien armée-nation. Votre projet de loi nous met sur le bon chemin pour atteindre ces objectifs. C'est pourquoi nous l'approuverons. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jacques Valade remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président

M. le président. J'informe le Sénat que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées m'a fait connaître qu'elle a d'ores et déjà procédé à la désignation des candidats qu'elle présentera si le Gouvernement demande la réunion d'une commission mixte paritaire en vue de proposer un texte sur le projet de loi actuellement en cours d'examen.
Ces candidatures ont été affichées pour permettre le respect du délai réglementaire.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart. En intervenant sur ce projet de loi portant réforme du service national, je ne vous cacherai pas, monsieur le ministre, la perplexité qui est la mienne et celle de mes amis du groupe communiste républicain et citoyen.
Vous le savez, nous avions constesté et combattu l'objectif, annoncé par le Président de la République en février 1996 et mis en oeuvre par le gouvernement précédent, d'effectuer la professionnalisation complète de nos forces armées d'ici à 2002.
Depuis, nous avons réaffirmé à chaque occasion notre préférence pour l'armée mixte et pour le maintien d'une conscription fortement rénovée.
Notre prévention vis-à-vis de l'armée de métier ne vient pas d'une méfiance envers les cadres militaires professionnels. Si cela pouvait être le cas voilà quelques décennies, vis-à-vis de certains cadres formés à l' « école » des guerres coloniales, il faut dire et répéter que, dans la majorité des cas, l'attachement des cadres militaires d'aujourd'hui aux valeurs républicaines ne saurait être mis en doute.
Nous, nous sommes pour l'armée mixte de par notre conception de la citoyenneté, parce que nous sommes attachés au principe républicain du devoir de défense, parce que nous pensons essentiel de favoriser la prise de conscience, la responsabilisation de chaque citoyen vis-à-vis de son devoir de défense de la communauté nationale.
« L'arme la plus efficace cesse de l'être quand le bras qui la soutient devient défaillant », a dit un stratège pertinent.
Nous appréhendons le domaine de la défense dans sa globalité, dans ses dimensions certes militaires, mais aussi politiques et sociologiques, que ce soit au regard de la cohésion nationale ou du niveau de conscience civique et dans une vision à long terme.
Que ce soit dans l'engagement d'opérations extérieures ou en cas de menace intérieure - terroriste ou autres - le niveau de conscience civique, la solidité morale de la population, le lien entre les citoyens et leurs forces armées sont aussi importants que la valeur de nos armes et de ceux qui les mettent en oeuvre.
Avec la suppression de la conscription - certes, le projet de loi parle de « suspension » - le risque est réel, selon nous, de constater dans l'avenir un désintérêt, une déresponsabilisation de notre société quant à sa défense. Je dis cela sans sous-estimer a priori l'impact du volontariat et la future organisation des réserves.
Nous ne versons pas non plus dans la nostalgie et la défense d'une conception périmée du service militaire « à la papa ».
Faute d'avoir été réformé à temps, l'actuel service national a perdu beaucoup de son efficacité et de sa crédibilité. La montée à son égard des sentiments d'inutilité, de perte de temps, d'inégalité était arrivée, malheureusement, à un niveau sensible.
Mais sa suppression fera apparaître au grand jour l'une de ses propriétés les plus fortes : son caractère social.
Le service national permettait encore, même si c'était beaucoup plus vrai autrefois, un certain brassage des milieux sociaux et des terroirs. Il permettait aux jeunes Français issus de l'immigration de franchir une étape dans leur intégration dans la communauté nationale.
Des exemples ont ainsi montré qu'il avait agi chez de nombreux jeunes défavorisés issus de l'immigration maghrébine comme un antidote à l'égard de l'intégrisme religieux.
En cette époque, qui pousse plus à l'individualisme qu'à la solidarité, le service national, même avec ses défauts, restait pour nombre de jeunes la première expérience de vie communautaire.
Avec de plus en plus de lourdeurs et de moins en moins de moyens, il limitait certains dégâts de la fracture sociale. Il contribuait aussi à maintenir la cohésion nationale, pilier essentiel de la force d'un pays.
Si la fracture sociale n'est pas un problème concernant directement la défense, à l'analyse, elle apparaît comme une des menaces insidieuses, mais majeures, pour notre pays.
Enfin, le service national, singulièrement dans sa dimension militaire, sacralisait d'une certaine façon l'armée dans l'esprit de nos concitoyens.
Au lieu d'examiner un projet de suppression, nous aurions préféré, vous le savez, que soit ouvert un autre chantier, celui de la modernisation du service national, de son adaptation à la société d'aujourd'hui, à la situation stratégique actuelle et prévisible à court terme, aux aspirations et aux besoins des jeunes de notre époque, prenant en compte le fait qu'il n'est plus nécessaire de maintenir sous les drapeaux toute une classe d'âge pendant près d'un an.
Nous aurions préféré que soit envisagée, par exemple, l'instauration d'une période de formation civico-militaire courte et digne de ce nom, prolongée par des stages dans des unités.
Nombre d'organisations politiques, syndicales, associatives, préconisaient l'an dernier, vous le savez, des solutions alternatives de ce type.
L'association des anciens auditeurs de l'IHEDN parlait même d'un « rendez-vous du soldat citoyen » de deux mois.
S'il est vrai que la professionnalisation de bon nombre d'unités est une nécessité que nous comprenons parfaitement, il est non moins vrai que chaque jeune Français a besoin, pour devenir un citoyen accompli - et pas seulement un consommateur - d'une formation civique et militaire de base.
Cela dit, monsieur le ministre, je mesure bien la grande difficulté qu'il y aurait eu à ouvrir le chantier de la modernisation de la conscription.
Je suis bien conscient de la position délicate dans laquelle le Gouvernement était placé, dans le flot du courant d'une réforme déjà très engagée.
L'annonce par M. Chirac, dans les conditions que l'on sait, et que nous avions dénoncées, de l'arrêt du service national obligatoire, a eu, en février 1996 et dans des mois qui ont suivi, un impact réel, même si le bénéfice électoral n'a pas été évident en juin dernier.
Avec le temps, qui, il faut bien le dire, ne jouait pas et ne joue pas en faveur des partisans d'une circonscription certes rénovée mais maintenue, une part croissante de l'opinion considérait déjà cette suppression de l'obligation comme un acquis et, pour certains, comme un « avantage acquis », comme la fin d'une contrainte pesante.
C'est l'une des raisons pour lesquelles, bien que m'étant opposé, en son temps et sans hésitation, au projet de loi de votre prédécesseur, je ne voterai pas contre votre projet de loi.
Malgré cette divergence de fond, d'autres raisons m'incitent, monsieur le ministre, à considérer votre projet de loi avec un regard intéressé.
Je trouve qu'il apporte quatre améliorations sensibles à celui de votre prédécesseur, notamment pour essayer de pallier le déficit de l'esprit de défense et du lien entre la société et les forces armées.
Tout d'abord, votre projet de loi valorise le volontariat en en améliorant les conditions matérielles. Calqués, pour une durée maximale, sur le dispositif emplois-jeunes, les postes de volontaires verront leur rémunération mensuelle portée de 2 000 francs au SMIC.
Ces mesures incitatives calment un peu certaines interrogations que l'on peut se poser quant au fonctionnement des armées, notamment de l'armée de terre, en cas de difficultés de recrutement d'engagés.
Certains de nos collègues de la majorité sénatoriale ont exprimé des réticences à l'égard de la longueur du volontariat, craignant qu'une certaine confusion puisse aussi exister entre le contrat d'engagé dans sa durée la plus courte et le contrat de volontariat, les rémunérations étant finalement assez voisines.
Je ne pense pas que cette éventuelle confusion, si confusion il y a vraiment, puisse être un obstacle qui contrebalance les avantages de l'attractivité et de la diversité que vous avez introduites.
Monsieur le ministre, je pense qu'il serait utile de mettre en place, au cours de ces volontariats, des formations qualifiantes, en particulier pour ceux qui auront opté pour les durées les plus longues.
Par ailleurs, il serait bien de permettre aux volontaires de cotiser à l'assurance chômage, là aussi peut-être pour les durées les plus longues, afin qu'ils bénéficient des ASSEDIC en cas de chômage après leur période de service dans les armées.
Ensuite, votre projet de loi, et ce n'est pas la moindre de ses qualités, institue, dans l'éducation nationale, un véritable enseignement des questions de défense et de sécurité à l'intérieur des formations en histoire, instruction civique, géographie et économie dans les collèges et les lycées.
Cette disposition peut s'avérer capitale pour endiguer le risque de décalage entre le pays et ses forces armées.
Tout en faisant confiance à l'esprit de responsabilité des enseignants, je mesure bien la difficulté de la mise en oeuvre de cette disposition pour la rentrée prochaine.
Je pense également qu'en complément du travail des enseignants la prestation d'intervenants extérieurs serait utile en la matière : cadres d'active de l'armée - je rejoins ici M. Delanoë - cadres d'active de la gendarmerie, réservistes, anciens résistants, auditeurs de l'IHEDN, conseillers de défense et - pourquoi pas ? - parlementaires. Il ne manque pas de personnalités dans ce pays qui, à moindres frais ou bénévolement, seraient d'accord pour faire partager leurs convictions à notre jeunesse et aider à sa prise de conscience dans ce domaine.
