M. le président. La parole est à M. Reux, auteur de la question n° 220, adressée à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.
M. Victor Reux. Monsieur le secrétaire d'Etat, l'ensemble de la région maritime de l'Atlantique Nord-Ouest voit se préciser depuis plusieurs années sa richesse en gisements sous-marins de pétrole et de gaz dont l'exploitation se poursuit à l'est des provinces canadiennes de Terre-Neuve et de Nouvelle Ecosse, c'est-à-dire de part et d'autre de la zone économique exclusive française au sud de Saint-Pierre-et-Miquelon.
D'énormes enjeux économiques, au dire des experts, vont marquer toute cette région géographique durant les trente années à venir, ce qui a conduit trois compagnies pétrolières nord-américaines à se porter candidates auprès du gouvernement français pour l'obtention d'un permis de recherche dans notre zone économique.
Le ministère de l'industrie privilégie la compagnie Gulf Canada, qui bénéficierait d'un permis exclusif de recherche, lequel, compte tenu de l'article 26 de la loi du 15 juillet 1994, serait automatiquement générateur d'un droit d'exploitation.
Or il semble bien que le Gouvernement n'ait pas entrepris au préalable d'évoquer ou de négocier avec la société susvisée d'éventuelles contreparties financières ou économiques en faveur de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui se trouve tributaire de la solidarité nationale depuis l'éradication de son industrie traditionnelle de pêche en 1992 et l'arbitrage catastrophique, la même année, de la frontière maritime en ses alentours.
J'ai peine à imaginer que, dans une démarche gouvernementale solitaire, sans consultation ni du président du conseil général ni des parlementaires de l'archipel, les intérêts économiques et stratégiques de la France, pour l'avenir, dans cette partie du monde et à Saint-Pierre-et-Miquelon, puissent n'être ni assurés ni même mentionnés dans cette affaire, qui a normalement suscité bien des espoirs dans l'archipel depuis qu'elle s'est précisée.
Je souhaiterais donc, monsieur le secrétaire d'Etat, connaître votre sentiment à ce sujet ainsi que la manière dont a été reçue par le Gouvernement la proposition en date du 20 mars dernier de création d'une commission préconisée par les représentants de l'archipel, en vue d'une négociation avec la compagnie Gulf Canada, avant toute attribution officielle d'un permis de recherche dans notre zone économique exclusive.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Monsieur le sénateur, votre question rejoint les légitimes préoccupations qui avaient déjà été soulevées, voilà quelques semaines, à l'Assemblée nationale, par M. Gérard Grignon. J'avais d'ailleurs eu l'occasion d'apporter à ce dernier quelques éléments de réponse que je vais largement compléter et préciser en réponse à votre interrogation.
Je veux tout d'abord vous confirmer que le Gouvernement est parfaitement conscient de l'enjeu que peuvent représenter, en termes de retombées économiques sur l'archipel, les activités d'exploitation pétrolière qui doivent être entreprises sur le plateau continental au large de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Avant de prendre la décision d'accorder un permis de recherches d'hydrocarbures à la société Gulf Canada, le Gouvernement a été amené à concilier des impératifs juridiques, géologiques et techniques.
La procédure d'attribution du permis de recherches pétrolières de Saint-Pierre-et-Miquelon a été menée par les services compétents du secrétariat d'Etat à l'industrie dans le strict respect de la loi, et notamment du code minier.
Permettez-moi de vous en rappeler les principales étapes : mise en concurrence de la demande initiale, déposée par Gulf Canada, consultation de l'ensemble des services administratifs locaux concernés, processus d'arbitrage entre les trois sociétés pétitionnaires, à savoir Gulf Canada, Mobil Canada et Tatham Canada, avis du préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon le 7 janvier 1998, réunion d'une conférence interministérielle le 9 janvier 1998 et, enfin, examen par le conseil général des mines le 9 février 1998.
Comme vous pouvez le constater, monsieur le sénateur, il s'agit non pas d'une « demande gouvernementale solitaire », mais d'une instruction ayant associé l'ensemble des services locaux intéressés et, au niveau central, pas moins de sept départements ministériels.
Je me permets de souligner que l'instruction de ce dossier particulièrement complexe a été menée avec diligence, la demande de permis initiale ayant été déposée en mai 1997. Il importe en effet que les travaux qui doivent être exécutés sur ce permis puissent aboutir dans les meilleurs délais à la découverte éventuelle d'un gisement, ce que chacun souhaite. Or en matière pétrolière comme dans bien d'autres domaines, il faut chercher, parfois longtemps, avant de découvrir. Et le succès n'est jamais garanti !
Ainsi que vous l'indiquez, monsieur le sénateur, la zone marine placée sous la souveraineté canadienne est immense et possède un potentiel pétrolier et gazier d'ores et déjà prouvé. A l'inverse, les rares travaux d'exploration entrepris à ce jour dans la zone française n'ont pas encore permis de mettre en évidence un gisement.
