Séance du 29 juin 1998






ALLÉGEMENT DES CHARGES
SUR LES BAS SALAIRES
Adoption des conclusions
du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 500, 1997-1998) de M. Alain Gournac, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur la proposition de loi (n° 372 rectifié, 1997-1998) de MM. Christian Poncelet, Jean-Pierre Fourcade, Josselin de Rohan, Maurice Blin et Henri de Raincourt, tendant à alléger les charges sur les bas salaires.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Gournac, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi n° 372 rectifié, tendant à alléger les charges sur les bas salaires, telle qu'elle a été déposée par MM. Christian Poncelet, Jean-PierreFourcade, Josselin de Rohan, Maurice Blin et Henri de Raincourt.
Cette proposition reprend les termes de la proposition de loi n° 628, présentée le 14 janvier 1998 à l'Assemblée nationale par MM. François Bayrou, Jean-Louis Debré, Jacques Barrot, Franck Borotra, Robert Galley, Yves Nicolin et les membres des groupes UDF et RPR.
Cette proposition de loi avait été rapportée par M. Yves Nicolin, le 28 janvier 1998, devant la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale.
Le rapporteur avait alors constaté les premiers bénéfices de l'allégement des charges sur les bas salaires et la nécessité de les amplifier et de les étendre progressivement tout en conservant la maîtrise financière du dispositif. Il insistait par ailleurs sur l'intérêt de prévoir des garanties en termes d'emplois.
Il proposait pour cela de « mettre en place, selon un système unifié à partir du 1er janvier 2000, une réduction des cotisations patronales d'un champ plus large et d'un niveau supérieur par rapport à celle qui avait été mise en place à titre temporaire par l'article 113 de la loi de finances pour 1996 et dont la portée a été réduite par la dernière loi de finances ».
Cette mesure devait permettre aux entreprises concernées, sous réserve de la signature de conventions au niveau des branches professionnelles, de bénéficier d'un allégement de leurs charges sociales.
La commission des affaires culturelles, après avoir débattu du contenu de la proposition de loi, avait alors décidé de suspendre ses travaux avant la discussion des articles ; elle n'a donc pas présenté de conclusions avant le passage en séance publique.
Le débat en séance publique a eu lieu le vendredi 30 janvier 1998, au moment même où l'Assemblée nationale examinait le projet de loi d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail. A cette occasion, le Gouvernement et la majorité de l'Assemblée nationale ont fait part de leur opposition à la proposition de loi et de leur préférence pour la poursuite du plan emplois-jeunes et la réduction du temps de travail accompagnée de la baisse de la durée légale. A l'issue de la discussion générale, l'Assemblée nationale a décidé de ne pas passer à la discussion des articles ; la proposition de loi n'a donc pas été adoptée.
Pourquoi, dans ces conditions, devrions-nous examiner à nouveau ce texte ?
Je remarque tout d'abord que les articles n'ont été étudiés ni en commission ni en séance publique. Je crois que la question du chômage justifie pleinement l'examen de manière approfondie de toutes les solutions qui peuvent permettre de créer des emplois. C'est là une première raison qui justifie, à mon sens, un nouvel examen de cette proposition de loi par le Parlement.
Par ailleurs, je ne partage pas l'opinion du Gouvernement qui consiste à considérer que la loi sur les 35 heures doit constituer l'alpha et l'oméga des politiques de l'emploi. Cette loi a été promulguée ; je ne proposerai pas son abrogation.
M. Guy Fischer. Heureusement !
M. Alain Gournac, rapporteur. Le débat démocratique a eu lieu au Parlement, le Sénat a fait part de ses réserves et de ses oppositions. Il a longuement développé ses propres propositions ; il ne lui revient pas maintenant de pratiquer une politique d'obstruction.
Je remarque simplement que les critiques ne se sont pas tues, qu'elles abondent de tous côtés, de nos partenaires européens, des partenaires sociaux. Chacun a bien conscience que le Gouvernement s'y est mal pris et que les résultats ne seront pas à la hauteur de ses attentes. Comme le déclare Pierre Larrouturou dans son dernier ouvrage, « plus personne, ou presque, ne pense que la loi-cadre sur les 35 heures sera efficace contre le chômage de masse. "Trente-cinq heures sans perte de salaire", le slogan des législatives, se révèle être un piège dangereux ».
La deuxième loi à venir en 1999 sera l'occasion pour nous de demander des modifications et de préciser nos propositions en matière de réduction du temps de travail. Cela ne veut pas dire que la promulgation de la loi sur les 35 heures doit mettre un terme au débat sur l'allégement des charges sociales. Celui-ci ne doit pas être considéré comme une simple alternative aux 35 heures.
La réduction des charges prévue par le texte du Gouvernement sous la forme d'une majoration de 4 000 francs de l'aide forfaitaire est en effet très insatisfaisante parce qu'elle est temporaire et conditionnée à la réduction du temps de travail.
M. Christian Poncelet. C'est bien vrai !
M. Alain Gournac, rapporteur. En tant que président de la commission d'enquête chargée de recueillir des éléments d'information sur les conséquences financières, économiques et sociales de la décision de réduire à 35 heures la durée hebdomadaire du travail, et après avoir souligné le travail de notre collègue Louis Souvet, qui a rapporté excellemment cette proposition de loi au nom de notre commission, je souhaite rappeler que le Sénat ne s'est jamais opposé au principe de la réduction du temps de travail.
Il a seulement refusé le principe de l'abaissement de la durée légale du travail de manière autoritaire. Pour ce qui est du dispositif d'incitation financière, chacun a pu constater que le reprofilage de la loi Robien défendu par le Sénat et le dispositif du Gouvernement avaient beaucoup de points communs.
A cet égard, je souscris au propos de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi, lorsqu'elle déclarait, le 30 janvier à l'Assemblée nationale, que la réduction du temps de travail et celle des charges sociales sur les bas salaires ne constituaient pas des politiques antagonistes.
Je ferai simplement quelques observations qui mettront en évidence des contradictions d'un Gouvernement qui affirme soutenir l'allégement des charges sociales alors que, dans le même temps, il réduit les crédits qui y sont consacrés, et cela au moment même où les résultats commencent pleinement à se faire sentir.
Sur l'efficacité des allégements de charges sociales, tout d'abord, les faits parlent d'eux-mêmes. Il est en effet très difficile de refuser tout lien entre la politique menée depuis plusieurs années et la reprise des créations d'emplois observée depuis un an.
Je rappellerai que la « ristourne unique dégressive » mise en place en octobre 1996 représentait une exonération des cotisations équivalente à 18,2 % du salaire au niveau du SMIC, s'annulant à 1,33 SMIC et d'un montant maximal de 1 213 francs.
Comme le précise d'ailleurs très justement M. Yves Nicolin, rapporteur de la commission des affaires culturelles, « depuis 1993, ces différentes mesures ont permis d'abaisser le coût du travail peu qualifié et celui du travail à temps partiel et expliquent l'essentiel des 240 000 emplois qui ont pu être créés en France depuis cette date malgré la faible croissance économique qu'a connue l'ensemble de l'Europe ».
On ne peut, dans ces conditions, que s'étonner des décisions ambiguës prises par le Gouvernement à l'occasion de la loi de finances pour 1998. D'une part, il a pérennisé un dispositif temporaire, consacrant ainsi son utilité et son caractère indispensable à la survie et à la compétitivité de certaines entreprises, alors que, d'autre part, il restreint la portée de l'exonération pour des raisons financières, entravant par là même son efficacité.
Depuis le mois de janvier, le montant maximum du salaire ouvrant droit à l'exonération a été abaissé de 1,33 à 1,3 SMIC, le montant maximal de la réduction a été gelé à 1 213 francs et l'exonération est désormais calculée au prorata du nombre d'heures rémunérées en cas de travail à temps partiel.
Il convient de rappeler que, suite à une décision de la Commission de Bruxelles, les entreprises des secteurs du textile, de l'habillement, du cuir et de la chaussure ne pourront plus bénéficier du dispositif mis en place par la loi du 12 avril 1996, à moins que lesdites entreprises n'aient pas reçu plus de 100 000 écus d'aides publiques sur les trois dernières années ; c'est la « règle des minimis » fixée par la Commission européenne.
Le dispositif mis en place par le Gouvernement pour prolonger le plan textile apparaît comme très insuffisant. Il pourrait remettre en question, à terme, les effets structurels sur l'emploi de l'allégement des charges.
Dans ces conditions et pour préserver la dynamique mise en oeuvre depuis plusieurs années, il convient de généraliser les allégements massifs de charges sociales sur les bas salaires. Cette généralisation est tout à fait conforme au droit européen, puisque c'est le caractère sectoriel de l'aide qui avait été dénoncé par les instances européennes. Cette généralisation devrait, selon toute vraisemblance, donner un coup de fouet aux créations d'emplois, même si la montée en puissance du dispositif ne pourra être que progressive.
Tous les économistes s'accordent, en effet, pour considérer qu'un délai de trois à cinq ans est nécessaire pour observer pleinement l'efficacité des baisses de charges sociales.
La loi sur les 35 heures ayant été promulguée la semaine dernière et le plan emplois-jeunes ayant toujours du mal à trouver son public en dehors du secteur public, c'est l'enrichissement de la croissance en emplois qui doit être considéré comme le vecteur principal des créations d'emplois observées depuis plusieurs mois.
Nous ne pouvons que nous réjouir que le nombre de demandeurs d'emploi ait baissé de 3,4 % entre avril 1997 et avril 1998. Cependant, le taux de chômage reste encore trop élevé dans notre pays. Il se situe autour de 12 %, alors que des pays aussi différents que les Pays-Bas, l'Autriche, la Suède et la Grande-Bretagne ont des taux compris entre 5 % et 7 %.
Chacun sait que le taux de chômage français trouve son origine dans des rigidités structurelles propres au fonctionnement du marché du travail. Le coût élevé du travail de main-d'oeuvre constitue une partie du problème ; le coût horaire de la main-d'oeuvre française serait supérieur de 28 % à la main-d'oeuvre italienne et de 38 % à la main-d'oeuvre anglaise.
Dans ces conditions, le passage à la monnaie unique pourrait donner lieu, si aucune précaution n'était prise, à une concurrence sociale entre les pays qui pourrait se traduire par un supplément de chômage en France.
Pour prévenir ce risque, certains économistes préconisent une remise en question du SMIC ; techniquement, le raisonnement est valable, mais je ne pense pas que cette solution puisse constituer un projet d'espoir pour les salariés ; je considère que le problème réside dans le poids excessif des charges sociales que supportent les salariés payés autour du SMIC.
M. Christian Poncelet. Eh oui !
M. Alain Gournac, rapporteur. En fait, je crois que l'allégement des charges sur les bas salaires constitue l'unique alternative à une remise en cause de la réglementation sur le salaire minimal.
J'ai la conviction que le travail doit en effet être convenablement rémunéré pour pouvoir constituer un facteur d'intégration et de reconnaissance sociale. A cet égard, une réflexion sur un salaire minimal européen aurait tout son sens, il conviendrait simplement de le fixer à un niveau tel qu'il ne constitue pas un obstacle à l'entrée sur le marché du travail pour les travailleurs les plus fragilisés.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Alain Gournac, rapporteur. La mise en place d'un salaire minimal en Grande-Bretagne constitue un bon exemple de cette convergence sociale que nous appelons de nos voeux.