Troisième disposition améliorant l'ancien dispositif, la réapparition d'une préparation militaire ouverte à tous après l'appel de préparation à la défense et ouvrant l'accès aux forces de réserve.
A cet égard, nous aurons le même sentiment qu'à l'égard de la disposition précédente, même si nous attendons des précisions sur la durée, le contenu et les objectifs de cette préparation militaire « nouvelle formule » que nous approuvons dans son principe.
Enfin, quatrième bonne nouvelle par rapport au projet ancien, l'annonce d'une future réorganisation des réserves qui rompt avec la logique de décrépitude instaurée depuis plusieurs années.
Ouvrir la réserve aux volontaires et à ceux qui auront suivi la préparation militaire, lui donner un rôle actif et de soutien direct à certaines missions de l'armée, tout cela va dans le sens que nous souhaitons, à savoir, notamment, là encore, limiter le décalage entre l'armée et la nation.
Le temps qui m'a été imparti ne me permet pas d'aborder d'autres points, par exemple le service national adapté ; je ne peux, à ce propos, qu'attirer par avance votre attention sur ce qu'en dira excellemment tout à l'heure, dans la discussion des articles, mon ami Paul Vergès, sénateur de la Réunion.
Monsieur le ministre, j'ai tenté d'exprimer mon embarras et celui des sénateurs de mon groupe à l'égard du présent projet de loi.
Notre sentiment est mitigé : si nous ne sommes pas convaincus du bien-fondé de la suppression du service national et de la non-mise en chantier de sa modernisation, nous reconnaissons vos efforts, d'une part, pour relancer, sous d'autres formes, la prise de conscience des citoyens quant à leur devoir de vigilance en vue de la défense de la communauté nationale et, d'autre part, pour assurer la pérennité du lien entre la société et ses forces armées.
Nous nous abstiendrons donc. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Calmejane.
M. Robert Calmejane. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis deux siècles, le service national a contribué efficacement à notre défense et a constitué un lieu de brassage social. Toutefois, il est devenu au fil des années inégal dans ses conditions d'exécution comme dans son recrutement.
En raison de l'évolution des menaces et des technologies, les besoins de nos armées appellent une réforme profonde de leur composition.
En annonçant, le 22 février 1996, leur professionnalisation en 2002, en application de la loi de programmation militaire 1997-2002 votée au mois de juin 1996, le Président de la République a suscité un vaste débat sur le nécessaire maintien d'un lien fort entre l'armée et la nation.
Une préférence pour un service fondé sur le volontariat s'est dégagée en même temps que pour l'organisation, au terme d'un recensement obligatoire, d'un rendez-vous citoyen, universel et égalitaire, réunissant garçons et filles, donnant lieu principalement à une évaluation médicale et scolaire, à une sensibilisation à la défense et à la vie civique, à des actions en faveur de l'insertion et de l'orientation.
Le projet de loi déposé par le gouvernement d'Alain Juppé le 28 novembre dernier développait ainsi un ensemble de mesures visant notamment à dresser un bilan sanitaire, scolaire et socioprofessionnel qui devait permettre aux jeunes de mieux connaître leurs aptitudes et d'identifier les difficultés auxquelles ils peuvent être confrontés.
L'appel de préparation à la défense, ce simple cours d'instruction civique d'une journée qui nous est proposé aujourd'hui, ne peut nous satisfaire. Il s'agit là d'une mascarade destinée à dissimuler l'abandon par le Gouvernement socialiste d'un projet fort et cohérent de mobilisation civique. Cette journée, que nous préférons appeler Rencontre armées-jeunesse, doit être dense. En l'état, elle paraît insuffisante pour répondre efficacement à notre attente, en préservant les missions traditionnelles de prévention et d'évaluation.
Peut-on miser, comme il est suggéré dans le texte qui nous est soumis, sur le relais de l'éducation nationale ? En effet, celle-ci est déjà sollicitée sur de multiples fronts et impuissante à faire face, faute de moyens ou de mobilisation suffisante, à l'échec scolaire chronique.
L'éducation nationale est-elle capable, compte tenu des réticences de nombreux enseignant, sur les principes de notre défense nationale - M. le ministre de l'éducation lui-même les a évoquées - de sensibiliser les élèves aux besoins de nos armées ?
A une époque où l'effondrement de nombreuses structures familiales, où la précarité économique et sociale, frappent de larges couches de la population, engendrant pour quantité de jeunes mineurs de seize à dix-huit ans une situation dangereuse sur le plan tant éducatif que médical, il paraît plus que jamais nécessaire que le rendez-vous de cohésion nationale qui est proposé donne lieu à une réelle détection des cas de carence.
Ce fut jusqu'ici la grandeur de notre service national de pallier les dysfonctionnements du système éducatif en combattant l'illettrisme, en concourant utilement à la formation professionnelle de base et en assurant le suivi médical de nombreux appelés n'ayant pas bénéficié jusqu'alors de traitements appropriés à leurs pathologies.
Certes, et fort heureusement, cela concernerait peut-être une minorité de jeunes, mais en un temps où la situation de très nombreux adolescents se dégrade, peut-on se désintéresser de cet aspect des choses, secondaire apparemment par rapport à l'objectif du présent texte, mais dont l'abandon constituerait une régression majeure par rapport à ce qui se pratiquait antérieurement ?
La médecine scolaire, qui est déjà saturée, n'est nullement en mesure de jouer le rôle qu'avait l'armée en matière de prévention. Dans sa sagesse, et consciente des responsabilités qui nous incombent, la commission de la défense du Sénat a réintroduit dans le projet de loi du Gouvernement des dispositions visant à préserver ce bilan sanitaire et scolaire indispensable.
La réforme du service national est profonde et marque, à n'en pas douter, une rupture radicale avec l'esprit même de la conscription qui mobilisait depuis la Révolution française les jeunes hommes pour sauver la patrie en danger.
Cette rupture, inéluctable, intervient à un moment où la jeunesse doute de son avenir tant le chômage rend aléatoire son insertion professionnelle. Aussi devons-nous nous interroger ici sur le sens de la période d'incorporation qui va être demandée aux dernières classes d'âge d'ici à 2002.
Je partage le souci de ne pas accentuer le caractère inégalitaire des dispenses ou des reports, et je comprends la nécessité pour l'armée de gérer des effectifs tout au long de la phase de transition. Mais il me semble tout aussi injuste de placer des jeunes, diplômés ou non, dans les quatre ans qui viennent, dans la situation de se voir refuser un emploi sous prétexte qu'ils n'ont pas accompli des obligations militaires dont la disparition est programmée à brève échéance. Au-delà des principes républicains, il me semble que la réalité sociale doit être prise en compte avec pragmatisme et que les commissions régionales de dispenses doivent pouvoir examiner de manière appropriée les situations individuelles qui leur sont soumises.
En tant que maire, je constate le problème que pose à de nombreux jeunes et à leurs parents cette perspective vécue comme une contrainte insupportable, alors même qu'ils ont eu la chance, ou simplement le mérite, par leur détermination, de trouver un emploi en contrat à durée indéterminé avant d'avoir effectué leur service national.
Il est nécessaire aussi de s'interroger sur les conséquences, pour de petites entreprises souvent à caractère familial, du départ d'un jeune, diplômé ou non, devenu l'élément indispensable d'un marché ou d'une labellisation dont l'interruption risque de porter un coup fatal au développement économique de l'entreprise.
Nous sommes engagés dans une réforme sans précédent depuis l'an II de la République pour adapter notre système aux réalités du monde d'aujourd'hui. C'est sans nostalgie que nous devont opérer cette mutation, sûrs que nous sommes de sa justification ; mais notre volonté est de déboucher sur une implication plus grande de la communauté nationale tout entière en renforçant le sens civique des jeunes Français.
Cela va de pair avec le rôle fondamental de la nation de dresser, en cette circonstance capitale, un état des caractéristiques d'une classe d'âge, permettant les remises à niveau et le développement d'une véritable prévention, sans distinction d'origine sociale.
C'est, en demeurant fidèle à ce principe, respecter un des idéaux fondateurs de la République française. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Rouvière.
M. André Rouvière. Monsieur le ministre, nous examinons aujourd'hui votre projet de loi portant réforme du service national. Ce texte s'inscrit dans une démarche engagée en 1996 et dont vous n'êtes pas l'auteur : c'est en effet M. le Président de la République, Jacques Chirac, qui a décidé la professionnalisation de nos armées.
Au cours des discussions que nous avons eues avec votre prédécesseur, M. Charles Millon, j'ai regretté à plusieurs reprises que le destin du service national se traite en dernier ; je voulais dire par là que les décisions antérieures du Parlement concernant la professionnalisation et la loi de programmation militaire conduisaient, en fait, à la disparition du service national.
Je pensais, et je pense encore, que cette disparition est une grave erreur.
Il était alors possible de transformer et ainsi d'adapter le service national aux exigences nouvelles des conflits et des agressions multiformes, et de répondre en même temps aux besoins d'intégration de notre société ainsi qu'aux aspirations de notre jeunesse.
La volonté du Gouvernement précédent, sa méthode de progression vers une armée de métier ne l'ont pas permis. Aujourd'hui, monsieur le ministre, vous êtes prisonnier de cette situation. L'héritage est lourd ; il représente un parcours d'obstacles dans lequel votre marge de manoeuvre est étroite.