Les travaux prévus par Gulf Canada auront précisément pour objet de confirmer le potentiel pétrolier que nos experts géologues pressentent sur la zone économique située au large de l'archipel. Toutefois, seul un forage pourra confirmer ce qui n'est, pour l'instant, qu'une hypothèse.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a négocié et obtenu auprès de la compagnie canadienne qu'elle exécute ce forage dès la première période de validité de trois ans du permis. Les travaux de prospection doivent débuter dès cet été, avec l'exécution d'une campagne géophysique destinée à localiser les zones les plus prometteuses.
En cas de découverte, il est exact que le code minier prévoit que le titulaire d'un permis de recherche a droit à l'obtention d'une concession sur le gisement ainsi mis en évidence. Cette automaticité, vous le savez, constitue l'un des fondements essentiels du droit minier français. Elle apparaît légitime, sauf à estimer qu'une compagnie pétrolière qui a fait la preuve de ses compétences en découvrant un gisement et qui a investi pour cela n'a pas le droit de détenir le titre juridique lui permettant de l'exploiter.
Toutefois, monsieur le sénateur, l'Etat n'est pas désarmé, loin de là, dans l'hypothèse de l'attribution d'une concession.
Tout d'abord, en application de notre législation minière, une nouvelle procédure sera lancée qui comportera une enquête publique ainsi qu'une large consultation des services administratifs locaux.
Par ailleurs, les municipalités concernées seront également consultées.
En outre, afin d'assurer l'exploitation optimale du gisement, et dans le respect des contraintes de sécurité et de protection de l'environnement, les pouvoirs publics disposent d'une large marge de manoeuvre pour imposer à l'exploitant toute une série de conditions sur les trois paramètres suivants : la durée de la concession, qui pourra être comprise entre cinq et cinquante ans ; la superficie, qui devra correspondre aux limites du gisement exploitable ; enfin, l'exécution de travaux d'exploration complémentaires.
De son côté, le préfet se voit reconnu par les textes un large pouvoir pour apprécier les programmes de travaux que le concessionnaire doit lui communiquer à l'avance.
D'ici là, soyez assuré, monsieur le sénateur, que le Gouvernement sera particulièrement attentif à ce que les travaux de recherche entraînent des retombées économiques - ce qui est notre objectif commun - sur l'archipel.
Je ne doute pas que les acteurs économiques de Saint-Pierre-et-Miquelon sauront profiter de leur situation géographique privilégiée et de la qualité de leurs prestations, pour devenir les prestataires de services prioritaires de Gulf Canada.
C'est d'ailleurs l'objectif des rencontres qui ont eu lieu au cours de la semaine du 23 au 27 mars dernier que d'anticiper conjointement et dès maintenant la coopération future dans ce domaine et la préparation de l'île à l'offre de ce nouveau type de prestations.
Je me félicite donc que ces rencontres aient pu avoir lieu. Le protocole d'accord signé entre la compagnie Gulf Canada et le conseil général de Saint-Pierre, qui en a été l'aboutissement, me paraît augurer d'une coopération positive entre la compagnie et les élus de Saint-Pierre-et-Miquelon, de nature à procurer les retombées économiques les plus larges possible à l'archipel.
M. Victor Reux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Reux.
M. Victor Reux. Monsieur le ministre, je vous remercie des précisions nombreuses et rassurantes que vous venez de nous donner.
Lorsque je parlais de démarche solitaire, je visais simplement l'absence de concertation avec le président du conseil général et les parlementaires de l'archipel.
Les textes auxquels vous faites allusion, notamment le code minier, ne me sont pas étrangers. Nous avons largement évoqué la question, d'ailleurs, avec votre collègue chargé de l'outre-mer, et vous avez eu raison de souligner les contraintes législatives, économiques et techniques auxquelles nous devons faire face.
En ce qui concerne les contraintes législatives, si nous souhaitons une modification du code minier, nous souhaitons surtout que l'article 27 du statut spécial de la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon soit appliqué, le décret en Conseil d'Etat prévu par la loi de 1993 modifiant cet article et devant nous donner compétence sur la zone économique exclusive au large de l'archipel en matière d'exploitation des eaux et des fonds sous-marins n'ayant toujours pas été pris.
Si le Gouvernement pouvait nous aider à accélérer le processus en la matière, nous en serions fort satisfaits.
M. le président. Mes chers collègues, l'auteur de la question n° 224, inscrite maintenant à notre ordre du jour, n'a pas encore rejoint l'hémicycle, et M. le ministre de l'agriculture et de la pêche, qui doit répondre à M. Delevoye, auteur de la question suivante, est sur le chemin entre l'Assemblée nationale et le Sénat.
Dans ces conditions, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures cinq, est reprise à dix heures dix.)