Dans cette attente, la présente proposition de loi a pour objet de faire franchir une nouvelle étape à la politique d'allégement des charges et de consolider l'application de cette politique dans le secteur du textile, du cuir et de l'habillement,...
M. Jean Chérioux. Très bien ! Il en a besoin !
M. Alain Gournac, rapporteur. ... secteur dans lequel l'expérience conduite depuis 1996 a particulièrement bien réussi.
M. Marcel Debarge Elle n'a pas été appréciée !
M. Alain Gournac, rapporteur. Il faut en parler aux patrons, leur demander leur sentiment !
M. Marcel Debarge. Je parlais des salariés !
M. Alain Gournac, rapporteur. Elle prévoit une généralisation progressive des baisses de charges en fonction de la proportion des bas salaires et des travailleurs manuels dans chaque entreprise, selon un calendrier précis.
Les emplois les plus sensibles au coût du travail se trouvent dans les entreprises dans lesquelles la part de la main-d'oeuvre dont la rémunération est proche du SMIC et la part de la main-d'oeuvre ouvrière - au sens de la classification de l'INSEE - sont les plus importantes.
C'est pourquoi la commission des affaires sociales vous propose, mes chers collègues, de prendre en compte ces deux critères en calculant le produit du nombre de salariés recevant jusqu'à 1,33 SMIC par le nombre de travailleurs manuels, rapporté au nombre total d'employés. Ce produit peut être considéré comme un bon indicateur des entreprises à aider en priorité plus il est élevé, plus la réduction de charges sociales serait importante dès l'entrée en vigueur du présent texte.
L'article 1er de la proposition de loi prévoit que, dans un premier temps, les baisses des charges seront modulées en retenant trois modalités de calcul différentes à partir du 1er janvier 1999.
Bénéficieront d'une réduction de charges équivalente à 26 % du SMIC au niveau du SMIC, soit 1 730 francs, réduction dégressive qui s'annule à 1,4 SMIC, les entreprises ayant le plus fort taux de travailleurs manuels et à bas salaire, entreprises dont le produit P est supérieur à 0,36. Ces entreprises sont particulièrement nombreuses dans les secteurs de l'agriculture, du textile-habillement-cuir-chaussure, des services aux personnes, de l'agroalimentaire, du bois et des équipements du foyer, qui emploient 18 % des bas salaires français et 23 % des ouvriers.
Bénéficieront d'une réduction de charges équivalente à 22 % du SMIC au niveau du SMIC, soit 1 470 francs, réduction dégressive qui s'annule à 1,36 SMIC, les entreprises, qui sont particulièrement nombreuses dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics, du commerce, de la réparation automobile et des minéraux, dont le produit P est compris entre 0,20 et 0,36. Elles emploient 13 % des bas salaires français et 21 % des ouvriers.
Bénéficieront d'une réduction de charges équivalente à 18,2 % du SMIC au niveau du SMIC, soit 1 213 francs, réduction dégressive qui s'annule à 1,33 SMIC, les autres entreprises, celles dont le produit P est inférieur à 0,20.
Au 1er janvier 2000, puis au 1er janvier 2001, on appliquera progressivement à l'ensemble de l'économie une réduction de charges équivalant à 26 % du SMIC, soit 1 730 francs, ce qui aboutira à la suppression de toute complexité : c'est l'objet des articles 2 et 3 de la présente proposition de loi.
Bien entendu, on pourra considérer que la montée en puissance du dispositif impose la mise en oeuvre de revenus techniques assez compliqué, mais je ferai simplement remarquer que les chefs d'entreprise sont maintenant assez familiers des mesures d'allégement de charges et que le déploiement de l'aide se fait naturellement, sans qu'il soit besoin de procéder au moindre calcul. C'est la situation de l'entreprise, diagnostiquée au départ, qui détermine le calendrier des allégements qui est applicable à celle-ci.
Le coût de ce dispositif, ainsi que les modalités de son financement, ont pu être considérés comme des obstacles à sa mise en oeuvre.
Ainsi, lors du débat à l'Assemblée nationale, Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité a fait état d'une estimation selon laquelle ce coût atteignait 30 milliards de francs par an, ce qui, compte tenu des 40 milliards de francs que représente déjà la ristourne dégressive, porterait à 70 milliards de francs le coût des allégements de charges sur les bas salaires.
Il ne peut être question de s'engager ici dans une bataille de chiffres, car les estimations sont très difficiles lorsque l'on cherche à évaluer le coût de ce genre de dispositif. Je rappellerai seulement que M. Yves Nicolin, rapporteur de l'Assemblée nationale, estimait celui-ci à 21 milliards de francs et le comparait au coût, estimé à 75 milliards de francs, de la généralisation de la réduction du temps de travail.
En fait, comme c'était le cas pour la réduction du temps de travail dans le dispositif Robien, ces allégements généreront des recettes publiques grâce aux emplois créés ; ils s'autofinanceront donc avec le léger décalage nécessaire pour créer ces emplois, même si l'exemple du textile montre que l'impact sur l'emploi peut être immédiat et l'autofinancement largement assuré.
Cependant, pour des raisons évidentes, la proposition de loi est gagée - c'est l'objet de l'article 4 - par une taxe additionnelle aux taxes prévues aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. Il s'agit de la taxe sur les tabacs.
De toute façon, une réforme des différents dispositifs d'aide à l'emploi permettrait d'éviter, le cas échéant, que le coût lié à la montée en puissance du dispositif ne se répercute sur les finances publiques.
Enfin, je tiens à faire part de mon étonnement quand je constate que l'on met en avant son coût pour justifier le rejet d'un dispositif de lutte contre le chômage. Lorsque plusieurs millions de personnes sont confrontées chaque jour à la détresse de l'inactivité et de l'insuffisance de revenu, lorsque le risque de l'exclusion pointe, avec son cortège de souffrances, le seul critère valable doit être celui de l'efficacité.
M. Christian Poncelet. Eh oui !
M. Jean Chérioux. Tout à fait exact !
M. Alain Gournac, rapporteur. Quels pourraient être les résultats, en termes d'emploi, d'un allégement massif des charges sociales sur les bas salaires ? Il est, bien entendu, très difficile de faire des estimations. Je préfère m'appuyer sur un exemple, celui de la région Auvergne, qui a décidé de compléter les dispositifs d'allégement existants pour ramener à 10 % du coût du SMIC le total des cotisations sociales pour toute nouvelle embauche de salariés, peu ou moyennement qualifiés, dans les entreprises de moins de cinq cents salariés. La mesure a d'ores et déjà permis la création de près de 2 500 emplois en huit mois.
La commission des affaires sociales considère, dans ces conditions, qu'une extension massive de l'allégement des charges sociales à l'ensemble du pays et à tous les salariés qui reçoivent une rémunération inférieure ou égale à 1,4 SMIC, et non seulement aux nouveaux embauchés comme c'est le cas dans l'exemple auvergnat, pourrait créer plusieurs centaines de milliers d'emplois en peu de temps.
C'est pourquoi elle vous propose d'adopter ses conclusions, qui reprennent le texte initial de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Poncelet.
M. Christian Poncelet. Monsieur le président, madame « la » secrétaire d'Etat - puisque telle est, paraît-il, la nouvelle formule, je me dois d'y souscrire (Sourires) ...
MM. Guy Fischer et Marcel Debarge. Très bien !
M. Robert Pagès. Il y a du progrès !
M. Christian Poncelet. ... mes chers collègues, nous débattons aujourd'hui, dans le cadre de l'ordre du jour réservé au Sénat, en application de l'article 48, alinéa 3, de la Constitution, d'une proposition de loi tendant à alléger les charges sur les bas salaires, que j'ai eu l'honneur de déposer avec mes collègues M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, que je salue, M. Josselin de Rohan, président du groupe du Rassemblement pour la République, M. Maurice Blin, président du groupe de l'Union centriste, et M. Henri de Raincourt, président du groupe des Républicains et Indépendants.
Il m'apparaît d'autant plus symbolique que cette discussion prenne place dans notre ordre du jour réservé qu'il s'agit d'un texte à la fois plus libéral et plus ambitieux que la loi relative à la réduction du temps de travail à trente-cinq heures. En effet, cette proposition de loi vise à donner aux entreprises les moyens de privilégier l'emploi productif sans leur imposer des contraintes qui seraient incompatibles avec les règles de la concurrence internationale.
Je ne reviendrai pas sur le dispositif technique que nous préconisons, le rapporteur, M. Alain Gournac, l'ayant excellemment et fort complètement exposé.
Je dirai simplement qu'il s'agit d'un dispositif simple et efficace - du moins, j'ai la faiblesse de le penser - consistant à mettre en place un allégement généralisé des charges sociales, sur trois ans, en fonction de la proportion de bas salaires et de travailleurs manuels dans l'entreprise. Cela supprime toute référence à un critère sectoriel et rend donc ce dispositif compatible avec le droit communautaire.
M. Alain Gournac, rapporteur. Exactement !
M. Christian Poncelet. Le système que nous vous proposons, mes chers collègues, est tout à la fois efficace - il a déjà fait ses preuves - et indispensable pour notre pays, celui qui connaît le plus fort taux de chômage au sein du G7.
Je n'insisterai pas sur cette fameuse « exception française » dont il a déjà été beaucoup question, la semaine dernière, à l'occasion du débat d'orientation budgétaire et à propos de laquelle j'ai interrogé M. le ministre de l'économie et des finances.
Afin de lutter contre cette bien triste particularité française qu'est le chômage, nous souhaitons rénover le dispositif d'allégement des charges sociales dit de la « ristourne dégressive fusionnée ».
Ce dispositif, je l'ai dit, a déjà fait ses preuves, mais il nous faut maintenant impérativement en accroître significativement la portée puisque le gouvernement actuel l'a singulièrement réduite l'année dernière.
Ce dispositif d'allégement des charges a pourtant montré toutes ses qualités en 1996 et en 1997, non seulement dans le secteur du textile, mais aussi dans l'habillement, le cuir et la chaussure, où une ristourne spécifique s'est appliquée à hauteur d'une fois et demie le SMIC, et ce n'est pas M. Fischer, élu d'une région textile, qui me contredira sur les effets favorables de ce dispositif.
Comme l'a souligné M. Maurice Ligot dans son rapport d'information sur « le droit communautaire et le dispositif d'allégement des charges sociales dans l'industrie du textile », fait au nom de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale, « ce plan d'aide a permis de freiner les suppressions d'emplois, de les stabiliser, voire d'augmenter légèrement les effectifs ».
Ainsi, alors que le secteur du textile allait subir une hémorragie de ses effectifs de l'ordre de 12 % en 1996, ce plan d'aide a permis de stabiliser les emplois au cours du second semestre de 1996, puis de les accroître légèrement au cours du premier semestre de 1997, et cela pour la première fois depuis quinze ans.