En dépit de ce passage exigu, vous introduisez de la cohérence, du bon sens et de la mesure. Contrairement à ce qu'affirmait notre collègue Nicolas About, il ne s'agit pas de ralliement, il s'agit de réalisme ! Pour vous, monsieur le ministre, il n'était pas question de ballotter nos armées d'une réforme avancée à une nouvelle réforme. Je suis convaincu que les militaires, auxquels je rends hommage, y seront sensibles.
Votre projet de loi n'est donc pas une rupture. Il constitue une adaptation à une situation dont les contraintes multiples et parfois contradictoires limitent, voire rendent impossibles les choix que vous auriez voulu nous proposer. Il était bon de le rappeler car ceux qui, hier, ont créé cette situation ont déjà commencé aujourd'hui à vous le reprocher. Je leur dis très cordialement que ce sont eux qui ont édifié l'espace étroit dans lequel l'actuel ministre de la défense doit oeuvrer.
En dépit de cet environnement défavorable, monsieur le ministre, votre projet de loi s'inscrit dans la cohérence. Trois exemples suffiront à le démontrer.
Premièrement, vous poursuivez la marche vers la professionnalisation des armées avec la double préoccupation de votre prédécesseur, à savoir la disponibilité et la mobilité des armées. Le volontariat, d'une part, et la réserve, d'autre part, compléteront notre dispositif militaire. D'ici à 2002, le volontariat rassemblera plus de 27 000 jeunes garçons et jeunes filles, dont plus de 16 000 seront affectés dans la gendarmerie au niveau des départements.
Monsieur le ministre, les gendarmes volontaires seront-ils logés comme le sont les titulaires ? Cette réforme devrait permettre, me semble-t-il, de mettre un terme à un transfert de charges trop pratiqué, qui consiste, encore aujourd'hui, à demander aux communes de loger les gendarmes auxiliaires venant en renfort dans leur brigade.
Deuxièmement, vous préparez la disparition de l'actuel service national tout en gardant la possibilité pour le Parlement de réactiver l'appel sous les drapeaux.
Troisièmement, vous entendez poursuivre l'effort de réduction des dépenses entamé, je le rappelle, par vos prédécesseurs. Cette démarche cohérente porte la marque du bon sens.
Le rendez-vous citoyen est remplacé par l'appel de préparation à la défense. D'un rendez-vous de cinq jours, nous passons à un appel d'une journée.
Je n'ignore pas que la suppression du rendez-vous citoyen risque d'être mal perçue par les villes - je pense à Nîmes, dans le Gard - qui devaient l'organiser. Il est probable que des compensations d'activité seront demandées, monsieur le ministre. Pour ma part, elles me paraîtraient très opportunes.
Malgré cela, votre proposition procède du bon sens. En effet, à beaucoup d'entre nous, et de tout horizon politique, le rendez-vous citoyen apparaissait comme un outil inutilisable, car ingérable, inadapté et financièrement lourd.
Dans les rangs même de l'ancienne majorité, c'est-à-dire de la majorité actuelle du Sénat, parmi d'éminents spécialistes des questions militaires, M. Philippe de Gaulle disait avec clairvoyance et réalisme du haut de cette tribune, lors de notre séance du 4 mars 1997 : « Dans le domaine pratique, ou pragmatique, si vous voulez, je propose que le "rendez-vous citoyen", qui est une idée louable, soit plutôt appelé le "recensement national" et qu'il s'en tienne à ce qu'on appelle couramment "les trois jours", c'est-à-dire à une seule journée effective, comme le système en est bien rodé maintenant. » Il est alors précisé, dans le compte rendu intégral des débats du Sénat : « (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.) »
Oui, il s'agit bien de réalisme !
Certains continueront à affirmer qu'un seul jour est insuffisant et que l'on pourrait donc le supprimer. Ce serait une nouvelle erreur, car il constitue un signal fort du lien armées-nation.
Le contenu de cette journée est certes important, mais la signification qu'elle porte en elle est encore plus importante, car elle concrétise l'idée de devoir envers la nation.
Ce lien armées-nation est encore renforcé par le recensement obligatoire et par la relation nouvelle, opportune, armées-école : « Les programmes scolaires incluent une initiation des adolescents aux principes de la défense. » Et c'est à la lumière de cette modification des programmes scolaires que la journée, la seule journée, prend toute sa signification.
Tout cela est cohérent, tout cela procède du bon sens et aussi de la mesure ; de la mesure, c'est-à-dire de l'équilibre.
Vos propositions visent à atteindre l'efficacité au moindre coût. Trois exemples peuvent illustrer cette affirmation.
Premièrement, s'agissant de l'appel de préparation à la défense, dans un souci louable de perturber le moins possible le travail, les études, les programmations, les jeunes pourront choisir parmi trois dates au moins. Pour ceux qui travaillent, cet appel fera l'objet d'une autorisation exceptionnelle d'absence, sans réduction de rémunération.
Deuxièmement, les jeunes nés avant le 1er janvier 1979 et soumis à l'appel sous les drapeaux pourront bénéficier d'un allongement du report d'incorporation ainsi que d'un assouplissement des dispenses des obligations militaires.
Troisièmement, l'employeur ne pourra pas résilier un contrat de travail en raison du service national.
Ces propositions sont en parfaite cohérence avec les emplois que le Gouvernement de Lionel Jospin veut proposer aux jeunes. Elles témoignent aussi de votre préoccupation, monsieur le ministre, de rendre compatibles les exigences de notre défense et les préoccupations, les intérêts de notre jeunesse.
Au moment où le Gouvernement met en place les emplois-jeunes, il aurait été difficile de comprendre qu'un appel sous les drapeaux en voie de disparition prive systématiquement un jeune de son emploi. Les mesures que vous proposez, si elles sont accompagnées d'un peu de compréhension lors de leur application, devraient éviter l'apparition de situations pénalisantes.
Malgré la situation difficile laissée par vos prédécesseurs, votre projet, monsieur le ministre, apporte des solutions simples et réalistes. Le groupe socialiste le soutiendra. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi pour certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Vigouroux.
M. Robert-Paul Vigouroux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le mardi 4 mars 1997, j'intervenais à cette tribune lors du débat sur le projet de loi portant réforme du service national pour démontrer que, même si les intentions pouvaient être louables, leurs effets déboucheraient sur un échec compte tenu d'une totale impossibilité pratique de mettre en oeuvre de semblables décisions.
Et je disais alors : « En cinq jours, qui ne seront que quatre, de par l'accueil à l'arrivée et les formalités de départ, en dix centres, d'autres peut-être dans le futur, en quarante semaines au maximum, comment peut-on penser que l'on puisse, de manière sérieuse, faire le bilan de santé des participants, leur donner une information dans ce domaine, dresser avec eux un bilan de leur situation - personnelle, scolaire, universitaire et professionnelle - rappeler le fonctionnement des institutions de la République et de l'Union européenne - vaste programme - expliquer les enjeux de la défense, conforter l'esprit d'appartenance à une communauté nationale et présenter les différentes formes du volontariat ? »
Mon exposé mettait en évidence « qu'on ne peut pas faire tenir un tonneau dans une bouteille d'un litre, sauf quand elle est cassée ». Je n'envisageais par ailleurs qu'en une phrase les répercussions financières d'un tel rendez-vous de cinq jours tant je songeais à l'incapacité de le réaliser.
L'utopie peut être pavée de bonnes intentions, mais les échéances électorales le sont parfois de trompeuses propositions. Une remise en ordre était donc indispensable, d'autant qu'un tel rendez-vous, où tout devrait se faire et où rien ne serait réellement accompli, coûtait néanmoins une semaine à chaque jeune citoyen, sans oublier les entreprises, et à l'Etat une prise en charge dont nous ne connaissions pas le montant.
Un nouveau projet de loi nous est présenté, comportant un recensement - la nation en a besoin - et une rencontre d'un seul jour avec l'armée, informatrice et républicaine, suffisante en soi, géographiquement et temporellement répartie pour éviter des files d'attente et des pertes de temps, en privilégiant l'efficacité. Voilà donc un point de ma précédente controverse positivement résolu.
J'en avais soulevé un second, celui d'une discrimination qui excluait, pour un temps certes - mais nous savons tous la durée du temporaire - nos jeunes filles d'un accès, identique à celui de nos garçons, aux différentes possibilités de coopération proposées et à un engagement volontaire. J'aimerais, monsieur le ministre, que les délais d'attente soient écourtés afin de permettre à celles qui en feraient la demande d'accéder à ces postes.
Monsieur le ministre, votre projet répond, je pense, aux questions que j'avais posées, et mon vote sera donc positif.
Mais je n'aurais pas eu de raisons de venir dire seulement mon approbation à cette tribune si je n'avais pas cru nécessaire d'exprimer d'autres préoccupations.
La première a trait à la période de transition. Comme souvent, un flou demeure en ce qui concerne les générations intermédiaires, alors qu'en matière d'emploi, en particulier d'emploi des jeunes, nos décisions ne doivent surtout pas gêner cette tranche d'âge.
Je désire, monsieur le ministre, attirer votre attention sur l'importance de plusieurs facteurs. Il me semble tout d'abord primordial de respecter autant que faire se peut le principe d'égalité étant donné la différence majeure qu'induira inévitablement la réforme entre les classes d'âge.
