Séance du 4 juin 1998







M. le président. Par amendement n° 1, M. Goulet au nom de la commission, propose d'insérer, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Pour l'application de la présente loi, les termes "mines antipersonnel" et "transfert" ont le sens qui leur est donné par la convention sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction, signée à Ottawa le 3 décembre 1997, ci-après dénommée la convention d'Ottawa. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Goulet, rapporteur. La définition des mines anti-personnel figure à l'article 3 du texte adopté par l'Assemblée nationale, mais il nous semble plus logique de la placer en tête de la loi, afin d'afficher d'emblée une affirmation forte.
Sur le fond, notre amendement reprend la définition retenue par l'Assemblée nationale, mais il y apporte une légère modification de forme. Nous inspirant de la rédaction du projet de loi sur l'interdiction des armes chimiques, nous proposons de renvoyer purement et simplement aux définitions figurant dans la convention d'Ottawa, qui vient d'être signée et qui sera notre référence dans cette discussion.
Cette rédaction a donc le mérite de montrer sans ambiguïté que la loi française se conforme strictement à la définition internationalement reconnue, celle de la convention d'Ottawa.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Richard, ministre de la défense. Le Gouvernement est favorable à cet amendement.
L'article 3 de la proposition de loi tel qu'il a été adopté à l'Assemblée nationale reprenait intégralement les définitions des mines antipersonnel et des transferts qui étaient inscrites dans la convention.
En proposant une simple référence aux termes de la convention, l'amendement n° 1 allège le texte et met effectivement d'emblée la loi française en cohérence avec un engagement international.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. La commission a finalement fait le choix d'aligner explicitement les définitions des mines antipersonnel et du transfert sur celles qui figurent dans la convention d'Ottawa.
Bien entendu, nous ne sommes pas opposés par principe à cette harmonisation entre la législation française et un traité international à la signature duquel la France a pris une part décisive.
Il reste que la définition des mines antipersonnel pose certains problèmes. La définition figurant dans la convention d'Ottawa résulte en effet d'un compromis entre les pays signataires. Je crois savoir que le Gouvernement français envisageait, lors des négociations qui se sont déroulées au cours de l'année 1997, une définition plus large, se rapprochant de celle que notre groupe préconise aujourd'hui.
Pourquoi notre pays devrait-il limiter ses ambitions, alors que la Belgique et l'Italie, je le rappelais dans mon propos liminaire, ont osé aller au-delà de la définition retenue à Ottawa ? Aurions-nous des intérêts industriels et commerciaux à protéger ? Si c'est le cas, il faut le dire !
C'est pourquoi nous pensons que l'amendement n° 1 - comme l'amendement n° 4, d'ailleurs - n'est pas d'ordre technique ou rédactionnel et qu'il est bien de nature politique. Il s'agit en fait d'éviter un débat sur les termes mêmes de la définition des mines antipersonnel telle qu'elle figure à l'article 3.
Il nous semble qu'en proposant une modification de forme en apparence anodine la commission occulte un débat de fond, qui a eu lieu à l'Assemblée nationale et que, à mon avis, le Sénat devrait également mener.
La législation française doit-elle pallier les insuffisances de la convention ?
Si la réponse est non, je l'ai dit tout à l'heure, nous prenons le risque de voir les interdictions de mines antipersonnel inappliquées et détournées. Les règles juridiques que nous posons aujourd'hui seraient très rapidement dépassées par les avancées technologiques, dans un domaine où l'imagination scientifique est, hélas ! sans limite !
Si, au contraire, nous décidons de compléter la définition de la convention, la France sera en mesure de prendre l'initiative sur le plan international, car la convention d'Ottawa ne marque pas l'aboutissement d'un processus : il ne s'agit, tout le monde l'a bien compris, que d'une étape, qui en appelle d'autres.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons contre cet amendement.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je souhaite apporter quelques précisions à Mme Marie-ClaudeBeaudeau.
Tout d'abord, veuillez croire, madame le sénateur, que, dans cette affaire, le Gouvernement non plus que la majorité de la commission ne sont motivés par des considérations que vous qualifiez d'« industrielles ».
Au demeurant, je ne sache pas que, dans cette assemblée, sur d'autres sujets, l'approche industrielle soit considérée par quiconque comme un péché !