Parallèlement, les conventions conclues avec les branches concernées ont permis l'embauche - et une vraie embauche ! - de près de 10 000 jeunes en dix-huit mois.
Aussi, je regrette que ce plan spécifique d'allégement des charges sociales ait été déclaré non conforme aux règles de la concurrence communautaire par la Commission de Bruxelles et que son application n'ait pu être reconduite en 1998.
De ce fait, si nous ne prenons aujourd'hui aucune disposition nouvelle, si nous laissons les choses en l'état, la France pourrait perdre 100 000 emplois en trois ans dans les secteurs que j'ai mentionnés. C'est la raison pour laquelle, au Sénat, nous avons cru devoir intervenir en soumettant cette proposition à l'appréciation du Parlement.
M. Robert Pagès. Ce n'est pas une bonne proposition !
M. Christian Poncelet. Nous n'avons pas le même jugement, mon cher collègue, mais je vous convaincrai ! (Sourires.)
Je déplore d'autant plus cette décision de non-reconduction que, en 1996 et 1997, ce plan avait porté ses fruits ; je le répète, car, les professeurs le savent bien, la répétition a un pouvoir pédagogique : en me répétant, j'espère augmenter mes chances d'être entendu !
Au demeurant, grâce au succès qu'elle a rencontré dans le secteur du textile, cette politique d'allégement des charges sur les bas salaires fait désormais l'objet d'un consensus général. L'abaissement du coût du travail, et plus particulièrement du coût du travail faiblement qualifié, est en effet presque unanimement considéré comme une mesure favorable à l'emploi, tant par certains syndicats ouvriers que par les fédérations professionnelles.
Qu'on étudie les sondages réalisés auprès de la population française ou le plan d'action des institutions communautaires, le consensus apparaît comme de plus en plus fort. Ainsi, au printemps de 1998, la Commission européenne, dans son rapport sur la convergence, estimait que « les marges budgétaires retrouvées doivent être consacrées à la réduction des charges sociales pesant sur les salaires et en particulier sur les bas salaires ». La Commission ajoutait : « En diminuant le coût du travail, les entreprises seront incitées à embaucher. »
De même, tous les experts des différents instituts de prévision économique partagent ce point de vue et l'ont relevé dans leurs travaux ; je pense notamment à ceux du Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts, de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques, de Rexecode, ainsi qu'à l'étude réalisée par M. Thomas Piketty pour la fondation Saint-Simon, une institution chère au coeur de la gauche plurielle ! (Sourires.)
Cette approche vient, en outre, d'être confirmée par l'Observatoire français des conjonctures économiques, qui, dans une étude publiée la semaine dernière, conclue à l'efficacité d'une telle politique et en chiffre même les effets. On y explique qu'une baisse de un point de PIB des cotisations sociales ciblée sur les bas salaires permettrait de réduire de 0,4 à 1,2 point le taux de chômage à l'horizon de trois ans.
Ce jugement si positif émane d'un organisme dont personne ne met en doute la neutralité et l'objectivité. Comment, dès lors, pourrait-on ne pas retenir ses conclusions ?
Mais j'ai un argument qui devrait emporter l'adhésion de nos collègues de gauche : même le Gouvernement de M. Lionel Jospin semble s'être rallié à cette idée. Dans le plan national d'action pour l'emploi qu'il a présenté le 17 avril dernier, celui-ci soulignait que « l'allégement de charges sociales sur les bas salaires permet de baisser le coût relatif du travail peu qualifié et d'enrichir le contenu de la croissance en emplois ».
Ceux qui ne seraient pas encore convaincus ne pourront que l'être après cette citation !
M. Robert Pagès. C'est la pensée unique ! (Sourires.)
M. Christian Poncelet. Mieux encore, M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale,...
M. Guy Fischer. Que M. Pagès connaît ! (Nouveaux sourires.)
M. Christian Poncelet. Peut-être est-ce même un ami ! (Nouveaux sourires.)
M. Robert Pagès. C'est un proche ! (Nouveaux sourires.)
M. Christian Poncelet. En tout cas, vous le constatez, je n'ai pas relevé que les déclarations de ceux qui soutiennent ce dispositif ; je me suis efforcé de citer aussi certains de vos amis, afin de trouver un consensus.
M. Laurent Fabius, donc, voilà dix jours, s'est déclaré favorable au nom de la lutte contre le chômage, à une baisse des charges sociales sur les bas salaires.
Cette préférence affichée pour une baisse des charges me semble constituer un aveu implicite de la part du président de l'Assemblée nationale de la faible efficacité de la politique suivie par le Gouvernement et visant, au nom de la lutte contre le chômage, à porter d'une manière un peu autoritaire la durée du travail à 35 heures. En tout cas, M. Fabius cherche, lui aussi, un relais ou un complément.
Je me félicite tout particulièrement, madame la secrétaire d'Etat, du ralliement du Gouvernement et d'une partie de la gauche plurielle à notre proposition. Je regrette seulement que ce ralliement soit si tardif - mais mieux vaut tard que jamais ! - et surtout qu'il n'ait pas encore été suivi d'effets.
Je rappelle que, dans la dernière loi de finances, le Gouvernement a restreint la portée et l'ampleur du mouvement de réduction des charges malgré les mises en garde et les avertissements de notre commission des affaires sociales et de notre commission des finances, ainsi que du Sénat tout entier. En effet, la ristourne dégressive ne s'applique plus, depuis le 1er janvier 1998, qu'aux salaires inférieurs à 1,3 fois le SMIC, et son montant est plafonné à 1 213 francs.
Par le présent texte, nous proposons de traduire en acte cette volonté si largement partagée en portant respectivement ces montants à 1,4 fois le SMIC et à 1 730 francs.
Ainsi est souligné notre souhait de ne pas nous contenter, en matière de lutte contre le chômage, de mesures d'affichage, d'effets d'annonces, de déclarations d'intention, aussi bonne l'intention soit-elle.
En effet, à travers cette proposition de loi, ce que nous voulons promouvoir, c'est une autre politique de lutte contre le chômage, reposant sur la création de véritables emplois productifs et non sur la réduction uniforme et autoritaire de la durée du travail. C'est ainsi que nous lutterons durablement contre le chômage structurel, que l'amélioration de la conjoncture - dont nous nous réjouissons tous - ne peut seule réduire.
Notre démarche repose sur un constat. Si le coût du travail en France est globalement proche de celui de nos principaux partenaires, nous ne devons pas oublier que le travail peu qualifié reste, chez nous, d'un coût bien supérieur.
Tout cela, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, est excellemment expliqué dans un livre fort intéressant, dont je vous recommande la lecture : Le Compte à rebours, de François de Closets. A la page 225, on y lit : « Que cela plaise ou non - et cela ne peut que heurter nos préjugés -, il faut absolument faire baisser le coût du travail non qualifié. Est-ce à dire que le SMIC va être supprimé ou ramené à 3 000 francs ? Laissons cela aux Américains, restons Français. Il ne peut être question ni de réduire les plus basses rémunérations ni de priver les smicards de leur couverture sociale pour faire baisser le coût du travail sans plonger ceux-ci dans la pauvreté. Il faut jouer sur les charges. »
Abaisser ce coût nous paraît non seulement nécessaire, mais indispensable. En effet, la diminution des charges sur les bas salaires doit constituer le socle de toute politique efficace de lutte contre le chômage, quelle que soit la sensibilité de ceux qui sont aux affaires.
M. Lucien Neuwirth. C'est évident !
M. Christian Poncelet. Notre démarche s'insère donc dans la continuité de la politique d'allégement des charges sur les bas salaires instituée par la loi quinquennale sur l'emploi du 20 décembre 1993 et qui a été progressivement amplifiée jusqu'à la mise en place, par la loi de finances pour 1996, de la « ristourne dégressive fusionnée sur les bas salaires », qui a eu, je ne me lasserai pas de le répéter, des effets bénéfiques en matière d'emploi. Au moment où l'on a tendance, ici et là, à dénigrer ce qui a été fait hier, ou à en réduire la portée, ce rappel me paraissait justifié.
Cette politique d'allégement des charges explique en effet l'essentiel des 240 000 emplois qui ont pu être créés en France entre 1993 et 1997, et cela malgré la faible croissance économique que l'ensemble de l'Europe a connue pendant la même période.
Notre proposition de loi vise également à pérenniser un dispositif apprécié des entrepreneurs par sa simplicité et son efficacité. En effet, la force de toute politique d'allégement des charges réside fondamentalement dans la durée et la lisibilité. En matière de lutte contre le chômage, mes chers collègues, il nous faut en effet adopter une politique qui soit, si je puis m'exprimer ainsi, corrigée des « variations politiques saisonnières ».
Il faut éviter - et cela vaut pour tous les gouvernements ; il ne s'agit pas de faire de particularisme en la matière car le problème est trop grave - que des mesures prises la veille ne soient remises en cause le lendemain, sinon il n'est pas possible d'adopter une démarche raisonnable dans la conduite des affaires.
Nous devons donc poursuivre la réforme structurelle du coût du travail peu qualifié, car celui-ci constitue, comme tous les experts économiques le soulignent, un handicap majeur pour l'emploi en France.
L'étude qui a été publiée par l'OFCE, et que j'ai déjà citée, met bien en valeur cet aspect. Les effets bénéfiques de la réduction des charges ne se feront pleinement ressentir qu'à l'horizon de trois ans. Il est donc impératif d'ancrer une telle politique dans la durée et de ne pas la faire évoluer au gré des aléas budgétaires de l'Etat ou des modifications politiques.
Enfin, me direz-vous et c'est normal, notre démarche a un coût. Permettez-moi cependant de vous préciser qu'elle est totalement recevable, tout au moins au plan juridique, car elle est gagée conformément aux règles applicables en ce domaine.
Il s'agit d'une perte de recettes qui, conformément aux dispositions de l'article 40 de la Constitution, peut être compensée au profit du régime général de la sécurité sociale par la création, à due concurrence, d'une nouvelle recette. Celle-ci sera constituée par une taxe additionnelle aux taxes prévues aux articles 575 et 575 A du code général des impôts, c'est-à-dire les taxes applicables sur le tabac.
Permettez-moi de vous rappeler que le produit de ces taxes, qui existent déjà, s'élèvera, en 1998, à 41 milliards de francs. La compensation que nous instaurons est donc bien réelle puisqu'il s'agit de compenser une perte de recettes avoisinant 7 milliards de francs. Telle était d'ailleurs la position qu'avait retenue, en janvier dernier, la commission des finances de l'Assemblée nationale à propos de ce même texte. Sur ce point, vous pouvez donc le constater, nous sommes en plein accord avec nos collègues de l'Assemblée nationale.
Le coût du dispositif que nous proposons est en effet bien éloigné des 30 milliards de francs, au terme de trois ans, évoqués sans plus de précision par Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité, lors des débats à l'Assemblée nationale. Je souhaite, à ce sujet, non pas engager une querelle inutile, mais rappeler simplement quelques chiffres.