Ensuite, il faut prendre en compte les difficultés économiques auxquelles ces jeunes sont confrontés dans la période actuelle et veiller à ne pas faire obstacle aux opportunités professionnelles dont ils pourraient bénéficier. Je vous demande donc d'atténuer l'impact de la loi sur les jeunes qui seront concernés pendant cette période transitoire.
Il est bien entendu par ailleurs, monsieur le ministre, qu'en cas de danger pour la nation l'ensemble des Français et Françaises recensés pourront être normalement appelés à défendre la République. Les derniers conflits dans différents pays ont bien montré la valeur d'une telle mobilisation générale associée à l'action d'une armée de métier.
Enfin, j'aborderai un dernier point : on exige des sociétés des bilans financiers, je demande à la société des bilans humains.
En préambule, monsieur le ministre, je déclare partager votre opinion. Ces bilans ne relèvent pas de votre ministère. Alors, pourquoi en parler aujourd'hui ? Simplement parce que ces problèmes, hors débat, ont néanmoins suscité des interventions et des discussions assez houleuses à l'Assemblée nationale et que nous ne saurions ici les passer sous silence, non pour en débattre maintenant, mais pour demander une prise en compte de ces questions par le Gouvernement.
Il me semble évident que le rôle de l'armée nouvelle et moderne n'est pas de réaliser un bilan de santé ou un bilan personnel, scolaire, universitaire, professionnel, ou encore d'expliquer les institutions de la République et de l'Union européenne. Serait-ce même démocratiquement raisonnable ?
Je sais cependant que, au-delà des compétences de votre ministère, vous avez des opinions sur les moyens de répondre à ces lacunes qui demeurent en suspens et dont vous avez certainement discuté au sein du Gouvernement. Je vous demande non pas de les développer, puisqu'elles dépassent le cadre de vos fonctions, mais au moins de les effleurer devant notre assemblée, que vous connaissez bien et dont vous savez la sagesse, pour apaiser quelques inquiétudes.
Me permettrez-vous, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de lancer quelques idées ? Elles ne sont pas originales, je le sais, mais encore est-il bon de les répéter sans cesse.
Dans le domaine de la santé, un bilan ne pourrait-il pas être instauré par la médecine scolaire à l'âge de seize ans ? Cette suggestion a déjà été faite. J'ajoute que, si les salariés bénéficient chaque année d'une consultation médicale et s'ils ont droit tous les cinq ans à un bilan plus complet, il n'en est pas de même pour nos autres concitoyens : l'égalité n'est pas respectée.
Je soulève là, je le sais, une vieille controverse entre la prévention et les soins. Qui va payer ? J'entends déjà des objections. Ne serait-ce pas folie que de surcharger ainsi les dépenses de notre système de santé ?
A cela, je réponds que la solution est d'engager, avec tout le sérieux et le temps nécessaires, des réflexions, des discussions avec tous les partenaires concernés par ce sujet primordial, pour aboutir à une vue commune et à des accords qui ne se limitent pas à des timbres-poste, mais recouvrent l'ensemble d'un système de santé que nous voulons sauvegarder, alors qu'il s'enlise dans des déficits au risque de disparaître.
En ce qui concerne le bilan personnel, scolaire, universitaire et professionnel, qui mieux que nos enseignants pourrait le faire ? Ils connaissent leurs élèves ! Beaucoup s'y emploient déjà à titre personnel. Certes, quelques erreurs d'appréciation demeurent possibles, mais elles sont corrigeables. Et ces mêmes enseignants sont aptes à expliquer le fonctionnement de la République et de l'Union européenne.
Un autre point important touche à l'information. Puis-je suggérer que des textes, simples à lire et à comprendre, soient distribués à nos jeunes, soit lors de leur recensement, soit avant leur appel à la préparation à la défense, afin qu'ils puissent poser leurs questions sur un éventuel volontariat et qu'un dialogue s'instaure.
Il me semble également nécessaire d'utiliser aujourd'hui à bon escient des méthodes modernes de diffusion multimédias. Notre jeunesse est de plus en plus à l'écoute des informations ainsi fournies. L'armée ne tirerait que profit à dire ce qu'elle propose.
Enfin, en ma qualité de sénateur, je suis allé, comme vous, mes chers collègues dans des écoles où j'ai expliqué ce qu'était notre assemblée et où, devant des professeurs, j'ai répondu à un feu d'interrogations posées par les élèves. L'armée pourrait faire de même avec, j'en suis persuadé, plaisir et intérêt, car elle est toute désignée pour expliquer ce qu'elle est, ce qu'elle fait et risque malheureusement d'avoir à entreprendre, en faisant une description en direct qui passionnerait sans doute nombre de nos jeunes.
Autrement dit, je crois possible de réaliser ces bilans et cet enseignement sans rien abandonner, en utilisant des moyens adaptés. Dans un tel engagement social, chacun jouerait son rôle en fonction de ses compétences et dans l'intérêt de notre jeunesse.
Monsieur le ministre, je vous prie d'excuser cette intrusion « hors sujet », mais il s'agit d'un sujet qui me tient à coeur. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de quoi s'agit-il ? Quelle défense voulons-nous pour la France du début du troisième millénaire ? Quelles missions, quelles ambitions, quelles responsabilités seront les siennes en Europe, dans le bassin méditerranéen et dans le monde entier, missions, ambitions et responsabilités liées bien entendu à notre géographie, à notre histoire, à notre culture et aux intérêts vitaux de notre pays, mais aussi, et de plus en plus, à nos engagements internationaux dans le cadre de l'ONU, de l'OTAN, de l'UEO et des traités bilatéraux qui nous lient encore avec certains pays ?
Si elle veut continuer à afficher ses ambitions et à assumer l'ensemble des missions et responsabilités qui en découlent, la France se doit d'avoir une vision de l'évolution du monde. Avoir une vision, c'est faire preuve de discernement et c'est opérer des choix stratégiques dans un certain nombre de domaines. Cela signifie avoir une politique étrangère - ou plutôt une politique des relations extérieures - et une politique de sécurité extérieure et intérieure qui en découle. Cela implique un niveau de forces suffisant, donc pertinent, pour être en mesure de dissuader tout éventuel agresseur, de le réduire en cas d'attaque et de participer aux missions de paix sous mandat international.
Les forces, ce sont les armements, toute une panoplie d'armes et de systèmes d'armes servis par des hommes et des femmes en nombre suffisant et dotés de qualifications adaptées aux besoins du moment.
Ce dispositif doit être continu, adaptable. Il doit pouvoir, quasiment sans délai, monter en puissance, changer de format et de posture.
M. le président de la commission et M. le rapporteur ont abordé ces questions de façon très pertinente.
La réduction du format de nos forces, donc de nos armées, nous permettra-t-elle de continuer à afficher nos ambitions et à assumer l'ensemble des missions qui en découlent sans un appel permanent dès le temps de paix et à plus forte raison en temps de crise aux réservistes et aux unités de réserve ? Je crois que tout le monde ici conviendra que la réponse est négative. C'est sans doute un premier point sur lequel nous serons d'accord, monsieur le ministre.
Les réserves sont appelées à faire partie à part entière du dispositif permanent de défense, en tout temps, en tout lieu, en toute circonstance, et souvent de façon immédiate.
Dès lors, il faut mettre sur pied un système de réserves adapté aux réalités d'aujourd'hui en termes de statut militaire et professionnel, de budget, de doctrine d'emploi. C'est donc non pas d'un changement de degré, mais d'un changement de nature qu'il s'agit. Ce matin, au cours d'un entretien, vous êtes d'ailleurs convenu qu'il faudrait peut-être trouver une autre appellation que celle de « réserves » ; ce ne peut être bien entendu « garde nationale ». Il faudra, dans ce domaine, faire preuve d'imagination.
L'oeuvre entreprise ne pourra être menée à bien que si elle est accompagnée - c'est là sans doute que réside la difficulté - d'une révolution culturelle dans les milieux politiques - je sais que certains appréhendent que l'on fasse appel aux réservistes, notamment, j'y reviendrai aussi, dans le cadre des unités de gendarmerie - mais aussi au sein des armées, chez les employeurs civils et publics, ainsi que dans l'opinion publique.
L'abandon du concept de « rendez-vous citoyen », sur lequel je ne pleurerai pas, devrait renforcer mon argumentation tendant à prendre en considération au niveau où je la place, c'est-à-dire au même niveau que les autres ressources humaines de nos forces armées actuelles, la composante indispensable qu'est l'unité de réserve.
En effet, après la mise entre parenthèses du service national, il ne nous restera plus que les réservistes pour maintenir un certain lien entre l'armée et la nation, entre l'armée et la société civile. Les réserves seront alors l'unique véritable cordon ombilical entre les armées et la nation, entre nos forces et le peuple de France. Mais, pour cela, il nous faudra rapidement - c'est, je crois, ce à quoi vous vous employez, monsieur le ministre - se poser deux questions essentielles et répondre à ces deux questions.
La première question porte sur l'emploi des unités de réserve. Il sera nécessaire de mettre au point une doctrine d'emploi. C'est primordial pour répondre aux questions que se posent souvent les militaires : pourquoi, comment, avec qui et avec quoi ?