Par ailleurs, ce qui me paraît tout de même très significatif, c'est qu'il n'y a aujourd'hui que deux pays membres permanents du Conseil de sécurité qui adhèrent à cette convention et quarante pays qui ne le font pas. Une observation stratégique élémentaire permet de constater que, parmi ces quarante pays, figurent ceux qui sont le plus fréquemment associés à des tensions internationales pouvant déboucher sur des conflits.
Il se trouve que la France est l'un des rares pays à mener une action diplomatique intense dans le domaine de la recherche de la paix et de la coopération et, en même temps, à s'engager sur le terrain en cas de conflit.
Il y a beaucoup de pays qui arrivent sur le terrain des conflits une fois que ceux-ci sont finis, et pas toujours au bénéfice des « bons ». Notre pays, lui, prend part de façon active à des contacts et à des négociations internationales en vue de conforter les situations de paix, et il envoie des hommes risquer leur vie quand il y a vraiment la guerre.
Par conséquent, le rôle de la France dans l'extension de la convention d'Ottawa sera nécessairement différent de celui des autres pays. Si la France dit à un certain nombre de partenaires que cette convention est une bonne base et qu'il convient de la signer, tout en montrant qu'un grand pays ne se prive pas, en la signant, de moyens militaires efficaces, cela aura une autre signification que si d'autres pays le font.
En revanche, si, le jour où nous ratifions cette convention, nous commençons à expliquer que la définition même des armes qu'elle entend interdire n'est pas bonne - ce qui, au demeurant, n'est pas exact sur le plan intellectuel - nous ne serons compris de personne.
Il faut se donner des priorités. Il est d'une évidence aveuglante que la priorité stratégique pour les années qui viennent est de faire en sorte qu'un grand nombre des quarante Etats aujourd'hui non signataires deviennent adhérents à la convention d'Ottawa, au moins pour une partie de ses dispositions.
Au surplus, l'argumentaire technique visant à une modification de la définition des mines est sans portée parce que les composants des mines antipersonnel - c'est bien la source du problème - sont des éléments industriels absoluments banals.
D'ailleurs, madame Beaudeau, la référence à la convention sur les armes chimiques n'est pas forcément convaincante, précisément parce que l'application de cette convention se heurte, dans la pratique, à la confusion qui résulte de l'inclusion dans les composants des armes chimiques de produits de l'industrie chimique qui servent à tout autre chose et qu'on ne peut pas bannir de la surface de la planète : il y aura toujours besoin d'engrais ! Les gens qui s'engagent au nom des Etats, dans des actions de vérification concrète pour faire respecter cette convention sont ainsi confrontés à des impossibilités. Ce n'est donc pas, selon moi, de ce côté qu'il faut rechercher la solution.
Si la France indique dans sa propre législation que la définition des mines et celle des différentes opérations les concernant qui figurent dans la convention d'Ottawa ne sont pas les bonnes, qu'il faut tout de suite en adopter d'autres, il deviendra tout à fait inutile de déployer des efforts diplomatiques pour faire adhérer d'autres Etats importants à cette convention.
M. Claude Huriet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. J'avoue avoir été convaincu par la réponse de M. le ministre quant au caractère illogique que pourrait revêtir le fait d'émettre, au cours d'une même séance, deux votes partiellement contradictoires.
Nous venons, à l'unanimité, d'approuver les termes de la convention d'Ottawa. Il est clair que se référer à une définition différente de celle qui apparaît dans un document que nous venons d'approuver serait une façon de mettre en difficulté notre pays dans les discussions internationales pour l'application de la convention.
Je me rallie donc à l'amendement de la commission, tout en éprouvant une inquiétude que les propos de M. le ministre n'ont pas apaisée ; ils l'auraient même plutôt accrus. Il nous a dit en effet que, même si nous avions inclus dans le champ de la loi française les mines antivéhicules, nous n'aurions pas répondu aux préoccupations sous-tendant les amendements que nous étions prêts à défendre.
Il s'agira finalement, pour les Etats signataires, de faire preuve de vigilance - il est à peine besoin de les y appeler - pour qu'il n'y ait pas de contournement de l'esprit du texte sur la signature duquel nous venons de nous prononcer.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l'article 1er.

Article 1er