M. Yves Nicolin, déjà cité par notre excellent rapporteur de la commission des affaires sociales, estimait le coût de notre dispositif à 21 milliards de francs sur trois ans, soit de l'ordre de 7 milliards de francs pour sa première année d'application. Permettez-moi, mes chers collègues, de rapprocher ce coût des 75 milliards de francs consacrés à la mise en place de la loi sur les 35 heures, dont l'efficacité reste à prouver, comme le relevait, voilà peu de temps encore, M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale.
M. Guy Fischer. Décidément !
M. Christian Poncelet. J'ai de bonnes lectures !
M. Robert Pagès. M. Fabius ne siège pas au sein de notre groupe !
M. Guy Fischer. A vouloir trop prouver...
M. Claude Estier. Quelle bonne référence !
M. Christian Poncelet. Effectivement ! M. Laurent Fabius ayant été Premier ministre, il sait de quoi il parle et je peux donc m'y référer !
Ces 7 milliards de francs sont aussi très éloignés des 35 milliards de francs par an pendant trois ans consacrés à la création, au bénéfice des jeunes, d'emplois bien souvent peu qualifiés et, surtout, précaires.
M. Guy Fischer. Les entreprises ne les embauchent pas !
M. Christian Poncelet. En outre, le coût budgétaire final de notre proposition de loi sera limité. En effet, l'allégement des charges que nous mettons ainsi en place sera progressivement autofinancé par les recettes liées aux emplois créés, mais également par les économies réalisées par ailleurs sur les aides à l'emploi. Je vous rappelle que le montant total de celles-ci - et c'est ce à quoi faisait allusion M. Laurent Fabius - s'est élevé, en 1997, à 149 milliards de francs. Compte tenu de leur montant, je pense qu'une meilleure utilisation et une affectation plus rationnelle de ces aides - c'est d'ailleurs ce qui est demandé - sont non seulement possibles, mais également souhaitables.
C'est d'ailleurs ce qu'indiquait, lors du débat d'orientation budgétaire, M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. « Nous allons », disait-il, « essayer de jouer à francs constants mais nous allons redéployer les crédits au bénéfice de l'emploi. » Je n'ai pas obtenu de précision à ce sujet.
Enfin, je tenais à vous indiquer que notre dispositif s'inspire directement des résultats de négociations menées avec la Commission de Bruxelles. Sur cet aspect, il est donc pleinement compatible avec le droit communautaire.
Mes chers collègues, le choix que nous vous proposons d'effectuer aujourd'hui est un choix réaliste et tout à fait réalisable. L'expérience passée l'a amplement démontré puisque des dizaines de milliers d'emplois ont déjà pu être sauvés.
Nous souhaitons aujourd'hui aller, si vous me permettez cette métaphore sportive, qui est d'actualité en cette période de Coupe du monde, « plus haut, plus loin et plus fort ».
Nous adresserons ainsi aux entreprises un signal clair et puissant, qui traduira notre volonté de lutter plus efficacement contre le chômage en favorisant la création d'emplois productifs au sein de l'entreprise, c'est-à-dire d'emplois générateurs de richesses indispensables qui permettront aux pouvoirs publics de définir et de soutenir une véritable politique de solidarité à laquelle nous sommes tant attachés. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi que nous devons examiner aujourd'hui a déjà fait l'objet d'un débat à l'Assemblée nationale le 30 janvier dernier. A l'époque, elle avait été utilisée à des fins directement politiques, puisqu'elle s'intercalait dans le débat relatif à la réduction du temps de travail et se voulait l'alternative au projet de loi instaurant les 35 heures.
Je souhaite, tout d'abord, souligner qu'il ne peut en être de même aujourd'hui, puisque la polémique ne fait plus rage et que la réduction du temps de travail se met progressivement en place dans les entreprises.
Selon un récent sondage paru dans le quotidien La Tribune, 55 % des entreprises de dix à cinq cents salariés se préparent déjà à ouvrir des négociations sur la loi Aubry ; 70 % des entreprises de cent à cinq cents salariés sont même prêtes à le faire.
Cela prouve que, malgré les oiseaux de mauvais augure, c'est toute une dynamique qui est en train de se mettre en place, et qui va d'ailleurs au-delà des 35 heures. Les entreprises ont, en effet, très vite perçu l'opportunité de procéder à une réorganisation interne pour obtenir une meilleure productivité et de reprendre le dialogue sur les diverses composantes de la politique sociale.
Dès 1997, on a pu observer une forte progression de la négociation sur le temps de travail et l'emploi au niveau de l'entreprise. Les accords Robien, signés en 1997, ont concerné 1 670 000 salariés, soit 30 % de plus qu'en 1996, et la moitié de ces accords prévoient déjà le passage aux 35 heures.
Dans le même temps, les PME et les PMI continuent d'embaucher, avec un solde positif passant de 9 % en mai à 12 % en juin, et l'indice des investissements se maintient à un bon niveau.
Il est bien entendu trop tôt pour affirmer le caractère durable de cette croissance. Les facteurs extérieurs, il est honnête de le dire, y contribuent puissamment. Cependant, l'économie française a retrouvé le chemin de l'expansion et la dynamique de réduction du temps de travail en fait partie.
Pour notre part, nous estimons que la réduction du temps de travail et la baisse des charges sur les bas salaires ne sont pas forcément antinomiques. Mais la réduction du temps de travail permet d'associer progrès social et modernisation économique. Elle est directement créatrice d'emplois, puisque l'octroi des aides financières est soumis à cette condition, ou, à défaut, elle contribue au maintien d'emplois dans des entreprises en difficulté. Elle est peu coûteuse dans la mesure où cette condition d'emploi génère des cotisations pour notre sécurité sociale. Il n'y a donc pas de perte à compenser à moyen terme.
En revanche, l'exonération des charges sur les bas salaires doit être utilisée avec une grande prudence et être assortie d'une obligation de créations nettes d'emplois si l'on veut parvenir à limiter les effets d'aubaine. Malheureusement, le dispositif que vous proposez ne comporte pas de garantie réelle en la matière.
Vous ne parlez en effet que de conventions-cadres avec les branches professionnelles relatives au maintien et au développement de l'emploi. Cette formule est d'une totale imprécision et permet d'envisager toutes les hypothèses à partir de la notion de maintien de l'emploi.
De plus, un dispositif fondé sur des conventions entre l'Etat et des branches professionnelles, qui bénéficieraient donc d'un traitement sectoriel préférentiel, est de nature à nous attirer les remontrances justifiées de la Commission européenne. Les difficultés qu'a rencontrées Mme Aubry pour obtenir la prolongation du plan textile sont encore dans les mémoires. Il est donc inutile de recommencer les mêmes erreurs.
De manière générale, c'est d'ailleurs l'ensemble du système des aides qui comporte les effets pervers que nous connaissons tous : changement de l'ordre de la file d'attente plutôt que créations nettes d'emplois, effets d'aubaine et, surtout, effet de tirage de l'ensemble des salaires vers le bas, ce qui est un signal négatif pour la reprise de la consommation et la croissance.
Les effets positifs, notamment en ce qui concerne les exonérations de cotisations sociales, sont, en revanche, plus difficiles à apprécier. J'observe, si je me réfère à la page 45 du rapport de notre collègue, M. Alain Gournac, que vous semblez vous-mêmes assez proches de ce point de vue.
Permettez-moi de le citer : « ... le groupe de travail constitué sous la précédente législature avait conclu à un effet positif sur l'emploi à moyen terme, à condition que la baisse soit importante, durable et ciblée sur les bas salaires des industries de main-d'oeuvre. Il a estimé qu'il conviendrait d'y ajouter un engagement ferme des entreprises à créer des emplois, de manière contractuelle ».
Malheureusement, la présente proposition de loi ne parvient pas à remplir les conditions dont vous reconnaissez en même temps le caractère indispensable. Ce faisant, elle s'apparente à un véritable chèque en blanc aux entreprises. Vous indiquez d'ailleurs également, mon cher collègue, à la page 52 de votre rapport : « Quels pourraient être les résultats en termes d'emplois d'un allégement massif des charges sociales sur les bas salaires ? Il est bien entendu très difficile de faire des estimations. »
L'exemple de la région Auvergne fait de votre part l'objet d'une documentation abondamment diffusée et d'une extrapolation à l'ensemble de notre économie. Il permet surtout, par une extension des chiffres de cette région, d'obtenir une estimation, quant à elle claire et précise, du coût de la mesure : 30 milliards de francs par an, auxquels s'ajoutent les 40 milliards de francs de la ristourne dégressive déjà acquise sur les bas salaires, soit un total de 70 milliards de francs par an.
Votre proposition de loi est donc beaucoup trop floue pour que nous y souscrivions. Les risques juridiques, l'absence de condition de créations nettes d'emplois et le coût important pour les finances publiques sont des facteurs qui nous conduiraient, en toute hypothèse, à voter contre cette proposition de loi.
Nous estimons nettement préférable de favoriser le développement de la réduction du temps de travail assortie d'aides, mais exigeant aussi un effort de modernisation de la part des entreprises. C'est également un effet pervers de la distribution d'aides publiques sans condition que de voir les entreprises profiter de ces aides, sans réaliser les efforts d'investissement et de modernisation qui leur permettraient de retrouver durablement la compétitivité, tant sur le plan des quantités produites que sur le plan qualitatif.
L'éventuelle généralisation du plan textile contenue en filigrane dans votre proposition de loi ne constitue donc pas forcément, à terme, un service pour les entreprises qui en bénéficieraient.
Enfin, un simple dispositif d'exonération de cotisations sociales patronales, en l'état actuel du débat sur les charges, tant fiscales que sociales, payées par les entreprises, nous paraît beaucoup trop partiel.
Nous attendons dans les tout prochains jours le rapport du professeur Malinvaud sur l'assiette des cotisations patronales. Ce rapport fait suite au rapport Chadelat qui avait déjà proposé des pistes de réflexion. Il s'agit notamment d'une meilleure prise en compte de la valeur ajoutée dans l'assiette des cotisations, dont chacun s'accorde à dire qu'elle est trop assise sur la masse salariale, ce qui pénalise l'emploi.
Il nous faut donc attendre encore quelques jours les conclusions de ce rapport, en vue d'un rééquilibrage prochain, après discussion avec les partenaires sociaux, des charges payées par les entreprises. Cela ne peut consister en une réduction des charges payées par les entreprises, qui aboutirait à un simple transfert vers ces autres financeurs de la protection sociale que sont notamment les ménages.
Un tel débat s'inscrit dans la problématique globale du financement de la protection sociale et ne peut donc être organisé de manière hâtive et parcellaire à l'occasion de l'examen d'une proposition de loi. L'ensemble des partenaires sociaux ne manqueraient sans doute pas de voir là une manière d'étouffer le débat au départ. Cela serait tout à fait préjudiciable au climat social et à l'avenir de la protection sociale dans notre pays.
En tant que gardiens de l'intérêt général, nous devons prendre garde à l'impact de nos initiatives sur ce plan et rester particulièrement vigilants s'agissant du financement de la protection sociale à un niveau correct pour tous nos concitoyens.
Pour l'ensemble des raisons que je viens d'exposer, le groupe socialiste votera contre la proposition de loi qui nous est présentée aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la question récurrente de la réduction du temps de travail est, une fois encore, posée, puisque nous devons, cet après-midi, débattre de la proposition de loi cosignée, notamment, par MM. Christian Poncelet et Jean-Pierre Fourcade, et tendant à alléger les charges sur les bas salaires.