La seconde question est celle du statut. Nous devons en effet doter les réservistes d'un statut militaire et social digne de ce nom, à la hauteur de ce que nous attendons d'eux.
Pour illustrer mes propos, je m'appuierai sur l'exemple d'une des composantes de nos forces que je crois connaître un peu : la gendarmerie.
La gendarmerie, à mon sens, doit avoir une place à part dans cette réforme, en temps de paix comme en temps de crise, et quelle que soit la gravité de cette crise.
La gendarmerie, force de sécurité intérieure polyvalente, doit pouvoir s'appuyer sur une réserve entraînée, présélectionnée et disponible, en tout cas pour certains de ses éléments, quasi instantanément.
Essentielle pour la sécurité individuelle et collective, la gendarmerie doit être dotée de tous les moyens en personnels nécessaires pour faire face à l'ensemble de ses missions et pour assurer la montée en puissance non pas des autres forces, comme c'était souvent le cas jusqu'à présent, mais de son dispositif permanent de défense, en temps de paix et, à plus forte raison, en temps de crise.
Imaginons le cas d'un plan Vigipirate d'une très grande ampleur ou d'une crise quasi insurrectionnelle. N'aurions-nous pas, alors, besoin de ces gendarmes ?
A mes yeux, deux questions se posent. D'abord, comment la gendarmerie recrutera-t-elle demain ses volontaires et gendarmes auxiliaires sous contrat en temps de paix ? Ensuite, la gendarmerie pourra-t-elle continuer à assurer, après la réforme du service national, ses missions en période de crise, en tous lieux, en tous temps, en toutes circonstances, tout de suite, sans faire appel aux réservistes, et, dans le cas contraire, de quels réservistes s'agira-t-il puisque la source de recrutement sera en partie tarie ?
Sur le premier point, la loi de programmation militaire a fait de l'augmentation du nombre des volontaires la seule ressource supplémentaire accordée à la gendarmerie pour faire face à l'accroissement de ses missions. En dépit d'une forte déflation du nombre de sous-officiers de gendarmerie, la cohérence de ce format reposait sur une structure d'effectifs comprenant 16 232 volontaires engagés pour vingt-quatre mois et bénéficiant d'une rémunération de 70 000 francs par an.
Depuis, les choses ont évolué. Il serait intéressant, monsieur le ministre, que vous puissiez nous dire où nous en sommes exactement et ce que les militaires d'active de la gendarmerie sont en droit d'espérer.
La définition du volontariat telle qu'elle avait été retenue prévoyait notamment un régime de rémunération peu attractif, en retrait par rapport au montant arrêté dans la loi de programmation.
Alors que chacun s'accorde à reconnaître que les gendarmes auxiliaires constituent actuellement une ressource d'excellente qualité, apportant un concours extrêmement précieux dans l'exécution quotidienne d'un très grand nombre de missions de sécurité publique, il y a tout lieu de redouter que les futurs volontaires - ou toute autre formule semblable - n'offrent ni les mêmes garanties ni les mêmes possibilités.
Même si les personnels d'active sont un peu rassurés depuis l'été dernier, ils demeurent inquiets, monsieur le ministre. Des commandants de brigade ou des chefs de peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie doivent être sûrs de leurs personnels hors statut de la gendarmerie, car ceux-ci n'en sont pas moins étroitement associés à des missions souvent complexes et délicates, requérant parfois l'usage de la force ouverte.
La direction générale de la gendarmerie nationale étudiait naguère la possibilité - je ne sais si des conclusions de cette étude ont été tirées - sous le plafond des 16 200 volontaires prévus par la loi de programmation militaire, de faire cohabiter des volontaires au sens strict avec une nouvelle catégorie de militaires sous contrat, qui pourraient représenter, à terme, environ les deux tiers de l'effectif. Là encore, qu'en est-il exactement ? Peut-on considérer que les avancées qui ont été annoncées au cours de l'été sont définitives ?
L'amalgame de ces militaires sous contrat, assimilables à des semi-professionnels, suppose toutefois que leur soit attribuée une rémunération qui devrait se situer entre 5 000 et 6 000 francs mensuels ; les dotations budgétaires inscrites dans la loi de programmation autorisent cette mesure.
J'en arrive à la question de savoir si la gendarmerie pourra continuer à afficher ses ambitions et à assurer ses missions dès le temps de paix et, à plus forte raison, en temps de crise, en tous temps, en tous lieux et en toutes circonstances. Comme pour ce qui concerne l'ensemble des armées, la réponse est encore non, je le crains.
C'est ce que j'affirmais déjà dans un rapport de 1994 intitulé Les réserves, un deuxième souffle pour les armées. Avec la réforme des armées qui est intervenue entre-temps, c'est encore plus vrai.
Les réservistes sont, en effet, appelés à intégrer à part entière le dispositif permanent du service public de sécurité que met en place le directeur général de l'armée dans le cadre du plan d'action « Gendarmerie 2002 ». Ce plan vise à mettre les activités de l'armée en harmonie avec la loi d'orientation relative à la sécurité et avec la circulaire gouvernementale de juillet 1995 sur la réforme de l'Etat. Jusqu'ici, me semble-t-il, ni M. le Premier ministre ni vous-même, monsieur le ministre, n'êtes revenus sur les dispositions de cette circulaire.
Je ne pense pas, d'ailleurs, monsieur le ministre, que vous soyez en rupture totale avec votre prédécesseur sur nombre de ces points.
Le changement en cours est radical. Il ne s'agit plus d'une question de degré ; il s'agit d'un changement dans la nature même de la conception et de l'emploi des réservistes dans la gendarmerie nationale.
Ainsi, les réservistes seront employés, pour certaines missions spécifiques de la gendarmerie, en qualité de professionnels à temps partiel, mais ils seront une composante à part entière de la gendarmerie nationale et seront associés dès le temps de paix à certaines missions de l'armée.
Nous avions réalisé, il y a trois ans, des expérimentations qui se sont révélées parfaitement concluantes. Je sais que depuis, donc en temps de paix, dans tous les groupements de gendarmerie, on utilise les réservistes, pour effectuer certaines missions liées, par exemple, à la concentration de population ; cela permet de soulager les militaires de l'armée, dont les compétences propres sont ainsi mieux utilisées.
Monsieur le ministre, quels moyens budgétaires prévoyez-vous pour poursuivre ces expérimentations et assurer une montée en puissance de l'utilisation des réservistes de l'armée ?
Les réserves de la gendarmerie deviendront de la sorte l'indispensable facteur de souplesse, le seul peut-être, pour que la gendarmerie puisse réagir efficacement à une situation de crise, localisée ou généralisée, en tous temps et en toutes circonstances.
Par ailleurs, comment s'articulent, dans le cadre de la réforme des armées, la loi de programmation militaire, le plan d'action « Gendarmerie 2002 », les missions assignées, en temps de crise, à la gendarmerie, qui devra, faut-il le rappeler, faire un appel massif aux réservistes, et la réforme du service national, qui va tarir considérablement la source de recrutement des réserves ?
Monsieur le ministre, c'est le parlementaire et l'élu local qui vous pose cette question, mais c'est aussi le réserviste de la gendarmerie que je suis. En tout cas, nombreux sont ceux qui attendent des réponses précises sur ce point. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le président, je me permettrai d'en appeler à l'indulgence des intervenants, car je vais m'efforcer de leur répondre brièvement, étant entendu que j'aurai l'occasion d'apporter les précisions souhaitées lors de la discussion des articles, que le Sénat souhaite, je le sais, aborder sans tarder. Je regrouperai mon propos autour de quelques thèmes qui ont été abordés de manière récurrente par les uns et par les autres.
A M. le rapporteur, je dirai d'abord que je partage un certain nombre des préoccupations essentielles qu'il a exprimées.
Je pense en particulier au rôle qu'il souhaite voir l'éducation nationale tenir dans le renforcement de l'esprit de défense et dans la préparation d'un rappel possible d'effectifs plus importants, que prévoit effectivement le présent projet.
En exposant les différences avec le projet de loi précédent, M. le rapporteur à appelé l'attention du Sénat sur la question du bilan de santé. Je sais qu'il s'agit d'une question clé pour beaucoup de membres de cette assemblée. Le Gouvernement doit en effet rechercher des solutions qui tiennent compte de l'expérience acquise, mais qui soient aussi assurément applicables.
En ce qui concerne le volontariat, il a défendu une logique différente de la nôtre. A partir du moment où le Gouvernement, dans la cohérence de sa politique, souhaite fournir aux jeunes de nouvelles possibilités d'insertion professionelle en définissant un équilibre entre les obligations auxquelles ils doivent se soumettre et les possibilités - y compris en termes de statut social minimal - qui leur sont offertes par la société, à savoir un emploi avec un contrat de travail et avec une rémunération égale au SMIC, il ne serait pas réaliste d'affirmer que le seul secteur dans lequel des jeunes devraient, par principe, obtenir un statut social et une rémunération plus limités serait celui de la défense de notre pays.
Bien sûr, on peut être radicalement opposé au schéma de l'emploi des jeunes, mais je crois avoir noté que telle n'était pas l'approche du Sénat puisqu'il a souhaité examiner pleinement le projet de loi présenté par Mme Martine Aubry, mais en l'amendant parfois dans le sens d'un élargissement de son champ d'application.