Farouchement opposée à la politique volontariste décidée et conduite par le gouvernement de la gauche plurielle, notamment aux emplois-jeunes et à la réduction du temps de travail qui, selon les allégations de l'opposition, aboutit simplement à subventionner des emplois publics et a pour seul effet de brider la croissance, la droite, lors des débats qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale sur la réduction du temps de travail, ripostait en présentant une proposition de loi Barrot-Bayrou prévoyant de poursuivre sur le chemin de la réduction de cotisations sociales ciblée sur les bas salaires.
Réplique ni plus ni moins de cette dernière, la présente proposition de loi sénatoriale entend, d'une part, préserver le dispositif existant en faveur des entreprises du secteur du textile et de l'habillement, et, d'autre part, amplifier les allégements de charges sur les bas salaires en les généralisant progressivement à l'ensemble de l'économie française, à l'issue d'une période de trois ans et en fonction de la proportion de bas salaires et de travailleurs manuels dans l'entreprise.
Partant du principe que le coût élevé du travail, de la main-d'oeuvre en particulier, serait le principal obstacle à l'embauche et serait responsable, en partie, du taux élevé du chômage que connaît la France, la droite, relayant ainsi la volonté des dirigeants du CNPF, choisit la solution, selon nous éculée,...
M. Robert Pagès. Très bien !
M. Guy Fischer. ... de la diminution du coût du travail non qualifié.
Nous sommes peu convaincus du fait que le niveau des charges sociales en France soit un handicap relatif pour nos entreprises vis-à-vis du reste du monde. D'ailleurs, le diagnostic dressé juste avant la conférence sur l'emploi du 10 octobre dernier témoigne du contraire, puisqu'elle a souligné que notre économie bénéficie d'un rapport compétitivité-coût satisfaisant.
Doutant de l'opportunité d'un tel choix, le groupe communiste républicain et citoyen ainsi que moi-même sommes, sur le fond, opposés - et cela ne vous surprendra pas - à la démarche quasi obsessionnelle qui sous-tend cette proposition de loi.
M. Robert Pagès. La pensée unique !
M. Guy Fischer. Ce n'est pas la première fois que vous nous l'entendez dire !
Evidemment, au regard des chiffres du chômage, qui, bien qu'ils aient baissé, demeurent très préoccupants, il est impérieux d'explorer diverses solutions potentiellement créatrices d'emplois et, sur ce point seulement, je rejoins votre analyse, monsieur le rapporteur.
M. Alain Gournac, rapporteur. Ça, on l'a entendu plus d'une fois !
M. Guy Fischer. Mais lorsqu'une voie, celle de la réduction des charges sociales, a déjà été expérimentée sans s'être traduite en contrepartie par des effets positifs sur l'emploi,...
M. Christian Poncelet. Ce n'est pas vrai !
M. Alain Gournac, rapporteur. C'est une contrevérité, monsieur Fischer !
M. Guy Fischer. ... pourquoi persister et vouloir à nouveau la suivre ?
Fer de lance de la politique de l'emploi des gouvernements Balladur et Juppé, ces divers allégements de charges et exonérations de cotisations sociales, consentis pour maintenir ou créer des emplois, n'ont cessé de monter en puissance pour atteindre, l'an dernier, le montant inégalé de 73,2 milliards de francs sur les 149 milliards de francs d'aides à l'emploi. Ces aides, qui se sont superposées au fil des ans, mériteraient d'ailleurs d'être remises à plat.
Il est à noter que, au hit-parade de ces dispositifs, c'est la réduction générale sur les bas salaires, à savoir la ristourne unique dégressive instituée par la loi de finances pour 1996, qui détient la première place.
Ce mécanisme, qui est issu de la fusion de deux dispositifs antérieurs et qui a porté le plafond des rémunérations ouvrant droit à une exonération à 1,33 % SMIC, plafond élevé à 1,5 SMIC pour le textile, coûte 44,6 milliards de francs.
La majorité sénatoriale nous propose d'étendre, et donc d'appliquer plus massivement encore, cette politique de réduction des charges sociales, alors qu'elle touche déjà la quasi-totalité des entreprises privées : 6,7 millions d'emplois salariés sur 20 millions.
Certains secteurs sont effectivement plus particulièrement concernés, notamment le textile et l'habillement.
M. Christian Poncelet. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Fischer ?
M. Guy Fischer. Je vous en prie, monsieur Poncelet.
M. le président. La parole est à M. Poncelet, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Christian Poncelet. Je vous remercie, monsieur Fischer, de m'avoir autorisé à vous interrompre.
Comme vous l'avez dit des dispositifs de réduction des charges sociales ont été mis en place ; nous avons été plusieurs, dans cette enceinte, à nous battre pour que le plafond soit porté à 1,5 SMIC.
Pouvez-vous garantir que sans ces dispositifs les licenciements annoncés n'auraient pas eu lieu ?
Non seulement il n'y a pas eu de licenciements, mais il a été procédé à des embauches au cours du premier semestre 1997. Cela a été reconnu par les organisations syndicales de cette branche : les organisations syndicales ouvrières et les représentants des fédérations professionnelles.
Vous le voyez bien, l'abaissement des charges sur les bas salaires a comme conséquence de stabiliser l'emploi et même de permettre de recruter par la suite. C'est un dispositif extrêmement efficace, reconnu par les instances européennes et par tous les instituts de prévisions économiques, tant en France qu'à l'étranger. Vous avez cité, tout à l'heure, la déclaration de M. le Premier ministre lors de la conférence sur l'emploi. Il a lui-même souscrit à ce dispositif.
Aussi, ne dites pas de contrevérité. Que cette disposition ne vous plaise pas, certes, mais vous ne devez pour autant affirmer qu'elle est inefficace !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Fischer.
M. Guy Fischer. Nous, nous pensons que, globalement, il faut en mesurer les conséquences qualitatives et quantitatives. Or, en l'occurrence - et cela vaut également pour la loi Robien - nous avons des exemples où, compte tenu des effets d'aubaine, on n'a enregistré que peu de véritables créations d'emploi. Au contraire, cela a conduit à un tassement sur les salaires et à un développement en marge du travail intérimaire.
M. Robert Pagès. Effectivement !
M. Guy Fischer. L'exemple de Moulinex illustre bien cette réalité.
Par conséquent, nous considérons que le coût de l'allégement des charges sociales est excessif pour les finances publiques.
Nous avons d'ailleurs déjà eu cette discussion lors du vote du projet de budget pour 1998, monsieur Poncelet.
Le chiffre de 45 000 emplois créés grâce à la ristourne dégressive rapporté au poids supporté par l'Etat qui finance cette mesure, révélateur du coût unitaire très élevé de tels emplois, avait conduit le Gouvernement à s'interroger sur le bien-fondé des allégements de charges sociales sur les bas salaires.
M. Alain Gournac, rapporteur. Il en a laissé !
M. Guy Fischer. Effectivement, il a maintenu un niveau, mais, vous, vous en proposez trois.
M. Alain Gournac, rapporteur. S'il en a laissé un, c'est parce qu'il s'agit d'un bon dispositif !
M. Guy Fischer. Ainsi, sans aller jusqu'à remettre franchement en cause cette option - ce que je regrette -, le Gouvernement a décidé de freiner les allégements de charges en abaissant le seuil à 1,3 SMIC - soit 1 213 francs par salarié - en gelant la base de calcul des exonérations au niveau de 1997 et, enfin, en reproratisant la ristourne dégressive au temps de travail.
Aujourd'hui, par la présente proposition de loi, il nous est proposé de franchir une nouvelle étape dans la politique d'allégement des charges, et notamment de mettre fin à ses effets sectoriels.
Nous la refusons, eu égard au bilan, au rapport coût-avantage, le coût étant exorbitant au regard de l'efficacité incertaine du dispositif présenté.
A long terme, rien ne permet d'affirmer que l'effet sur l'emploi de ces réductions de charges sera positif. Certes, vous invoquez l'étude récente de l'OFCE - l'Observatoire français des conjonctures économiques - qui penche pour un impact positif sur le coût du travail et, indirectement, sur l'emploi. Mais, à charge, vous oubliez la nuance du rapport qui préconise de coupler cette mesure avec d'autres réformes que le CNPF et vous-mêmes refusez. Je fais référence, ici, à votre hostilité à l'élargissement de l'assiette des cotisations patronales à d'autres éléments que les salaires.
De plus, à court terme, cette compression des coûts salariaux, facteur d'amélioration de la rentabilité des entreprises de main-d'oeuvre favorable à la seule croissance financière, induit inévitablement des effets d'aubaine et tire inexorablement les salaires vers le bas, générant ainsi encore plus de précarité.
Depuis leur mise en place, ces dispositifs d'aide, destinés aux employeurs refusant d'embaucher certaines catégories de demandeurs d'emploi au motif qu'ils leur coûteraient trop cher, n'ont eu aucun effet structurel sur l'emploi des personnes les moins qualifiées, si ce n'est que, actuellement, on embauche sur de tels postes des titulaires de bac + 2 ; là est le problème !
Très justement, l'instance d'évaluation de la loi quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle notait, dans son rapport, que « l'abaissement du coût du travail pour les salariés les moins qualifiés ne saurait résoudre durablement les difficultés de ceux-ci sur le marché du travail en raison, notamment, du fait que le niveau de qualification exigé est de plus en plus important », la priorité devant être donnée à la formation professionnelle.
Ce dont nous avons besoin pour dynamiser le marché de l'emploi, pour développer telle ou telle activité, c'est d'une réforme de la fiscalité : de l'impôt sur les sociétés, de la taxe professionnelle, des cotisations patronales... modulables en fonction de l'attitude des entreprises en matière de création d'emplois, de formation professionnelle et de salaires.
Loin de nous satisfaire, faute de nous projeter dans l'avenir, la solution proposée, assortie d'aucune garantie ni contrepartie, déstabiliserait encore plus notre système de protection sociale et conforterait les stratégies financières des entreprises.
Votre volonté de baisser toujours plus le coût du travail peu qualifié n'est pas mobilisatrice pour l'emploi.
Le soutien particulier apporté au secteur du textile a, certes, sauvé des emplois...
M. Alain Gournac, rapporteur. Ah !
M. Guy Fischer. ... mais, vous le savez fort bien, monsieur Poncelet, n'a pas réussi à enrayer le phénomène des délocalisations, ni à promouvoir une meilleure adéquation entre la formation et les besoins en qualification des salariés.
Aussi, je ne vous surprendrai pas en disant que ces différentes objections nous conduiront inévitablement à voter contre la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur celles du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commision des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pourquoi la France a-t-elle le triste privilège d'avoir un taux de chômage supérieur au taux moyen de l'Union européenne, qui compte pourtant en son sein l'Irlande, la Grèce, le Portugal et un certain nombre d'autres pays dont le développement n'est pas aussi avancé que le nôtre ?
Première raison : le coût du travail non qualifié est plus élevé en France. Cela ressort de toutes les statistiques. De nombreuses citations ont été faites. Or nul n'a mentionné M. Michel Rocard, qui, lorsqu'il était Premier ministre, avait expliqué devant la commission des affaires sociales du Sénat pour quelles raisons le coût exagéré des charges sociales pesait sur les bas salaires et empêchait toute création d'emploi. Je l'ajoute donc à la longue liste de ceux qui ont été cités cet après-midi.
J'en viens à la seconde raison d'un taux de chômage en France supérieur au taux moyen de l'Union européenne : le gouvernement actuel, comme les précédents gouvernements - nous sommes en effet tous fautifs, et il ne faut pas donner de brevets aux uns ou aux autres - ont toujours essayé de lutter contre le chômage en créant des emplois publics, tels les contrats emploi-solidarité et les emplois-jeunes.
Comme nous détenons également le record du poids des emplois publics sur le produit intérieur brut par rapport à tous nos autres partenaires européens, l'addition de ces deux causes conduit à ce que, si le taux de chômage baisse certes puisque la conjoncture est bonne, il ne diminue pas suffisamment et ne répond pas à ce qui serait nécessaire pour notre pays.
Depuis vingt ans, on a cherché nombre de remèdes. D'aucuns, tels les experts de l'organisation de coopération économique européenne, ont dit qu'il fallait supprimer la notion de salaire minimum qui bloquait l'embauche des jeunes. D'autres ont soutenu qu'il fallait asseoir les charges sociales sur une autre assiette que le salaire. D'innombrables experts ont planché sur ce point. J'attends avec intérêt le rapport de M. Malinvaud. Mais je ne crois pas qu'il nous apportera la lumière.
D'autres encore ont dit qu'il fallait essayer de modifier les mécanismes de négociations collectives, considérant que les accords interprofessionnels nationaux, les accords de branches et les accords d'entreprises constituaient un système trop compliqué et qu'il fallait au contraire aller vers les accords d'entreprises. M. Auroux est allé dans cette voie. Mais personne n'a trouvé la solution. J'ai d'ailleurs noté avec plaisir que le Premier ministre avait publiquement déclaré que l'espèce de critique permanente des intellectuels français contre les petits boulots aux Etats-Unis avait occulté le fait que l'économie américaine créait beaucoup d'emplois - trois ou quatre fois plus que nous -...
MM. Christian Poncelet et Alain Gournac, rapporteur. Dans les services !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. ... notamment pour les personnes non qualifiées et dans le secteur des services.
Par conséquent, après de nombreuses tentatives dans tous les sens, voici aujourd'hui une proposition de loi, déposée par M. Poncelet, que la commission des affaires sociales, dans sa majorité, a approuvée et à laquelle je vois, pour ma part, six avantages.
Premier avantage, ce n'est pas une proposition alternative qui combat la loi sur les 35 heures. Tout le monde a toujours dit que la réduction du temps de travail pouvait être une voie de création d'emplois supplémentaires. Je l'ai affirmé moi-même voilà très longtemps, sans d'ailleurs être très suivi à l'époque dans cette assemblée (M. Poncelet rit) ; mais les gens s'y sont ralliés progressivement. Nous avons voté la loi Robien, et je constate que, en 1997, contrairement à toute attente et opposant ainsi un démenti à ceux qui considéraient que cela n'avait aucun intérêt, les accords Robien ont intéressé plus de 1 500 entreprises et plusieurs centaines de milliers de salariés. Il est donc vrai que la réduction du temps de travail peut avoir, en obligeant à une modification des structures de l'entreprise et de son organisation, un effet sur l'emploi.
Malheureusement, il n'y a pas qu'une piste. Ainsi, les directives européennes concernant la lutte contre le chômage évoquent quatorze ou quinze pistes, telles la formation professionnelle - M. Fischer y a fait allusion - ou la réduction du temps de travail, mais aussi la réduction des charges sociales sur le travail non qualifié, objet de cette proposition de loi.
Par conséquent, cette proposition de loi a pour premier avantage d'organiser de manière globale et dynamique une réduction des charges sociales sur le travail non qualifié en tenant compte du nombre de bas salaires dans une entreprise ou dans une branche donnée. Elle avantage les secteurs industriels très exposés à la concurrence des pays asiatiques ou des pays en développement qui emploient encore une main-d'oeuvre importante.
Il s'agit donc d'un système global qui, à mon avis, est complémentaire de la réduction de la durée du travail, des emplois-jeunes ou d'autres formules telles que les contrats emploi-solidarité. C'est donc une piste qu'il serait à mon sens absurde, sur le plan intellectuel comme sur le plan pragmatique, de négliger.
J'en viens au deuxième avantage. On est revenu, après expérimentation, sur l'exonération totale des charges sociales. On a en effet essayé pendant quelques années - souvenez-vous du CIE, le contrat initiative-emploi - de soutenir que l'exonération totale des charges sociales patronales favoriserait la création d'emplois. Mais une telle exonération se traduisait par un manque à gagner s'agissant des régimes de protection sociale.
Par conséquent, cette proposition de loi présente, à mes yeux, le second avantage d'une réduction dégressive des charges, intéressant les branches les unes après les autres, mais n'allant que jusqu'à 28 % du total des charges sociales patronales. Ainsi, contrairement aux déclarations des experts, l'application de ce dispositif à toute personne au chômage entraînerait des ressources nouvelles pour le régime de sécurité sociale.
M. Alain Gournac, rapporteur. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. En effet, entre 0 et 72 % de charges sociales, il y a un monde, et, par conséquent, cette proposition de loi se traduirait par une amélioration des comptes de nos régimes sociaux.
C'est un élément important qu'il faut garder en mémoire au lieu d'évoquer continuellement des chiffres énormes dont personne n'est capable de mesurer l'exactitude.
Le troisième avantage de cette proposition de loi - c'est, je crois, un point particulièrement important - réside dans le fait qu'elle prévoit un dispositif permanent.
M. Christian Poncelet. C'est essentiel !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. En effet, depuis plusieurs années, chaque projet de loi de finances voit la modification des cliquets, des pourcentages, des conditions, etc. Il faut donc mettre en place un système permanent et le garder pendant un certain nombre d'années afin qu'il puisse descendre au niveau de l'entreprise.
Cette proposition de loi prévoit un système permanent étalé sur trois ans. Incontestablement de meilleure qualité que le dispositif adopté dans le projet de loi de finances pour 1998, ce système repose sur un mécanisme de ristourne dégressive plafonnée. La ristourne dégressive plafonnée constitue le meilleur exemple de ce qu'il ne faut pas faire ! En effet, chaque augmentation de salaire entraînant une diminution de l'avantage, c'est finalement le système de la carotte à l'envers, si vous me permettez cette expression, madame le secrétaire d'Etat ; c'est le prototype de la mesure qui veut condamner un système !
Cette proposition de loi vise donc à mettre en place un dispositif permanent pour trois ans au moins, dispositif qui va porter la baisse des charges sociales à des niveaux raisonnables.
Permettez-moi de citer deux chiffres, mes chers collègues, pour dissiper toute confusion dans un domaine où l'on entend un peu tout et son contraire : à l'heure actuelle, et jusqu'à après-demain, le SMIC brut payé par l'entreprise se monte par mois, pour 169 heures, à 6 663,67 francs auxquels s'ajoutent 2 976 francs de cotisations sociales patronales.
Cela signifie que le recrutement d'un salarié payé au SMIC revient aujourd'hui, pour l'entreprise, à 9 639,67 francs.
Après-demain, cela fera quelque 9 800 francs... pour dépasser allègrement 10 000 francs quand la loi sur les 35 heures s'appliquera. Tels sont les chiffres.
La proposition de loi prévoit trois systèmes définis en fonction du nombre de salariés ayant de faibles rémunérations dans une branche professionnelle, systèmes assortis d'une réduction des charges sociales patronales située entre 1 213 francs et 1 730 francs, soit d'un peu plus de 20 % à un peu moins de 30 %.
Par conséquent, le coût pour une entreprise embauchant quelqu'un au SMIC sera, dans les meilleures conditions, de quelque 8 000 francs, soit une diminution de 2 000 francs par rapport au système actuel. C'est dire que la proposition est tout à fait digne d'intérêt.
J'en viens au quatrième avantage : le dispositif présenté par la proposition de loi est particulièrement adapté à tout le tissu des petites et moyennes entreprises, que ne saurait concerner le dispositif relatif à la réduction du temps de travail.
En effet, comment appliquer le système de réduction du temps de travail à quatre ou cinq employés ? En revanche, le fait, dès lors que les carnets de commandes se remplissent, d'embaucher un nouveau collaborateur grâce à cet avantage, à condition qu'il soit pérenne - il faut qu'il soit valable au moins cinq ans, sinon il n'y aura pas d'embauche, ou alors il y aura uniquement recours au travail temporaire - paraît tout à fait possible. Or nous savons tous que ce sont non pas les grandes entreprises qui créeront des emplois dans les dix années à venir, sinon dans les secteurs de haute technologie de l'audiovisuel, du numérique et de la télévision, mais l'artisanat, le commerce et les prestations de services.
Le dispositif proposé est donc particulièrement adapté à ce type d'entreprise, et c'est, je crois, à celui-ci qu'il s'applique le mieux.
Cette proposition de loi a pour cinquième avantage de ne pas mettre en cause les problèmes globaux de la négociation, puisque son article 1er - personne ne l'a dit, et si M. le rapporteur l'a écrit dans son rapport, il ne l'a pas répété à la tribune - précise que c'est l'Etat qui déclenche le mécanisme : « l'Etat peut... conclure avec toutes les branches professionnelles des conventions-cadres relatives au maintien et au développement de l'emploi. » Il y a 144 branches professionnelles. La commission, après examen, estime qu'il est possible de démarrer avec une dizaine de branches professionnelles et de monter très rapidement à 30 ou à 40. Sur ce tissu dans lequel nombre de salariés sont payés faiblement - en dessous de la moyenne nationale - dont beaucoup au SMIC, on peut donc mettre en place des conventions-cadres dans une quarantaine de branches professionnelles en trois ans, Nous aurons ainsi un dispositif plus concret.
Je le dis aux orateurs de la gauche plurielle : par ce mécanisme des conventions de branches discutées par les organisations syndicales et les organisations professionnelles, on peut parfaitement réguler le dispositif et voir comment à la fois associer l'effort de formation et l'effort de recrutement et doser l'effet sur l'emploi par un système de mise en place d'observateurs dans le cadre de cet allégement des charges sociales. Si nous avions proposé que toute entreprise recrutant du personnel ait droit à une réduction, je comprends les reproches que vous auriez pu faire. Mais s'agissant de conventions-cadres passées au niveau des branches avec la participation des organisations syndicales, il faudra revoir votre argumentation ou en trouver une autre !
Enfin, j'en viens au sixième avantage, qui n'est pas le moindre : ce dispositif ne viole pas nos engagements européens.
Lorsque l'on veut réserver une exonération fiscale ou sociale à un secteur déterminé de l'économie, on crée un problème de concurrence. A partir du moment où, dans un pays comme le nôtre, le total du poids des prélèvements sociaux représente 21,6 % du produit intérieur brut - nous l'avons vu la semaine dernière lors du débat d'orientation budgétaire - il est parfaitement normal - c'est une conséquence du principe de subsidiarité - que nous décidions de modifier le poids de cette charge en fonction des branches professionnelles et des problèmes d'emplois qui sont les nôtres.