Autant j'admets parfaitement la distinction intellectuelle qui est faite entre le volontariat selon l'ancien système et le volontariat tel que nous le proposons, autant je mets en garde contre une distinction morale qui consisterait à soutenir qu'un volontariat rémunéré à 2 000 francs serait l'expression d'une générosité et qu'un volontariat payé à 3 500 francs et 4 000 francs représenterait une sorte d'embourgeoisement qui lui retirerait toute valeur.
Il y a bien une différence, mais ce n'est pas un abîme.
A partir du moment où une nouvelle priorité - on peut la contester, mais elle a sa logique et elle répond, je le crois, à l'attente d'un très grand nombre de nos concitoyens, jeunes et moins jeunes - a été définie, il est logique de mettre en cohérence le statut social du jeune volontaire et celui du jeune occupant un emploi d'utilité publique dans d'autres secteurs, sans qu'on puisse pour autant parler d'assistance ni d'affadissement des missions de défense.
Le président de Villepin a très utilement rappelé les finalités de défense autour desquelles s'organise ce projet de loi, comme elles étaient d'ailleurs également au centre du projet de loi précédent.
Je veux répondre d'emblée à une question importante qu'il m'a posée : je considère comme nécessaire d'établir, dans les mois qui viennent, un nouveau protocole éducation nationale-défense.
Nous souhaitons en effet demander à l'éducation nationale d'instruire, comme elle le faisait dans un lointain passé, les jeunes sur la défense de leur pays, et beaucoup ont bien voulu approuver cette démarche. Cela suppose des collaborations nouvelles, une complémentarité entre notre appareil de défense et l'éducation nationale.
Il y a donc lieu de définir, dans un document majeur, les missions des uns et des autres et la manière dont les moyens seront répartis.
M. de Villepin a bien voulu noter l'impact positif que pourrait avoir la relance des préparations militaires, qui constitue l'une des originalités de ce projet de loi par rapport au précédent.
Il a également appelé l'attention du Sénat sur les différences existant entre l'ancienne formule du rendez-vous citoyen et la nouvelle formule de l'appel de préparation à la défense, expression dont le sigle heurte sa sensibilité. (Sourires.) A cet égard, il a estimé - et l'on sait que le choix des adjectifs est toujours chose délicate - que le rendez-vous citoyen était ambitieux et que l'appel de préparation à la défense était modeste. J'accepte tout à fait ces qualificatifs, avec toutes les implications qu'ils emportent.
M. Vigouroux a évoqué, voilà quelques instants, les risques que comportait l'instauration du rendez-vous citoyen, dont étaient conscients de nombreux sénateurs. M. About a affirmé que l'on aurait dû courir ces risques et apprécier ensuite la situation, mais après avoir pris l'attache des représentants de tous les groupes, notamment ceux du Sénat, le Gouvernement a pensé que ceux-ci étaient excessifs par rapport à l'efficacité que l'on pouvait attendre du rendez-vous citoyen. Ce dispositif était en effet ambitieux, et cette ambition nous paraissait imparfaitement servie par les moyens envisagés.
M. de Villepin a enfin insisté sur la nécessité de légiférer à propos des volontariats civils. Je ne peux faire ici qu'une annonce, mais elle engage bien sûr le Gouvernement : celui-ci devra déposer, au cours des prochains mois, un projet de loi fixant le statut des volontariats civils, en cohérence, comme l'a suggéré M. le président de la commission, avec le statut des volontaires militaires. Le ministère de la défense s'était organisé pour préparer très rapidement - nous y avons travaillé essentiellement pendant l'été - un nouveau texte répondant à l'urgence puisque, comme chacun ici se le rappelle, l'absence de convocation, depuis le début de l'année 1997, des jeunes appelés nés après le 1er janvier 1979 créait une incertitude juridique qu'il importait de lever rapidement.
En ce qui concerne le statut des volontaires civils, les ministères chargés de veiller à l'emploi et aux conditions sociales et économiques faites aux jeunes gens concernés sont principalement celui des affaires étrangères, le secrétariat d'Etat à la coopération, le secrétariat d'Etat au commerce extérieur, et éventuellement certains ministères d'action intérieure ; tout en leur fournissant un appui logique dans le débat interministériel, il m'a paru souhaitable de leur laisser un peu de temps, après qu'aura été défini en particulier le champ d'application de ces nouveaux volontariats, pour élaborer des propositions législatives qui devront être soumises au Parlement dans les prochains mois.
Je voudrais confirmer à M. Marini qu'un équilibre délicat est à trouver dans l'application de la grande réforme de la professionnalisation des armées. Comme il a bien voulu le rappeler, cette réforme a été engagée voilà déjà un an et demi ; nombre de ses conséquences ont été tirées, et la transition difficile, qui concerne l'ensemble des services du ministère de la défense, notamment la direction du service national, limite la marge de manoeuvre. D'autres orateurs l'ont également souligné.
Quand M. Marini me demande de lui permettre de regretter certains des effets de la professionnalisation, je ne peux, bien entendu, qu'accéder à son souhait. Cela étant, comme l'a très bien relevé M. le président de la commission, le Gouvernement s'est trouvé confronté à une situation qu'il se devait d'assumer. Il n'était pas responsable d'envisager de revenir sur le principe de la professionnalisation, et nous devrons par conséquent prendre en compte toutes les conséquences de celle-ci.
Je partage également l'opinion de M. Marini sur l'importance des réserves, et j'y reviendrai en répondant à d'autres orateurs. Elles feront l'objet de la prochaine réforme décisive dans la mise en place du nouveau système de défense, et j'espère que celle-ci mobilisera autant le Sénat que notre débat d'aujourd'hui.
Par ailleurs, puisque M. Marini a souligné quelques problèmes budgétaires, je tiens à m'excuser auprès de vous, mesdames, messieurs les sénateurs, de ce que, soucieux de ne pas alourdir notre discussion, je n'engage pas dès maintenant le débat budgétaire, avec les conséquences financières qu'a ce projet de loi. Il n'en demeure pas moins que j'ai bien entendu pris note très scrupuleusement des questions budgétaires auxquelles la Haute Assemblée s'est montrée sensible.
Je rejoins enfin M. Marini pour constater que la recherche, au travers de l'instauration de l'appel de préparation à la défense, d'une répartition territoriale beaucoup plus fine du dispositif sur l'ensemble des départements, au lieu de la concentration sur une dizaine de sites majeurs prévue dans l'optique de la mise en place du rendez-vous citoyen, crée une relation nouvelle avec les collectivités. En effet, certaines d'entre elles pouvaient espérer qu'un centre de rendez-vous citoyen viendrait compenser la perte d'autres activités militaires. Comme M. Marini le sait, la concertation a déjà été engagée avec l'ensemble des collectivités concernées, mais il a bien fait de noter que, outre la question des pertes d'emplois pouvant résulter d'une telle évolution, se posait un problème urgent en matière d'aménagement urbain pour certains sites couvrant plusieurs dizaines d'hectares, qui ne peuvent être complètement désertés. Nous devrons en débattre de façon confiante avec les collectivités.
M. Dulait, pour sa part, a centré son propos, avec un grand souci du concret, sur la situation des jeunes et sur la difficulté de concilier l'appel sous les drapeaux de ceux d'entre eux qui sont nés avant 1979 avec les impératifs professionnels auxquels ils sont éventuellement soumis.
Ce point me préoccupe également, et c'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles j'ai souhaité que le texte soit approuvé le plus rapidement possible, afin qu'il puisse entrer en vigueur. En effet, comme M. Dulait l'a noté avec beaucoup de bon sens, la difficulté d'expliquer le régime de transition aux jeunes et à leur famille, ainsi qu'aux employeurs, contribue à rendre précaires les situations.
M. Dulait a également bien fait de rendre hommage au travail des membres des commissions régionales de dispense, qui se penchent sur un certain nombre de ces questions. Je rappelle, à ce propos, que le taux des dispenses rapporté à l'ensemble de la classe d'âge est relativement stable, puisqu'il se situe entre 4 % et 5 % pour ces trois dernières années. En outre, environ 55 % des dispenses prononcées répondent à des motifs économiques - il s'agit notamment de la situation classique dite de « soutien de famille » -, tandis que quelque 40 % concernent des binationaux qui ont excipé de leur état.
S'agissant de l'obligation de recensement, je suis tout à fait d'accord pour que nous diffusions rapidement une meilleure information. C'est la raison pour laquelle, suivant en cela le texte préparé par nos prédécesseurs, nous avons choisi de fixer l'âge de recensement à seize ans. En effet, il nous semble que la continuité sera ainsi assurée entre la mission dévolue à l'éducation nationale en matière de sensibilisation des jeunes - avant seize ans, par définition, tous les jeunes sont soumis à l'obligation scolaire - et l'obligation de recensement. Cela est d'autant plus nécessaire que nous avons l'intention, à partir de l'année prochaine, d'étendre cette dernière aux jeunes filles, lesquelles n'y sont pas du tout préparées psychologiquement aujourd'hui. Par conséquent, il faudra intensifier l'effort d'information.
M. Habert, quant à lui, a rappelé l'évolution historique qui a mené de la décision première de professionnaliser les armées au projet de loi actuel.