L'expérience du textile a été intéressante - tout le monde, en particulier M. Poncelet, l'a dit. Mais il est certain que le dispositif nouveau est tout à fait satisfaisant du point de vue de nos engagements européens. Ce n'est pas une nouvelle affaire de la chasse.
M. Alain Gournac, rapporteur. Pas du tout !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. C'est un système qui permet de moduler, comme nous en avons le droit, la répartition des cotisations sociales sur l'ensemble de notre territoire et pour l'ensemble des entreprises.
Je récapitulerai donc, en conclusion, les six points sur lesquels ce dispositif me paraît bon.
C'est un dispositif qui est complémentaire de la loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail.
C'est un dispositif qui n'exonère pas totalement de charges les entreprises et qui, par conséquent, s'il fonctionne bien, alimentera nos caisses de sécurité sociale, ce que tout le monde oublie. En effet, à l'heure actuelle, le chômage exclut l'alimentation de ces caisses.
C'est un dispositif permanent, qui permettra donc à toute une série d'entreprises, une fois qu'elles seront informées et qu'elles verront les conséquences de ces mesures sur leurs comptes d'exploitation et sur leurs plans de charge, d'entrer dans le mécanisme.
C'est un dispositif particulièrement adapté aux petites et moyennes entreprises et au secteur de l'artisanat, qui est fortement créateur d'emplois et qui le sera de plus en plus compte tenu de l'évolution de notre société.
C'est un dispositif qui se met en place par des conventions-cadres, l'Etat ayant le déclic pour refuser ou non la convention-cadre qui est discutée avec les organisations représentatives des travailleurs. Enfin, c'est un dispositif convenable du point de vue européen. S'il est efficace, c'est-à-dire s'il entraîne un certain nombre de créations d'emplois, il sera, à terme, gagé par la diminution de nos dépenses passives de chômage, diminution qui constitue un objectif général que j'ai entendu évoquer sur toutes les travées de cette assemblée. Par conséquent, il ne coûtera rien, et il faut donc, à mon avis, l'expérimenter.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission, dans sa majorité, soutient cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat à la formation professionnelle. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieur les sénateurs, il me revient, en l'absence de Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, d'intervenir au nom du Gouvernement sur la proposition de loi déposée par MM. Christian Poncelet, Jean-Pierre Fourcade, Josselin de Rohan, Maurice Blin et Henri de Raincourt, qui est inscrite à l'ordre du jour de la présente séance.
Cette proposition de loi tend à alléger les charges sur les bas salaires et reprend en des termes quasiment identiques - vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur - la proposition de loi n° 628 de MM. Bayrou, Debré, Barrot, Borotra, Galley, Nicolin et les membres des groupes de l'UDF et du RPR, proposition de loi qui a été discutée en séance publique à l'Assemblée nationale le vendredi 30 janvier 1998.
L'Assemblée nationale, après en avoir largement débattu, a rejeté ce texte par une très forte majorité : 158 voix contre, sur 196 suffrages exprimés.
M. Jean Chérioux. Elle a eu tort !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Votre rapporteur estime que, malgré ce vote sans appel, un nouvel examen du texte par le Parlement est justifié,...
M. Alain Gournac, rapporteur. Oui !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. ... parce que l'Assemblée nationale n'a pas procédé à un examen article par article du texte en séance publique.
Je ne dirai pas, comme M. Fischer, qu'il s'agit là d'une attitude « obsessionnelle ». Néanmoins, il me semble que c'est un argument de circonstance, le débat ayant largement eu lieu à l'occation de la discussion générale.
M. Alain Gournac, rapporteur. Pas ici !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Vous le savez, la discussion des articles de ce texte n'aurait rien apporté de plus. J'en veux pour preuve le fait que votre commission, qui s'est livrée à cet exercice, n'a déposé aucun amendement sur la proposition de loi qui lui était soumise.
M. Christian Poncelet. Parce qu'elle était bien rédigée !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Néanmoins, le Gouvernement comprend que vous ayez souhaité débattre à votre tour de la question des allégements de charges sur les bas salaires : toutes les pistes susceptibles de faire reculer le chômage dans notre pays doivent être examinées avec la plus grande attention et largement discutées.
M. Jean Chérioux. Je ne vous le fais pas dire !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. A l'Assemblée nationale, l'opposition a fait de cette proposition de loi - je cite M. Nicolin - « non seulement une politique économique alternative aux 35 heures », mais également la proposition majeure pour lutter contre le chômage dans notre pays.
N'oublions pas qu'il s'agissait, en fait, d'une tentative pour sortir de la situation difficile dans laquelle le plan Borotra, condamné par Bruxelles, avait placé les entreprises du textile, du cuir et de l'habillement.
M. Jean Chérioux. C'est pour cela qu'il faut les sauver !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement a, pour sa part, la conviction qu'il ne faut négliger aucune piste et qu'il faut s'attaquer au chômage par une croissance dynamique, par une croissance qui ne laisse personne de côté et par une croissance plus créatrice d'emplois.
Il faut, tout d'abord, une croissance plus dynamique. Notre pays souffrait en effet d'un déficit de croissance lié à une consommation des ménages atone. Nous l'avons relancée, notamment par un soutien actif des bas revenus, sur lequel je ne reviens pas : hausse du SMIC, basculement des cotisations maladie sur la CSG, revalorisation de l'allocation de solidarité spécifique et des aides au logement, allocation de rentrée scolaire, allocation spécifique d'attente pour les chômeurs ayant cotisé quarante ans.
Cette redynamisation de la croissance sera confortée par notre politique en faveur de l'innovation, du développement des compétences et de la formation professionnelle, du développement des petites et moyennes entreprises, et par la maîtrise des dépenses publiques.
La lutte contre le chômage exige ensuite que la croissance profite à tous. C'est le sens du vaste programme de prévention et de lutte contre les exclusions, rendu public en mars, et du projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions, qui fait actuellement l'objet d'ultimes navettes au Parlement.
Ce programme vise à redonner à chacun un accès effectif aux droits fondamentaux, qu'il s'agisse du droit à l'emploi, à la santé, au logement, à la culture, mais aussi aux sports et aux loisirs. Il vise aussi à prévenir les exclusions en traitant les problèmes le plus en amont possible, mais également à faire face à l'urgence lorsqu'elle n'a pu être évitée.
Pour faire reculer durablement le chômage, nous devrons enfin parvenir à ce que notre croissance génère plus d'emplois. C'est une des conclusions fortes de la conférence du 10 octobre 1997.
Nous sommes là au coeur du débat qui nous réunit aujourd'hui dans cet hémicycle : comment enrichir le contenu en emplois de la croissance ?
Il faut pour cela anticiper tout d'abord sur les métiers de demain en développant les nouvelles technologies, mais également en contribuant à la création de nouvelles activités répondant à des besoins non satisfaits par le marché.
M. Lucien Neuwirth. Tout le monde est d'accord !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Le programme « nouveaux services-nouveaux emplois » est d'ores et déjà à l'origine de plus de 110 000 emplois nouveaux - dont près de 70 % ont déjà été pourvus - dans les domaines les plus variés : éducation, famille, santé, solidarité, culture, sport, environnement, protection du patrimoine, logement et cadre de vie, autant d'emplois qui n'auraient pu exister sans une intervention résolue des pouvoirs publics.
Un autre levier pour une croissance plus favorable à l'emploi est la réduction du temps de travail, qui fait l'objet d'un grand débat démocratique. L'expérience de nombreux accords conclus tant en France qu'à l'étranger montre que de nombreuses entreprises ont su tirer parti de la réduction du temps de travail en négociant des solutions adaptées à leur situation, inventives et toujours favorables à l'emploi.
Pour accélérer le mouvement, il fallait fixer un cap, les 35 heures à l'horizon 2000 pour les entreprises de plus de vingt salariés et en 2002 pour les autres, et une méthode, la négociation au plus près du terrain.
C'est ce que nous avons fait avec la loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail, qui a été promulguée le 13 juin 1998 et dont tous les textes d'application sont désormais publiés.
Qu'en est-il des allégements de charges sociales ?
Je voudrais redire ici ce qu'a dit avec force Mme Martine Aubry à l'Assemblée nationale, comme vous l'avez rappelé, M. le rapporteur : ces deux mesures voulues par les Français et mises en oeuvre par le Gouvernement dans les plus brefs délais ne s'opposent pas à l'allégement des charges sur les bas salaires, bien au contraire.
Il est, en effet, indéniable qu'il y a dans notre pays un problème de charges sociales pesant sur les bas salaires.
M. Christian Poncelet. Très bien ! Je suis heureux de vous l'entendre dire !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Peut-être ! Permettez-moi cependant de m'interroger sur le mot de « ralliement » que vous avez utilisé. Pour le Gouvernement, en effet, c'est un constat...
M. Christian Poncelet. Alors ?
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. ... et nous associons à cette réflexion des réponses dynamiques.
M. Christian Poncelet. Merci beaucoup !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Certes, sur ces réponses, nous pouvons avoir une confrontation démocratique, pour savoir s'il faut lier allégements, réformes de structures et formation.
M. Christian Poncelet. Vous approuvez donc la proposition de loi !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Nous nous battons depuis des années pour imposer des clauses sociales et pour faire en sorte que les pays qui ne tiendraient pas compte des normes minimales en matière sociale, qu'il s'agisse du travail des enfants ou du salaire minimum, soient pénalisés.
Nous nous attaquons à ce problème spécifique des bas salaires dans le cadre de la loi d'incitation et d'orientation relative à la réduction du temps de travail en faisant, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, le choix d'un abattement forfaitaire de 9 000 à 13 000 francs quel que soit le niveau de rémunération.
L'exonération sera, de plus, majorée de 4 000 francs dans les entreprises qui comptent au moins 60 % d'ouvriers et dont 70 % des salariés gagnent au plus une fois et demie le SMIC.
Ce dispositif offre aux branches du textile et de l'habillement ainsi qu'à la branche « cuirs et peaux » l'opportunité de sortir de l'impasse dans laquelle - il faut bien le reconnaître - les a placées le plan Borotra, mais également à d'autres secteurs comme le bâtiment, les transports, le nettoyage, les industries agro-alimentaires, qui bénéficieront largement de la majoration, l'opportunité de trouver des solutions durables à leurs difficultés en repensant leur organisation du travail et, au-delà, en valorisant mieux leurs ressources humaines par la formation et la gestion des compétences.
C'est également parce que nous sommes conscients que le coût du travail peu qualifié est élevé que le Gouvernement n'a pas remis en cause le système de la ristourne dégressive : les moyens financiers mobilisés pour la ristourne ont été reconduits dans la loi de finances pour 1998 à leur niveau de 1997, soit 40 milliards de francs.
Certains paramètres ont, certes, été ajustés pour corriger les dérives que nous avions constatées. Je pense, en particulier, à l'avantage excessif donné à l'embauche de salariés à temps partiel, qu'il a fallu corriger.