Je voudrais à nouveau insister sur le fait que le volontariat reste orienté vers un service à la collectivité, même si les jeunes volontaires bénéficient d'un statut social comparable à celui des jeunes relevant du plan emplois jeunes.
Je crois que M. Habert a eu raison de souligner la continuité qui doit exister entre l'appel de préparation à la défense et le rôle rempli par l'éducation nationale.
De plus, il a bien noté que le projet de loi prévoyait d'appliquer l'ensemble des obligations, qu'il s'agisse du recensement ou de l'appel de préparation à la défense, aux jeunes Français de l'étranger, en ménageant des adaptations de bon sens. Sur ce point, le Gouvernement continuera bien entendu à se tenir à l'écoute des parlementaires représentant les Français de l'étranger.
M. About, pour sa part, a exprimé, comme cela est parfaitement légitime dans le débat politique, une attitude critique face aux choix du Gouvernement.
Il a ainsi souligné que nous faisions le choix de la professionnalisation. Certes, il est parfaitement libre de nous le reprocher, mais qu'il me permette de relever que, si nous avions effectué le choix inverse, il nous l'aurait également reproché. Par conséquent, nous ne pouvons qu'implorer son indulgence.
Quant au caractère prétendument dogmatique du choix de substituer l'appel de préparation à la défense au rendez-vous citoyen, je tiens tout d'abord à souligner - c'est un autre point sur lequel il n'y a pas tout à fait convergence de vues, me semble-t-il, entre M. About et le Gouvernement ! - que nous croyons, pour notre part, au rôle qu'aura à jouer l'éducation nationale dans l'approfondissement de la connaissance, par les jeunes, du système de défense.
Je préfère le dire avec une certaine franchise : si des élus de ce pays pensent que l'éducation nationale n'est pas en mesure,...
M. Emmanuel Hamel. Ce n'est pas une question de mesure !
M. Alain Richard, ministre de la défense. ... comme elle l'a fait depuis un siècle, de transmettre aux jeunes les notions de civisme, de responsabilité collective et d'amour de leur pays, alors ils doivent en tirer bien d'autres conséquences que le simple rejet d'un article de ce projet de loi, et s'interroger sur un ensemble de responsabilités politiques qui, dans l'histoire récente de notre pays, ont été, c'est le moins que l'on puisse dire, équitablement partagées.
Personnellement, je préfère exprimer un choix de volonté politique et de confiance, qui est, me semble-t-il, un choix de rassemblement.
M. Hubert Haenel. Vous avez raison !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je voudrais essayer de convaincre M. About du fait que le travail effectué par le Parlement au cours des deux dernières années a été largement pris en compte dans le texte du Gouvernement. La preuve en est que, sur des articles complets, le projet du Gouvernement a repris, au mot près, la rédaction du texte issue de la navette, en particulier sur le point sensible des reports et des dispenses.
Je crois enfin que l'esprit de défense doit être développé aussi largement que possible au travers d'une collaboration entre l'éducation nationale et les personnels de la défense. J'ai bien l'intention de veiller, avec mon collègue de l'éducation nationale, à ce que des progrès concrets soient faits dans ce sens.
M. Emmanuel Hamel. Puissent-ils l'être !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je voudrais maintenant rendre hommage à la grande richesse de l'intervention de M. Delanoë, qui a relevé la cohérence de l'ensemble des décisions politiques qui ont suivi la déclaration initiale de M. le Président de la République.
Par ailleurs, la préoccupation, même si elle paraît lointaine, d'assurer une reconstitution de nos forces en cas de nécessité constitue l'un des fils conducteurs de ce projet de loi. Bien entendu, il n'appartient pas au ministre de la défense d'évoquer de façon plus ou moins responsable, devant une assemblée parlementaire, telle ou telle hypothèse stratégique qui pourrait, le moment venu, dans dix ou quinze ans, justifier une remontée en puissance des effectifs de notre défense. Toutefois, la fonction que j'exerce m'oblige à faire preuve d'un peu de pessimisme et à prévoir les situations les plus difficiles. De nombreux Français sont tout à fait disposés à le comprendre, et le Parlement n'a pas besoin de longues explications, me semble-t-il, pour faire ce choix de prudence. La préparation militaire constitue l'une des mesures conservatoires : en effet, un élément clé de la cohérence de notre dispositif réside dans le fait que la remontée en puissance supposerait un changement de dimension de nos forces armées.
Je rappelle les chiffres : le format de nos armées à l'horizon 2002 est d'un peu plus de 400 000 hommes, personnels civils compris, auxquels s'ajouteraient 100 000 réservistes. Si l'on devait renforcer ces effectifs, ne serait-ce que par la moitié d'une classe d'âge, nous devrions gérer un pourcentage d'augmentation très important.
En ce qui concerne le potentiel d'encadrement - et c'est le rôle des réservistes -, les dotations en matériel et le maintien d'un certain nombre d'emprises, nous devons avoir cette perspective à long terme. Cela donnera bien évidemment lieu à des critiques, par exemple lors de certaines discussions budgétaires.
On pourrait reprocher au ministère de la défense de vouloir conserver, parmi les emprises qui étaient traditionnellement les siennes, des camps d'entraînement ou des casernements très vastes alors que, à court terme, il a peu d'unités à y loger. Mais si nous devions gérer une remontée en puissance, il ne serait plus temps de chercher des espaces adaptés, des possibilités d'accueil et des capacités d'encadrement. C'est donc bien une cohérence à long terme qui a guidé le Gouvernement.
Par ailleurs, je rejoins l'approche de M. Bertrand Delanoë à propos de la place que doit avoir la défense du territoire national. La réflexion nouvelle sur la situation stratégique née de la chute du mur de Berlin, en 1989, et l'orientation dominante de la professionnalisation ont conduit à mettre essentiellement l'accent sur l'un des objectifs énoncés dans le Livre blanc, à savoir la projection, terme auquel je m'efforce de préférer le plus souvent les termes de « mobilité » et de « disponibilité ».
Le Livre blanc comporte quatre objectifs centraux, parmi lesquels figure la protection. En anticipant un peu sur la réponse que je dois à M. Hubert Haenel, je dirai que le renforcement des effectifs de la gendarmerie et l'importance des réservistes qui lui sont affectés, c'est-à-dire la moitié de l'effectif, correspondent en effet à une relève, à un changement de pied dans cette gestion de la défense du territoire : la gendarmerie deviendra de plus en plus l'arme de la défense à l'intérieur du territoire.
Enfin, je veux relever, parmi les nombreux éléments particulièrement intéressants de l'intervention de M. Bertrand Delanoë, le besoin d'étendre la connaissance de la défense et l'esprit de défense à l'ensemble de la société.
La nature du texte que nous examinons porte évidemment sur les obligations des jeunes et concentre notre attention à court terme essentiellement sur le lien entre la jeunesse et la défense. Cependant, si nous voulons que notre défense et nos choix de politique de sécurité soient compris par la population et soient assumés, notamment dans les périodes difficiles - ce n'est pas dans les périodes calmes que se vérifie l'esprit de défense - il faut que les nécessités de la défense et ses enjeux soient compris de l'ensemble de la société.
Par conséquent, cet approfondissement des préoccupations de défense dans l'ensemble des générations et des couches sociales est un sujet majeur de réflexion pour le Gouvernement. Il me paraît être la contrepartie nécessaire du choix de la professionnalisation. Il est de notre devoir de continuer à échanger, vous, parlementaires, et nous, Gouvernement, pour progresser vers cet objectif général.
Je saisis l'occasion de ma réponse à M. Bertrand Delanoë pour souligner que cette professionnalisation marque le franchissement d'une étape positive dans la place des femmes au sein de notre appareil de défense, place qui, je veux y insister, est de mieux en mieux comprise par les militaires eux-mêmes. La culture, la conception de la défense qui est la leur comprend aujourd'hui de façon positive l'apport des femmes dans la grande majorité des fonctions qui sont offertes à nos militaires. Comme le Sénat le souhaite, je ferai en sorte que la participation des femmes à l'appel de préparation à la défense ou à la convocation de défense - le nom sera choisi par accord général - soit la plus précoce possible avec, surtout, la possibilité pour les jeunes femmes de suivre une préparation militaire.
A M. Jean-Luc Bécart, je veux dire le respect que j'ai pour les interrogations qu'il a exprimées au nom de son groupe et mon assentiment pour le rappel des principes qu'il a fait, notamment la place du citoyen formé dans une défense républicaine. La période que nous traversons conduit, en fonction d'arguments importants fondés sur une analyse géostratégique, à suspendre le service national. Si cette question avait été abordée voilà huit ou dix ans, la marge des choix qui se présentent aujourd'hui au Gouvernement aurait sans doute été plus large ; cela n'a pas été le cas et il n'est pas dans mon intention d'en faire reproche à qui que ce soit. Simplement, la nouvelle situation nous impose, comme l'a dit très justement M. Bécart, de veiller particulièrement à la cohésion sociale, qui est une des bases de l'esprit de défense, et de maintenir ou de relever le niveau de la conscience civique, qui permettra au moins à nos concitoyens de mieux percevoir les efforts qui sont nécessaires pour l'ensemble de la société afin d'assurer sa défense.
M. André Rouvière. Très bien !
M. Alain Richard, ministre de la défense. M. Bécart a noté les améliorations que comporte ce projet de loi au regard, en particulier, du rôle du volontariat, consolidé sur le plan social et assorti d'une formation.