Le statu quo en 1998 sur les exonérations de charges patronales ne signifie pas pour autant une interruption du mouvement d'allégement des charges qui pèsent sur les salaires. Bien au contraire, puisque nous avons décidé, dans le même temps, le basculement intégral des cotisations salariales maladie sur la CSG.
Nous n'avons néanmoins pas fait de la poursuite de l'allégement des charges patronales une priorité, pour trois raisons principales.
La première raison - mais ce n'est pas là le plus important - est que nous ne sommes pas certains que le niveau des charges patronales soit l'obstacle majeur à l'emploi.
Nous le savons, les prix ne sont plus l'élément essentiel de la compétitivité. Selon une enquête du CREDOC, le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie, plus de 90 % des chefs d'entreprise estiment que leur principal atout face à la concurrence est la qualité de leur produit ; ils ne sont que 30 % à citer les prix !
Cette enquête est confirmée par le fait que 75 % des chefs d'entreprise considèrent que les ristournes dégressives de ces dernières années n'ont pas eu d'influence sur les effectifs.
Si le problème des charges patronales constituait une difficulté majeure, nous ne serions pas aujourd'hui le troisième pays du monde où les investissements étrangers viennent s'implanter.
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Il est une deuxième raison, plus importante : l'efficacité des allégements de charges patronales semble relative, notamment au regard d'autres politiques telles que la réduction du temps de travail.
Les études, dont les résultats doivent être maniés avec précaution de l'aveu même de leurs auteurs, sont relativement convergentes. Elles aboutissent à deux conclusions fortes : d'une part, les effets des allégements de charges patronales sont très lents à se manifester - la plupart parlent d'au moins cinq ans - et, d'autre part, le coût par emploi créé est élevé.
Si l'on en croit ces estimations, la ristourne telle qu'elle existe aujourd'hui, pour une dépense de 40 milliards de francs par an, serait à l'origine de 40 000 à 50 000 emplois par an sur la période 1995-1999, l'effet se tarissant ensuite. Ce sont d'ailleurs les chiffres que vous citez dans votre rapport, monsieur Gournac.
Nous nous étonnons, en revanche, que vous n'ayez pas approfondi davantage l'analyse de l'expérience de la région Auvergne, qui vous sert de référence pour avancer que le dispositif proposé pourrait « créer des centaines de milliers d'emplois en peu de temps ».
Vous le savez, il ne suffit pas de comptabiliser le nombre d'emplois subventionnés ; il faut faire la part des emplois qui auraient été créés en l'absence d'une intervention des pouvoirs publics - les fameux effets d'aubaine et de substitution.
Le Gouvernement s'étonne encore de ne pas trouver une étude plus approfondie sur l'expérience du plan textile, que vous érigez également en exemple, reprenant à votre compte les propos de M. Barre, rapportés le 12 janvier 1998 par un grand quotidien du matin et selon lesquels : « l'expérience menée dans le secteur textile a été d'une aveuglante efficacité ».
Le plan textile a permis de sauvegarder non pas 35 000 emplois, mais, semble-t-il, 6 000 à 8 000. C'est ce qui résulte du bilan contradictoire auquel nous avons procédé avec les trois fédérations concernées, bilan qui repose sur les déclarations que les entreprises elles-mêmes ont faites à l'administration du travail pour pouvoir bénéficier de ce plan.
Le Gouvernement en convient avec vous, monsieur le rapporteur : « le seul coût d'un dispositif ne peut justifier à lui seul son rejet... le seul critère devrait être celui de l'efficacité ». Or, la réalité, quelle est-elle ?
Sur la base des chiffres qui font l'objet d'un relatif consensus, et que je viens de rappeler - 40 000 emplois par an pendant cinq ans pour 40 milliards de francs d'allégement de charges - il apparaît que le coût de l'emploi créé est très important : 200 milliards de francs dépensés sur cinq ans, pour 100 000 emplois supplémentaire créés en moyenne sur la période, soit 500 000 francs par emploi créé.
A long terme, c'est-à-dire au mieux à partir de la sixième année, la facture, si je peux m'exprimer ainsi, est plus raisonnable : environ 200 000 francs par emploi créé. Mais on est encore loin des effets positifs induits sur les finances publiques, qui sont de l'ordre de 100 000 francs par chômeur évité, si l'on s'en tient, bien sûr, à une simple approche financière, qui, c'est vrai, n'est pas la seule possible, monsieur le rapporteur.
M. Alain Gournac, rapporteur. Je l'espère !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Cette différence forte tient, notamment, à ce que, contrairement à la réduction du temps de travail, les abattements de charges qui reposent sur un mécanisme du type de la ristourne sont accordés sans contreparties d'embauches.
La proposition de loi fait, certes, habilement référence à la conclusion de « conventions-cadres relatives au maintien et au développement de l'emploi » au niveau des branches, mais encore faudrait-il dire ce que cela recouvre !
Enfin, troisième et dernière raison, et c'est là la difficulté majeure : le financement d'une telle mesure.
Vous admettrez avec moi qu'il n'est pas possible de gager une dépense nouvelle de 30 milliards de francs - c'est du moins l'évaluation qu'ont faite mes services du dispositif proposé - par un relèvement des taxes sur les tabacs, briquets et allumettes.
Le Gouvernement ne peut pas non plus se satisfaire d'un simple renvoi à « une réforme des aides à l'emploi », sans plus de précision. Quelles sont les aides que vous souhaiteriez supprimer : les dispositifs de lutte contre le chômage de longue durée, que vous avez largement approuvés par votre vote sur les articles du projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions, les contrats en alternance, l'apprentissage ?
Au-delà du problème de la recevabilité financière, on ne peut pas envisager une extension forte des allégements sur les bas salaires, qui exige la mobilisation de moyens très importants pour obtenir un résultat sensible sur l'emploi, sans traiter de façon très précise la question du financement.
M. Christian Poncelet. Me permettez-vous de vous interrompre, madame le secrétaire d'Etat ?
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Je vous en prie, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Poncelet, avec l'autorisation de Mme le secrétaire d'Etat.
M. Christian Poncelet. Madame le secrétaire d'Etat, vous cherchez une source de financement.
Lorsque vous nous avez présenté le projet de loi relatif aux emplois-jeunes, dont nous avons discuté ici dans le détail, vous avez indiqué qu'il en coûterait 35 milliards de francs par an. Or, dans le budget de 1998, en cours d'application, 8 milliards de francs ont été inscrits à cet effet. D'après les indications que j'ai pu recueillir, vous n'inscrirez pas, cette année, les 35 milliards de francs. On peut déjà en conclure que l'opération emploi-jeunes n'est pas une réussite ; mais je n'en discuterai pas !
Puisque vous n'inscrivez pas les 35 milliards de francs, vous disposez d'une réserve financière importante.
M. Alain Gournac, rapporteur. Vous les avez prévus, ces 35 milliards de francs !
M. Christian Poncelet. Nul doute que vous avez étudié sérieusement le projet et que vous avez donc prévu d'alimenter les 35 milliards de francs initialement décidés. Puisque cette somme, prévue au départ, est, pour sa plus grand part, disponible et non utilisée, préleve sur elle l'argent nécessaire, à savoir 7 milliards de francs, pour lancer l'abaissement des charges sur les bas salaires !
Tout à l'heure, vous avez parlé des emplois créés ; il faudrait aussi parler de ceux qui ont été maintenus. J'ai dit, en effet, que l'on maintiendrait des emplois et que l'on en créerait d'autres. Si plus de 40 000 emplois ont été créés - je ne discuterai pas ce chiffre - plus de 100 000 ont été maintenus. Ce fait, extrêmement important, a été reconnu par les organisations syndicales ouvrières elles-mêmes.
M. Jean Chérioux. Cela, c'est du bon redéploiement !
M. le président. Veuillez poursuivre, madame le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Je vous répondrai avec conviction, monsieur Poncelet.
L'argument financier est, certes, mis en avant, mais il n'est pas le seul, même si - je l'ai dit clairement - l'allégement des charges sur les bas salaires a été reconduit - nous avons reparlé de ces 40 milliards de francs.
L'effort de la puissance publique doit porter non seulement sur les allégements mais aussi sur les réformes structurelles. Voilà pourquoi nous mobilisons tous les fonds dont nous pouvons disposer dans le budget pour mener un ensemble de politiques plus globales et plus dynamiques. Le financement, je le répète, n'est qu'un élément parmi d'autres.
J'en reviens à mon propos.
Le rapport Chadelat, que vous citez, monsieur le rapporteur, avait déjà souligné que le financement posait problème ; une étude récente de l'OFCE, que vous avez vous-même mentionnée, et dont a parlé la presse la semaine dernière, vient de le confirmer.
Vous auriez pourtant dû tirer les leçons de l'expérience malheureuse de 1995. L'allégement massif des charges patronales décidé cette année-là a été financé - je me permets de le rappeler - par un prélèvement sans précédent sur les ménages - je pense notamment à la hausse de la TVA et de la CSG - qui a eu pour effet de casser la croissance, avec les conséquences que l'on sait sur le chômage.
Nous avons pu éviter cet écueil en réduisant les charges sociales salariales et en les transférant en partie vers la CSG. Cette opération a permis, au passage, une hausse du pouvoir d'achat des salariés de 1,1 % qui a stimulé la demande dont nos entreprises ont besoin pour embaucher.
Il est aujourd'hui difficile d'aller plus loin dans cette direction, l'intégralité de la cotisation maladie ayant été transférée.
Nous ne renonçons pas, pour autant, à la poursuite de l'allégement des charges sur les bas salaires. Mais nous l'envisageons comme une vraie réforme de la structure et de l'assiette des cotisations sociales employeurs, et non comme une dépense nouvelle financée par l'impôt.
Dans le même temps, M. le ministre de l'économie et des finances réfléchit sur une réforme de la fiscalité locale visant le même objectif d'un prélèvement fiscal et social plus favorable à l'emploi.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'aurez compris, et j'en terminerai par là, le Gouvernement considère que la proposition de loi qui est soumise aujourd'hui au Sénat n'est pas suffisamment aboutie.
Il nous faut encore travailler. C'est le sens de la mission que le Premier ministre a confié à M. Malinvaud. Monsieur le président de la commission, j'ai noté votre attente mesurée !
Il faut travailler, d'abord, sur le financement. Je n'y reviens pas, je me suis longuement expliquée sur ce sujet.
Il faut travailler, ensuite, sur le mécanisme d'exonération. Le Gouvernement n'est pas convaincu par celui que vous proposez. Je n'ai pas besoin d'entrer dans le détail sur ce point. Je vous épargne la lecture de l'exposé des motifs et vous renvoie à la page 49 du rapport pour en juger. Vous l'admettez vous-même, monsieur le rapporteur, il est « assez compliqué ». Quoi qu'il en soit, nous devons être vigilants aux effets pervers d'une trop forte dégressivité des exonérations sur les politiques de rémunération des entreprises, afin d'éviter les trappes à bas salaires.
Pour toutes ces raisons, tout en réaffirmant sa volonté de poursuivre les allégements de charges sociales, le Gouvernement émettra un avis défavorable sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

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