Il a noté aussi le rôle nouveau de l'éducation nationale. A cet égard, je le rejoins, les professeurs pourront être appuyés par une pluralité d'intervenants expérimentés, qu'il s'agisse de militaires ou d'autres personnes ayant une expérience des questions de défense.
Il a enfin noté notre souhait de dynamisation des réserves. Cela devrait permettre de poursuivre un dialogue constructif sur cette évolution.
M. Calmejane, lui aussi, a indiqué qu'en fonction des choix antérieurs il aurait préféré le maintien du rendez-vous citoyen. La journée de convocation de défense doit être dense, a-t-il dit. Sur ce point, nous nous rejoignons, et le Gouvernement tiendra compte, lorsqu'il adoptera les dispositions concrètes que M. Vinçon a rappelées ce matin, des recommandations et observations faites par les parlementaires.
Ce dispositif n'est pas figé. Nous nous efforcerons de l'adapter au mieux. A cet égard, je reviens d'un mot à une recommandation de M. de Villepin : il est sûr que nous ne pouvons pas maintenir dans le cadre législatif une incertitude sur la durée puisqu'il s'agit d'une sujétion prévue par l'article 34 de la Constitution. Je crois que nous ne pouvons pas renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de choisir la durée de la convocation. Nous serons bien obligés de fixer une convocation d'un jour ou de deux jours, si telle est l'alternative.
Je tiens à dire, en répondant à M. Calmejane et à M. de Villepin, que ce choix d'une journée a été fait pour des raisons pratiques parce que nous voyons de sérieux inconvénients et de sérieux risques de dérapage dans la formule d'hébergement collectif qui assortissait la convocation de plusieurs jours et que, à l'expérience, il faut en effet pouvoir s'adapter et donc réviser ce dispositif.
A M. Calmejane, je veux dire aussi que la détection des manques, des déficits sanitaires des jeunes est un devoir qui s'impose au Gouvernement. Ce n'est pas par la forme de la convocation militaire que nous entendons le remplir. En répondant à la commission sur l'article concerné, je serai amené à indiquer comment nous réfléchissons à une formule qui permette, avant l'appel de préparation à la défense, d'avoir une véritable détection des risques sanitaires majeurs auprès des jeunes. Sur ce point, il y a, sinon sur les modalités, du moins sur le principe, un souci de rencontre.
Je veux bien convenir avec M. Calmejane, s'agissant de l'approche pragmatique qu'il a bien voulu défendre du problème des reports liés à l'évolution professionnelle des jeunes, qu'il y a une situation particulière pour les très petites entreprises. Elle est d'ailleurs prise en compte pour le jeune qui est lui-même chef d'entreprise. Il est vrai que l'incorporation d'un jeune qui, dans une petite entreprise, a un rôle pratique important peut compromettre la vie de cette entreprise.
M. Calmejane a bien voulu noter le rôle positif des commissions régionales de dispense. Je crois que c'est essentiellement par le pouvoir d'appréciation de ces commissions, auxquelles nous pouvons, les uns et les autres, faire confiance, qu'il pourra être répondu à ces difficultés.
M. Rouvière a eu le mot juste en parlant de parcours d'obstacles à propos du processus de professionnalisation. Je voudrais, en le remerciant de cette approche solidaire, le rassurer quant au moral des militaires dans la conduite de ce processus. Ils ont bien compris ses objectifs et sa profonde justification en matière d'efficacité. Ils ont aussi compris la préoccupation, la vigilance des autorités civiles, qu'il s'agisse du Parlement ou du Gouvernement. Je crois pouvoir vous dire que les militaires se sentent soutenus et compris dans les multiples efforts d'adaptation auxquels ils sont conduits et qu'ils gardent une profonde détermination à réussir collectivement cette réforme.
Je veux aussi confirmer à M. Rouvière que le réalisme et le souci de stabilité de l'outil de défense pendant toute la période de transition sont un impératif dont le Gouvernement reconnaît la charge.
En ce qui concerne la situation des gendarmes volontaires, je souhaiterais préciser les intentions du Gouvernement.
Ces gendarmes volontaires, ayant un statut militaire - même si nous pouvons discuter de façon très pragmatique des propositions de la commission quant à l'étendue des dispositions du statut militaire qui s'appliqueront à eux - seront dans la même situation de logement que les militaires sous-officiers gendarmes. Autrement dit, leur logement sera assumé selon les deux formules classiques, c'est-à-dire soit, lorsque les locaux le permettent, dans des gendarmeries appartenant domanialement à l'Etat, soit dans des locaux qui sont la propriété de collectivités locales et pour lesquels l'Etat assurera le versement du loyer fixé conventionnellement par les Domaines.
M. André Rouvière. C'est très important !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Les compensations pour le rendez-vous citoyen sont prises en compte dans le cas de Nîmes comme dans le cas de Compiègne - M. Rouvière n'en aurait pas attendu moins.
Je veux convenir avec lui que le maintien du contrat de travail des jeunes appelés pendant la période de transition est une réforme importante. Elle donnera aux commissions régionales de dispense une réelle liberté d'appréciation pour vérifier si l'insertion professionnelle d'un jeune est effectivement compromise par son incorporation ou si cette garantie du maintien du contrat de travail est suffisante pour refuser la décision de report.
M. Robert-Paul Vigouroux a rappelé ses avertissements quant aux ambitions peut-être disproportionnées du rendez-vous citoyen, et il a bien voulu reconnaître le caractère pratique de l'appel de préparation à la défense.
Il a également souligné, et c'est important, l'approche moderne que doivent avoir les armées pour communiquer avec les jeunes. Les méthodes d'information qui sont traditionnellement les nôtres - je pense notamment à la sensibilisation des jeunes à la nécessité du recensement - doivent être remplacées par une méthode beaucoup plus directe, beaucoup plus « dialoguante », à laquelle aujourd'hui, et c'est une bonne chose, les jeunes sont habitués.
La préoccupation d'égalité devra être la plus forte possible pour la gestion des reports à but professionnel pendant la période de transition. Nous en débattrons lors de l'examen des articles.
S'agissant du bilan de santé, je confirme à M. Vigouroux que l'une des solutions consiste en effet, pendant la période scolaire, à faire appel à la médecine scolaire. Cela pose bien entendu des problèmes de moyens - j'aurai à m'en expliquer - mais c'est sans doute l'une des bonnes formules pour redresser la situation sanitaire de certains jeunes dont la santé est négligée.
Enfin, monsieur Haenel, je veux répondre positivement sur l'objectif qui consiste à définir une véritable doctrine d'emploi des réserves. Le projet de loi qui devrait vous être soumis dans quelques mois, normalement au cours de la présente session, portera essentiellement sur le statut et sur la mise en cohérence, dans la nouvelle formule, beaucoup plus ambitieuse, des obligations des réservistes et de leur situation professionnelle ou sociale. J'espère - en tout cas le Gouvernement oeuvrera en ce sens - que ce débat sera d'abord une occasion de soumettre au législateur les objectifs nouveaux de la réserve, élément clé de l'équilibre d'une défense professionnalisée, comme, d'ailleurs, dans les autres pays professionnalisés dont l'expérience a nourri, entre autres documents, le rapport rendu par M. Haenel voilà trois ans.
Certes, des réticences ou des hésitations doivent être vaincues, parce qu'il s'agit d'une vraie réforme. C'est la raison pour laquelle j'envisage, comme je le lui ai confié ce matin, de rechercher un nouveau terme pour caractériser cette force. Il est en effet d'usage, dans notre pays, que les réserves militaires soient aujourd'hui fort peu actives et qu'il leur soit demandé peu de périodes de service.
L'objectif, à l'avenir, est que les réservistes soient en relation directe avec des unités constituées, qu'ils aient fréquemment des périodes actives et que la variété des missions qui leur sont fixées permette d'en faire un appui efficace à l'armée d'active dans l'ensemble de ses missions.
La part de la réserve affectée à la gendarmerie devrait être de l'ordre de 50 000 unités, dont 13 000 en réserve dite principale, avec des missions particulièrement imbriquées dans celles de la gendarmerie : elles seraient « projetables » et pourraient être associées aux missions de la gendarmerie sur des théâtres extérieurs, comme il s'en produit fréquemment.
Cela suppose un accroissement du nombre des volontaires et des réservistes de la gendarmerie en raison du rôle de protection du territoire qui deviendra principalement le sien.
Des crédits sont prévus dans la loi de programmation. Comme vous pourrez vous en rendre compte lors de l'examen du projet de loi de finances, « l'annuité » 1998 du budget de la défense comportera une première montée en charge des moyens matériels attribués à la réserve de la gendarmerie.
Pour conclure, je voudrais saluer l'état d'esprit du Sénat dans cette discussion générale ainsi que la très grande qualité des interventions et de la réflexion pour préparer notre outil de défense à la nouvelle étape qu'il va franchir. L'esprit constructif qui a animé l'ensemble des intervenants nous prépare un dialogue législatif particulièrement fructueux lors de l'examen des articles, que nous allons aborder maintenant. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Haenel applaudit également.)
M. Emmanuel Hamel. C'est un choix destructeur !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

PREMIÈRE PARTIE

Article 1er